Marcelle Capy  et  Marcelle Capy

A bas les Armes !

date de rédaction : 01/01/1932
date de publication : 1 janvier 1933
mise en ligne : 17/12/2014
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Nous vivons un temps dont on ne peut dire s’il est un temps de paix, ou seulement une trêve entre deux guerres. Encore cette trêve est-elle si gonflée de souffrances, de misères, d’angoisses et de désarroi qu’elle apparaît comme une forme de guerre frappant les populations rejetées du travail – hommes, femmes, enfants, vieillards ; ouvriers, paysans, intellectuels, gens de classes moyennes ; foules sur les quelles s’abat l’insécurité du pain, du toit, du nécessaire immédiat et encore plus de l’avenir.

Les êtres qui, en ce moment, se demandent dans l’angoisse : Pourrais-je manger demain ? sont semblables au soldat qui se demandait dans els tranchées : Serais-je épargné demain ?

Et ils sont des millions qui tremblent d’inquiétude et de froid au seuil de cet hiver, dont personne ne sait comment il finira.

Les canons se taisent. Mais la faim crie. Le froid crie. Le cœur crie. La détresse détruit la santé, abat les courages, anémie les corps et les âmes – use les adultes et les enfants, tue les énergies par le lent étouffement des multiples privations, affole la jeunesse qui se sent murée sans espoir.

On appelle cela : la crise économique.

Si l’on cherche les causes profondes, on trouve que c’est la suite logique et fatale de la dernière guerre.

La grande détresse d’aujourd’hui paie – si l’on peut dire – l’absurdité et le crime d’hier. 1

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Quelle fut la réalité de la guerre – c’est seulement en voyant cette réalité qu’on ne comprendra les conséquences ?

La guerre de 1914-1918 tint mobilisés, pendant quatre ans, 60 millions d’hommes en Europe. Douze millions furent tués. Cinquante millions de litres de sang furent répandus sur la terre. Et si l’on alignait les cercueils des victimes, cela ferait un chemin de mort de 6.500 kilomètres, la distance de Paris à Bombay.

La somme de douleur que représentent 12 millions de morts, 20 millions de blessés, 5.669.000 mutilés (pour l’Europe), je n’en parle pas. C’est une souffrance si vaste qu’il est impossible de l’exprimer. Le cœur seul peut en capter un écho au fond du silence.

Je dirai simplement que ces millions d’Européens supprimés représentaient ce qu’il y a de plus fort, de plus jeune, de plus vigoureux et, peut être de plus intelligent – des générations qui joueraient aujourd’hui un rôle de premier plan. Elles furent fauchées – mais la force des choses est plus juste que les hommes, et l’on devrait un jour, fatalement, s’apercevoir du vide creusé dans les rangs humains.

Ce jour est venu.

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La guerre n’a pas coûté que des hommes. Elle a aussi coûté beaucoup d’argent.

D’après les chiffres du trust des banques américaines, la guerre a coûté environ 1.812 milliards de francs - or, c’est à dire 9.060 milliards de notre franc-papier.

C’est une somme tellement considérable que personne ne comprend ce qu’elle représente. Il y a là, un exemple de la tragédie de ce temps qui compte par millions et par milliards, se meut dans des chiffres astronomiques – et n’y comprend rien.
Combien de braves gens sont émus à la vue d’un chien blessé par une auto – mais trouvent tout naturel que 12 millions d’hommes soient tombés à la guerre.

Ils ne comprennent pas.

Un économiste américain, M. Victor Bergé, député du Wisconsin, afin de faire toucher du doigt la réalité de cette dépense considérable, a calculé ce qu’on aurait pu en faire. Et voici le résultat auquel il est arrivé.

Avec l’argent qu’a coûté la guerre, on aurait pu donner une maison coutant 75.000 francs à chaque famille : des Etats Unis, du Canada, de la France, de l’Allemagne, de la Belgique et de la Russie.  On aurait pu meubler chacune de ces maisons d’un mobilier valant 25.000 francs, et remettre à chaque famille une avance de 100.000 francs.

