Madame Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes du gouvernement de J.M. Ayrault, « annonce » dans le numéro de mars du Magazine Causette -« l'abrogation du délit de racolage passif ». (p.58) Elle informe par ailleurs que cette abrogation « fait l'objet d'une proposition de loi qui sera examinée au Sénat à la fin mars ». (Ibid.)
* Tout d’abord, la ministre fait une présentation erronée : dans le projet de « proposition de loi », il ne s’agit pas d’abrogation du « racolage passif » mais de « racolage public », telle que visible sur le site du Sénat. La voici : « La présente proposition de loi a pour objet d'abroger dans le code pénal l'article 225-10-1 inséré par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, et qui punit le délit de racolage public de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ». 1
* Publiciser la politique du gouvernement en la matière dans un magazine : Causette - qui se présente lui-même comme «plus féminin du cerveau que du capiton » - dont le moins que l’on puisse dire est que ce n’est ni la rigueur, ni la profondeur, ni le sérieux de ses analyses qui le caractérisent peut légitimement être perçu comme un manque de respect de la ministre, par rapport à elle-même, au gouvernement donc, comme à l’importance des sujets dont elle traite. Ajoutons que les personnes prêtes à payer 4,90 euros pour connaître en matière de « prostitution » les analyses de Madame Vallaud-Belkacem et la politique gouvernementale ne doivent pas être légion.
Faut-il en déduire que les analyses que la ministre livre peuvent être interprétées comme une annonce qui - a minima - gêne le gouvernement aux entournures et donc souhaite le cacher ou - a maxima - lui fait honte ? En étant optimiste. En tout état de cause, si le gouvernement voulait faire ‘passer en douce’ une politique qui, notamment après les débats concernant le soit disant « mariage pour tous » ont soulevé tant de lièvres cachés pourraient lui être reprochées, il ne s’y serait pas pris autrement. En sus, la ministre devait cacher son revirement.En effet, cette proposition de loi qui vient d'être intégrée à l'agenda dudit Sénat - grand défenseur des droits des femmes, comme chacun-e sait - sera examinée le 28 mars 2013. Or, pour reprendre ici l’analyse des Nouvelles / News 2 : « le gouvernement l'avait retiré de l'agenda du Sénat, car il entendait intégrer l'abrogation du délit de racolage à un texte de loi global. « C'est difficile d'aborder le racolage passif sans traiter d'autres sujets liés à la prostitution », disait-on alors au ministère des Droits des femmes.
* Précisons en outre que cet interview :- S’inscrit dans un dossier de 17 pages intitulé : « C’est quoi ce bordel ?! », tandis qu’en caractères nettement plus petits, sur la couverture, on lit en dessous, simplement « + les annonces de Najat Vallaud-Belkacem ».
- Est encadré par deux grandes photos représentant la première, la tête d’un homme de dos face à une femme (visage caché) couchée sur un lit les deux jambes écartées ; la seconde, une femme (visage caché) à genoux par terre entre les jambes d’un homme.
- Notons que le titre : « On est dans un entre deux qui ne peut plus durer » peut être légitimement interprété comme : Faisons fi des dernières velléités affichées abolitionnistes de la France et rejoignons le camp des états proxénètes et donc de l’Union Européenne. La ministre se félicite d’ailleurs de « la volonté de la part de la Commission européenne d’avoir une stratégie commune, notamment avec le projet d’une campagne de communication transétatique. » (p.58)
- Relevons les intitulés des articles précédant son interview : outre le déjà évoqué : « Prostitution : C’est quoi, ce bordel ? » on peut lire : « Les Français et la prostitution, le mâle nécessaire » ; « Sondage (IFOP): un phénomène social répandu, un mal ‘inévitable’ qu’il faut contenir » ; « Bordels catalans, la débandade » ; « Langues de putes » ; « Dodo la saumure. L’insoutenable légèreté du souteneur » ; « La sexualité a un caractère marchand. Psychiatre et thérapeute de couple, Philippe Bernot plaide pour l’abolition des clichés qui parasitent les débats sur les amours tarifées» ; « Trafics d’êtres humains. Bosnie, un refuge pour celles qui dénoncent ». Que peut on en déduire ?
