Madame Hagen

La femme explorateur

La Fronde 5, 6, 7 février 1899

date de publication : 05/02/1899
mise en ligne : 25/10/2006
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

Les hasards de la vie m’ont entraînée vers des pays divers ; j’ai dû plusieurs fois dire adieu à la France  pour aller passer quelques mois dans des contrées exotiques qui m’ont laissé des souvenirs agréables, malgré certaines épreuves et de nombreuses fatigues. On s’intéresse davantage dans un pays quand on doit le visiter et y séjourner pendant un temps plus ou moins long ; on interroge ses amies afin d’obtenir des renseignements sur la vie qu’on y mène, sur les ressources qu’on y trouve ; on consulte les bibliothèques et on part, documentée, prête à en remontrer au géographe le plus éminent.

C’est ainsi que l’obligation dans laquelle je me suis trouvée d’aller à l’étranger m’a fait lire les récits des explorateurs et navigateurs qui ont, les premiers, visité l’Afrique, l’Océanie, l’Asie et, par la suite, ont étendu le cercle de mes connaissances géographiques. J’ai pu constater que tout le mérite de ces voyages ne revenait pas à l’homme seul et que la femme avait aussi joué  son rôle ; nous avons donc le droit de revendiquer notre part de gloire et de célébrité. Nous pouvons nous enorgueillir de quelques exploratrices qui, comme Isabelle de Mendena, Ida Pfeiffer, Melle Tinne, etc., ne craignent pas la comparaison avec Cock, Barthe et Livingstone.

Il semblait, a priori, que dans cette atmosphère d’action, notre part était minime et ne méritait pas d’être signalée. On demande en effet à l’explorateur des qualités très spéciales : endurance à la fatigue, dédain des privations de l’existence, nul souci du confort matériel, courage, vigueur physique et morale. Oubliant que, sous une enveloppe frêle, se cache souvent une grande énergie, on prétendait que ces qualités étaient éminemment masculines et que, la femme en étant dépourvue, devenait inapte à entreprendre des voyages qui les exigeaient.

Que disent nos détracteurs ! La femme est un objet de luxe, un bibelot d’étagère, une statuette de saxe marquée de l’étiquette : fragile à déplacer ; on nous accorde quelques qualités de charité, de dévouement, mais on nous refuse souvent celles qui, d’ordre physique, nous permettent de créer et de produire un résultat durable. De plus, quelle audace de courir les cinq parties du monde et quelle outrecuidance de prétendre faire connaître à l’homme des pays inconnus ! On va au bal, au théâtre, mais on ne fait pas de ces voyages d’où  l’on revient laide.

Certes, il a fallu à nos grandes voyageuses une certaine dose d’énergie pour lutter contre les préjugés qui, de tout temps, à toute époque, nous ont confinées dans des limites étroites et nous ont défendu d’en sortir sous tutelle masculine.

Je suis donc heureuse de pouvoir opposer ces voyageuses aux explorateurs du passé et du présent ; je m’estimerai satisfaite qui, dans quelques articles, j’ai pu suffisamment renseigner les lectrices de La Fronde et leur montrer que, nous aussi, nous avons notre « Livre d’Or » dans les sciences géographiques.

***

Les femmes qui ont entrepris des voyages d’exploration pouvaient se recommander d’un patronage très haut placé et bien antique. Quand on étudie les rapports qui se sont établis entre l’ancien monde et la Chine, on en constate les traces vers les XX ème siècle avant notre ère. 

Ce fut la reine de Saba qui entra la première en relation avec l’Empire chinois ; elle fit ce voyage vers 950 pour aller offrir à l’empereur Mou-Wang des présents et signer un traité avec lui. Aucun document ne nous renseigne sur les clauses de ce traité, mais on sait, qu’afin d ‘éblouir le Fils du ciel, elle était entourée d’une suite nombreuse et brillante. Cette reine était d’ailleurs voyageuse et chacun a lu le récit de sa visite fastueuse au roi Salomon.

La reine de Saba n’eut pas d’émules pendant de nombreuses années ; les gynécées de Grèce et de Rome étouffaient chez la femme tout esprit d’initiative, toute idée d’aventure. Ulysse parcourait le monde, abordait les différentes rives de la Méditerranée et, grâce à sa protectrice Minerve, évitait les dangers offerts à tout navigateur par Charybde et Scylla, mais Pénélope restait à la maison, gardait le logis sans sortir d’Ithaque.

Les matrones romaines connaissaient le pays de la Nigritie d’où venaient leurs esclaves expertes dans l’art de les parer, la Libye leur envoyait les bêtes féroces que les gladiateurs combattaient dans les jeux du cirque, l’Asie Mineure si riche en parfums et peut-être le pays de Golconde, au Sud de l’Afrique, d’où elles recevaient l’or et l’argent qui servaient à fabriquer leurs lourds diadèmes.

Mais la dure loi de Rome ne permettait pas à la Romaine de sortir de la partie de la maison qui lui était réservée ; là, elle devait élever ses fils jusqu’au jour où l’âge les obligeait à revêtir la toge du citoyen ; il n’y avait place pour aucune autre occupation.