Il serait encore resté assez d’argent pour pouvoir donner à chaque cité de 200.OO habitants de tous les pays cités plus haut : 125 millions pour les bibliothèques, 125 millions pour les hôpitaux et 125 millions pour les universités. Il serait encore resté un capital qui, placé à 5 % aurait permis de payer, à raison de 25.000 francs par an : 125.000 maîtres d’écoles et 125.000 infirmières.

C’est à dire que l’on aurait pu sauver de l’insécurité, délivrer de la misère, de l’ignorance et du manque d’hygiène, presque toute la population blanche du globe. Au lieu de cela on a dépensé cette richesse fabuleuse pour faire tuer 12 millions d’hommes, pour apprendrez aux noirs de l’Afrique le maniement des armes - ce dont ils se seraient bien passé - 2 et aboutir à la détresse universelle d’aujourd’hui.

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La guerre nous a légué des cimetières et des ruines. Elle nous a légué aussi les traités dits de paix et qui sont, en réalité, des sources de conflits. Inspirés par la vengeance, ils ont fait de l’injustice un dogme et de l’Europe un chaos.

Le traité de Versailles est une absurdité. Celui de Trianon ne l’est pas moins. Ils sont dictés par la haine et par un esprit que l’on peut appeler préhistorique.

Pressés de laver leur conscience – on a pas besoin de laver que ce qui n’est pas propre – les hommes qui ont signé à Versailles se sont empressés de rejeter toutes les responsabilité sur le vaincu, imitant l’antique coutume du bouc émissaire chargé des péchés d’Israël. Alors qu’on laissait, par exemple, le Kaiser prendre paisiblement sa retraite, on condamnait tout le peuple allemand – même les enfants.

Et puis, à une époque où la locomotive et le moteur cousent les routes aux routes et enserrent l’espace dans l’étreinte mouvante et de plus en plus exacte des vitesses et des échanges, on a divisé l’Europe en vingt six Etats, inventé 7.000 kilomètres de frontières de plus qu’auparavant et décrété : - Cela ne bougera plus.

C’est de la démence, car c’est aller contre les nécessité essentielles des temps modernes. On ne découpe pas impunément les terres et les peuples. On ne taille pas impunément dans la vie et on ne va pas sans accident en sens inverse du mouvement général du temps – mouvement qui ne dépend pas de la volonté des hommes, mais de la force même des choses.

On en rend compte de l’absurdité des traités quand on voyage un peu à travers le contient. Il n’est pas rare, dans l’espace de quelque vingt heures, de traverser trois, quatre frontières. À chaque frontière, il faut montrer le passeport et donc justifier politiquement de sa nationalité. Avant la guerre, le passeport n’était exigé que dans la Russie des Tsars. Depuis, on a fait beaucoup de progrès : on l’exige partout.

De chaque côté des frontières, il y a des gendarmes qui diffèrent par l’uniforme, la consigne et le langage – mais ils se ressemblent, car, au fond, le type du gendarme est international.

Le passeport n’est qu’une étiquette et le gendarme qu’un personnage symbolique. Après la politique, vient l’économique. A chaque frontière, il y a  la Douane – et les mains des douaniers en fouillant vos valises vous enseignent que le nationalisme économique - de plus en plus agressif – s’ajoute au nationalisme politique – qui n’en est souvent que le camouflage – rendant impossible toute organisation réelle de la paix.

Evidemment, derrière ces barrières – et à cause d’elles – des mouvements chauvins se développent. Chaque pays a aujourd’hui son national-fascisme. D’un côté et de l’autres des frontières, les nationalistes ne parlent pas le même langage, ne chantent pas les mêmes chants guerriers et ne glorifient pas les mêmes grandioses souvenirs historiques – car il y a partout de grandioses souvenirs historiques…mais ils se ressemblent. Le nationalisme moderne est un produit international.

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Pour terminer l’exposé de ce passif – qui a abouti à la situation grave que nous connaissons – il faut ajouter ceci : on a laissé faire, et les peuples ont leur part de responsabilité, car ils ont assisté passivement à l’effondrement de leurs propres espérances.

Les hommes avaient supporté des souffrances inouïes en disant : «  Nous nous battons pour que cette guerre soit la dernière. » Et quand la voix des canons s’est tue, ils ont oublié.