- Notons enfin que les cinq lignes censées résumer les points forts de son interview n’y correspondent aucunement, à l’exception de l’annonce, erronée, de « l’abrogation du délit de racolage passif » à ce qui y est affirmé.
= Madame Vallaud Belkacem n’annonce pas « une loi pour la fin de l’année » : elle évoque, elle annonce « une proposition de loi qui sera examinée au Sénat à la fin mars ». (+ cf. plus bas)
= Elle n’annonce pas « une augmentation des subventions des associations ». Elle déclare: « Il faut soutenir ces associations. Nous y travaillons. Il est difficile de donner un soutien financier plus important dans un contexte budgétaire que vous savez contraint. Pour ma part, j’en ai fait une priorité dans l’allocation des moyens à mes servi ces régionaux. Ce doit, à la encore, être un travail interministériel ». (p.57) Notons, à cet égard, qu’assimiler les associations qui s’affirment abolitionnistes et les associations qui, en défendant les « travailleures- du sexe » et/ou « sexuelles », défendent la légitimation du rapport de domination qu’est le proxénétisme est plus que signifiant. Cette assimilation n’a été rendue possible qu’en annulant, progressivement, entre elles, toute divergence idéologique, l’expression d’« associations de terrain » en ayant été la phase intermédiaire nécessaire.
= Elle n’annonce pas « un renforcement des sanctions contre les réseaux ». (+ cf. plus bas) Quant au terme de « sanctions », devons nous le comprendre comme devant se substituer dorénavant à la loi pénale ?
= Enfin, elle ne présente en rien « un projet de refondation de la lutte contre la prostitution » : elle met un point final à toute politique abolitionniste.
* Concernant la ministre, cette abrogation [qui n’est donc pas un texte émanant du gouvernement, mais une proposition de loi écologiste au Sénat] est présentée : - comme étant « plus rapide » (p.58). Plus rapide que quoi ? Que rien, puisque Madame Vallaud-Belkacem renvoie à … plus tard, pour ne pas dire annule le projet de vote d’ « une nouvelle loi sur la prostitution » qu’elle avait elle-même annoncée. Qu’on en juge : à la question sur « son calendrier » en la matière, voici sa réponse : « En décembre 2011, une résolution, qui réaffirme la position abolitionniste de la France a été adoptée à l’unanimité par le Parlement. Aujourd’hui, nous voulons capitaliser sur ce consensus. Notamment grâce au travail, transpartisan et de terrain, de deux commissions, à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Ces travaux qui ont commencé depuis octobre, vont se rejoindre en fin d’année. C’est sur cette base que seront dessinés les contours d’une proposition de loi. » […] (p.57) - comme nécessaire, car cette loi « faisait des victimes de la prostitution des coupables » (p.58). Il eut été plus juste décrire que le proxénétisme, pour reprendre la formulation de la ministre, « faisait des victimes » dont et les proxénètes et les « clients » et l’État étaient les bénéficiaires. Il est aussi intéressant de noter que le terme de « victimes » qui, au mépris pourtant aveuglant de toute réalité, fut - concernant les personnes prostituées - tant reproché aux abolitionnistes ne manque pas d’être repris par l’Etat quand il s’agit de prolonger, de perpétuer, de légitimer le système de domination, le proxénétisme, qui les crée « victimes ».