Si, de la société romaine, nous passons au monde musulman, nous pouvons constater que la rigueur inflexible de la religion de Mahomet n’a pas permis à la femme de manifester ses velléités d’aventures par des œuvres extérieures, telles que voyages et explorations. La femme est impersonnelle dans les pays musulmans, elle ne laisse à sa mort aucune trace durable ; le harem la cloître aussi durement que le couvent de la Carmélite. Des murs élevés lui ferment tout horizon ; elle connaît à peine la ville qu’elle habite, elle ne saurait donc rien nous apprendre sur les régions lointaines, et ce n’est pas elle qui nous fera connaître ce centre mystérieux de l’Afrique, dans lequel se manifeste, avec tant d’énergie, la puissance de sa race et surtout de sa religion. 
Je ne pense pas devoir changer d’avis malgré la charmante lettre du « Harem » que Yamina envoyait récemment dans La Fronde à M. Hugues Le Roux.

Ce n’est donc que dans les pays d’Europe, France, Angleterre, Autriche, Espagne, que nous rencontrerons des femmes qui aient fait acte d’exploration.

Beaucoup d’entre nous ont fait de grands voyages, ont publié des œuvres charmantes, ont développé notre connaissance des peuples de la terre et ont su, en un mot, observer et bien écrire.

Parmi ces voyageuses, je citerai Lady Montagne, femme d’un ambassadeur anglais qui vécut longtemps sur les rives du Bosphore et profita de sa situation privilégiée de diplomate et de femme pour étudier les mœurs et nous les décrire dans une relation traduite en 1805.

Melle Frederika Bremer, née en Finlande en 1802 qui, en 1849, se rendit seule en Amérique, s’arrêta en Angleterre en 1851, visite la Suisse, l’Italie, puis la Turquie et la Grèce sur lesquelles elle a écrit des relations livrées à la publicité. Melle Bremer fut une de nos devancières dans le féminisme et s’intéressa surtout à la condition de la femme dans les différents pays qu’elle parcourait. J’espère la faire connaître un jour, plus amplement, aux lectrices de La Fronde.

La princesse Belgiojoso nous renseigne aussi sur les contrées musulmanes ; elle a ses entrées dans le harem du Sultan et nous le dépeint sous des couleurs tellement peu séduisantes qu’on n’est pas étonné de voir le paradis des houris réservé, dans un monde meilleur, aux fidèles sectateurs de Mahomet.

Mme de Helle a accompagné son mari en Perse et publia, après sa mort, les récits de ses voyages.

Mme de Bourboulon avait épousé un diplomate français qu’elle suivait dans ses différentes missions ; elle sut mettre à profit les facilités qui lui étaient offertes par sa situation et publier des souvenirs intéressants. Elle était en Chine au moment de la fameuse révolte des Taiping ; elle visita la Mongolie, rentra en France par la Sibérie et mourut ne 1865 à l’âge de 37 ans.

Mme de Ujfalvy a visité l’Asie et fit paraître dans le Tour du Monde deux relations intitulées : D’Orenbourg à Samarcande et Voyage d’une Parisienne dans l’Himalaya occidental.

J’ai lu aussi, dans la même publication, le récit de deux excursions au Caucase par Mme C. Serena.

N’oublions pas non plus Mme Grove, cette Anglaise qui a vu la Bolivie, le Pérou, le Chili et, grâce à ses connaissances géographiques, a pu prendre à l’Université de Birmingham une chaire qui lui permet de faire vivre sa famille.

Pourquoi ne nommerai-je pas notre collègue de La Fronde - Grâce Corneau -  qui nous a dépeint la vie coloniale au Tonkin et en Tunisie et nous l’a décrite avec une telle précision et une telle exactitude qu’on voit qu’elle était née pour vivre cette vie et en savoir tout le charme séduisant.

Beaucoup de noms viennent encore sous ma plume, mais je résiste à la tentation d’allonger ma plume ; je crains de dépasser les limites qui me sont assignées dans ces colonnes, au risque d’oublier quelques-unes de nos intéressantes voyageuses.

Cependant, je ne veux pas passer sous silence celles d’entre vous qui ne craignent pas de suivre leurs maris, colons, fonctionnaires ou officiers dans nos possessions lointaines où les appellent les nécessités de la vie conjugale ou familiale. Elles sont légion les femmes qui sont allées ou vont au Tonkin, en Cochinchine, au Sénégal ou dans les Antilles, dans les colonies salubres ou les plus malsaines. Elles courent les risques du climat, elles supportent les fatigues d’une navigation souvent pénible et périlleuse, elles accomplissent leur devoir avec calme, sang-froid, bonne humeur et leur présence est fréquemment nécessaire à l’homme pour lui donner du courage et lui faire oublier les ennuis de l’éloignement. Par timidité, elles ne livrent pas au public les résultats de leurs observations, mais je suis sûre que leurs amies, restées en France, reçoivent des lettres fort intéressantes et très documentées ; à leur retour, dans les réunions de famille, leurs récits attachants font connaître aux jeunes et vieux parents ces pays lointains vers lesquels se dirigent aujourd’hui les initiatives étouffées dans la métropole.

