Parce qu’elles n’ont pas d’argent
Parce qu’elles n’ont pas de travail
Parce qu’elles n’ont pas de papiers
Parce qu’elles n’ont pas de logement
Parce qu’elles ne savent ni lire, ni écrire
Parce qu’elles ont argent, travail, logement, diplômes
Parce qu’elles ont dit oui un jour
Parce qu’elles croient ce qu’on leur dit
Parce qu’elles n’ont jamais appris à dire non
Parce que se taire est devenue une seconde nature
Parce qu’elles n’ont pas connu d’autres modèles
Parce qu’on leur a dit qu’un homme était leur destin
Parce qu’elles ont un dieu, le maître, les hommes, la loi dans la tête
Parce que les États, les religions, les coutumes, les traditions les veulent sous le joug
Parce qu’elles ont été bien élevées
Parce qu’elles ont aimé Anna Karénine
Parce qu’elles ont appris la couture, la broderie, la cuisine, le ménage
Parce qu’elles ont étudié la philosophie, les codes de bonnes manières, la bienséance
Parce qu’elles ne soupçonnent pas leur force
Parce qu’elles ont toujours beaucoup supporté
Parce qu’elles ont été modelées à la soumission
Parce que vivant sous la terreur, elles sont terrorisées
Parce qu’elles sont impuissantes face au pouvoir, au mépris, à la haine
Parce qu’ils les ont aimées
Parce qu’elles ont été amoureuses
Parce qu’elles ne savent pas ce qu’être heureuse signifie
Parce qu’elles ont plus souvent connu le malheur que le bonheur
Parce qu’elles devraient admette que l’amour n’a jamais été qu’un leurre
Parce qu’elles n’ont pas vécu d’autre vie que celle qu’elles ont connu avec lui
Parce qu’elles ont pitié d’eux
Parce qu’elles s’estiment redevables
Parce qu’elles espèrent une rédemption
Parce qu’elles voudraient les faire changer
Parce qu’elles sont fières d’avoir un homme
Parce qu’elles savent qu’ils sont perdus sans elles
Parce qu’elles pensent que les enfants ont besoin d’un père
Parce qu’elles ont besoin d’avoir quelque chose, quelqu’un à elles
Parce qu’elles veulent une vie qui leur a été présentée comme normale
Parce que les pleurs les soulagent
Parce qu’elles crèvent d’isolement
Parce qu’elles refusent de se déjuger
Parce qu’elles ontvécu par procuration
Parce que tuer l’espérance est désespérant
Parce qu’elles ne peuvent pas croire au pire
Parce que le futur est plus angoissant que le présent
Parce que vivre dans la souffrance est devenue un savoir
Parce que personne n’a jamais compris
Parce qu’elles ont été détruites
Parce qu’elles ont honte de dire ce qu’elles ont accepté, pas su comprendre, supporté, demandé
Parce que tout laisser est injuste
Parce que le coût de la dénonciation est surhumain
Parce que, pour partir, elles doivent abandonner leurs enfants
Parce que tirer un trait sur un passé exige un immense courage
Parce qu’ils les ont menacées de mort
Parce qu’ils exercent des chantages à l’enfant, aux enfants
Parce qu’elles risquent, à les quitter, à les fuir, à les dénoncer, leurs vies
Parce qu’elles savent qu’ils ne les lâcheront pas, qu’ils les poursuivront sans relâche
Parce qu’elles sont réalistes
Que valent, en l’occurrence, les « droits des femmes » ?
Pour une femme libérée, combien sont-elles mortes d’avoir voulu être libres ?
Les femmes assassinées ne sont plus là pour exiger des réponses