* Concernant la proposition de loi de la sénatrice Esther Benbassa « (Écolo - Val-de-Marne) et plusieurs de ses collègues » ( !) - dans la cohérence de la politique défendant la légitimation du proxénétisme menée par les écologistes depuis des dizaines d’années - voici ce que l’on peut lire sur le site du Sénat : « Trois raisons motivent, selon les auteurs, cette abrogation :
- l'inefficacité de la loi dans la lutte contre les réseaux de proxénétisme ;
- la stigmatisation et la précarisation des travailleuses et travailleurs du sexe, notamment dans l'accès aux soins, et la vulnérabilité face aux violences, cette disposition ayant été utilisée en grande partie pour arrêter des ressortissant(e)s étranger(e)s en situation irrégulière en vue de les reconduire à la frontière ;
- l'existence de dispositifs légaux de droit commun pour lutter contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénétisme permet de continuer à garantir que l'abrogation de l'infraction de racolage ne signifie pas pour autant l'impunité pour les proxénètes, qu'ils agissent seuls ou en réseau. » Outre le fait que ces assertions lapidaires ne sont pas justifiées, on doit relever que, sous couvert de cette loi d’abrogation du « racolage », il s’agit de traiter ce qui relève d’une analyse politique globale. En effet, celle-ci concerne, dans l’ordre, tout à la fois : « les réseaux de proxénétisme », les « travailleuses et travailleurs du sexe », « les violences », « des ressortissant(e)s étranger(e)s en situation irrégulière », la lutte « contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénétisme » et « les proxénètes ».
* Reprenons, du fait donc de l’importance de l’enjeu, les justificatifs avancés par « Esther Benbassa et ses collègues » : - Il est affirmé que « la loi dans la lutte contre les réseaux de proxénétisme » est « inefficace ». Outre le fait qu’aucune loi - au singulier - n’existe en la matière ; que cette affirmation n’est pas et ne peut pas être donc démontrée ; qu’aucune loi ne peut être jugée, jaugée, critiquée au nom de son « efficacité » et que le lien avec le délit de racolage devant être abrogé n’est pas effectué, on pourrait en déduire qu’il s’agit en réalité de légitimer par la loi le ‘concept’, déjà largement utilisé notamment par la presse, de « réseaux de proxénétisme ». Cette expression peut donc être - et le sera sans aucun doute - utilisée afin de dissoudre la qualification spécifique de « proxénétisme » au profit de la notion de « réseaux ». Notons que ce processus a déjà eu lieu, depuis des années, concernant « la traite » et/ou le « trafic des êtres humains », progressivement assimilés à tous les « trafics » au sein desquels ils se dissolvent, tandis que le concept de « traite » était réhabilité…
En tout état de cause, cette formulation a pour conséquence de dédouaner « les proxénètes » - disons « seuls» (cf. plus bas) - et donc de légitimer le proxénétisme qui les produit et les légitiment.
- Il est question de « travailleuses et travailleurs du sexe », vocabulaire qui, outre le fait qu’il est soit monstrueux, soit qu’il ne signifie rien : comment peut-on travailler « du sexe » ? - est exclusivement utilisé par les défenseurs-ses du système proxénète et à son seul profit. En effet, en système capitaliste, qui dit « travail », dit possibilité, capacité, légitimité de l’ « exploiter », aux sens marxiste, comme libéral du terme. Et ce, alors même que ces termes n’existent pas dans la loi. Et, je l’espère, n’existeront jamais.
- Les dit-es « travailleuses et travailleurs du sexe » sont considérées comme « stigmatisés et précarisés » et « vulnérables face aux violences ». N’importe qui - fut-il/elle exclu-e de l’Education Nationale, analphabète, dénué-e de toute « culture » - peut aisément comprendre que les personnes prostituées ne sont pas seules à pouvoir être ainsi qualifiées. Dès lors, ces pseudo arguments ne valent rien. En revanche, on pourrait aisément déduire du raisonnement sous jacent que, dès que le proxénétisme sera une activité légitime, les personnes prostituées, devenues des travailleur-euses « normales », « normalement exploitées » ne seraient plus stigmatisées, ni précarisées, ni victimes de violences … Par ailleurs, sous couvert d’une loi « globale contre les violences [de genre] » demandée, sans excès d’exigences, par tant de féministes - celle-ci risque fort, par là même - et c’est déjà le cas - de légitimer le proxénétisme.
