Paris, le 24 octobre 2002 1
Aucune raison valable, au plan des principes, ne peut justifier que se perpétue – ne serait-ce que d’une journée – les soit-disantes raisons invoquées par une société patriarcale libérale proxénète pour justifier la permanence du système prostitutionnel.
Si j’acceptais de repousser – ne serait-ce qu’à demain – la mise en œuvre effective de l’abolition du système prostitutionnel, je participerais à la justification de la validité du principe de la légitimité des violences qui, chaque jour, sont infligées à des millions de personnes.
Je participerais alors à la légitimation et à la permanence du patriarcat et de toutes les violences qui sont intrinsèques.
Je participerais à la perpétuation et à la justification de la domination masculine sur les femmes.
Je justifierais donc en outre ma propre aliénation.
Ce qui est impensable.
Le 31 août 2002, le Collectif national pour les droits des femmes adressait un texte d’ « invitation » 2 à une « réunion » en date du 26 septembre. Cette réunion, initiée par le « groupe prostitution » du Collectif, était présentée comme s’inscrivant dans la suite de « la réflexion critique sur le système prostitutionnel » déjà engagée lors du « forum débat des 8 et 9 mars » [2002].
Je m’y suis rendue. Mais, compte tenu de l’organisation de cette réunion, du nombre important de participant-es 3, comme du faible temps dont j’aurais pu disposer, j’ai ressenti le besoin d’une distance pour construire un argumentaire que la prise de parole immédiate n’aurait pas permis. Je me suis donc donné les moyens de mieux comprendre les raisons du malaise que j’avais ressenti à la lecture du texte d’invitation…
Ce n’est donc qu’au terme de ce travail que je comprends la gravité des critiques que je vous adresse.4
Un préalable. Vous pourriez invoquer à l’encontre de cette réaction/ contribution, l’argument selon lequel cette critique dépasse largement le cadre d’un texte d’une page d’invitation à une réunion. Cependant, dans la mesure où le projet de votre réunion était de poser un cadre d’analyse qui devait servir de « bases » aux partis, associations, syndicats et individu-es que vous invitiez à vous rejoindre, l’analyse de votre texte, suivie de celle de la réunion du 24 septembre méritait d’être réfléchie au regard de l’ambition que vous lui assigniez.
À cet égard, il faut garder en mémoire que :
* Les tenants de la légitimité du système prostitutionnel sont maîtres dans l’art de la confusion conceptuelle. La clarification des enjeux du débat est donc essentielle.
* Tous les mots, tous les termes, tous les concepts que nous employons ont été constitués dans et par des analyses considérant la prostitution comme « normale », « naturelle », « évidente », « justifiée », « nécessaire ». Et qu’à ces termes ce sont ajoutés en outre ceux issus du libéralisme patriarcal.
Tous les mots, termes, concepts employés – porteurs de siècles de légitimation de la domination patriarcale, aujourd’hui re-légitimée et aggravée par le marché – doivent donc être repensés avec ce double regard critique.
Je distinguerai la critique du texte de présentation-invitation, de la réunion elle-même. Et, en conclusion, dans la poursuite du projet politique initié par l’Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète, lancé par le CPL5 [5], je poursuivrai le travail de re-construction d’un abolitionnisme féministe pour le XXIe siècle. 6
J’apporte donc par ce texte ma contribution à la reconstruction politique de l’abolitionnisme féministe.
J’ai d’emblée été frappée de la coupure politique entre sa première et la seconde partie. Dans les cinq premiers paragraphes, l’analyse est présentée sur le mode affirmatif. Dans la seconde, cinq questions, qualifiées d’ « enjeux actuels », se référant, elles, à des positions politiques concrètes, sont présentées sur un mode interrogatif.
Ce distinguo est important car seule l’adhésion à votre analyse était présentée comme conditionnant la participation à la réunion du 24 septembre : c’est en effet après sa présentation qu’il est question d’ « accord avec les bases définies ci-dessus ». Ainsi, il n’y avait pas de préalable politique demandé aux futur-es participant-es concernant les politiques actuelles. Ceux et celles que vous convoquiez à cette réunion étaient donc engagés par votre analyse, mais ne l’étaient pas sur un programme minimum commun. 8[8]
Tout en étant consciente que ce choix de méthode rend difficile l’appréhension d’une critique globale, j’ai dissocié ces deux parties, que j’ai analysées, pour plus de clarté, paragraphe par paragraphe.
Premier paragraphe
Vous vous inscrivez dans le cadre de la poursuite d’ « une réflexion critique sur le système prostitutionnel » et vous nous dites comment vous « pensez »9 [9] ce système : « comme une violence contre les femmes, comme un des piliers du système patriarcal et de l’inégalité hommes/femmes, comme une expression de la construction sociale de la sexualité (occultée par l’idéologie des « besoins sexuels naturels » des hommes) qu’il faut remettre en cause ».
Cette analyse m’a inspiré les réactions suivantes :
Avant de l’aborder le lien lui-même, certaines clarifications de vocabulaire doivent être faites.
Faute de rigoureusement définir l’expression de « violence », le risque est réel – et le processus est déjà politiquement largement engagé – de faire disparaître toute possibilité même d’analyse.
Celle-ci peut en effet par exemple désigner :
* les violences contre les femmes en temps de « paix » : assassinats, meurtres, mutilations sexuelles, viols, coups, tortures, agressions sexuelles, harcèlement sexuel… mais aussi les violences en temps de « guerre », à savoir les mêmes violences, auxquelles s’ajoutent celles commises par les représentants du pays, du groupe, de l’ethnie « ennemie »…
* les violences pénalisées par le droit et celles légitimées par lui.
Lorsque le terme de « violence » est inscrit au singulier, la confusion est à son comble : elle perd en outre toute signification juridique en se fondant dans le vocabulaire du sens commun. Enfin, définir le système prostitutionnel comme « une violence » signifie que celle-ci peut être considérée comme équivalente à toute autre violence : toute référence à l’analyse en terme de système devient alors impossible.
Par ailleurs, « les hommes » ne sont pas par ailleurs nommés par vous. La distinction théorique fondamentale entre les violences commises par les hommes singuliers et celles commises par les Etats n’est plus donc possible.
Ils ne sont pas nommés en tant qu’ « auteurs de violences » ; il devient alors impossible de mettre en relation le sexe de l’agresseur et de celui de sa ou ses victimes, ce qui interdit toute analyse féministe.
Ils ne sont pas nommés non plus en tant que victimes eux aussi du système patriarcal. Car si ces violences masculines sont principalement exercées à l’encontre des personnes de sexe féminin, dans le cadre de relations de type homosexuelles, elles sont aussi exercées à l’encontre de personnes de sexe masculin. Il est donc fondamental d’intégrer dans l’analyse du système prostitutionnel les hommes, victimes eux aussi des violences hétérosexistes patriarcales, souvent homophobes, du fait d’autres hommes.
Il en va de la crédibilité d’une analyse féministe abolitionniste.
Même si l’on peut considérer que ce lien relève de l’évidence 10 , il peut bien sûr être fait. Mais il faut dire que ce lien :
* ne signifie rien de rigoureux : ainsi, à quelle position contraire, cette assertion s’oppose-t-elle ? : au système prostitutionnel « non violent » ? au « consentement-libre-et-ou-contractuel-entre-les-parties » ?…
* ne permet pas de se positionner effectivement, précisément sur aucun des débats actuels.
* n’a qu’une valeur déclarative, c’est-à-dire extrêmement faible, sinon, politiquement parlant, quasi nulle. 11
Par ailleurs, il faut aussi dire qu’il est actuellement politiquement dangereux.
Il est en effet, tout à fait possible de reconnaître que le système prostitutionnel relève de la « violence », sans pour autant :
* se donner les moyens de combattre ni l’un ni l’autre ;
* prendre position contre les politiques effectivement mises en œuvre.
Il est même possible en liant, sans plus de précisions : prostitution et violences, de justifier le bien fondé de principe du système prostitutionnel.
Un exemple : On peut ainsi lire dans le rapport d’activité 2002 de l’association Cabiria, à propos des « femmes sous contraintes de julots casse-croûte » 12 ceci : [….] « Cette forme de proxénétisme doit se comprendre avant tout dans le cadre de la violence conjugale, et donc du droit commun. Les liens entre la personne prostituée et celui qui est désigné par la loi13comme son proxénète sont avant tout de nature conjugale, et le fait que la femme entretienne matériellement son conjoint ou acquiert un bien avec lui, ou facilite sa vie en général est souvent le résultat d’un accord commun14, comme de nombreux couples ordinaires ». Cabiria poursuit, sans gêne apparente : « Ce qui est exceptionnel ici est que c’est la femme qui a une position économiquement dominante ». Pour ensuite affirmer : « Or, contrairement à la vie des couples ordinaires où les ressources des hommes sont globalement supérieures, ce qui contribue à leur assurer plus de pouvoir, la femme tire rarement des bénéfices de sa position économique dans la relation. 15 Les violences faites aux femmes sont souvent indépendantes de leurs capacités de pouvoir économique. » Et Cabiria conclut enfin : « D’autre part, tant que la femme ne ressent pas de violence de la part du conjoint16 , elle cède17à l’arrangement comme la majorité des femmes […] ». 18
Dissoudre la spécificité des multiples violences du système prostitutionnel par dénonciation de certaines violences, puis dissoudre ces violences au nom de leur banalité et du « ressenti » des femmes qui « céderaient à l’arrangement, comme la majorité des femmes », 19 - outre la monstruosité de l’assertion - est un subterfuge, heureusement grossier, dont la fonction est de légitimer le système prostitutionnel.
La vraie question ne réside donc pas dans la manière dont on qualifie, par l’emploi d’un mot, issu du langage quotidien, le système prostitutionnel, mais dans le jugement que l’on porte sur lui, dans l’analyse que l’on en fait. Et ce, dans le cadre de l’analyse critique des politiques globalement d’ores et déjà mises en place : elles seules sont véritablement signifiantes.
Or, il faut dire avec force qu’aucun aucun texte onusien, ni européen, ni français – et ils sont légion – sur les « violences contre les femmes » n’a jamais condamné en lui-même le système prostitutionnel. 20 Plus encore, n’ayant jamais remis en cause le processus de mise sur le marché de sexes des êtres humains, ils en ont accompagné la logique.
Une incidente. A cet égard, je voudrais, compte tenu des si nombreuses erreurs d’interprétation dont elle est l’objet – et sachant que vous n’avez heureusement pas vous mêmes employé le terme de « discrimination » – faire une critique de l’analyse couramment faite de la convention de l’ONU de 1979 dite de New York « sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes » (CEDAW). Et notamment son article 6 qui pose : « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes les formes, le trafic des personnes et l’exploitation de la prostitution d’autrui ».
Ce texte en effet ne fait, dans ses attendus aucune référence à la prostitution, alors qu’elle évoque l’ « apartheid, le racisme, le colonialisme, le néo-colonialisme… » et ne fait aucune référence à la Convention abolitionniste de 1949, alors qu’elle cite plusieurs textes onusiens de référence. Elle ne permet même pas d’y faire référence : il n’est en effet question que des « conventions internationales conclues sous l’égide de l’ONU et des institutions spécialisées en vue de promouvoir l’égalité des droits entre l’homme et la femme », qualificatif dans lequel celle-ci n’a pas sa place.
