Pour la vérité sur l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier
 Marie-Victoire Louis

Le silence de la France concernant la recherche de la vérité sur l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier doit cesser : la justice doit mettre en examen M. Ian Bailey pour assassinat

date de rédaction : 15/03/2010
date de publication : 15/03/2010
mise en ligne : 15/03/2010
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

Le « seuil de l’insupportable » est, depuis longtemps, dépassé. Et le silence actuel de la justice française, à laquelle l’Irlande a transféré le dossier, en juillet 2008, concernant l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier le 23 décembre 1996 doit cesser. M. Gachon, juge d’instruction a, depuis plusieurs mois, communiqué le dossier au parquet afin qu’il prenne ses réquisitions sur le règlement de la procédure. Depuis lors, la justice est muette, et l’attente dure toujours...depuis quatorze ans.1
Jusqu’à quand ?

Pour tenter de comprendre les raisons de l’évident blocage actuel, il importe d’analyser la gêne concernant les suites à donner, dont les multiples confusions qui règnent actuellement en France, notamment au plan juridique2, sont les révélateurs.

Les lourdes hypothèques qui pèsent sur ce « dossier » doivent être levées, afin que la justice soit enfin rendue. Pour ce faire, M. Ian Bailey doit être mis en examen pour assassinat. Celui-ci - que la justice Irlandaise a pendant onze ans systématiquement refusé de poursuivre - est en effet le principal et unique suspect depuis quatorze ans, désigné comme tel dès le début de l’enquête par la Garda, la police Irlandaise, encore confirmé par elle en 2003. Il est toujours libre.


Comment peut-on être aussi affirmative ? J’avais, pour ma part, relevé - il y a déjà deux ans donc - le concernant, les éléments à charge suivants contre lui :    
a) Ses sept aveux ou quasi-aveux. À :
- M. Malcom Reid, auquel il a déclaré, alors qu’il l’avait pris en stop et que la nouvelle de l’assassinat était connue de tous et toutes qu’il « était monté là-bas et qu’[il] lui a [vait] défoncé la cervelle avec une pierre ». M. Bailey a tenté de lui faire changer de déclaration. En vain.
- Madame Marie Farell, à laquelle, après lui avait demandé d’encaisser pour lui un chèque de 25 livres, concernant un article qu’il avait rédigé, il a déclaré : « Ca ne rapporte rien d’abattre quelqu’un. Voilà tout ce que sa mort m’a rapporté.»3
- Richard et Rosie Shelley auxquels il a déclaré : «  Je l’ai fait, je l’ait fait. Je suis allé trop loin ! », après un dîner au cours duquel il n’avait cessé de parler de l’assassinat, semblait obsédé par lui et était apparu comme « désespéré »,
- M. Bill Fuller auquel - en parlant de lui à la troisième personne - il a fait état de ses quasi-aveux, quelques jours après l’assassinat.
- Madame Diane Martin, à laquelle il avait déclaré qu’» il avait tué Sophie ou des mots similaires »
-  Concernant Madame Callanan 4, voici l’échange qui a eu lieu sur ce qu’il lui aurait dit : « Vous [lui] avez dit que vous aviez commis le meurtre ? » avait-il été demandé à M. Bailey. Réponse de M. Bailey : « Elle a juste dit que j’étais l’assassin et je lui ai répondu « oui » en plaisantant ». [...] Question : « Lui avez-vous dit que c’était une plaisanterie ? ». Réponse :  « J’ai considéré qu’elle l’avait considéré comme tel » [...] 
- Quant à Madame Yvonne Ungerer, citée par M. Bailey et à laquelle il aurait parlé du sang qu’il aurait lavé, elle n’a à ce jour, pas pris la parole sur ce qu’il  lui aurait dit.  

b) Les nombreuses pressions, intimidations, harcèlements, menaces, y compris de mort sur Madame Marie Farrell, l’une des témoins-clés puisqu’elle avait déclaré à la police l’avoir vu la nuit du crime, près de la maison de Sophie, vers 3 h 15 du matin. Le fait que celle-ci se soit elle-même, en 2005, ultérieurement rétractée n’invalide pas la véracité de ses premiers témoignages. Plus encore, les conditions dans lesquelles celle-ci a progressivement retiré ses premiers témoignages plaideraient plutôt pour leur validation. Sans évoquer ses nombreux « échanges » ultérieurs - pour employer un euphémisme - de celle-ci avec M. Bailey et son avocat, M. F. Frank Buttimer.    