- Les dit-es « travailleuses et travailleurs du sexe » ne sont pas considérées comme victimes de « violences » ; ce serait leur reconnaître et leur individualité et donc des droits. Il n’est donc question que de leur « vulnérabilité face aux violences ». De plus, être considérés, être appréhendés, être définis comme « vulnérables » - ce qui ne veut rien dire non plus - pourrait légitimement être considéré par eux/elles comme paternaliste, pour ne pas dire « victimaire ». Enfin, cette formulation s’inscrit dans le droit fil d’une problématique libérale qui récuse l’existence même d’un système de domination et lui substitue une logique contractuelle entre deux personnes. 3
- Alors que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, rivalisant avec ses prédécesseurs, affiche sans apparente crainte le nombre d’expulsions annuelles des travailleurs sans papiers, il est difficile de ne pas penser que le fait de s’inquiéter, concernant les personnes prostituées, des « reconduites à la frontières des ressortissant-es étrangères en situation irrégulière » n’ait pas pour finalité d’alimenter en « capital humain » ce qui est légitimement devenu l’immense marché du proxénétisme. Comment ? : en facilitant notamment et la stabilité et la mobilité des personnes prostituées. Et en leur conférant un statut spécifique ? En tout état de cause, ce n’est pas la loi concernant le racolage qui peut être considérée comme responsable … « des reconduites à la frontière » !
- Assimiler la « lutte contre la traite des êtres humains », formulation par ailleurs inconnue du droit, et « les réseaux de proxénétisme » (Idem) - « réseaux », qui selon la ministre, « se durcissent »… (p.58) - peut être légitimement interprété comme une nième avancée du proxénétisme. En effet, dans la mesure où, notamment depuis la législation onusienne de 2002, la traite des êtres humains a permis de subsumer le proxénétisme dans ladite traite, affirmer vouloir lutter contre la traite, c’est légitimer le proxénétisme. Pour preuve, concernant ladite « traite des êtres humains», trois - oui, vous avez bien lu : 3 condamnations - ont été prononcées en 2010 sur ce fondement. 4Présenter en outre, cette pseudo lutte comme relevant du « droit commun » est mensonger.
- Enfin, écrire que « garantir que l'abrogation de l'infraction de racolage ne signifie pas pour autant l'impunité pour les proxénètes, qu'ils agissent seuls ou en réseau. » attire justement, et plus que maladroitement, l’attention sur le refoulé : c’est bien sa fonction, et cette abrogation la révèle, la mets à nu, telle qu’en elle-même, à savoir : leur conférer cette «impunité ».En sus, l’emploi du terme « agir » peut difficilement cohabiter avec le concept de pénalisation du « crime » [de proxénétisme].
- En conclusion, c’est donc cette proposition de loi écologiste que le gouvernement fait sien et défend.
En cautionnant cette proposition de loi, le gouvernement Ayrault n’a pas simplement « changé son fusil d'épaule ». Il s’est, plus prosaïquement, inscrit dans la lignée de toutes les reculades de l’Etat français depuis des dizaines d’années 5, les quelles ont entériné, malgré quelques velléités de résistance dorénavant abandonnées, toutes les avancées du proxénétisme. Il ne s’est agi que d’une politique à la petite semaine, sans aucune vison d’ensemble, entérinant toutes les régressions du droit que patiemment, systématiquement, fort intelligemment, le libéralisme proxénète a pu et su imposer. À sa décharge, il n’était pas seul…
Si l’on analyse maintenant la signification politique de l’interview de Madame Vallaud-Belkacem, dans Causette, que peut-on dire ?