Par ailleurs, son article 6 ne s’inscrit pas, contrairement à ce qui est si souvent affirmé, dans la continuité politique de la convention de 1949. Pourquoi ?
* Parce qu’il fait régresser « la prostitution » d’atteinte à « la dignité et à la valeur de la personne humaine » – termes employés par la convention de 1949 – à celle de « discrimination à l’encontre des femmes », ce qui est, par ailleurs, en l’occurrence, absurde.
* Parce qu’il est d’abord question dans la formulation adoptée de « supprimer le trafic des femmes », sans position de principe préalable sur le système lui-même qui crée le « trafic », à savoir la prostitution.
* Parce que le mot de « traite » – qui a une signification historique et juridique employé dans la convention de 1949 et dans les trois conventions qui l’avaient précédée – a été remplacé par le terme de « trafic », à la signification essentiellement commerciale.
* Parce que l’expression d’ « exploitation de la prostitution » réduit considérablement l’analyse et la critique de « la prostitution » 21[21], terme employé par la convention de 1949. (Cf., & 7)
* Parce que la référence aux seules « femmes » fait disparaître la portée universelle de la convention de 1949, qui, elle, fait référence à « l’un et l’autre sexe ». (Article 17)
Ainsi, analyser le « système prostitutionnel » […] « comme une violence contre les femmes » est inadéquat à plusieurs titres et joue – depuis plusieurs années déjà – un rôle de leurre.22
La vraie question – que vous ne clarifiez pas – n’est pas de poser cette affirmation, mais de s’interroger sur la nature des relations entre les divers (autres) « piliers du système patriarcal » et le système prostitutionnel.
Vous savez en effet fort bien que nombre de tenants de la légitimité du système prostitutionnel arguent de ce que le mariage et la prostitution s’inscriraient dans un même « continuum » [des manifestations du système patriarcal] pour faire reconnaître le bien fondé du système prostitutionnel. Que le raisonnement soit faux et l’analogie inacceptable n’en fait pas moins un des classiques de leur « argumentaire ». Un seul exemple : le contrat de mariage a inclus des limites aux droits d’usage du mari sur le corps de sa femme et a conféré à l’épouse certains droits positifs en la matière, tandis que rien de tel n’a jamais été posé au sein du système prostitutionnel.
Par ailleurs, dès lors que l’on se réfère à une analyse en termes de « système patriarcal » 23 , le concept adéquat est celui de domination et non pas celui d’égalité. Postuler l’égalité entre les sexes, dénoncer l’ « inégalité hommes/femmes », revendiquer « plus » d’égalité entre les sexes, est en effet une contradiction dans les termes : il n’y a pas d’égalité pensable entre deux sexes dont un domine l’autre, sauf à remettre en cause le système dominant.
C’est d’ailleurs la raison essentielle qui explique que l’on ne puisse analyser et dénoncer le système prostitutionnel dans les catégories légales, politiques, conceptuelles actuelles.
Le système prostitutionnel ne peut à la fois être un des « piliers du système patriarcal », tout en étant aussi défini comme une – quels sont les autres ? – « expression » – manifestation ? – de la « construction » – strictement ? – « sociale » de la sexualité. [sur l'emploi de ce terme, cf. &10)
La référence "aux besoins sexuels des hommes" - fussent-ils "socialement" construits - ne relève pas d'une idéologie, laquelle implique une construction théorique. Les "clients" des personnes prostituées n'ont en outre pas besoin d'une "idéologie" pour justifier leurs agressions ; ils mettent en pratique la loi du plus fort cautionnée par le droit du dominant qui leur accorde, contre rémunération, un droit à un accès illimité aux sexes d'autres êtres humains, des femmes dans leur immense majorité.24
L’emploi de ce terme est, en termes de dénonciation, gravement insuffisant. Il évite en outre de se positionner par rapport aux débats sémantiques actuels éminemment politiques. Il ne se réfère notamment pas à une histoire et à un projet « abolitionniste » puisque le mot n’est pas prononcé.
Deuxième paragraphe
Vous écrivez que « vous travaillez à des stratégies et des actions qui à la fois combattent l’exploitation et l’oppression que subissent les femmes en situation de prostitution et nous fassent avancer vers une société sans prostitution ».
Là encore, quelques remarques :
J’aurais souhaité, dans le cadre d’un projet politique abolitionniste féministe, que vous écriviez : « Nous combattons [le système prostitutionnel…] ». Ou plutôt, plus justement encore : « Nous voulons la suppression, l’abolition du système prostitutionnel… »
Dans le cadre d’une analyse se référant au « système patriarcal », le terme employé aurait dû être celui de « domination » (masculine) – qui renvoie « au fait, à l’acte de dominer » – et non pas celui d’ « oppression »- qui renvoie à « l’état de la personne ‘opprimée ». 25
Par ailleurs, vous ne pouvez mettre au même niveau – tout en les dissociant – « l’exploitation et l’oppression »…[que subissent les femmes en situation 26 de prostitution]. Car ces deux termes ne sont pas synonymes. Plus encore, l’emploi de l’un ou de l’autre est lourd de sens. Si l’ « oppression » peut se référer au système patriarcal, le terme d’ « exploitation » se réfère historiquement essentiellement à la critique du système capitaliste. Aussi, en employant, à l’équivalence, ces deux termes, vous ne pouvez dissocier théoriquement entre la vente de sa force de travail – auquel se réfère le concept d’ « exploitation » et le principe d’un droit d’accès au sexe même de la personne que permet, seul, celui d’ « oppression ». Dès lors, en les assimilant, vous contribuez à leur banalisation et à terme, vous créez les conditions de la suppression de celui, qui, pour les défenseurs du système prostitutionnel, est rédhibitoire, à savoir « l’oppression ».
Vous savez en outre que les tenants du système prostitutionnel – là encore, de manière théoriquement absurde et politiquement scandaleuse – refusent justement cette distinction entre « le corps » et « la force de travail ». Plus encore, l’emploi du terme d’ « exploitation » ne les gêne pas. Outre le fait que ce terme peut être entendu dans le sens de « mise en valeur », faire référence à l’ « exploitation » des personnes prostituées est le passage théorique obligé pour faire disparaître et l’oppression et donc ipso facto les violences propres à l’oppression. Il permet alors de remplacer la réalité du système patriarcal fondé sur la domination d’un sexe sur l’autre, par la prise en compte des seules conditions dans lesquelles les personnes prostituées sont « exploitées ». Dès lors, autour du même terme unifiant d’ « exploitation », l’analogie entre l’exploitation sexuelle dans la prostitution et l’exploitation salariée dans le capitalisme peut être faite. Et, par ce glissement de termes, la prostitution peut devenir un « travail » comme un autre.
À cet égard, l’emploi de plus en plus fréquent du terme de « services sexuels » par les partisans de la légitimation du système prostitutionnel, doit être pensé comme une alternative. Il a en effet le mérite de permettre une assimilation aux « services domestiques » gratuits. Et sans doute aussi d’évacuer la question, si gênante, du droit d’usage des corps.
Aucune « stratégie » ni « action », aucune « analyse » même 27 – dans ce domaine, comme dans tous les autres d’ailleurs – ne peut simplement, ni même principalement, concerner les « femmes », quelle que soient leur « situation ». Car, à ne se focaliser que sur un sexe, il est impossible de poser les relations entre dominants et dominée-es, de penser les rapports de pouvoirs qui fondent le système comme de poser les responsabilités des dominants.
On ne peut pas plus penser, analyser, historiciser le système patriarcal, prostitutionnel, par la focalisation du regard sur « les femmes» que le système esclavagiste par les esclaves, le système capitaliste par les ouvriers, le système de l’apartheid par les Noirs, le système colonialiste par les colonisé-es.
Ainsi, à se focaliser sur les seules « femmes », vous ne traitez pas des conditions politiques qui produisent cette « catégorie ».
Or, si depuis des siècles, de manière hégémonique écrasante dans le monde actuel, les hommes accaparent encore la quasi-totalité des pouvoirs politiques, symboliques, économiques…, si les femmes sont encore, de ce fait, désappropriées du pouvoir sur leurs sexes et sur leurs corps, nous devons donc nous référer à des analyses en termes de systèmes de dominations. 28 Que la seule référence « aux femmes » interdit.
Poser l’analyse du système prostitutionnel comme relevant d’un système de domination patriarcale est donc un préalable à toute analyse. Et dans ce cadre, l’analyse doit porter d’abord sur ceux qui créent les conditions qui ‘produisent’ les structures économiques, politiques, légales, sociales, adéquates à la permanence de leur domination, ceux qui en sont responsables, qui en vivent, qui en tirent un profit, ceux pour lesquels il existe. Or, vous n’intégrez dans votre analyse, ni les hommes, ni les Etats, et – en ce qui concerne plus précisément le système prostitutionnel – ni des proxénètes, des clients. Aucun de ces termes n’est prononcé.
Je me permet ici de rappeler que l’analyse d’un système de domination n’est pas binaire. Alors que nous savons que des hommes sont aussi prostitués par et pour d’autres hommes, des femmes peuvent être, aussi, mères maquerelles [26], clientes d’hommes prostituées. Tandis que des hommes et des femmes peuvent être policier-ères, magistrat-es, ministres. Affirmer ces évidences, n’invalide pas, pour autant, la réalité du système de domination : l’analyse doit seulement être complexifiée.
J’aurais donc pour ma part préféré lire au lieu et place de : « Nous travaillons à des stratégies et des actions qui à la fois combattent l’exploitation et l’oppression que subissent les femmes en situation de prostitution » lire : « Nous voulons nous battre pour la création d’un monde libéré de toute domination masculine et donc de tout rapport marchand prostitutionnel ».
Je considère qu’elle est dangereuse car elle permet – notamment devant des tribunaux – la création d’une nouvelle jurisprudence qui définirait sélectivement le terme de « situation », terme qui par ailleurs se rapproche dangereusement de celui de « statut ». Et qui, donc, ferait encore un peu plus disparaître la définition même de la qualité de « victime » du système prostitutionnel, à savoir la personne prostituée elle-même.
Là encore, cette formulation doit être déconstruite.
Au-delà de la maladresse – pour le moins – de la formulation, les limites posées à la sexualité de chacun-e dans un projet abolitionniste doivent être explicitement posées : par le rappel au droit, par l’intégration des critiques féministes en la matière et sans jamais oublier que la codification par le droit de la domination masculine est toujours le référent juridique et politique de la France de l’an 2002.
Par ailleurs, faire référence au « vécu » – qui renvoie à la subjectivité de chacun-e – est antinomique avec le principe même du Droit qui lui est censé poser des principes valables pour tous et toutes ; notamment concernant les limites et les interdits posées aux relations sexuelles entre les êtres.
Les débats autour de ces termes sont aussi vieux que l’histoire de l’humanité et sont donc porteurs d’une multiplicité d’interprétations ; ils ne peuvent donc être utilisés pour définir notre avenir.