c) Les innombrables mensonges que M. Bailey n’a cessé de proférer.  
Citons quelques-uns d’entre eux :

- Il a déclaré qu’il ne connaissait pas Sophie Toscan du Plantier, qu’il ne lui avait jamais été présenté, leurs maisons respectives n’étant distante que de 5 kilomètres environ, tout en multipliant les ambiguïtés en la matière. Or, en sus des trois témoins qui avaient affirmé, dès 2003, que cela était faux (M. Bill Fuller, Paul Webster, et M. Alfie Lyons pour lequel il travaillait et dont la maison jouxtait celle de Sophie, lequel a déclaré qu’il en était sûr « à 90% », M. Brighid Mc Lauglin), deux autres personnes ont récemment fait des déclarations dans le même sens. 5  

- Alors que sa compagne, Madame Jules Thomas, son principal alibi, avait déclaré, le lendemain du crime, à la police que le visage de M. Bailey portait sur le front une griffure « à vif », « saignante » qui n’existaient pas la veille, égratignures qu’un policier avait par ailleurs vues, selon ses propres déclarations. M. Bailey a, en outre, dans une déclaration publiée dès le 14 février 1997, lui-même reconnu qu’» il y avait du sang sur lui », a même  évoqué « le sang qu’il avait lavé de ses vêtements».  
Mais, concomitamment, il aurait déclaré qu’il aurait été griffé par une branche d’arme, puis par des dindes qu’il tuait pour Noël, pour enfin, nier les dites griffures.

- Son emploi du temps, de la nuit de l’assassinat jusqu’au lendemain vers 13 heures 30/14 heures, heure à laquelle il aurait, selon lui, été prévenu par M. Bill Cassidy, a été démenti par neuf témoins : Monsieur et Madame Leftwing, Monsieur Paul O Colmain, Monsieur et Madame Camier, Madame Ceri Williams, Monsieur Russel Barret, Monsieur Mac Sweeney, Monsieur Bill Fuller. Là encore, ses contradictions sont innombrables, comme celles de Madame Jules Thomas.  

- Notons aussi l’existence d’un feu le lendemain de l’assassinat - qui aurait permis de brûler des preuves (son manteau et sa canne notamment ?)  - a été reconnu par plusieurs voisins mais nié par lui et sa compagne.  

d) Par ailleurs, lors du procès en diffamation qu’il avait intenté contre huit journaux de la presse anglo-saxonne en décembre 2003 - lequel s’est révélé accablant contre lui: on a même parlé d’un « véritable réquisitoire » - M. Bailey a multiplié les dénis non justifiés, les affirmations non démontrées. 28 personnes sont venues témoigner, la plupart récusant ses assertions et apportant publiquement de nouveaux éléments invalidant ses dires. Quant à la validité de ses témoignages, voici ce que le principal avocat de la presse, M. Callagher a déclaré le concernant : « Nous ne misons pas un penny sur lui ; nous disons que ses preuves étaient, dans leur ensemble, peu fiables. Il a cherché à induire le tribunal en erreur à de nombreux égards. Une personne a droit à sa réputation, mais personne n’a le droit de venir devant un tribunal dire mensonges après mensonges et chercher des dommages et intérêts.»

e) Enfin, les trois scènes connues d’extrêmes violences à l’encontre de sa compagne, Madame Jules Thomas, nécessitant deux hospitalisations, ont permis en 2003 au juge anglais, M. Patrick Moran, de parler de sa violence « exceptionnelle » et de le considérer comme « un homme violent à l’encontre des femmes ».
Sans évoquer ses traits de personnalité et ses propres écrits...   

Tout ceci et bien d’autres éléments connus, publics, publiés depuis des années, ne cessent de le désigner comme le plus que probable auteur de l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier.

Pourquoi le D.P.P (Director of Public Prosécution) 6a t-il,  systématiquement, refusé d’ouvrir un procès poursuivre ? Le mystère demeure entier, mais que la presse américaine (Déclaration de M. John Montague, New Yorker, 10 Janvier 2000) ait affirmé - sans que cela ne soit démenti - que M. Bailey avait travaillé pour les services secrets britanniques n’est sans doute pas totalement secondaire.