* Non, l’Etat français ne veut pas de pénalisation des clients. Ainsi, à la question : « Selon la presse, vous vous êtes prononcée en faveur de la pénalisation des clients. Est-ce vraiment une solution efficace ? », celle-ci répond : « Voulez-vous que je vous dise [elle sourit], je n’ai jamais dit que je voulais pénaliser le client », tout en n’étant pas honnête - car, en tant que ministre, elle l’a laissé croire, l’a laissé dire, pour ne pas dire encouragé le double langage - ce qu’elle dit est juste. En tout état de cause, l’Etat français n’a jamais évoqué que de « la responsabilisation » des clients, terme sans incidence au plan pénal. Il n’existe effectivement pas d’engagement du gouvernement en la matière; seul-es ceux et celles qui voulaient le croire, y ont cru. Et ceux et celles qui avaient vu le piège ne l’ont pas dénoncé.
Pour en revenir aux textes dans la filiation politique de la quelle le gouvernement socialiste actuel s’inscrit, que disent-ils ?
Dans la résolution parlementaire [de faible portée juridique, faut-il le rappeler ?] que madame Vallaud-Belkacem présente comme ayant « réaffirmé la position abolitionniste de la France », on peut lire :
_ Dans les Considérants :
« La loi doit également responsabiliser les clients en leur indiquant clairement qu’eux aussi ont une part de responsabilité. Sans client, il n’y aurait pas de prostitution. L’expérience suédoise montre qu’une action de sensibilisation et de responsabilisation des clients est susceptible de faire diminuer la prostitution et la traite des êtres humains. Ce n’est pas un hasard si les Suédois et leurs femmes et hommes politiques sont aujourd’hui fiers de leur démarche. »
- Dans le corps même de la résolution au (dernier) point 5 : […] « Estime que la prostitution ne pourra régresser que grâce à un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d’éducation et de responsabilisation des clients et de la société toute entière. »
Une étape de ‘vérité’ de plus est donc franchie par Madame Vallaud-Blekacem dans cet interview de Causette : après cette proposition de loi de dépénalisation du racolage, le projet de pénalisation des ‘clients’ est quasiment enterré. Madame Vallaud-Belkacem poursuit : « Il y a quelque chose de réducteur à aborder cette question seulement par ce biais. J’ai des convictions sur le résultat à atteindre et je serais pragmatique sur la méthode. Nous sommes encore en réflexion sur cette question de la pénalisation.» (p.58)
Car écrire que le gouvernement n’en est qu’au stade de la « réflexion », alors que tout a été dit et depuis longtemps, c’est se moquer du monde.
Par ailleurs, il existe bien une contradiction patente dans le discours socialiste: en effet, si « sans client, il n’y aurait pas de prostitution », alors il est difficile de « réaffirmer la position abolitionniste de la France… »…. sauf si la fin de la phrase est la suivante : « dont l’objectif est, à terme, une société sans prostitution ». Comme disait je ne sais plus qui : « sur le long terme, on est tous morts » ...
Il n’est pas inintéressant de noter que pour l’une des représentantes de l’État, la loi, puisque c’est bien d’elle dont il s’agit, est considérée comme « un biais », par ailleurs « réducteur ».
Et enfin, pour garder le plus grossier pour la fin, comment l’Etat Français peut-il faire de la France, en la matière, un isolat politique, et par la même nier, renier, abolir tous les textes européens, les conventions internationales (cf. plus bas) qu’elle a entériné, signé, ratifié depuis des dizaines d’années ?
