Bradamante

Le mariage des officiers

La Fronde
10/01/1902

date de publication : 10/01/1902
mise en ligne : 03/09/2006
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

Au cours de la prochaine discussion du budget de la guerre, la Chambre sera appelée à se prononcer sur un projet de loi tendant à restituer aux officiers la liberté de se marier comme le commun des citoyens, sans qu’ils aient au préalable à obtenir l’agrément de leurs chefs.

On sait que parmi les usages des armées prétoriennes jalousement conservées par notre armée nationale, figure la réglementation du recrutement des femmes d’officiers.

Nulle femme ne peut être admise dans le corps des officières si elle ne possède au moins 1.200 francs de rente et si elle n’est agréée, au surplus, par toutes les autorités militaire, quoiqu’elles n’aspirent qu’à épouser un unique représentant  de l’armée.

Le prétexte sous lequel on a conservé dans l’armée de la République, l’ancien système du recrutement des femmes de militaires est de protéger les officiers contre les entraînements de la passion et d’empêcher qu’ils n’assument des charges de famille supérieures à leurs revenus. Mais à moins de poser en principe que les officiers sont d’une niaiserie si pitoyable que, seuls parmi tous les Français, ils sont hors d’état de contracter  un mariage qui ait le sens commun, on ne voit aucune raison pour les priver exclusivement d’une liberté exclusivement accordée à leurs concitoyens civils. Dans ce cas, d’ailleurs, il conviendrait de les mettre sous la tutelle des civils et non de militaires plus galonnés, qu’on devrait tenir pour plus niais encore, si les qualités militaires sont proportionnelles aux grades. Mais la vérité est que le recrutement des femmes d’officiers n’a d’autre but que de préserver la caste militaire de toute contamination d’esprit civil démocratique.

Beaucoup d’officiers, et précisément les plus dignes et les plus pauvres, ne trouvent dans l’obstacle que l’autorité militaire oppose à leur mariage qu’une aggravation de leur misère. Ces braves gens entretiennent et élèvent souvent sur leur solde une femme et des enfants que l’autorité militaire les empêche de légitimer. Pendant ce temps, la même autorité militaire, les traitant en célibataires, les force à affamer leur famille, en les obligeant à verser le prix de leur pension au mess des officiers célibataires où ils ne se nourrissent pas la majeure partie du temps.

Pour bien savoir dans quel esprit l’autorité militaire tient à rester maîtresse d’éloigner certaines femmes de l’armée, il suffit de considérer la nature des revenus qu’elle exige de celles qui veulent épouser des officiers. Les rentes seules sont admises.  Une femme qui, par son travail  ou son industrie aurait des ressources dix fois supérieures à la dot réglementaire n’est pas agréée. Pour l’autorité militaire, les seules ressources avouables sont celles qui ne viennent pas du travail personnel. Tout ce qui vit du travail d’autrui, de l’intrigue, de la mendicité est avouable. Toux ceux qui travaillent, qui produisent, qui sont utiles, sont d’espèce inférieure et méprisable.
Telles sont les idées en honneur dans l’armée nationale de la République.

Les champs de bataille où l’on gagne des galons et des croix sont les salons des femmes d’officiers. Il importe donc que la direction de ces lieux de gloire ne soient confiés qu’à des personnes sûres et élevées dans les bons principes. Il importe par-dessus tout, qu’elles aillent régulièrement à confesse, et que la Congrégation soit en dernier ressort la seule maîtresse de l’avancement et la vraie dispensatrice des grades et des commandements. Du moins ces dispositions importent à la gloire de Dieu et au bénéfice de son représentant à Rome. Mais, ce qu’on ne distingue pas du tout, c’est le rapport que de tels arrangements peuvent avoir avec la défense des frontières.

On peut soutenir qu’il serait utile que les officiers renoncent au mariage pour demeurer prêt à risquer leur vie à chaque instant, le cœur et l’esprit dégagés de tout souci de famille. Du moins, cela pouvait se soutenir au temps où les officiers étaient exposés à se battre et où le métier militaire n’était point comme aujourd’hui où l’on n’a moins de risques professionnels et le plus de chance de longévité.

Mais en quoi le talent professionnel d’un officier, son entrain à faire la guerre, peuvent-ils dépendre de la manière dont sa femme contribue à apporter des ressources dans son ménage ?

Qu’on interdise le mariage aux officiers ou qu’on ne leur interdise pas.
Mais si la République autorise les officiers à fonder des familles, il n’y a vraiment pas de raison pour qu’elle les force à n’épouser que des femmes qui vont à la messe, et dont la vraie patrie est Rome.


Retour en haut de page