Mais ce qui est sûr, c’est que les hommes et les femmes n’en ont pas la même perception de ces termes. Tant s’en faut. Pendant des siècles, et c’est encore vrai aujourd’hui, ce qui était défini comme relevant du « bonheur » et de la « liberté » des hommes n’était aussi rendu possible que par le malheur et le sacrifice des femmes. Notamment des femmes prostituées.
Je ne sais pas ce que signifie : « la sexualité ».
Peut-on en effet dissocier la personne de « sa » sexualité ? Je ne le pense pas.
Peut-on isoler la sexualité d’une personne de son rapport aux autres, à l’autre, au monde ? Sûrement pas.
Je me demande donc si le simple fait de parler de « sexualité », en soi, ne serait pas la première des manifestations de la déshumanisation que nous dénonçons concernant le système prostitutionnel. Car cela pourrait signifier que la sexualité serait ‘extérieure’ à l’individu-e, que l’on pourrait faire abstraction de la personne elle-même, et donc de son rapport à l’autre, aux autres, eux aussi, alors, déshumanisés.
La critique féministe des impositions sexuelles masculines dominantes implique donc sans doute de remettre en cause l’usage sans plus de précautions du mot : sexualité. Celui-ci n’interdit-il pas – ou a tout le moins, ne rend-t-il pas extrêmement difficile la pensée préalable de la construction des liens entre les personnes sexuées, l’histoire et le monde ?
Celui-ce permet-il de comprendre comment et pourquoi une différence biologique – la différence de sexes – a justifié des assignations différenciées, politiquement construites, à chacun d’entre eux ?
Celui-ci permet-il de s’interroger sur la place à accorder au sexe des hommes comme arme de la violence patriarcale ?
Celui-ci permet-il de justement historiciser la si récente et si fragile revendication des femmes au plaisir sexuel ? Je ne le pense pas.
Quant à l’expression que vous employez « nous faire avancer » [vers une société sans prostitution], le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’engage pas à pas grand-chose, pour ne pas dire à rien, qu’elle est bien frileuse et que nous sommes loin de la revendication de « changer le monde ».
Troisième paragraphe
Vous écrivez : « De plus, nous estimons que le système prostitutionnel n’est pas un monde à part, que les femmes prostituées peuvent être toutes les femmes, et que la ‘question de la prostitution’ a été trop longtemps laissée en marge des luttes féministes, antisexistes et des mouvements sociaux : or cette exploitation dans la prostitution est liée par de multiples liens à la précarité et à la pauvreté des femmes, à la violence contre les femmes et les enfants, aux représentations et à l’éducation sexistes, à la situation faite aux migrantes sans papiers, à la mondialisation capitaliste et au néolibéralisme qui fait de tout une marchandise ».
Je refuse, dans la suite du raisonnement (évoqué & 7) que cette expression, ici seule employée, soit utilisée pour analyser le système prostitutionnel. Se référer théoriquement à la seule exploitation – fut-elle explicitée comme « sexuelle » – c’est en effet, s’interdire toute critique fondamentale du système prostitutionnel lui-même. Le fait que vous écriviez même : l’exploitation « dans la prostitution » est clair : il ne s’agit pas d’une critique du système lui-même.
Il n’est historiquement pas juste – il est même grave – d’écrire ceci. Vous opérez ainsi un déni de l’histoire ancestrale de l’abolitionnisme, dont les femmes ont été les personnages les plus marquants. En outre, la question pourtant politiquement fondamentale des liens théoriques, historiques au sein de l’abolitionnisme entre les féministes et les courants, notamment religieux, conservateurs 29 ne peut dès lors être traitée, ni donc dépassée.
En faisant par ailleurs une analogie entre les « luttes féministes » et les autres « mouvements sociaux », vous participez à la négation de la spécificité, de la diversité et des bouleversements, notamment politiques et théoriques, si fondamentaux pour nos sociétés, des féministes.
Plus encore, vous isolez les « luttes féministes » non seulement des « mouvements sociaux » mais aussi des « luttes anti-sexistes ». Vous désappropriez ainsi le mouvement féministe de l’anti-sexisme, tout en ouvrant la voie à la possibilité politique d’un anti-sexisme qui ne soit pas féministe.
Même si les termes employés à l’ONU ne sont pas tous les vôtres – la référence à « la mondialisation capitaliste et au néolibéralisme qui fait de tout une marchandise » n’en fait pas partie – nombre de ces expressions se retrouvent dans les documents de l’ONU 30 qui a usé et abusé de ces analogies fondées sur de seuls – pseudo – constats, mêlant indistinctement causes et effets.
Sans principe de référence premier, sans hiérarchies de valeurs et d’analyse, aucune analyse ne peut être faite, aucune contradiction ne peut être posée.
Je voudrais attirer votre attention du grand danger des liens entre « système prostitutionnel » et « précarité et pauvreté ». Expliquer la prostitution par la pauvreté, et/ou par la nature du contrat de travail et/ou du mode de vie, c’est l’expliquer par l’économique et c’est la raison qui explique pourquoi cette analyse est dominante à l’ONU. Cette pseudo explication légitime le discours libéral : l’ «Enrichissez-vous ! » de Guizot peut s’avérer être proposé comme une solution à la question-de-la-prostitution. J’ai même souvent entendu poser les liens entre « prostitution » et la création d’entreprises par les femmes.
La « précarité », « la pauvreté » ne sont pas des « causes », mais, au mieux, des conséquences de multiples facteurs. Le seul emploi de ces termes évacue en outre la question du « Pourquoi » ?
* Pourquoi seraient-ce les femmes pauvres et/ou précaires et non les hommes pauvres et/ou précaires qui deviendraient, dans l’immense majorité des cas, des personnes prostituées ?
* Pourquoi, avec quel argent, des hommes vivant dans des sociétés dites pauvres peuvent acheter l’ « accès » aux corps des femmes dites « prostituées » ?
* Pourquoi, avec quel argent, des hommes peuvent d’acheter, échanger, violer des femmes afin de les mettre sur « le trottoir » ou dans des bordels ?
* Pourquoi une femme est-elle rémunérée pour être pénétrée par des sexes d’hommes et pourquoi ne l’est-elle pas pour élever ses enfants ?
* Pourquoi une femme gagne-t-elle plus d’argent à être avilie par des hommes qu’à travailler, lutter pour l’avenir d’un monde libéré du règne du patriarcat et de la marchandise ?
Je me permets de donner ici un début de réponse.
Parce que le système patriarcal :
* est le seul système qui unit les hommes du monde entier.
* a légitimé – ou a cru pouvoir le faire – le système prostitutionnel par la rémunération marchande, faute d’avoir pu théoriquement justifier sa violence intrinsèque. A cet égard, on ne dira jamais assez que les femmes – par définition même – ne perçoivent qu’une infime part des revenus de l’échange dont elles sont les objets.
* a naturalisé la maternité pour mieux contrôler les conditions de sa reproduction, tout en assignant d’autres êtres humains à avoir – sous couvert de plaisir – pour principale fonction de réassurer les hommes dans leur bon droit à dominer les femmes. Sans souci donc de l’avilissement auquel il les soumet quotidiennement.
Ce sont donc certaines des raisons qui expliquent l’absolue nécessité d’empêcher la prise de parole des féministes. Car elles seules mettent à nu les fondements patriarcaux de la Démocratie, de la République et des si bien nommés « Droits de l’homme ». Les attaques incessantes, haineuses contre les féministes en France qui s’aggravent tous les jours – et le silence justificateur qui les accompagne – resteront à jamais une honte pour ce pays.31
En tout état de cause, établir des liens entre pauvreté et prostitution, c’est évacuer la question de la domination politique patriarcale et économique marchande sur les sexes et sur les corps. C’est s’interdire de dénoncer le fait que la croissance des pays riches – la nôtre – se fait « sur le dos » des femmes des pays pauvres, en tout état de cause, moins riches que le nôtre.
Outre le fait que le sexisme en lui-même n’est pas cité, la nature de ces liens n’est pas explicitée. En outre, la pornographie n’est même pas évoquée.
Outre l’usage, déjà critiqué, du mot « violence », au singulier, cette formulation pose comme évident le lien entre « femmes » et «enfants ». En les englobant dans une communauté de statut, faute d’analyse plus poussée, on risque fort de les intégrer à une communauté de destin. En effet, si un lien peut être fait entre « les femmes et les enfants », cela ne peut l’être que dans le cadre d’une analyse sur le pouvoir des pères de familles sur eux dans le cadre de la famille patriarcale.32 En outre, seule une analyse féministe peut permettre de comprendre qu’au sein de la catégorie « enfants », seuls les garçons acquièrent à leur majorité un statut de citoyen. Quant aux filles, devenues femmes, elles restent régies au long de leur vie par les modalités de contrôle étatique et masculin des différents droits d’usage de leurs sexes, de leurs corps, et donc de leur identité.
Poser ce lien, en soi, se contente d’attirer l’attention sur l’existence d’un problème, non défini par ailleurs. Il isole, en outre, la question du statut des « migrantes sans papiers » de celles des hommes migrants sans papiers, sans spécifier où réside la différence. Il ne spécifie pas non plus au sein de la catégorie « migrantes sans papiers » ce qui serait spécifique – ou non – aux « migrantes sans papiers » prostituées et/ou assignées à l’être.
Il ne traite pas non plus de la question si fondamentale des liens entre les migrations et la mobilité de la force de travail, qu’une fraction importante du capitalisme demande.
Il ne pose pas non plus la question des liens entre les dites migrations et les politiques qui traient de « la traite » et/ou du « trafic des êtres humains ».
Je suis sur ce constat d’accord avec vous. Mais alors, il me semble qu’il faille en tirer clairement les conclusions : exiger de tous les partis, associations, syndicats critiques de la mondialisation libérale de poser au premier rang de leur programme – car elle est la plus fondamentale – la critique de la mise sur le marché des sexes et des corps et leur transformation en « marchandise ».
4 ème paragraphe
C’est donc sur ces « bases » politiques que les personnes étaient invitées à la réunion du 24 septembre.
Vous écrivez en effet : « C’est pourquoi nous invitons à une réunion toutes celles et tous ceux, en accord avec les bases définies ci-dessus, engagées dans divers mouvements et associations, pour mettre en commun et confronter nos réflexions et prendre ensemble des initiatives. Il serait important de savoir notamment comment chacun et chacune, chaque mouvement et association, dans le cadre de ses préoccupations particulières, peut appréhender ce sujet et l’inclure dans ses activités ».
À la lecture des formulations sus employées : « préoccupations particulières », « appréhender ce sujet », « inclure dans ses activités », celles-ci me sont apparues comme relevant d’une réelle euphémisation de la gravité des questions politiques devant être abordées, comme d’une sous-estimation de l’importance des enjeux posés par les divers choix politiques en la matière.
Ces formulations pourraient aussi signifier que, sur les nouvelles bases que vous avez posées, les débats, les prises de position qui ont fracturé certains partis, groupes, associations pourraient être considérés comme clos. La possibilité pour certain-es d’éviter de traiter les débats de fond qui les ont traversés et qui les traversent toujours pouvait peut ainsi leur être offerte. Je pense plus particulièrement aux Vert-es, compte tenu de la gravité des oppositions publiques en leur sein, même si ceux-ci n’ont pas le monopole de ces si radicales oppositions internes.