Quant aux si nombreuses associations qui ont signé en 1999 un « Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète » si - pour celles qui existent encore - elles récusent leur signature elles doivent le dire et expliquer l’erreur d’analyse qu’elles auraient faite. 6
* Oui, l’État français s’inscrit dans un projet clairement libéral, clairement donc anti-abolitionniste, sauf à considérer que plus aucun terme n’a de signification, n’a d’histoire, n’a de signification, ne veut donc plus rien dire et/ ou que chacun-e est libre de l’interpréter comme il / elle l’entend. Ce qui est le cas. Ainsi, à la question : « Vous êtes pour l’abolition de la prostitution. Mais de quelle prostitution parlez-vous ? », Madame Vallaud-Belkacem répond : « De la prostitution contrainte et forcée, bien sûr. Être abolitionniste, c’est avoir un projet de société qui ne se satisfasse pas de ce qui est vécu aujourd’hui comme une fatalité ( !), à savoir la tombée ( !) en prostitution de certaines ( !) femmes ( !) par contrainte économique ( !) ou physique ( !) - pas sexuelle - qui représente l’immense majorité des cas. ( !). Mais il faut toutefois noter que l’on souffre d’une méconnaissance de la réalité de la prostitution, car peu de chiffres sont disponibles, notamment sur la prostitution étudiante et la prostitution des mineurs. » (p.56)
Pour critiques, une suggestion : remplacez dans ces phrases le terme de « prostitution » par : « féodalisme », « capitalisme », « esclavagisme », « colonialisme », « tortures », etc. ..
Ce qui est sûr c’est, qu’en sus de l’absence de toute rigueur, de la méconnaissance patente du droit, de l’extrême faiblesse de l’analyse - que j’ai du mal à qualifier comme telle - on retrouve la distinction qui, lors de la 4ème conférence mondiale sur les femmes de l’Onu de Pékin en 1995 avait ouvert la voie à la légitimation du proxénétisme. Comment ? en posant la distinction entre « prostitution » « libre » et « contrainte », « forcée ».
* Oui, en toute logique, l’Etat français cautionne le proxénétisme. Qu’on en juge sur citations récentes qui forment le substrat de la politique actuelle du gouvernement.
Voici ce que l’on peut lire (entre autres assertions inacceptables dont ce rapport fourmille…) concernant la politique française en matière de proxénétisme :
- Dans le Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n° 3334 [2012], intitulé : « Prostitution : l’exigence de responsabilité. En finir avec le plus vieux métier du monde ». Rappelons que celui-ci, présidé par une députée socialiste, Danielle Bousquet et dont le rapporteur, Guy Geoffroy était UMP, a ouvert la voie à la résolution, « adoptée à l’unanimité par le Parlement » de décembre 2011. Et que Madame Vallaud-Belkacem le présente dans l’interview - comme « réaffirm[ant] la position abolitionniste de la France » (p.57) :
= « Du côté des politiques publiques, le bilan qui s’en dégage est […] plutôt positif en matière de lutte contre le proxénétisme. » (p.16)
= « De l’avis général, le dispositif répressif en matière de proxénétisme et de traite des êtres humains est très complet. » (p.264)
= « Le dispositif pénal en matière de proxénétisme est complet et apte à sanctionner toutes les formes de cette criminalité. » (p.268)
Et on lit même au terme d’un argumentaire indéfendable concernant les liens entre proxénétisme et traite des êtres humains (Op. cit. p.118 à 144) que « le dispositif juridique dans son ensemble semble donc satisfaisant .» (ibid. p. 138)
- Dans la dite Résolution - qu’il faudrait intégralement critiquer - on peut lire : « La position abolitionniste de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d’inciter à la prostitution disparaissent. » […] En d’autres termes, le retour au vieux fondement du libéralisme : « laissez faire, laissez passer ».
« En conséquence de ce refus initial, la France doit tout mettre en œuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. Des politiques publiques ambitieuses et coordonnées doivent être mises en place à cet effet. Dans tous les cas et quelle que soit la situation administrative des personnes prostituées, leurs droits fondamentaux doivent être garantis, ainsi que le prévoient les conventions internationales auxquelles la France est partie. Au premier rang de ces droits figure celui de pouvoir porter plainte et d’accéder à la justice. »
Voilà, c’est tout et tout est dit. Il est question de « liberté de choix des personnes prostituées », la prostitution est « une activité ». Quant à « leurs droits fondamentaux » ( ?) qui leur seraient « garantis », ils se réduisent - scandaleusement - « porter plainte et accéder à la justice ».