Je réserve le titre d’exploratrice à celles que leur sexe n’a pas empêchées de parcourir des pays dangereux, de visiter des tribus d’anthropophages, de s’aventurer dans le désert du Sahara et de risquer leur vie à la cour de Madagascar, par exemple, avant l’occupation française. Elles n’ont pas craint de partir isolées, protégées par leur seule initiative, aidées par les ressources qu’elles trouvaient dans leur intelligence et leur courage particulier. Elles méritent notre admiration au même titre que les Stanley, Burton, Brazza ; quelques-unes ont péri blessées par la zagaie1 d’un Canaque océanien ou frappées par la balle du fusil d’un Touareg, ou bien succombé aux suites de leurs voyages audacieux.

Rendons justice à leur courage héroïque, elles nous révèlent un nouveau côté de la «  Femme » et ce n’est ni le moins brillant, ni le moins utile.

Citons au hasard quelques noms pour renseigner nos lectrices : Isabelle de Mendana, Isabelle des Odonnais, Melle Tinne, Mme d’Aunet, Mme Massieu, etc. Plus loin, je serai moins brève sur chacune d’entre elles.

***

C’est une Lorraine qui occupe, par ordre chronologique, la première place sur la liste de nos exploratrices. Vers 1224, la jeune Pâquette de Metz fut enlevée par des Bohémiens qu’elle dû suivre de gré ou de force dans les différents pays où les menait leur humeur vagabonde. Après une série d’aventures, elle vint échouer d’étape en étape à Karakorum, capitale de la Mongolie. Son jeune âge et ses déplacements nombreux ne lui firent pas oublier la langue maternelle ni le pays natal. Vers cette époque, Saint Louis envoya au roi de Mongolie une mission dirigée par Reburquin.Il est regrettable que ce dernier ne se soit pas étendu davantage sur Pâquette, mais on sait qu’elle fut très utile aux ambassadeurs ; elle facilita leur voyage par ses renseignements sur les pays environnants et, comme interprète favorisa leurs négociations avec la cour mongole.

On chercherait en vain son nom ainsi que celui d’autres femmes dont je vais parler dans les dictionnaires d’histoire et de géographie. Il semble qu’il y ait un accord tacite pour passer sous silence les voyages accomplis par la femme. Les ouvrages techniques s’étendent avec plaisir sur les « explorateurs », mais ils sont d’un laconisme décevant quand il s’agit des exploratrices ; trop souvent, leurs noms ne sont même pas signalés.

***

Mendana, célèbre navigateur espagnol venait de terminer en 1569 son premier voyage de circumnavigation dans lequel il avait découvert les îles Salomon situées dans l’océan Pacifique ; il en avait fait une description légèrement trompeuse, mais le temps n’était plus où il suffisait, en Espagne, de promesses pour exciter l’enthousiasme public. Malgré sa persévérance, il put obtenir le commandement d’une nouvelle expédition. Sa femme, Dona Isabelle de Barretos, voulut l’accompagner.
Il faut se reporter par la pensée à cette époque pour apprécier à sa juste valeur le courage de Dona Isabelle à affronter, de gaîté de cœur, par seul désir de curiosité scientifique, les fatigues d’un long voyage autour du monde.
Les navires de ce temps n’étaient pas de luxueux paquebots richement meublés, confortablement installés ; c’étaient des bateaux de faible tonnage, à peine pontés, et montés par 150 hommes environ. Il fallait avoir un estomac frugal pour se contenter de la nourriture de bord et une âme bien trempée pour ne pas trembler devant les dangers continuels d’une navigation vers l’inconnu.

Dona Isabelle visite les îles Marquises, l’archipel Santa Cruz, Vanikoro où devait naufrager avec tout son équipage en 1792, l’infortuné Lapeyrouse. Pendant ce voyage, les Espagnols se signalèrent par leurs cruautés à l’égard des malheureuses populations qu’ils avaient la prétention d’initier à la vie civilisée ; ils ont continué, de notre temps, ce système de colonisation à Cuba et aux Philippines.

Mendana s’efforçait en vain de lutter contre les procédés inhumains de ses compagnons ; Dona Isabelle appuyait de sa charité et de sa bonté féminine les exhortations de son mari. La douleur que ces tristes évènements causèrent à Mendana, jointe aux fatigues et aux privations, le conduisirent en peu de jours au tombeau. Mendana savait qu’il ne pouvait avoir aucun successeur présentant plus d’aptitude à mener le voyage à sa bonne fin que sa femme.

Il désigna, par son testament, comme gouvernante de la flotte, sa collaboratrice dévouée, Dona Isabelle, et lui donna aussi la préférence sur tous ses officiers. Elle prit le commandement des navires, ranima le courage des hommes, abattus par la mort de Mendana et ramena l’expédition à Manille après avoir découvert les îles Ladrones ou Mariannes.
Dona Isabelle termina ses jours à Manille. 
N’oublions pas de dire qu’une autre dame, Dona Beatrix, faisait aussi partie de l’expédition. L’on suppose qu’elle était la femme de l’amiral Lope de Vega qui commandait le deuxième navire sous les ordres de Mendana, puis de dona Isabelle.