C’est  donc en toute connaissance et de la nature des charges pesant sur M. Bailey et du refus de l’Irlande de le renvoyer devant une juridiction pénale, que l’Irlande a décidé après avoir classé le dossier, de le transférer en France.7 Dans des conditions très confuses. Pour ne citer que l’une d’entre elles, dans une lettre personnelle adressée par le D.P.P à Madame Bouniol, la mère de Sophie Toscan du Plantier, en date du 15 août 2008, celui-ci, après avoir précisé à nouveau qu’il avait « pris la décision de ne pas poursuivre en rapport avec l’assassinat », [ ...], écrit qu’un «cas n’est jamais définitivement clos dans le sens que si de nouvelles preuves devenaient accessibles qui justifieraient le commencement d’une poursuite, alors, en principe, il me serait possible de poursuivre, indépendamment de toute décision antérieure ».
L’Irlande n’aurait-elle donc pas abandonné l’hypothèse d’un procès ?

La France, quant à elle, n’aurait-elle été, dès lors, une fois encore, que l’objet d’un marché de dupes ?

Notons que cette décision de transmission de la procédure, peu banale, sinon exceptionnelle au plan juridique est pour le moins curieuse : l’Irlande, en effet, après avoir récusé systématiquement toute coopération avec la France pendant onze ans (en refusant notamment toutes les demandes de commission rogatoire internationale), après avoir clos, après onze ans d’enquêtes policières sans cesse reprises par de nouvelles équipes de policiers, le dossier décide de transférer les éléments dudit dossier à la France.

Il importe de rappeler qu’avant cette décision - dernière injure après tant d’autres infligées à la famille de Sophie comme à l’Etat français8 - l’Irlande avait formellement exclu ledit dossier d’une bien timide réforme de la justice irlandaise, obligeant le DPP à motiver ses classements sans suite.  

Comment s’est prise cette décision ? On n’en sait pas grand’chose, sinon qu’après le refus - politiquement fort signifiant - des chefs d’Etat des deux pays, M. Sarkozy et Madame Mary McAleese, de répondre aux lettres qui leur avaient été écrites le 12 avril 2008 par l’Association pour la recherche de la vérité sur l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier, des accords ont été signés à l’été 2008 (Cf., notamment les lettres échangées en date du 11, 12, 14 août 2008) entre les deux Ministères de la Justice. Au plan politique donc, en plein été, et dans la plus grande discrétion.

C’est plus que probablement à cette date que le sort du traitement du « dossier » par la France a été sinon réglé, du moins a été très largement, encadré. En tout état de cause, ce qui a été décidé à cette date doit être connu et les enjeux et la signification de ces échanges sibyllins clairement explicités.
Comment expliquer ces accords quasi secrets entre les deux Etats ? Il importe de rappeler que si l’Irlande a tant et tant de choses à se reprocher dans sa décision de protéger M. Bailey et donc dans son refus de trouver la vérité, la France n’est pas en reste. Les éléments en sont connus.  Il n’est donc pas totalement exclu que la France et l’Irlande, peu soucieux de rouvrir des plaies qui les auraient confrontées à de bien tristes constats, aient eu objectivement intérêt à être peu regardant et à vouloir de concert tirer un trait sur le passé. Que pèse la recherche réelle d’un assassin - concernant une Française en Irlande - face à un risque d’éventuelle brouille diplomatique ? A fortiori entre deux Etats européens.  

Ce qui est tenu pour sûr, aujourd’hui, dans l’attente d’une décision claire, c’est que la France, après avoir avalé en silence tant et tant de couleuvres Irlandaises ne se manifeste toujours pas, ni par sa clarté, ni par son courage, ni par son désir que la justice soit effectivement rendue concernant l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier.   

Quant aux conditions du transfert du dossier, elles sont, là encore, fort opaques. Notons qu’aucun représentant officiel français n’était présent afin d’être à même de vérifier que tous les éléments en la possession de la justice Irlandaise soient effectivement envoyés en France. On est, là encore, en droit de savoir quels ont été les éléments effectivement transmis. Je pense notamment à l’analyse des prélèvements des cheveux qui, selon lui, « auraient été trouvés dans la main» de Sophie, aux analyses de sang qui ont été faites, aux recherches d’ADN, aux photos qui auraient été prises par lui et/ou sa compagne du corps de Sophie le matin du crime...     