Concernant stricto sensu le proxénétisme, il est simplement rappelé que : « La loi doit clairement marquer la responsabilité de chacun dans la perpétuation du système prostitutionnel. Elle le fait d’ores et déjà pour ce qui est des auteurs de traite des êtres humains et de proxénétisme. »
Enfin, au point 5 de la résolution, il est simplement dit, que la proposition « souhaite que la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme constitue une véritable priorité, les personnes prostituées étant dans leur grande majorité victimes d’exploitation sexuelle ». « Souhaite »…
Pourquoi en dire plus, dans la mesure où la question avait été préalablement réglée ? Puisqu’il avait été affirmé qu’en la matière, le « le dispositif pénal est très complet. » Comme en matière de « traite des êtres humains »…
* Oui, l’État français, en toute logique libérale proxénète, n’est plus opposé à la réouverture officielle des bordels. Ainsi à la question : « Selon notre sondage, 75 % des Français sont en en faveur de l’ouverture des maisons closes. ( !) Qu’en pensez-vous ? », la ministre répond : « Je me méfie des sondages qui posent des questions trop caricaturales ( !). Mais c’est vrai, notre société a besoin d’être plus informée qu’elle ne l’est sur la réalité de la prostitution. Si notre projet est que, demain, nos petits garçons ( !) ne trouvent pas naturel ( !) d’avoir recours à un acte sexuel tarifié, ( !) ou nos petites filles ( !) de se prostituer ( !) pour payer leurs études ou autres ( !), on ne peut pas leur mettre sous le nez ( !) des maisons closes. » (p.58).
« Mettre sous le nez » des enfants des maisons closes, c’est au plan linguistique, pour ne pas dire conceptuel, une première.
* Maintenant, venons-en à l’abolition strico sensu du délit de racolage.
Tout d’abord. Ce délit scandaleusement injuste, inacceptable donc qui pénalisait les personnes prostituées d’être victimes du proxénétisme, non seulement doit disparaître, mais n’aurait jamais dû exister.
Ceci posé, il n’est pas difficile de comprendre que, sans aucun projet concret abolitionniste, sans aucune loi pénalisant les ‘clients’, dépénaliser le seul racolage ne peut que satisfaire les intérêts du proxénétisme, et donc des ‘clients’. En toute légalité, l’abrogation de ce délit mettra à leur disposition un plus grand nombre de personnes. En réalité, un nombre sans limite, ni frontière. 7 Bref, pour reprendre le vocabulaire libéral, on élargit et l’offre et la demande…
Et s’il est juste de dire que cette loi rendait bien évidemment encore plus difficile la vie des personnes prostituées, de celles auxquelles aucun soutien, aucune aide n’est proposée, de celles qui n’ont aucune alternative de vie, son abrogation, en l’état, ne peut qu’augmenter le nombre de celles qui, du fait du contexte dans lequel cette loi s’inscrit, seront encore plus nombreuses à n’avoir d’autre vie que d’être pénétrées par des sexes d’hommes et à les masturber : le pénis pour tout horizon de vie. Et à normaliser cette activité comme source légitime de profit.
Une suggestion pour en appréhender plus aisément la signification : lors des débats sur l’abolition de l’esclavage, il eût été proposé le vote d’une - seule - loi qui, sans toucher au fondement même de l’esclavage, aurait eu pour finalité la finalité de ne plus pénaliser les esclaves du fait d’être esclaves, qu’en auriez-vous pensé ?