***

Le Journal L’Intermédiaire des Chercheurs pose quelques fois à ses lecteurs des questions intéressantes ; récemment, il demandait qu’elle était la femme qui avait fait la première le tour du monde.

Ce fut une Française, Jeanne Baré, qui accomplit, vers 1767, un tel voyage dans des conditions bien curieuses. Je cite d’autant plus volontiers cette femme que, pendant un voyage que je faisais aux Nouvelles-Hébrides, je lisais le récit de la découverte de l’archipel par Bougainville et passais précisément près de l’île Pentecôte où le sexe de Jeanne Baré fut reconnu. Bougainville venait de visiter cette île appartenant au groupe des Nouvelles-Hébrides, près de la Nouvelle-Calédonie ; il lui avait donné le nom de Pentecôte et avait pu constater le caractère perfide et sauvage de ses habitants, qui s’est encore manifesté, pendant ma présence, par l’assassinat de deux Européens. Il fut appelé à bord de l’Etoile  et « j’eu l’occasion, dit-il, d’y vérifier un fait assez singulier ». Depuis quelque temps, il courait le bruit que le domestique de M. de Commerson, naturaliste, était une femme. Ce soupçon avait été accrédité par certains indices : son de la voix, menton sans barbe, structure physique, etc. Jeanne Baré ne s’acquittait pas moins de ses fonctions à la satisfaction de son maître, elle était devenue botaniste exercée, avait escaladé les prés glacés du détroit de Magellan, portant les provisions, les armes et les cahiers de plantes avec une vigueur et une ardeur peu communes.
À Tahiti, les indigènes l’avaient entourée, criant que c’était une femme et voulant lui faire les honneurs de leur île ; les marins français avaient dû venir à son secours et l’escorter jusqu’au bateau.

Jeanne avait fini par avouer à Bougainville qu’elle était née en Bourgogne et que la perte d’un procès l’avait réduite à la misère et lui avait fait prendre le parti de déguiser son sexe pour gagner plus facilement sa vie ; quant au reste, elle savait en s’embarquant sous des habits d’homme, qu’il s’agissait de faire le tour du monde et que ce voyage avait éveillé sa curiosité. Elle s’était toujours conduite avec sagesse et avec la pudeur la plus exemplaire ; elle avait 26 ans.

Bougainville ajoute que, si les deux vaisseaux de l’expédition eussent fait naufrage sur quelque île déserte, la chance eut été fort singulière pour Jeanne Baré. Cette chance eût singulièrement ressemblé à une malchance.

Jeanne rentra en France avec l’expédition, après avoir assisté à la mort de Commerson qu’elle soigna avec dévouement ; elle reprit ses habits de femme et se maria. Devenue veuve, elle se retira à Châtillon les Combes, lieu de naissance des Commerson et mourut en laissant ses biens aux héritiers du célèbre naturaliste.

***

Après la femme du peuple qui double les deux caps Horn et de Bonne-Espérance pour gagner son existence, nous rencontrons, à la même époque, la femme du monde, la grande dame qui, par amour conjugal, risque sa vie pour aller rejoindre son mari.

Isabelle de Grandmaison, fille de don Pedro, officier général espagnol, Péruvienne de naissance, épousa à 15 ans Jean Godin des Odonnais et devint ainsi française par alliance. En 1765, son mari partit faire fortune dans la Guyane française sur une galiote que le Gouverneur portugais avait mise à sa disposition ; mais les fièvres de Cayenne attaquèrent sa santé et il dut rester malade dans l’Oyapock. Désirant revoir sa femme, il envoya un de ses compagnons Tristan d’Orcasaval, la chercher à Rio Bamba. Tristan, au lieu d’exécuter la promesse qu’il avait faite, préféra se livrer au commerce dans les colonies portugaises de l’Amérique. Néanmoins Isabelle des Odonnais se mit en route pour rejoindre son mari ; elle se fit accompagner de son fils, de ses frères et part pour Canelos avec une troupe d’Indiens. Son escorte l’abandonne, mais la courageuse épouse n’en continue pas moins son voyage et marche dans le désert plusieurs semaines sans guide, souffrant de la faim, de la soif exténuée de fatigue et de privations. Son fils, ses frères, ses domestiques meurent de misère, elle erre dans les bois et finit par rencontrer des Indiens qui la conduisirent à Loguna ; des missionnaires la recueillirent et elle trouve enfin son mari qui l’attendait toujours dans l’Oyapock.
Mme des Odonnais vint en France en 1775 avec son mari et y finit ses jours.
Elle n’écrivit pas elle-même la relation de son voyage, mais le savant La Condamine2 nous a longuement rapporté ses aventures et nous a proposé une des descriptions détaillée de ses péripéties dramatiques.

***

Un mot seulement sur Mme Freycinet qui accompagnait son mari, commandant de l’Uranie, dans son voyage de circumnavigation. L’Uranie fait naufrage aux Iles Malouines et Mme Freycinet donna dans cette circonstance des preuves de courage et de sang-froid auxquels aimait à rendre hommage, dans ses entretiens, la naturaliste Gaimard qui était embarqué dans le même navire.