J’ai noté en outre qu’il n’est question que de « savoir » ce que chacun fait.
La question politique essentielle ici posée de savoir quelle est la valeur de l’engagement d’un ou d’une membre du Collectif droits des femmes par rapport à celui du parti et/ou de l’association qu’il ou elle est censé représenter, doit être posée et résolue. Une Verte, une socialiste, un membre d’Attac, d’Amnesty, une libertaire engage-t-elle ou non son parti et ou son association en adhérant à la politique du Collectif ? Si la réponse est négative, quelle est-elle alors ?
Il ne faudrait pas en tout cas que la position du Collectif puisse permettre de faire l’économie de prises de positions et/ou contribuer à masquer les oppositions internes.
En tout état de cause, le projet tel que présenté aux partis, aux mouvements, syndicats, aux associations, comme aux individu-es, ne leur demandait ni de se remettre en cause, ni de comprendre les raisons de leur silence et/ou de leurs oppositions, ni même ne semblait en prévoir l’éventualité. Aucun bouleversement des structures, ni de l’idéologie qui les animait jusqu’alors ne semblait devoir être mis à l’ordre du jour. Et aucune question des raisons de leur silence – alors que ces politiques sont progressivement appliquées depuis plus de quinze ans – n’était non plus posée.
Dernier point : une position abolitionniste féministe ne peut en aucun cas être le plus petit dénominateur commun de diverses positions.
Vous précisez que les enjeux sont « multiples » mais vous décidez d’en privilégier cinq. Je m’intéresserai donc à ceux-là. Je noterais cependant avec force que la question du « proxénétisme » n’est pas abordée par vous.
Vous écrivez : Les « clients » de la prostitution : comment faire sortir de l’irresponsabilité ces acteurs majeurs du système prostitutionnel ? Comment faire appliquer la loi réprimant les « clients » des mineur-es ? »
Que dire de votre questionnement ?
L’emploi de ce terme fait disparaître les personnes prostituées dans l’oppression dont elles sont l’objet. Pour ne pas cautionner ce processus d’invisibilisation, celles-ci doivent être formellement nommées. Il faut écrire : clients des « personnes prostituées ». Par ailleurs, la critique du mot « client » doit se poursuivre.
Utiliser le terme d’ « acteurs » 33 , c’est quasiment interdire la qualification de « délinquant » et/ou de « criminel ». Vous ne posez d’ailleurs que le projet de les « faire sortir de l’irresponsabilité ». Le terme de « pénalisation » n’est donc même pas prononcé et l’alignement de la loi française sur la loi suédoise est, par la même, enterré.
Vous vous situez même ainsi en deçà de la « proposition de loi relative à la lutte contre le système de la prostitution et aux droits des victimes » présentée par Monsieur Christophe Caresche (P.S). Celle-ci 34 prévoit notamment dans son article 2 d’insérer dans le code pénal, un nouvel article 225-12-1-A, ainsi rédigé : « Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, est puni de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende ».
Sans en préciser les raisons, vous opérez une distinction entre les clients majeurs et les mineurs, laissant ainsi ouverte sur le critère d’âge la possibilité d’une différenciation régressive35 : la pénalisation serait-elle considérée comme moins grave pour les mineurs ?
Dans la mesure où vous vous demandez simplement « comment la faire appliquer ? », vous en cautionnez le bien fondé : à savoir que les hommes sont légitimement en droit d’acheter pour un temps un droit d’accès aux sexes d’autres êtres humains, à partir d’un certain âge.
Outre l’inacceptable d’une telle position, en soi et a fortiori pour des féministes, je me permets de rappeler que :
* un nombre très important des personnes prostituées sont étrangères sans papiers : il n’est donc pas possible de connaître leur âge. Et si elles en ont, ils sont le souvent faux.
* Les proxénètes ont plusieurs siècles de culture, de tradition, de savoir-faire et de connivence avec la police en matière de production des faux papiers de manière à ce que l’on puisse croire qu’une jeune fille, qu’un jeune garçon même très jeune est légalement majeur-e, au regard des lois.
Vous écrivez : « Comment garantir l’accès des personnes en situation de prostitution aux droits universels et l’application des dispositions en faveur des personnes voulant se libérer du système prostitutionnel ? »
Cette phrase est particulièrement inacceptable car elle s’inscrit dans une problématique libérale. Et j’ajouterai, patriarcale.
La question en effet n’est pas de garantir l’accès – individuel – des personnes « en situation de prostitution » à des droits « universels» – « communs » ? – mais de les libérer collectivement d’un système de domination qui leur interdit et/ou les empêche d’accéder à ces droits. Ce dont il s’agit, en préalable, c’est de poser par une déclaration politique solennelle inscrite dans tous les textes de droit international et internes, une rupture radicale avec des siècles de patriarcat.
En tout état de cause, toute analyse en termes de « droits » doit spécifier ce qui relève de l’assignation à leurs sexes – y compris dans leur ambivalence, dans leur ambiguïté, et en prenant en compte de désir d’en changer – et ce qui relève de leur statut de personnes prostituées. Les personnes prostituées sont des femmes et des hommes et elles et ils partagent de ce fait avec les autres femmes, avec les autres hommes, une communauté de statuts, de condition, inscrites dans la loi 37 ? Elles sont, outre le fait d’être femme, homme, mais aussi travesti-es et transexuel-les, des personnes prostituées.
A tous ces titres, la solidarité politique des féministes – qui n’a pas jusqu’alors été suffisamment mise en œuvre – tant s’en faut – doit leur être manifestée.
Faut-il enfin rappeler que l’ « universalisme » auquel vous vous référez est patriarcal ? Et que dès lors que vous utilisez ce terme, vous le cautionnez et vous faite disparaître les critiques féministes de ce mensonge fondateur constitutif de toutes nos sociétés.
Quant à la demande de l’application des « dispositions – individuelles – en faveur des personnes voulant se libérer du système prostitutionnel », elle est elle aussi inacceptable. Car vous renvoyez au choix, à la volonté – à la liberté ? – des victimes d’un système de domination de s’en « libérer » individuellement.
Serait-on ainsi passé du « libre choix » de « se » prostituer, revendiqué par les libéraux, au – libre ? – choix de « vouloir se libérer du système prostitutionnel ». Qu’en serait-il alors de celles qui ne « voudraient » pas s’en libérer ? Devraient-elles elles alors être considérées comme s’en accommodant, inaptes, responsables de sa perpétuation, et, de ce fait, coupables ? Et quel statut accorderiez-vous à celles qui ne pourraient pas s’en libérer ?
Auriez-vous renvoyé à la responsabilité des esclaves de se libérer individuellement de l’esclavage, à celles des ouvriers-ères de se libérer individuellement du capitalisme, à celles des citoyen-nes du monde de se libérer individuellement du libéralisme impérialiste, fusse-t-elle accompagnée de certaines « dispositions » – que vous ne spécifiez pas – pour les y « aider » ?
Bien sûr que non.
En outre, il faut rappeler que dès lors que la convention abolitionniste de 1949 n’est plus considérée comme « appropriée », 38 les mesures de « prévention [de] la prostitution » et de « combat de la traite des personnes aux fins de prostitution » prévues dans ses articles 16 et 17 39 sont, elles aussi, « inappropriées ».
C’est donc bien d’abord et avant tout sur la dénonciation préalable de l’abandon de la convention abolitionniste de 1949 que doit se focaliser la demande des « dispositions » auxquelles vous faites allusion.
Faut-il enfin redire que les tenants du système prostitutionnel jouent depuis des années sur l’ambiguïté du terme de « droits » et sur la confusion de ce terme polysémique40, de manière à faire glisser le raisonnement de la revendication des « droits des prostituées » à celui du droit à être prostitué-es. Légitimant ainsi, dès lors, le droit à être proxénète, le droit à être client.
Et qui ne voit l’ambiguïté – pour le moins – de l’expression de « droits des esclaves », sans dénonciation concomitante et sans concession du système esclavagiste ?
Vous écrivez : « Comment agir face aux mesures de mises à l’écart et de répression des personnes prostituées définies par certaines municipalités et les projets du ministère de l’Intérieur ? »
A ne dénoncer que les « mesures [….] définies par certaines municipalités » et « les projets du Ministère de l’Intérieur », vous vous interdisez de porter un jugement de la politique du gouvernement actuel, comme de ceux qui l’ont précédé, en outre.
Vous vous inscrivez aussi dans le cadre politique actuel dominant qui transfère aux municipalités la question de la « gestion du système prostitutionnel ».
Enfin, en vous focalisant sur les seules « mesures de mises à l’écart et de répression des personnes prostituées », vous n’abordez pas la question première, centrale, à savoir que l’Union Européenne, et donc la France, avant de les réprimer, les a faites venir et/ou à laissé faire. Et leur propose, une fois sur place, de nombreux « débouchés », justifiés par le droit.41
Vous écrivez : « Que devient la proposition de loi sur l’esclavage moderne » ? Comment faire respecter les droits des victimes (droit au séjour notamment) ? »
Vous ne vous interrogez donc pas sur le fait que les termes de « traite » et d’ « esclavage » ne sont en rien synonymes, ni sur le fait que ces deux termes se sont progressivement substitués, en droit international comme au sein de l’Union européenne élargie, au projet politique abolitionniste de lutte contre la prostitution et de proxénétisme. Faute de procéder à cette analyse, le simple fait d’employer ces termes, sans en spécifier le contexte, et donc, sans dénoncer les abandons politiques qui les ont accompagnés, s’inscrit dans le courant dominant qui voudrait que l’on considère comme acquise l’adhésion aux politiques libérales.
Je considère pour ma part que toute personne, association, institution, tout rapport, toute législation, convention, politique, toute prise de position qui utilise le mot « traite » et « le trafic » des êtres humains, sans, concomitamment, formellement, sans ambiguïté, dénoncer l’abandon, par les textes politiques internationaux, de la convention de 1949, de facto justifie sa disparition comme source de droit et cautionne l’abandon des politiques abolitionnistes.
Aucun des termes que vous utilisez : « vente de services sexuels », « travailleuse du sexe » – n’est employé dans les textes européens, ni onusiens, ni français.
Le seul emploi de ces termes, dès lors que vous vous situez sur le terrain politique – régi donc par des textes – est donc inapproprié, dès lors que l’on veut dénoncer effectivement les politiques mises en place.
Ce ne sont donc pas en ces termes que les questions doivent être posées.
Enfin, je reformulerais ainsi certaines de vos questions :
* Comment lutter sans concession contre tous ceux et celles qui, soutenus par d’énormes moyens, notamment financiers, dans l’Etat, les institutions internationales ; la presse, l’économie, l’université, la recherche, et., contribuent à valider le système proxénète ?
* Comment créer des ruptures politiques telles que les citoyen-nes et la classe politique reconnaisse que cette politique est insupportable, inacceptable, scandaleuse ? Et qu’elle doit être radicalement contestée.
* Comment, pour ce faire, permettre et faciliter l’expression les forces politiques citoyennes ? Et créer autour d’un projet politique unifiant, des projets, des réseaux et des alliances.