Mais, plus profondément, alors que tout le monde s’accorde à reconnaître que les policiers n’avaient jamais mené une quelconque enquête criminelle  et que celle-ci a été très mal faite, qu’elle n’a cessé, sans que les raisons n’en soient données, d’être reprise par des policiers à chaque fois différents, que le diagnostic du médecin légiste était plus que critiquable, etc...que pouvait donc attendre la France de ce dossier Irlandais ? Et que dit-il que l’on ne sache déjà ?

Le « dossier » reçu, les traductions ont été faites, les deux juges d’instruction, M. Gachon et Dutartre (celle-ci n’étant plus en charge du dossier) se sont rendus en Irlande en juin 2009 et « ont exprimé leur satisfaction concernant les progrès de leur enquête » 9deux voyages de policiers ont eu lieu entre les deux pays.

Les proches de Sophie ont, une nouvelle fois été interrogés non pas par le juge d’instruction, mais par la police judiciaire. Je l’ai aussi été et je dois dire que je n’ai pas eu le sentiment, au vu des questions qui m’étaient posées comme de la manière dont mes réponses étaient retranscrites, que l’enquête était partie en France sur des bonnes bases. Par ailleurs, rien de ce qui est connu ne laisse transparaître une quelconque décision d’envergure.

Aujourd’hui, quatorze ans après l’assassinat, c’est donc l’attente de la décision de la justice française concernant cet assassinat. Il importe, avant que celle-ci ne soit prise, de dire ceci :   

Il n’y aura pas de vérité, sans procès criminel. En France.
Il n’y aura pas de procès sans décision de mettre en examen M. Bailey pour assassinat. Sans celle-ci, aucun procès crédible en matière de recherche de la vérité ne peut avoir lieu.
Il n’y aura pas de procès sans que la question de savoir quels moyens juridiques la France compte se donner pour contraindre M. Bailey à répondre de leurs actes. Ayant toujours affirmé qu’il ne se rendrait pas en France de son propre gré, la question d’un mandat d’arrêt européen se pose. Actuellement, on ne peut que constater que cette question, pourtant essentielle, reste non ou mal abordée. Elle doit être résolue par les instances adéquates.

Une fois la décision d’ouvrir un procès d’Assises, le procès qui a eu lieu en décembre 2003 en Grande-Bretagne - tout à fait remarquable, à plus d’un titre - devrait être un modèle, à ceci près que ce ne serait pas un procès intenté par M. Bailey en diffamation contre la presse, mais un procès intenté par la justice française contre un présumé coupable pour savoir s’il est l’assassin de Sophie Toscan du Plantier. Et sa compagne,

Sans quoi, l’enquête française n’aurait été qu’écran de fumée et mensonges. Une fois encore.
Qui peut accepter cela ?  


Retour en haut de page
Notes de bas de page
1 Cf., Marie-Victoire Louis, L’assassinat de Sophie Toscan du Plantier, née Sophie Bouniol : onze ans de manquements et de déni de justice. 15 mars 2008. 103 pp.  

On s’y rapportera pour tous les éléments affirmés dans ce texte consultable en ligne : http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=796&themeid=797

2 La principale ambiguïté résidant sans doute du fait qu’une plainte « contre X  pour subornation de témoin et faux témoignage » a été, en juillet 2008 déposée. Le risque que ce soit sur les fondements de celle-ci et non pas contre M. Bailey pour assassinat est à cet égard réel. La confusion serait alors à son comble. Et l’espoir de la vérité quasi abandonné.  
3 « There’s no money in knocking people off. That’s all her death is worth to me » .
4 Echange de questions/réponses entre le juge anglais et M. Bailey au juge lors du procès de décembre 2003 en G. B. Cf. pour plus de précisions, le texte sus-cité.   
5 Cf., Irish Times. 4 février  2010
6 Equivalent du Procureur général.
7 Cf., notamment, Gardai to assist French Officials investigating du Plantier Killing. Irish Times, 12 Juillet 2008.
8 Alors que c’est indiscutablement du fait des pressions exercées par la famille de Sophie Toscan du Plantier que cette décision a été prise.
9 Irish Times. 12 juin 2009

Retour en haut de page