***

Nous pouvons passer sans transitions de Mme des Odonnais à Mme Ida Pfeiffer. Comme plus tard, Melle Tinne, Mme Pfeiffer représente pour nous non seulement le type de l’explorateur, mais aussi de l’écrivain soucieux de faire profiter ses lecteurs et ses nombreuses lectrices des documents recueillis pendant ses voyages.

Il est peu de pays que notre voyageuse n’ait pas visité. On pourrait même dire qu’elle a vu toute la terre : Turquie, Palestine, Egypte, Amérique, Afrique, etc. Elle fit aussi un voyage à Madagascar, d’où elle rapporta un livre instructif que nos administrateurs coloniaux feront bien de lire et de méditer. Je pourrais m’étendre longuement sur ses travaux et lui donner, dans cette «  Tribune », la place importante qu’elle mérite. Mais Mme Pfeiffer est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’insister outre mesure ; celles qui le lisent n’auront qu’à se reporter aux publications techniques pour avoir des détails plus complets. Je préfère être moins concise sur le caractère de notre exploratrice ; ce sera faire œuvre psychologique intéressante ; ce sera montrer aussi que les qualités féminines n’excluent pas les qualités dites viriles.

Mais d’abord, je veux m’abriter sous l’égide d’un illustre savant, qui a connu Mme Pfeiffer ; je veux parler de Alexandre de Humboldt dont la compétence est indiscutable en la matière : « Je prie, écrit-il dans une lettre de recommandation, d’accueillir avec intérêt Mme Ida Pfeiffer, célèbre non seulement par la noble et courageuse confiance qui l’a conduite, au milieu des dangers et des privations, deux fois autour du monde, mais surtout par la simplicité et la modestie de ses ouvrages, par la certitude de ses jugements, l’indépendance et la délicatesse de ses sentiments. J’admire la force de caractère qu’elle a déployée partout où l’appelle son invincible goût d’explorateur de la nature et des mœurs dans les différentes races humaines. » À de telles paroles, honorables pour celui qui les écrit et pour celle qui en est l’objet, je n’ajouterai que quelques lignes.

Mme Pfeiffer a montré, comme exploratrice, les qualités que l’on trouve rarement réunies chez ses rivaux masculins : courage, intrépidité, sang-froid persistant, curiosité ardente, énergie merveilleuse et volonté de fer.
Un fait entre mille : Menacée d’être mangée un jour par les Battack qui déjà préparent leurs couteaux et montrent quelles sont leurs intentions à son égard, elle s’approche du chef, lui frappe sur l’épaule et lui dit en riant : « Vous n’allez pas tuer et manger une femme, surtout une vieille comme moi dont la chair est déjà dure et coriace ». Le sauvage sourit à son tour et Mme Pfeiffer ne fut pas mangée.
Indifférente à la douleur  et aux privations, elle ne s’est jamais laissé rebuter par les difficultés qu’elle rencontrait sur sa route, elle s’est toujours pliée aux circonstances et a passé partout en laissant un renom de bon aloi.

Ce que j’admire en elle, c’est le résultat auquel elle est arrivée avec le peu de ressources mises à sa disposition. Alors que nous voyons nos explorateurs actuels partir quelques fois avec fracas, mais toujours avec l’appui des gouvernements et des sociétés officielles, Mme Ida Pfeiffer a fait ses explorations seules, sans aide, avec des moyens bien limités. Elle n’en a pas moins réussi partout où elle est passée et a laissé dans la science des traces durables. Le British Museum a été heureux d’acheter les riches collections d’histoire naturelle qu’elle avait rapportées.

***

Des pays baignés par le soleil, à la végétation luxuriante, nous passons avec Mme d’Aunet, aux régions des neiges perpétuelles dans lesquelles ne vit aucun être humain, ne pousse aucune plante. Mme d’Aunet détient le record des voyages au Pôle Nord ; elle est allée au Spitzberg et doit être la seule femme ayant entrepris un semblable voyage.

Partie de France, sous le règne de Louis-Philippe, elle a visité la Suède et la Norvège, a séjourné plusieurs mois au Spitzberg d’où elle est revenue par la Finlande et l’Allemagne. Elle a publié à son retour un livre écrit d’une plume alerte, dans lequel on est heureux de retrouver la note gaie et humoristique. Je cite au hasard l’anecdote suivante qui me paraît assez amusante : Mme d’Aunet faisait son voyage vêtue du costume masculin qui lui semblait plus commode pour excursionner ; elle entre un jour dans un hutte de Lapons pour y faire sa toilette plus complètement qu’au milieu des hommes de son escorte ; deux femmes Laponnes étaient dans la hutte et regardaient de tous leurs yeux la jeune Française, mais lorsqu’elle fit mine de se déshabiller complètement, elles sortirent précipitamment en manifestant un effroi singulier : le costume masculin de Mme d’Aunet avait été la cause de cette erreur ; on l’avait prise pour un redoutable cavalier.