La suite, c’est ce qu’a annoncé Madame Vallaud Belkacem : « L’idée n’est pas de se focaliser exclusivement ( !) sur les questions ( !) pénales, mais aussi sur l’ensemble des champs ( !) que nous avons abordés : prévention, droits sociaux ( ?), accès au logement ( ?), aux titres de séjour ( ?), formation ( ?), réinsertion professionnelles ( !), etc. ( !) »
Comment interpréter ses annonces ? Quasiment évacuer tout recours à la loi pénale - puisque sous couvert de « questions » et de « champs », c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est entériner toutes les régressions qui, depuis des années, ont légitimé peu à peu le proxénétisme. C’est entériner la substitution du proxénétisme au concept de « traite des êtres humains » dont on a vu le résultat, et ce, sans pénalisation des « clients ».
Quant aux diverses soit disant propositions d’amélioration - le terme n’étant même pas prononcé - de la situation des personnes prostituées, outre le fait qu’on ne peut y lire aucun engagement, que, compte tenu du flou qui les caractérise, les personnes prostituées qui voudraient une alternative de vie devront se contenter de ce qu’on leur promet depuis des dizaines et des dizaines d’années, avec le résultat que l’on connaît. Depuis le temps, elles ont appris à être lucides. Mais savent-elles quel avenir leur propose t-on ? Bien sûr que non.
Oui, avec cette loi affirmant vouloir abroger le seul délit de racolage, le proxénétisme a encore gagné… Lutter contre le proxénétisme, c’est à dire le rapport de domination qui légitime l’appropriation du corps et donc de la personne humaine [lequel n'est analysable qu'en pensant conjointement et concomitamment les institutions internationales, européennes, l'Etat, les proxénètes, les "clients" et les personnes prostituées] : il n’en est plus question.
Jusqu’à quand ce scandale va t-il se poursuivre ? Mais pour cela, encore faut-il comprendre comment en est-on arrivé-es là ? Et traiter donc de la critique des positions des associations se présentant elles aussi comme « abolitionnistes ».
N. B Ce texte a été remanié à plusieurs reprises par rapport à sa première rédaction, en date du 1er mars. Qu’on veuille bien m’en excuser. Il n’est pas exclu qu’il puisse l’être à nouveau…
1 Article 225-10-1 du code pénal devant être abrogé : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 Euros d'amende. »
2 Les nouvelles/ News. La réaction, Le délit de racolage passif bientôt abrogé ? 27 Février 2013
3 On peut lire ainsi, dans un texte de l’association Griselidis, « soutenu ( !) par le Planning Familial, Cabiria, le Strass, Act-up Paris et Act-up Sud-Ouest », publié sur le site du Strass, diffusé par l’Association Effigies : « Un client c’est celui qui respecte le contrat. » « Un agresseur, c’est celui qui ne respecte pas le contrat. ». Cf. Communiqué de l'association Grisélidis. 27 février 2013
4 Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice. In, Assemblée Nationale, Rapport d’information N° 3334, Prostitution : l’exigence de esponsabilité. En finir avec le mythe du « plus vieux métier du monde ». p. 132. Il n’est pas anodin, si l’on en croit la presse, que ces condamnations semblent essentiellement concerner les étrangers. Par ailleurs, la nature, le type, les fondements, la gravité - ou non - de ces condamnations n’est pas connue. Pas plus que les liens entre proxénétisme et pornographie. Ibid. p. 136. Il est précisé que « les données 2010 sont provisoires ».
5 Il fut un temps cependant où des ministres (ou assimilées) des droits des femmes avaient honte de ce qui se passait à l’Europe. Je me souviens ainsi avoir discuté au téléphone avec l’une d’entre elles qui, après m’avoir décrit, lors d’une rencontre européenne, les menaces dont elle avait été l’objet et qui en pleurait de colère. C’était l’époque où le gouvernement français espérait encore, sinon de combattre, du moins de freiner la politique proxénète de l’Union européenne.
6 http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=537&themeid=336
7 Pour reprendre l’intitulé d’un séminaire féministe, aujourd’hui disparu…