Je vais ici, traiter des questions qui, sur la base de mes notes, me sont apparues comme étant celles que je considère comme les plus importantes.
Sauf clarification de ma part, la responsabilité du Collectif n’est pas engagée, mais ce qui s’y est dit ne peut qu’être considéré comme politiquement signifiant.
Je souhaiterais attirer votre attention sur l’existence d’une possible ambiguïté entre votre volonté affirmée lors de cette réunion de participer à la construction – et/ou de construire – un projet politique abolitionniste – et celui de « réagir face à la pensée réglementariste ». En effet, affirmer « réagir contre » porte le risque de se situer sur le terrain de l’adversaire et donc d’en accepter les postulats. A la limite, cette réaction « contre » pourrait se réduire à dénoncer les positions de demande de réouvertures des bordels et/où à dénoncer la seule politique de Nicolas Sarkozy.
Le risque existe alors de ne pas garder comme ligne politique de force le projet politique féministe abolitionniste ; et celui-ci est d’autant plus grave que la pensée abolitionniste doit être radicalement repensée, eu égard aux bouleversements théoriques et politiques qui se sont produits en la matière.
Je note par ailleurs, avec regret, qu’à l’inverse de votre présentation orale qui s’affirmait d’abord positivement « abolitionniste », le compte-rendu de cette réunion commence simplement ainsi : « Comment réagir contre l’offensive réglementariste ?»
En ce sens, non seulement je considère qu’il ne faut pas seulement sous-estimer la gravité des oppositions, mais qu’au contraire, il faut les radicaliser, en dévoilant notamment les intérêts qui s’expriment si souvent cachées derrière certaines « analyses ». Je ne suis donc pas d’accord pour qualifier de « controverses » les oppositions qui traversent les organisations ; je ne suis pas non plus d’accord pour employer – toujours pour s’en démarquer – le terme de « polémiques ». Un-e intervenan-e a même affirmé que son association ne voulait pas « entrer dans les débats de fond ».
Mais venons-en à l’essentiel.
J’ai été contente d’avoir entendu poser votre projet comme devant être « résolument abolitionniste » et « féministe ». En ce sens, la présentation orale (celle de Suzy Rojtman, suivie de celle de Claudie Lesselier) s’est avérée une réelle avancée par rapport au texte d’invitation à la réunion. Néanmoins, elle n’a été que faiblement reprise dans le compte-rendu. Et c’est toujours le texte du 31 août qui reste votre référence politique.
Par ailleurs, « construire une dynamique collective » sur ces fondements est, bien entendu, la seconde étape d’un tel projet : elle a été explicitement présentée comme faisant partie de votre ambition. La question, là encore, sans revenir sur le projet politique, est de savoir comment et avec qui.
Je suis aussi d’accord avec vous pour affirmer que la critique du système prostitutionnel « traverse tous les mouvements sociaux et politiques ». Sans doute aurait-il été utile d’aller plus avant dans l’analyse. Que ceux-ci s’interrogent sur les raisons de leur silence lorsque les décisions politiques fondamentales ont été prises me paraît un préalable.
Enfin, quant à la nécessité de lier « l’analyse à l’action », je ne peux que vous suivre. Mais cette assertion n’est pas en soi suffisante pour construire un abolitionnisme féministe moderne.
Nous savons que les défenseurs du système prostitutionnel – dans l’impossibilité où ils sont de pouvoir gagner au plan des principes et de la morale – sont maîtres dans l’art de la confusion intellectuelle.
Nous savons aussi que des chercheurs, des enseignants, des personnes prostituées, des actrices de films pornographiques se définissent comme « féministes ».
Je récuse, pour ma part, depuis plusieurs années et sans aucune ambiguïté le qualificatif de « féministes » à ceux et celles qui justifient peu ou prou le système prostitutionnel. C’est pour moi un enjeu politique fondamental.
En toute logique, je refuse, lors de débats, de rencontres, de colloques, de publications de cautionner par ma présence ceux et celles qui le défendent. Je pense notamment à Cabiria 42 et à son vice-président Daniel Welzer-Lang.43
Le risque est donc réel que les termes de « féminisme » et d’ « abolitionnisme », faute d’être rigoureusement définis, délimités et clarifiés, ne soient utilisés par certain-es pour cacher des projets politiques beaucoup moins clairs, voire en totale contradiction avec les fondements de la pensée féministe et abolitionniste.
Nous devons donc être extrêmement vigilant-es afin que le terme d’ « abolitionniste » ne soit pas lui aussi , à l’instar du mot «féministe », coupé de toute signification et sapé à la base. Le risque doit être appréhendé à la mesure de sa gravité.
Il existe de nombreuses amalgames – par certain-es, savamment pensés – visant à rebaptiser les « abolitionnistes » et à les qualifier de « prohibitionnistes »44 . Cette stratégie a pour fonction et pour effet de désapproprier les abolitionnistes de leurs combats historiques et notamment de couper symboliquement les filiations ente les luttes pour l’abolition de la prostitution et celles pour l’abolition de l’esclavage. Remplacer un courant historique, politique, militant noble – que signifie l’ « abolitionnisme » – par une autre fondée uniquement sur la répression, essentiellement lié dans la conscience collective à la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis dans l’entre deux guerres, est pour eux/elles un enjeu politique fondamental.
Il faut par ailleurs préciser que l’ « abolitionnisme » et le « prohibitionnisme » - relèvent de systèmes philosophique différents, puisque ce dernier pénalise les prostituées au même titre que les clients et les proxénètes, ce qui n’est pas le cas de l’abolitionnisme. 45
Quant à l’expression : « Vous voulez interdire la prostitution », en opérant une coupure avec la richesse de l’histoire et de la pensée abolitionniste elle a, là encore, pour effet de nier abolitionnisme comme projet philosophique et politique.
Enfin, dans la mesure, où lors du débat qui a suivi votre présentation, la définition de l’ « abolitionnisme » ne m’a pas satisfaite et où celui de « réglementarisme » n’a pas été défini, il me paraît important de clarifier certaines ambiguïtés tenant à ces termes employés lors de la réunion.
L’emploi de ce terme est, aujourd’hui, inapproprié et dangereux. Tout d’abord, il crée une confusion car les abolitionnistes ont eux aussi « réglementé » le système prostitutionnel. Par ailleurs, et plus profondément, les tenants du système prostitutionnel ne veulent pas simplement « réglementer » l’ « exploitation de la prostitution » : ils veulent mettre le sexe sur le marché. Les qualifier de «réglementariste », c’est donc :
* les inscrire dans la simple continuité du XIX ème et du XXème siècle ;
* ne pas prendre en compte cette radicale rupture morale et politique ;
* ne pas les appréhender comme ils/elles doivent l’être, c’est-à-dire comme des défenseurs du marché mondial devenu proxénète.
Ce qui doit fonder la pensée concernant la critique du système prostitutionnel, c’est donc bien le changement de paradigme, d’une exceptionnelle gravité, qui s’est produit depuis au moins une quinzaine d’années 46. On a assisté en effet à un coup d’arrêt brutal aux avancées abolitionnistes et féministes et à une re-légitimation, par le libéralisme, du patriarcat.
A cet égard, la nouvelle politique libérale ne se contente pas, comme je l’ai entendu, de « mettre la sexualité des femmes au service du profit », ni même de « mettre la sexualité des hommes imposée aux femmes sur le marché ». Cette politique légitime le fait que le sexe – et pas uniquement celui des femmes – est un objet légitime du contrat47, du profit, du marché. Et ce qui définit ce courant d’intérêts, c’est d’avoir achevé le processus du règne de la marchandise, en obtenant ce que nul-e – depuis la fin affirmée de l’abolition de l’esclavage 48– n’avait jamais historiquement osé penser, à savoir : traiter dorénavant les êtres humains eux-mêmes comme des marchandises.
A cet égard, la responsabilité de l’abolitionnisme est posée. L’abolitionnisme n’a – à ce jour – ni su , ni pu revendiquer d’inscrire dans les textes – à l’instar de l’article 4 de la déclaration des doits de l’homme – : « Nul-e ne sera tenue dans le système prostitutionnel ; la prostitution et la traite des êtres humains sont interdits sous toutes leurs formes ».
Ce terme doit, quant à lui, être redéfini, prolongé et radicalisé.
Lors du débat, il en a été donné par une représentante du Collectif la double définition suivante, à savoir : l’ « abolition de la réglementation de la prostitution » et le projet de faire « disparaître la prostitution ». Par ailleurs, celle–ci a poursuivi en affirmant qu’on « ne pouvait abolir la prostitution », car « on ne pouvait pas abolir – par décret – la réalité ».
Je considère que cette position n’est pas juste, ni acceptable.
Il n’y a pas en effet de « réalité » en soi ; il n’y a donc pas de « réalité » qui ne puisse être changée, modifiée, dépassée, y compris radicalement.
Le système esclavagiste était la « réalité » des Etats et des sociétés esclavagistes, jusqu’au moment où il a été déclaré « aboli ». Quant au fait que ce système perdure encore après l’affirmation de ce principe, cela ne doit bien sûr pas en invalider le bien fondé, mais, à l’inverse, accentuer la critique du « réel » qui permet sa permanence.
Abandonner le principe et le projet de l’abolition de la prostitution et donc, en des termes plus modernes : du système prostitutionnel, c’est ne plus pouvoir se référer à l’abolitionnisme.
J’ai entendu avec un réel plaisir certaines affirmations, que je retranscris ici :
* « Dès lors que l’on se bat contre la marchandisation mondiale, on se bat contre la marchandisation des sexes ».
* « Le droit au plaisir unilatéral » (des hommes) est antinomique avec le féminisme.
* « Je n’ai pas à me justifier, ni à m’expliquer sur mes rapports avec les personnes prostituées ; ce dont il s’agit, c’est d’une position politique de principe »[ …]
En revanche, j’ai été péniblement étonnée d’entendre :
J’ai ainsi entendu employer le terme d’ « acheteurs » et lu l’expression de « pays de traite », de « filière professionnelle ». 49 J’ai aussi entendu (à propos de la Suède) les phrases suivantes : « Celles qui sont ‘libres’ ne sont pas dans la rue » ; « Les trafiquants n’ont pas intérêt faire parvenir de la marchandise dans un lieu où elle sera difficile à écouler » ; « Celles qui travaillent sur Internet fonctionnent comme avant ». ….
* « Les tournantes sont des entrées dans la prostitution »
* « Les maisons de prostitution »
* « Le viol, comme formatage de la prostitution »
* « Les personnes qui pratiquent l’inceste »
* « Mettons les proxénètes de côté ; c’est réglé par la justice ».
Il en est de même de la revendication : « Laisser les personnes dans le tissu social, lutter contre la stigmatisation, le mépris et l’atteinte à la santé ».
Quant à Cabiria, alors qu’elle est à l’avant-garde de la défense du système prostitutionnel, elle a été qualifiée d’ « association d’aide aux prostituées » 50. Je précise que je n’ai pas moi-même réagi lorsque cette phrase a été dite. Et donc, qu’à ce titre, je suis aussi responsable de ne pas l’avoir dénoncée.
c) un abandon de principe des luttes féministes
* « C’est aux hommes de nous aider [….à créer cette dynamique] »
* « S’adresser aux hommes pour qu’ils se prennent en charge » (In : Compte-rendu.)