Mme d’Aunet doit rester dans la mémoire des géographes ; elle a montré qu’une frêle Parisienne, habituée au luxe, au confort le plus élégant, avait préféré au bal le Pôle Nord et avait supporté sans broncher les mille misères d’un tel voyage.

***

Vers 1849, une célèbre violoncelliste allait tenter la fortune à Saint-Pétersbourg ; c’était Melle Lise Cristiani. Arrivée dans la capitale de la Russie, la jeune artiste ne put, en raison d’un deuil de la cour, donner ses représentations. Déçue dans ses  espérances, elle partit pour la Sibérie. Elle visita Irkoutsk, alla jusqu’à la frontière chinoise, se rendit au Kamtchatka, puis de nouveau à Irkoutsk pendant le dur hiver de 1849. «  Je viens, dit-elle, de parcourir 3.000 vestres de plaines : rien, rien que de la neige ! la neige tombée, la neige qui tombe, la neige qui tombera ! Des steppes sans limites où l’on se perd, où l’on s’enterre ! Mon âme repose glacée dans mon corps. » L’artiste était touchée à mort ; elle revint à Kazan en 1850 et fut l’une des premières victimes du choléra. Les habitants de cette ville se sont cotisés pour élever à notre compatriote un très beau monument funéraire.

***

La célébrité de Burton et de Livingstone a éclipsé celle de leurs compagnes, mais je n’en dois pas moins signaler les voyages d’exploration de Mme Burton et de Mme Livingstone et l’on ne doit pas oublier que Mme Livingstone est morte, comme son mari, au champ d’honneur, sur la terre africaine.

***

Je dois être moins laconique sur la vie de cette héroïne touchante, Melle Tinne, que je considère comme la plus digne de compter parmi les femmes utiles et les exploratrices courageuses.

Lorsqu’au milieu de ses serviteurs tués, elle tomba, frappée d’un coup de fusil dans la poitrine après avoir reçu un coup de sabre qui lui coupa la main droite, elle montra par sa mort glorieuse, que la femme ne le cédait à aucun homme pour le courage et l’énergie qu’on a l’habitude de considérer comme des qualités nous étant étrangères.
Bien digne de figurer au premier rang parmi les voyageuses, Melle Tinne doit aussi occuper la première place parmi les martyres de la science.

Née à La Haye en 1839, assassinée en 1869 dans le Fezzan (Afrique septentrionale), nulle femme ne présente un aspect plus poétique que cette jeune fille qui, trompée dans ses espérances, dit adieu au monde et va chercher l’oubli en consacrant sa vie et sa fortune à la science et aux œuvres d’humanité et de charité.
Elle visite d’abord la Norvège, l’Italie, la Palestine et l’Egypte. Mais le Soudan produisit sur elle, comme sur beaucoup de voyageurs, une attraction irrésistible ; elle n’ignore pas les périls du voyage, les dangers venant du climat malsain et des habitants perfides ; elle part, malgré tout, et se dirige vers la Nubie, mais les fièvres la forcèrent à rentrer en Europe.
À peine rétablie, elle va chez les Nyams, puis elle revient à Kartoum en 1864 et, de là, à Berber, à Souakim sur la Mer Rouge. Elle avait pris les habitudes arabes, portait le costume de la femme musulmane, s’asseyait à la mode orientale, etc.
Elle rentre au Caire, elle a pu s’apercevoir que les autorités égyptiennes favorisaient l’esclavage, cette plaie africaine toujours vive et saignante ; elle poursuit devant les tribunaux Mousa Pacha, à cause de la protection qu’il accordait au commerce des esclaves.
Une telle démarche, une telle audace étaient l’arrêt de mort de Melle Tinne. Les nouvelles vont vite dans le désert ; on sait bientôt que Melle Tinne s’attaque aux puissants de l’Afrique, aux riches pachas que le souci de leur bien-être préoccupe d’avantage que celui de l’humanité. Détruire le commerce des esclaves, abolir l’esclavage en l’attaquant à sa source, quel projet grandiose, mais quelles haines accumulées !
Comme Gordon, Melle Tinne en est morte.
Aussi, lorsqu’elle quitte Tripoli le 28 janvier 1869, son destin est fixé ; à peine arrivée sur le territoire Touareg, elle tombe mutilée sous les coups des bandits du désert.
Elle mourait victime de sa philanthropie, de son amour pour les faibles, de la protection qu’elle voulait accorder à de pauvres créatures qui, arrachées brutalement à leur pays natal, venaient peupler les harems turcs ou travailler pour le compte de pachas fainéants mais puissants. Gloire à Melle Tinne !

***

Je ne sais si je dois inscrire sur la liste Mme Dieulafoy ; non pas que ses travaux et ses voyages ne lui en donnent pas le droit, mais Mme Dieulafoy a pris une telle habitude du costume masculin, elle le porte avec une telle ostentation, depuis son retour en France, qu’elle a l’air de rougir d’être femme et je crains de lui déplaire en la faisant figurer dans notre galerie des exploratrices. Mais il faut bien pardonner quelques travers aux savantes ; il suffit de lire et d’entendre Mme Dieulafoy pour lui rendre justice et d’enorgueillir de la compter – si peu – parmi les voyageuses honorant son sexe.

