Madeleine Pelletier

La femme au pouvoir

L’Ouvrière
09/02/1924

date de publication : 09/02/1924
mise en ligne : 25/10/2006
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Dans un récent numéro du « Libertaire », M. Fister considère comme une défaite du féminisme, la nomination d’une femme dans le cabinet Mac Donnald

Que les anarchistes qui sont par principe opposés à tout gouvernement n’acceptent pas plus les ministres femmes que leurs collègues masculins, on le conçoit.

Mais ce n’est pas sur ce point de doctrine que portait l’article de M. Fister. Beaucoup plus qu’anarchiste, son argumentation était antiféministe.

Cette femme, disait l’auteur, pour arriver à la situation enviée avait dû se mêler aux basses intrigues politiciennes. Ce n’est place de la femme dont la mission toute de charme…etc.
On connaît l’antienne, la bourgeoisie réactionnaire la ressasse depuis si longtemps.

La mission de charme, cela veut dire la prostitution affichée ou déguisée tant que la femme est désirable ; la misère, l’abandon, la douleur, parfois la mort quand elle ne l’est plus.

Évidemment la présence d’une femme dans un ministère de compromis avec la société capitaliste n’aura pas pour effet de changer cette société ; elle n’en constitue pas moins un progrès appréciable.

Contrairement à certains, même, je pense que l’affranchissement féminin, alors même qu’il est purement politique, ne peut que hâter la révolution.

La femme prolétaire représente aujourd’hui dans sa masse une grande force d’inertie.

Bornée au cercle étroit de sa famille, elle ne comprend rien à tout ce qui la dépasse.

Seul l’intérêt immédiat, son intérêt à elle et à celui de son foyer la guide. Elle s’insurge d’instinct contre tout ce qui semble le menacer. Le parti communiste lui fait peur comme un générateur de violences et de troubles. Elle fuit le syndicat qui combat les patrons et qui mène à la grève, c’est-à-dire à la misère momentanée. Non seulement elle s’en éloigne elle-même, mais elle fait tout pour ce qu’elle peut pour en garder son mari. Pour militer, on peut dire que la plupart des maris ouvriers doivent lutter contre leur femme.

Il n’y  a pas à se le dissimuler, la femme, dans sa majorité, est en arrière de l’homme, elle forme une couche sociale plus profonde, plus enténébrée : elle est à l’ouvrier à peu près ce que le paysan est à ce même ouvrier.
Il est des hommes qui ont tiré de ce fait indiscutable un argument contre l’affranchissement politique féminin. Ils ont eu tort, car si on n’affranchit pas la femme,, elle restera la force qui fera contrepoids à la révolution.

C’est pourquoi les femmes communistes doivent envisager l’arrivée de leur sexe au pouvoir comme un succès et non comme une défaite.

Dès l’aurore de la Révolution russe, on vit une femme, Alexandra Kollontaï, au poste de Commissaire du Peuple.

Certes, l’affranchissement politique n’est pas tout ; comme l’a dit Lénine : 1« Tant que la femme est enchaînée aux fonctions abrutissantes du ménage, il lui est bien difficile d’élever son esprit comme il le faudrait. Néanmoins, l’émancipation politique conserve sa valeur psychologique : elle relève la femme à ses propres yeux ; et je nourris l’espoir que lorsque la Française votera, on n’entendra plus ce cliché honteux : « Moi qui ne suis qu’une femme ! ».

La libération de son esclavage sexuel ne peut que la mettre mieux à mesure de s’affranchir de sa classe.

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Notes de bas de page
1 Note de l'éditrice. La fin des guillemets de la citation n’est pas indiquée.

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