* « Protéger les prostituées »
* « Répondre à la détresse des personnes prostituées »
initiée par le gouvernement actuel, sans même, en outre, que celle-ci n’ait été lue. Dans le même sens, dans le compte-rendu, j’ai pu lire au chapitre des « stratégies d’action proposées » : « Mise en réseau des associations abolitionnistes avec création d’une Charte comme le propose Nicole Ameline ». Je me permets de rappeler que N. Ameline est ministre déléguée du gouvernement Raffarin lequel a exclu la CADAC de la liste du Conseil supérieur de l’information sexuelle [50].51
Certain-es ont pu assimiler la politique de la pénalisation des clients à la politique actuelle « répressive » du gouvernement.
Certain-es n’ont pas non plus manifesté d’inquiétude politique à affirmer que leur parti n’avait « pas de position arrêtée sur la question de la pénalisation des « clients ». Faut-il encore rappeler que « ne pas avoir de position », c’est conforter et le bon droit des hommes à acheter l’accès au corps d’autres personnes et que cette position est antinomique avec toute la pensée abolitionniste féministe conséquente ?
La présence d’Act up lors de la réunion du 24 septembre a été politiquement récusée. Ses représentant-es ont néanmoins participé à la réunion. Si leur présence devait se poursuivre, alors que (notamment) le tract qu’ils/elles ont distribué 52 et l’intitulé de leur mail Actupsexworkers@noos.fr devraient les en exclure, alors aucun projet politique féministe abolitionniste ne sera crédible. Mais tel ne fut pas le cas le 16 octobre.
Mais la présence des Verts est, elle aussi, rédhibitoire. Les Verts ont de nombreux contacts, relations, échanges avec les tenants du système libéral patriarcal, quand ils n’en sont pas eux-mêmes à l’origine ou partie prenante. Pour ne prendre que quelques exemples :
* Les dirigeants, responsables, militant-es des Verts qui ont signé l’appel publié par Politis intitulé : « Appel pour une réduction des risques en matière de prostitution. Réponse à l’Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète » n’ont jamais démenti leur signature.
* Le groupe prostitution des Verts 53 soutient le droit des clients aux prostitué-es : on peut ainsi peut lire, à leur propos dans leur dernier texte : « Tout ce qui rend l’exercice de leur activité 54plus difficile renforce la précarisation des personnes prostituées », position qui rend dérisoire leur appel « Pour une pleine citoyenneté des prostitué-es ». 55 Car aliéner aux clients une partie de son corps, pour leur propre usage et leur bon vouloir, est antinomique avec le concept de liberté et de citoyenneté qui suppose la libre possession de son corps.
* Une conférence de presse du groupe des Verts au Conseil de Paris56 , « Avec les prostitué-e-s : pas de répression, des droits ! » a eu lieu le mardi 22 octobre 2002 à 18h 00 à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville.
* Anne Souyris57, qui parle publiquement au nom des Verts, présentait le 8 octobre, lors de l’émission de Ruquier « On a tout essayé », les thèses vantant la relation prostitutionnelle comme un légitime « échange de services » et présentant le « travail » des prostituées comme équivalent à celui des caissières.58
Aussi, évoquer la « motion de la commission femmes des Verts » comme pouvant définir la politique des Verts n’est crédible pour personne.
Celles-ci n’ont consisté qu’à reprendre sans contextualisation politique, certaines revendications ponctuelles.
Aucune n’aborde la critique du système libéral actuel.
Aucune ne remet en cause le système prostitutionnel.
Beaucoup demandent pour les personnes prostituées des droits qu’elles possèdent formellement déjà, mais qui ne touchent en rien au système proxénète qui les en exclue.
Enfin, aucune ne gêne les tenants du système libéral patriarcal.
Les voici, telles que reprises de mes notes 59:
* Donner la parole aux victimes de la prostitution
* Droit à l’accès aux soins
* Droit à l’emploi, à s’inscrire à l’ANPE 60
* Droit au logement
* Lutte contre les expulsions
* Refus des reconduites à la frontière
* Droits à la régularisation des prostituées sans papiers, sans obligation de dénoncer les proxénètes
* Minimum vieillesse
* Droit à la formation
À ces revendications, étaient ajoutée deux points qui « faisaient débat », et qui – de ce seul fait – semblaient ne pas devoir être reprises par le Collectif :
* La pénalisation des clients
* La non imposition des personnes prostituées
Je n’ai lu aucune affirmation d’une solidarité féministe avec les personnes prostituées contre le système prostitutionnel.
Je n’ai lu dénoncer aucune violence exercées à leur encontre, ni par l’Etat, ni par les proxénètes, ni par les policiers, ni par la justice, ni par les clients. Etant entendu que la première violence est celle d’être principalement soi même « assignée » à la satisfaction des besoins sexuels des autres ; à avoir ainsi pour principale fonction d’être un réceptacle de sperme.
Je n’ai lu aucune critique des politiques en place, ni aucune référence à la loi.
A ce titre, l’expression : « Non au proxénétisme », sans référence ni à la loi, ni à son application, ne signifie rien. Et ce d’autant moins qu’écrire le contraire est passible du code pénal.
En conclusion, faute d’accord avec votre projet politique, et afin de contribuer à la reconstruction d’un projet abolitionniste pour le XXIe siècle, je propose pour ma part, dans la continuité de mes engagements sur le sujet (Cf. les références des textes que j’ai publié sur la question), dans la suite de l’Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète, les principes ci-après.
I. Affirmer que la convention du 2 décembre 1949 est toujours le texte abolitionniste de référence.
Cette position implique trois conséquences majeures :
a) La nécessité politique – qui est un préalable – de dénoncer l’abandon par les Etats de la convention abolitionniste du 2 décembre 1949 comme source de droit international.
On ne peut pas en effet s’affirmer « abolitionniste » si on ne dénonce pas les textes et les politiques qui ont contribué à abandonner les fondements de l’abolitionnisme et à ranger l’abolitionnisme au « magasin des accessoires ». Or, dès lors que le Parlement Européen, le 19 mai 2000, a considéré, dans ses attendus, que la convention abolitionniste de 1949 était dorénavant « inappropriée » et dès lors qu’elle a concomitamment disparu des textes onusiens, il faut affirmer que l’abolitionnisme n’est plus le cadre de référence politique actuel dans le monde : elle ne l’est donc plus en France. La politique actuelle du gouvernement Raffarin 61s’inscrit, à cet égard, dans le continuum de celle menée par la gauche. 62 Je dois cependant préciser qu’elle me paraît plus intelligente.
Sans que cette liste soit exhaustive, il est important de rappeler la signification de l’abandon de cette convention :
* Disparaît le jugement politique porté sur « la prostitution » et « la traite des êtres humains en vue de la prostitution » comme étant «incompatible avec la valeur et la dignité de la personne humaine ». (Préambule)
* Disparaît le principe de la pénalisation du proxénétisme hôtelier (Article 2).
* Disparaît la pénalisation [de certaines modalités] de « l’exploitation de la prostitution ». (Articles 1 à 4).
* Disparaît le principe d’une politique de prévention de la prostitution et de la traite en vue de la prostitution, comme de responsabilité de l’Etat à l’égard des personnes prostituées. (Articles 16, 17).63
* Disparaît la qualification des personnes prostituées comme étant des « victimes ». (Art. 16 )
* Disparaît l’interdiction de « fichage » des personnes prostituées. (Article 6). 64
b) La nécessité politique de revoir tous les textes internationaux « sur les femmes » promulgués depuis cette convention à l’aune de cette convention.
Ceux-ci en effet s’inscrivent dans le cadre d’une régression politique par rapport à elle et ont en effet permis la mise en œuvre de la politique d’abandon progressif de l’abolitionnisme.
Je nomme, notamment :
* Le CEDAW
* Les conclusions décidées par les Etats au terme de la conférence de l’ONU « sur »les femmes » de Pékin en 1995 – qui a notamment introduit le terme de « prostitution forcée » – ainsi que de tous les textes qui l’ont suivie
* La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles additionnels, signée à Palerme, en décembre 2000.
Il m’apparaît, à cet égard, important de souligner que dès lors que l’on a abandonné la dénonciation de principe du système prostitutionnel, ce sont toutes les politiques de luttes contre les violences contre les femmes qui sont, dans leur principe, délégitimées et décrédibilisées. Car, dès lors que l’on a entériné la légitimité de la mise sur le marché des sexes – et rendu la personne elle-même objet de contrat – on a légitimité toutes les violences intrinsèques au système prostitutionnel.
Comment – alors qu’il incarne en son principe toutes les violences à l’encontre des femmes – croire que l’on puisse vouloir lutter contre d’autres violences ? 65
c) Poser le principe de son nécessaire dépassement : la convention de 1949 doit être repensée et réécrite afin que le texte qui s’y substituera, devienne, comme elle l’a été pour le XX ème siècle, le texte abolitionniste de référence du XXI ème siècle.
II. Poser immédiatement 66le principe de la pénalisation des « clients » des personnes prostituées, sans lequel aucune politique abolitionniste n’est plus théoriquement pensable.
L’intégrer, en tant que principe, dans le code pénal, dans les textes européens et internationaux.
Il faut rappeler l’évidence, à savoir que c’est bien pour « alimenter » en personnes humaines prostituées », adultes, adolescent-es, enfants, le « marché » – j’emploie ces termes marchands à dessein mais sans en cautionner la logique – que le système prostitutionnel/proxénète est construit. Les « clients », dont le bon droit est garanti par l’absence de législation formelle 67 les condamnant – bénéficient en effet du droit à disposer du corps d’autrui, dans des conditions qui, sauf rares exceptions, leur garantissent leur bon droit.
Pénaliser les « clients », c’est, en outre, briser à la base toutes les pseudo arguments qui ont justifié et le système patriarcal et l’asservissement des femmes.
C’est aussi participer à libérer les hommes de leurs assignations au statut de dominants.
C’est enfin le seul moyen de pouvoir commencer à penser un futur où le désir sexuel serait libéré de la contrainte.
Une loi pénalisant les clients doit être votée et appliquée. Tandis que les hommes qui se refusent pour des raisons politiques et éthiques à avoir des relations sexuelles avec les prostituées devraient justifier politiquement leur position et s’engager publiquement.
C’est le seul moyen qui permettrait de ne pas assimiler tous les hommes à la défense du système patriarcal.
III. Affirmer clairement que nous sommes passés de la revendication de l’abolition de certaines modalités de « l’exploitation de la prostitution » au projet politique de l’abolition de principe du système prostitutionnel..