La mission confiée à M. Dieulafoy, a été productive, grâce à la collaboration de sa femme qui a rassemblé, photographié  les riches exhumées des sables de la Susiane et de la Babylonie.
Mme Dieulafoy a su raconter ce qu’elle a vu, elle s’est assimilée la vie de la Perse antique et, dans les pages animées, elle nous a dévoilé les mystères de la vie orientale. Le bagage de notre exploratrice est riche en documents dont la science lui est reconnaissante.
Le ruban de la Légion d’honneur orne la boutonnière de son habit ; il ferait aussi bien sur son corsage, mais qu’importe ! Mme Dieulafoy l’a bien mérité et, pour une fois, le gouvernement a fait acte de bon féminisme.

***

Bien que Mme Bonnetain, la femme du romancier, n’ait fait qu’un voyage assez court, je la crois digne de prendre place parmi nos exploratrices modernes. Elle a été la première femme qui ait osé affronter le climat dangereux du Soudan français jusqu’à Bamako ; elle a supporté vaillamment les fatigues de ce voyage et elle a communiqué ses impressions au public dans un livre fort intéressant.

***

Enfin, je termine par Mme Isabelle Massieu qui vient de rentrer d’un voyage en Extrême-Orient. Mme Massieu est une fidèle des sciences géographiques ; elle appartient à la Société de géographie commerciale et je me rappelle avoir lu dans le Bulletin des correspondances instructives qu’elle envoya des différents pays qu’elle visitait. Il y a deux mois, elle assistait au Congrès des sociétés de géographie de Marseille et la conférence qu’elle y fit doit être considérée comme le clou du Congrès.

À ce sujet, qu’on me permette de signaler le peu d’amabilité de nos confrères de Marseille : chaque jour, ils publiaient le compte-rendu des séances, donnaient presque in extenso le texte des communications qui y furent faites et ne ménageaient à leurs lecteurs aucun renseignement sur les explorateurs et les voyageurs. Sur Mme Massieu, pas un mot, pas un éloge ; sa conférence fut à peine annoncée et je cherchais en vain dans les journaux de la région quelques lignes sur la séance dans laquelle devait parler notre exploratrice.
À la Société de Géographie Commerciale, on a plus d’égards pour Mme Massieu. Elle y fit, le 14 novembre 1895, une conférence très applaudie et l’assistance nombreuse goûta fort l’élégance de sa diction, la justesse de ses remarques et l’abondance de ses renseignements.
Mme Massieu vient de visiter la Birmanie, les Etats Shan et a opéré son retour en France par Louang Prafang en Annam, le Tonkin et la Cochinchine.
Je souhaite que ces explorations nous rapportent un beau livre de Mme Massieu ; nous l’accueillerons avec plaisir et le lirons avec intérêt ; si on en juge par les lettres de l’exploratrice, il sera écrit avec cette élégance, cette finesse et cet humour qui sont le privilège des femmes auteurs.

J’ai fini mon énumération des femmes exploratrices, j’espère qu’elle n’aura paru fastidieuse à aucune de nos lectrices. J’en ai dû oublier quelques-unes qui méritaient quelques mots d’éloge, mais elles me pardonneront en raison de l’espace qui m’est limité. Il faut savoir être brève si on ne veut pas lasser les lecteurs : qui ne sût se borner ne sût pas écrire.

***

Arrivée au terme de ma tâche, on me permettra quelques réflexions et considérations d’ordre général.

J’ai été heureuse de pouvoir signaler, dans le passé et dans le présent, les actes courageux et les voyages utiles accomplis par nos sœurs les grandes voyageuses. Je n’ai pas été guidée par un sentiment de jalousie mesquine à l’égard des explorateurs si méritants mais aussi si adulés. Qu’on ne m’accuse pas d’avoir exagéré le rôle de la femme et peut être d’avoir altéré la vérité à notre profit ; je ne me suis appuyée que sur des faits et des documents officiels. Mais j’estime qu’il est de bonne tactique - pour les féministes convaincues – d’étudier les différents champs d’action sur lesquels la femme a déployé ses éminentes qualités ; c’est un moyen légitime de lutter contre les préjugés d’un autre âge qui nous assimilent à des créatures inférieures. Il faut combattre sans cesse par la plume et surtout par les faits et les exemples, toutes les idées conventionnelles qui s’opposent trop souvent à la libre expression de nos facultés.

J’ai pensé que le terrain géographique était excellent pour soutenir ma thèse ; j’ai pu nettement prouver qu’il ne faut pas arguer de notre prétendue faiblesse physique pour maintenir, contre toute équité, une inégalité choquante entre les deux sexes.

Comme l’a dit Michelet, la femme n’est ni l’inférieure, ni la supérieure de l’homme ; l’un est le « complément » de l’autre.

Ainsi, je ne crains pas d’opposer Dona Isabelle de Mendana à Bougainville, Mme Pfeiffer à M. Grandidier, Melle Tinne au colonel Flatters, Mme Dieulafoy à… M. Dieulafoy et enfin Mme Massieu à S. A le prince Henri d’Orléans.