Pour ce faire, il faut affirmer :
a) le principe de la pénalisation, sans exception, de toutes les manifestations, sans aucune exception, du proxénétisme.
b) que les Etats, les institutions internationales, les proxénètes – personnes physiques et morales -, les « clients » font partie de l’ordre des dominants et que les personnes prostituées, hommes, femmes, travesties et trans-sexuelles prostituées, sont toutes, sans exception, « les victimes » du système prostitutionnel. Au même titre que toutes les femmes, sans exception, sont victimes du patriarcat.
c) Exiger des instances nationales, européennes, internationales que soit posé le principe de l’ « inaliénabilité du corps humain », sans lequel aucun projet abolitionniste n’est pensable. Seule l’intégration de ce nouveau paradigme permettra d’intégrer les critiques féministes du concept patriarcal de « droits de l’homme » et refonder reposer une nouvelle philosophie des doits de la personne humaine.
d) Concernant la question des « droits » des personnes prostituées sur laquelle je n’ai pas encore suffisamment encore rigoureusement travaillé, je renvoie comme texte de référence à celui du CERF de septembre 2002.
Deux principes peuvent être en préalable posés :
* Rousseau considérait dans Le Contrat Social que les mots « esclavage » et « droits » étaient contradictoires et Stuart Mill dans De la liberté qu’un contrat d’esclavage devrait être « nul et non avenu » car un individu ne peut contracter avec un autre, si ce faisant, il abdique sa liberté.
Il en est de même pour la prostitution : comme l’esclavage, la prostitution – fondée sur – et légitimée par – l’oppression ancestrale des femmes est le paradigme de ce que n’est pas la liberté.
* La non pénalisation des victimes du système doit être posée sans aucune ambiguïté. Et la création d’alternatives concrètes à mettre en œuvre pour leur permettre non pas d’être réinsérées – réinsérer dans un système lui même proxénète étant une contradiction dans les termes – mais de reconstruire une autre vie, doit être indissociablement liée au projet de l’abolition du système prostitutionnel.
IV. Affirmer le lien indissoluble entre le principe de l’abolition du système prostitutionnel et celui de l’abolition du système pornographe, défini comme étant une industrie et un commerce justifiant et promouvant par l’écrit et les représentations la domination d’un sexe sur un autre.
Le système prostitutionnel ne peut en effet se normaliser que par et grâce à la banalisation de la haine, du mépris des femmes et des violences contre les femmes – et donc des êtres humains – véhiculés par la pornographie.
V. Quant à la temporalité de ces revendications, je les revendique pour aujourd’hui.
Aucune raison valable, en effet, au plan des principes, ne peut justifier que se perpétue – ne serait-ce que d’une journée – les soit-disantes raisons invoquées par une société patriarcale libérale proxénète pour justifier la permanence du système prostitutionnel.
Si j’acceptais de repousser – ne serait-ce qu’à demain – la mise en œuvre effective de l’abolition du système prostitutionnel, je participerais à la justification de la validité du principe de la légitimité des violences qui, chaque jour, sont infligées à des millions de personnes.
Je participerais alors à la légitimation et à la permanence du patriarcat et de toutes les violences qui sont intrinsèques.
Je participerais à la perpétuation et à la justification de la domination masculine sur les femmes.
Je justifierais donc en outre ma propre aliénation.
Ce qui est impensable.
Marie-Victoire Louis – octobre 2002
1 Cette Lettre Ouverte en date du 24 Octobre, remaniée, se substitue à celle adressée au Collectif en date du 15 Octobre. En effet, pressée par le souci d’adresser ce texte avant la réunion prévue le 16, je n’ai pas eu le temps de procéder à sa dernière lecture. J’espérais aussi, avant sa publication, recevoir et tenir compte de réactions et de critiques émanant du Collectif.
2 Repris et diffusé le 2 septembre par le Courrier de la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et les violences (N°15)
3 Etaient présent-es des personnes appartenant à plusieurs associations et partis : le SNES et FSU, les Verts, la Ligue des droits de l’homme, ATTAC, ASFAD, Fierté Lesbienne, Collectif féministe Ruptures, Mix-Cité, Maison des femmes, FAT, Radio libertaire, Femmes et mondialisation, le MAPP, la LCR, le CPL, la Coordination lesbienne nationale , Femmes et changements, le MFPF, l’AFFEM, la FAI, le Nid, RAJFIRE, Relief, Les Alternatifs, Sofa ( Haït), Femmes solidaires, la Cadac, Femmes et changements, Act up, les Déchaînées, Choisir La cause des femmes, le CIBEL, Commission Femmes d’Amnesty International… Cf., le compte-rendu de la « Réunion unitaire sur le système prostitutionnel » fait par le Collectif.
4 Je comptais participer à la seconde réunion en date du 16 octobre. Mais compte tenu de l’intitulé du compte-rendu de la réunion du 24 septembre : « Réunion unitaire » – alors que le débat venait de commencer et que j’étais pour ma part en désaccord avec les principes et les projets du Collectif – j’ai décidé de ne pas m’y rendre. Ma critique restera donc seulement écrite. Je demande donc, si le terme d’ « unitaire » n’est pas enlevé, que mon nom soit retiré du compte-rendu de la réunion du 24 septembre et que ma demande soit inscrite dans le compte-rendu de la réunion du 16 octobre.
5 C.P.L : Comité permanent de liaison des associations abolitionnistes françaises pour l’abolition du proxénétisme et la prévention de la prostitution. Je voudrais dire mon étonnement d’avoir lu dans le Compte-rendu du Collectif en date du 23 avril 2001 ceci : [….] « La commission (de travail sur le système prostitutionnel du Collectif) s’est posé aussi le problème des alliances, notamment avec le CPL Pour certaines, cette alliance serait possible ponctuellement. Pour d’autres, elle est impossible, car il se trouve à l’intérieur du CPL des associations moralistes qui ne se préoccupent pas de la parole des prostituées ». En effet :
* C’est la première fois que je vois ne pas aborder la question des « alliances » non pas en fonction du texte sur lequel une adhésion est demandée, mais en fonction de la qualité supposée de ses signataires. Pour poursuivre la logique, la signature conjointe des Verts et d’Act Up suffirait-elle à invalider un (autre) texte ?
* Je ne comprends pas comment il peut être, politiquement, possible de poser la question des « alliances », avant même d’avoir défini la politique devant la fonder.
* Je n’accepte pas que l’on qualifie [certaines] associations – par ailleurs non nommées – comme « moralistes ». Ce terme, en effet, soit signifie que l’on traite des « mœurs » (Le Littré) soit « des mœurs, de la nature, de la condition humaine » (Le Robert). Dans les deux cas, c’est alors une tautologie. Il peut aussi signifier « une personne qui, par ses paroles, son exemple, donne des leçons, des préceptes de morale » (Le Robert). La question est alors de savoir à quelle « morale » on se réfère soi-même, et de l’expliciter. Sinon l’emploi de ce terme ne peut que cautionner ceux et celles qui sous couvert de critiquer le moralisme « des autres » justifient leur propre amoralisme.
* Affirmer que « certaines associations […. ] – signataires d’un Appel abolitionniste – ne se préoccupent pas de la parole des prostituées» est inacceptable. Et n’a d’ailleurs pas de sens.
* La conclusion que j’ai donc tiré de cette curieuse « appréciation » politique est que l’ « Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète » – est quasiment invalidé par « la commission de travail sur le système prostitutionnel du Collectif Droits des femmes ».
Ce que je refuse.
Je considère en effet ce texte comme le texte abolitionniste de référence de ces dernières années.
6 Cf., Marie-Victoire Louis, Pour construire l’abolitionnisme du XXI ème siècle. In, Cahiers marxistes, Bruxelles. La prostitution, un droit de l’homme ? Juin/juillet 2000. N° 216. p. 123 à 151. (Reproduit sur le site des Penelopes)
7 Je remercie Catherine Le Magueresse de ses commentaires critiques.
8 C’est sans doute cette ambiguïté politique qui a pu expliquer la présence le 24 septembre de nombreuses associations, syndicats, partis dont plusieurs n’étaient ni féministes, ni abolitionnistes.
9 L’expression « penser le système », qui renvoie à l’individu-e pensant, court par ailleurs le risque d’être modifiée au gré de l’évolution de la dite pensée. Il en est de même de l’expression : « Nous nous définissons comme » [abolitionnistes féministes], utilisée dans le CR du Collectif de la réunion du 24 septembre.
10 Qui en effet est – formellement – « pour » la violence contre les femmes ?
11 Il m’a ainsi été dit qu’un membre du cabinet de F. Fillon, ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité du gouvernement Raffarin, définissait récemment par ce même jugement de valeur : « c’est une violence contre les femmes », la position politique du gouvernement actuel sur la prostitution.
12 On peut apprécier la rigueur de la formulation et s’intéresser aux conséquences politiques et juridiques de l’emploi du terme de «contraindre ».
13 On notera la précaution d’usage.
14 On notera cette délicate description de la relation proxénète / prostituée.
15 Pour ceux et celles qui n’auraient pas osé vraiment comprendre, cela signifie que son proxénète lui prend, lui vole, lui extorque avant même qu’elle ne le reçoive, son argent. Par la violence, bien sûr.
16 Les personnes prostituées à la peau, au cœur et au sexe blindés par les coups, la violence et la quotidienneté du mépris doivent donc elles être considérées comme ne « ressentant » rien et donc n’étant pas l’objet de violences ? Et le « ressenti » devant s’exprimer, toutes celles contraintes au silence pourraient -elles, elles aussi, entrer dans cette catégorie ?
17 Que la référence de fait à l’article de Nicole Claude Mathieu – « Quand céder n’est pas consentir » – , publié dans le livre l’Arraisonnement des femmes, cité en bibliographie, puisse être grossièrement détourné de sa signification féministe est une honte.
18 Cabiria 2002, Rapport de synthèse. Recherches. Activités. Le dragon Lune. Cabiria, Février 2002. p.47.
19 Comment une telle association peut-elle, alors qu’elle écrit cela, entre autres « analyses », affirmer être une association de défense des personnes prostituées ? Affirmer défendre leur « santé » ? Et bénéficier de fonds publics ?
20 Aucun n’a même fait avancer dans un sens plus progressiste la convention abolitionniste de décembre 1949.
21 Le Maroc avait, lors de la discussion de cet article proposé la rédaction suivante : « Les Etats-parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris législatives, pour supprimer la prostitution, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ». Les Pays-Bas ont voté contre l’amendement marocain « parce qu’il avait introduit un nouvel élément qui était inacceptable ». In Lars Adam Rehof, Guide to the UN Convention on discrimination against women. International studies in human rights. p. 91. Je remercie Catherine Le Magueresse de m’avoir fait connaître ce document.
22 Les débats actuels qui ne font quasiment jamais référence à l’histoire – et lorsque c’est le cas, si souvent de manière erronée – ne situent quasiment jamais le contexte politique mondial et européen, jouent eux aussi un rôle de leurre.
23 Pour ma part, j’analyse le système patriarcal comme le système qui met en place la perpétuation des conditions politiques, économiques, symboliques permettant de contrôler les différents droits d’usage des sexes et donc des corps des femmes.
24 Le chiffre fantaisiste, jamais étayé, ni justifié de 30 % d’hommes prostitués, sans autre clarification, a une fonction essentiellement idéologique : diminuer l’énormité du poids du système prostitutionnel à l’encontre des femmes
25 Ajout. Juin 2001. Aujourd’hui, je considère que ce distinguo mériterait d’être mieux explicité.
26 Ajout. Juin 2001. Pour une critique de cette expression, Cf. plus bas
27 Ajout. Juin 2011. J’aurais dû écrire : « donc ».
28 La différence - et elle est de taille – dans l’analyse de ces divers systèmes de domination est qu’un seul relève encore, pour l’immense majorité de la population de la planète, encore et toujours, de l’évidence (du bon droit des hommes à dominer) : le système patriarcal. Il est ainsi « le plus vieux système d’oppression au monde » . J’emprunte cette formulation, qu’elle avait employé concernant « la prostitution », à Annie Segura Alquier.
29 Les notes de 27 à 31 [dans le texte original] sont pour moi perdues. Si quelqu’un-e peut m’aider à les retrouver…
33 Il n’est pas inutile de rappeler que, dans la Résolution du Parlement européen du 19 mai 2000, le terme d’ « acteur » employé englobe tout à la fois les proxénètes, les clients et les personnes prostituées. Cf., la critique que j’ai faite de l’emploi de ce terme, cf., l’article déjà cité, publié par la Fondation Scelles, p.56.
34 Cette proposition de loi n’est pas encore enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale ; elle est actuellement renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale.
35 Cf., Marie-Victoire Louis, Non. Monsieur Badinter, In Cri Informations. N° 107. Juillet/août/ septembre 2202.p.2 et 3. Reproduit sur le site des Penelopes.
36 Cf., & 9.
37 Les travesties, les transsexuel-les complexifient cette opposition ; ils / elles ne la remettent pas en cause.
38 Cf., le texte déjà cité, publié par la Fondation Scelles. p. 53 à 55.
39 Article 16 : « Les Parties à la présente Convention conviennent de prendre ou d’encourager, par l’intermédiaire de leurs services sociaux, économiques, d’enseignement, d’hygiène et autres services connexes, qu’ils soient publics ou privés, les mesures propres à prévenir la prostitution et à assurer la rééducation et le reclassement des victimes de la prostitution et des infractions visées par la présente Convention ».
Article 17 : « Les Parties à la présente Convention conviennent, en ce qui concerne l’immigration et l’émigration, de prendre ou de maintenir en vigueur, dans les limites de leurs obligations définies par la présente Convention, les mesures destinées à combattre la traite des personnes de l’un ou de l’autre sexe aux fins de prostitution.
Elles s’engagent notamment :
1) A promulguer les règlements nécessaires pour la protection des immigrants ou émigrants, en particulier des femmes et des enfants, tant aux lieux d’arrivée et de départ qu’en cours de route ;
2) A prendre des dispositions pour organiser une propagande appropriée qui mette le public en garde contre les dangers de cette traite ;
3) A prendre les mesures appropriées pour qu’une surveillance soit exercée dans les gares, les aéroports, les ports maritimes, en cours de voyage et dans les lieux publics, en vue d’empêcher la traite internationale des êtres humains aux fins de prostitution ;
4) A prendre les mesures appropriées pour que les autorités compétentes soient prévenues de l’arrivée de personnes qui paraissent manifestement coupables, complices ou victimes de cette traite ».
40 Le colloque intitulé : « Quels droits pour les personnes prostituées ? » , organisé par les Etats généraux de l’Ecologie politique, dans l’Antenne du parlement européen à Paris, puis à l’Assemblée Nationale, les 23 et 24 mars 2001, était un bel exemple de toutes les confusions qu’une telle terminologie nécessairement induit. De fait, il était organisé par les défenseurs du système prostitutionnel.
41 Cf.,Prostitution. L’activité de prostitution exercée à titre indépendant : une activité économique au sens communautaire. Le Dalloz, 2002, N° 27, p.2144 à 2148. Le contrat de travail avec un employeur légitime – patron de bordel notamment – étant une autre solution.
42 Cf, l’analyse que j’ai faite de leur Rapport d’activité 2000. Site internet des Penelopes.
43 Je viens de prendre connaissance d’un texte signé de lui, daté du 20 mars 2000, qui se termine par : « A nous maintenant d’apprendre à aimer la pute ». In : Daniel Welzer-Lang et Saloua Chaker : « Quand le sexe travaille. …Rapport européen inachevé sur les violences faites aux femmes dans les activités et métiers liés à la sexualité masculine ». Octobre 2002.
44 Dernier exemple en date, le mail adressé par Denis Baupin, au nom des Verts du Conseil de Paris, à la responsable de la Commission femmes des Verts, le 16 octobre 2002. Celui-ci dénonce « la motion prohibitionniste adoptée au forceps par le CNIR [dans un contexte passionnel et irrationnel] », poursuit-il.
45 Sur les ambiguïtés historiques de l’abolitionnisme à l’égard des personnes prostituée-es, on pourra se référer au texte déjà cité dans Les Cahiers Marxistes, p. 131, 132.
46 Sans doute plus d’ailleurs.
47 Sur cette question si fondamentale, le livre incontournable est celui de Carole Pateman, The sexual Contract, Polity press. 1988, Réédité en 1989, 1991, 1994.
Ajout. Juin 2011. Une critique de fond de ce livre devrait aujourd’hui être effectuée, à la lumière des nombreux débats politique, théoriques, féministes ou non, qui ont eu lieu depuis sa parution.
48 Article 4 de la Déclaration « universelle » des droits de l’homme de 1948 : « Nul ne sera tenu en esclavage , ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
49 Utiliser les termes employés par le système prostitutionnel – y compris en affirmant être « contre » – c’est participer aussi au processus de leur légitimation conceptuelle.
50 Cf., Marie-Victoire Louis, Pour une critique de la politique pro-prostitution de Cabiria. Site internet des pénélopes.
51 Cf. , « Contre l’ordre moral : mobilisation et vigilance ». Appel de plusieurs associations, dont la CADAC, à la manifestation le mercredi 9 octobre à 18 heures 30, place de l’Odéon.
52 Act-up. Répression = contamination. (Titre) On peut y lire une défense claire :
* de la légitimité du système prostitutionnel et du bon droit des « clients » aux personnes prostituées : « Il ne faut pas criminaliser les rapports sexuels payants entre adultes majeurs et consentants ».
* une opposition à la proposition (et non pas au « projet de loi ») de loi de M.Caresche : « En Suède où cette mesure (Il s’agit d’une «loi») est appliquée, elle se montre inefficace et criminelle » (Souligné par moi). Et les nuances n’étant généralement pas le fait d’Act up, on peut même lire : « Cette politique produit les mêmes conséquences que la politique de stigmatisation et d’exclusion de Nicolas Sarkozy ».
53 Assemblée générale décentralisée des Verts. Nantes 2002.
54 Souligné par moi.
55 Mail reçu le 23 octobre 2002.
56 Avec le soutien d’Act-Up Paris, d’Aides Paris, du PASTT, de Cabiria, du collectif des prostituées de Paris, de Jacques Boutault (Maire Vert du 2ème ardt de Paris), de Claire Carthonnet (Cabiria), d’Ovidie (actrice et réalisatrice de X).
57 Ajout. Juin 2011. Après avoir été de 2002 à 2007 Fondatrice-présidente de l'association « prosexe » Femmes publiques, Anne Souyris est co-responsable du projet 2012 Les Verts-Europe écologie
58 Les positions d’Anne Souyris n’ont, heureusement, pas vraiment rencontré le soutien du public, ni des participant-es de l’émission. Et sa position a notamment significativement été perçue comme inacceptable pour les caissières. La moue dégoûtée et les dénégations de principe d’Isabelle Mergault furent pour moi un grand moment de plaisir politique télévisuel.
59 Dans le compte-rendu – qui fait foi – on peut lire : « Accès aux soins, droit au logement, droit à l’emploi, à l’ANPE, contre la reconduite à la frontière des étrangères, contre leur expulsion, droit d’avoir des papiers sans dénoncer les proxénètes non au proxénétisme, non au harcèlement policier, éducation sexuelle, droit à la CMU, au minimum vieillesse, au RMI ». Et comme position «controversée » : « non à l’imposition des prostituées, pénalisation du client, droit à la retraite ».
60 Quel-le militant-e osera présenter à une personne prostitué-e l’inscription à l’ANPE comme pouvant être une aide à sa situation ? En tout cas, la probabilité de recevoir un coup de poing dans la figure me paraît assez élevée.
61 Par lettre en date du 6 août 2202, Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l’égalité professionnelle, écrivait : « La France a fait le choix de l’abolitionnisme en ratifiant la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui qui juge la prostitution incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. Cette considération inspire mon action à la tête de ce ministère ». Faire référence à la seule « ratification » de la convention de 1949 est un incontestable affaiblissement de la valeur actuelle de cette convention. Il en est de même de l’expression : « Faire le choix de l’abolitionnisme » qui peut certes signifier qu’elle est toujours intégrée à l’ordre juridique interne, mais qui ne signifie pas nécessairement qu’elle est toujours le texte de référence du gouvernement. Quant à l’expression « inspirer mon action », elle signifie que cette convention n’est qu’une source d’inspiration, et donc qu’elle n’est pas contraignante. Enfin, parler de son seul « ministère » n’engage pas le gouvernement.
62 Cf., l’analyse que j’ai faite des déclarations politiques sur le sujet sous le gouvernement Jospin . In : Contre l’Europe proxénète, la France peut -elle encore s’affirmer abolitionniste ? A paraître. Novembre 2002. Grep. Groupe de recherche pour l’éducation et la prospective.
63 Pour une analyse plus nuancée, Cf., l’article que j’ai publié dans Les Cahiers marxistes : Pour construire l’abolitionnisme du XXI ème siècle, notamment p. 131 et 132.
64 Article 6 : « Chacune des Parties à la présente Convention convient de prendre toutes les mesures nécessaires pour abroger ou abolir toute loi, tout règlement et toute pratique administrative selon lesquels les personnes qui se livrent ou sont soupçonnées de se livrer à la prostitution doivent se faire inscrire sur des registres spéciaux, posséder des papiers spéciaux, ou se conformer à des conditions exceptionnelles de surveillance ou de déclaration. »
65 Dans la réalité, les « choix » éminemment sélectifs d’affirmation de volonté de lutte contre telle ou telle forme et manifestation de violences à l’encontre des femmes, à l’ONU, par les Etats Unis, par l’Union européenne notamment, deviennent de plus en plus clairement des armes politiques ; elles ont donc le plus souvent peu à voir avec la défense des droits des femmes et ce d’autant plus que l’abolition des codes de statut personnels, religieux, coutumiers ne sont plus à leur ordre du jour.
66 ] Cela signifie donc que « la période de transition » – évoquée dans l’Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète – concernant la pénalisation des « clients » doit être considérée comme close. Cet ajout était, par ailleurs, à l’époque, une erreur.
67 L’utilisation récente par les tribunaux de la loi sur le racolage à l’encontre des « clients » ne doit pas être considérée positivement, car elle risque fort de contribuer à repousser l’échéance d’une loi de principe les pénalisant. En outre, faute donc de principe clairement établi, elle ne peut que contribuer à accroître la confusion entre la pénalisation des clients et celle des personnes prostituées. Elle risque donc de contribuer à retarder la prise de conscience d’une nécessité d’une approche politique globale, posant les responsabilités de chacun-e.