Mais je ne veux pas plus longtemps mêler le féminisme à la géographie.

Des critiques acerbes, oubliant que l’esprit d’initiative, le désir de savoir sont assez beaux et assez rares pour qu’on n’en discute pas le mobile, ont prétendu que nos grandes voyageuses n’ont pas obéi à des sentiments très élevés quand elles ont, comme ils disent, couru les aventures. Ils réservent à l’homme seul l’ambition de servir sa patrie, de propager la civilisation, en sacrifiant souvent son existence à d’aussi nobles idées. À leurs yeux, la Femme, « fille d’Eve », satisfait sa curiosité sans que l’on puisse l’animer de la grande passion des explorateurs.
Mauvaise foi insigne contre laquelle protestent les paroles et les actes !
Isabelle de Mendana part avec son mari pour découvrir l’Espagne des terres nouvelles et enrichir sa patrie. Jeanne Baré désire s’instruire tout en gagnant sa vie ; elle l’avoue à Bougainville. Mme Pfeiffer répond à l’avance à une telle objection : «  Il est peut-être, écrit-elle, des personnes qui croient que la vanité seule m’a poussée à entreprendre un aussi long voyage. Je les engagerai seulement à faire ce que j’ai fait ; elles se convaincront alors que, pour s’exposer de gaîté de cœur à de telles privations et à de tels dangers, il faut être animée d’une véritable passion pour les voyages ». Mme des Odonnais risque sa vie pour aller rejoindre son mari malade. Melle Tinne veut abolir l’esclavage et faire pénétrer la civilisation dans la société arabe ; elle meurt en plein Sahara et inscrit son nom dans le martyrologue humain.

Enfin, une femme se lève et force chacun à courber la tête devant la grandeur de son acte, devant le mobile qui [….]3 héroïsme. C’est Miss Kate Mabsden. Devancière du père Damien, missionnaire français des îles Sandwich, qui s’enferma dans une île réservée aux lépreux, Miss Kate Mabsden, émue par le récit de l’abandon dans lequel se trouvaient les lépreux de Sibérie, n’a pas craint d’entreprendre ce voyage pour apporter le secours de sa charité à de malheureux réprouvés. « C’est l’exil avec le froid, la faim, les bêtes féroces, le dénuement le plus absolu ». Je ne fais aucun commentaire.  

Des esprits grincheux et mal faits ne peuvent nier que les sciences et les connaissances humaines aient profité des voyages accomplis par les femmes, mais ils rétractent bientôt cet aveu, qui coûte à leur amour-propre, en disant qu’elles eussent mieux fait de rester chez elles et de soigner leur intérieur.

Nous leur répondrons que les qualités des exploratrices n’excluent pas fatalement les vertus familiales. Mme Pfeiffer a su bien élever ses enfants et bien explorer Madagascar.

D’ailleurs, il est des documents qu’une femme seule peut recueillir. « La présence d’une femme, dit M. Hugues le Roux, rassure l’indigène, surtout celui des solitudes. Elle vous ouvre les intérieurs clos ; elle soulève les voiles abaissés sur les mystérieux visages. » Écoutons aussi Mme Dronsart quand elle écrit : « Leur sexe même, s’il est parfois un obstacle, les aide souvent à pénétrer dans les lieux fermés à l’homme. C’est dans leurs livres qu’il faut étudier la vie de leurs sœurs de tous pays ; d’après leurs observations, on peut sonder l’obscurité mystérieuse des harems, des zénanas, des anderouns, des tentes et des cases, soulever les voiles qui cachent les visages et les âmes de tant d’êtres humains auxquels nous n’avons apporté que de faibles rayons de lumière ».

Je ne saurais mieux terminer cette trop longue « Tribune » qu’en citant une réflexion que me faisait, avec son ironie habituelle, un géographe éminent dont les renseignements m’ont été très profitables. « Grâce à vous, mesdames, nous connaîtrons peut-être un jour le secret de l’éternel féminin de l’Orient ; quelles Orientales viendront jamais nous révéler celui de l’éternel féminin de l’Occident ? »

Retour en haut de page
Notes de bas de page

1  Note de l’Editrice. Ou : sagaie

2  Ibid : Charles-Marie La Condamine. Mathématicien et naturaliste français (1701.1774). Après un engagement dans l’armée qu’il décide de quitter, il reporte son attention sur l'étude des sciences, en particulier des mathématiques. Membre de l'Académie des sciences (1730), il décide de prendre la mer pour un voyage de cinq mois autour du bassin méditerranéen. Il visite Alger, Alexandrie, Chypre ou encore Constantinople, autant de sites dont il rapporte de nombreuses observations à Paris. L’Académie des sciences lui confie la tête d'une expédition au Pérou, épopée qu'il relatera dans un ouvrage publié en 1751. Outre ses mesures et observations astronomiques, physiques, géodésiques ou ethnographiques, La Condamine rapporte dans ses bagages le caoutchouc, ainsi que la première description du quinquina, l'arbre dont on tire la quinine.

3  Ibid. Il manque un ou plusieurs mots dans le texte pour que cette phrase soit compréhensible.


Retour en haut de page