Ils n’ont eu qu’un désir : ne plus penser. Ils ont abandonné tout contrôle et tout examen. Ils ont laissé faire, laisser aller – et remis le sort de l’avenir entre les mains des mêmes vieillards et des mêmes incapables qui n’avaient su ni éviter, ni abréger le massacre.

La souffrance avait duré trop longtemps. Le ressort moral en était brisé. Pendant des années, les hommes rejetant leur raison et leur âme, se sont complus dans une existence artificielle, vide et plate. On a vécu «  à la petite semaine », sans vouloir regarder plus loin. Époque de dancings, de plaisirs frelatés, de jemenfichisme intégral : époque d’impuissance et de corruption. Tourbillon de marionnettes e farandole de spéculations.

Pendant des années, les foules on idolâtré des pitres, des boxeurs, des stars de cinéma, des coquins « arrivés », des bluffeurs professionnels et la médiocrité royalement installés dans la routine ou la «  combine ».

Fausses inquiétudes, fausses prospérités, fausses valeurs : artifice de mensonge. On s’est saoulé d’indifférence. Jamais peut être la valeur humaine n’avait été aussi méprisée, la sincérité aussi «  démodée », la conscience aussi décriée comme un article « pas à la page ».

- Faut pas s’en faire… après nous, le déluge…

Non, pas après nous. A l’époque des chevaux –vapeur, la vie va très vite. Les effets suivent les causes, au rythme accéléré. Et la menace du déluge est sur nous. Tout se paie. Et la faim d’innombrables bouches paie déjà.  

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Pendant que les peuples s’entretuaient, pendant que les nations se ruinaient et pendant que l’humanité ivre dansait, il se passait un autre phénomène.

Les milliards de la guerre ne sont pas montés dans la lune. Ils sont allés quelque part. Ils ont servi à constituer ce sur-capitalisme parasitaire et international qui domine les nations, qui mène depuis des années la grande danse des spéculations et qui gouverne derrière les gouvernements réduits au rôle de figurants.

Quelques chiffres donneront une idée de la concentration ainsi opérée.

Il y avait, en Europe, avant la guerre, vingt personnes possédant plus de 500 millions de francs – or. Après, il y en avait dix fois plus. Le nombre de ceux possédant plus de 50 millions  de francs –or est devenu trente fois plus grand. Aux Etats-Unis où sont concentrés les plus gros profits, on constate que 86 familles avouent un revenu annuel dépassant quatre millions de dollars ; et 262 familles un revenu annuel dépassant 2 millions de dollars (déclarations du fisc 1928) Cette concentration de la richesse entre les mains d’une caste internationale coïncide avec la ruine des Etats, la suppression plus ou moins totale des classes moyennes, la trustification des moyens de production et d’échanges  - et aussi la trustification de la pensée.

Haute finance, haute industrie, haut commerce, haute presse – tout est entre les mêmes mains. Les rois du Profit – seuls vainqueurs de la guerre – ont accaparé par la puissance de l’argent, un pouvoir auprès duquel le pouvoir absolu des anciens rois apparaît dérisoire. L’humanité est asservie par une caste internationale, anonyme et irresponsable qui manœuvre gouvernements, diplomaties et opinons publiques  - jouant sur la carte du monde le jeu diabolique des ses intérêts particuliers, sans se soucier ni du bien, ni du mal, ni de la souffrance, ni de la mort.

L’argent peut tout : il tient tout.

Nos pères sont morts pour la Liberté et nos frères se sont battus pour le Droit. Or, nul n’est libre ni de vivre, ni de travailler, ni de langer à sa faim et nul n’a le droit de penser vrai. L’argent a tout accaparé et l’humanité a abdiqué son sang, son cœur et sa tête.

Il suffit à un individu quelconque de posséder un nombre respectable de millions - et peut importe comment – pour pouvoir créer un Etat dans l’Etat si tel est son bon plaisir, et jouer à pile ou face la vie des peuples si telle est son envie. Louis XIV faisait enfermer Fouquet. Les nations modernes se livrent corps et âmes à la souveraineté de l’or.

Les trusts de presse en sont un exemple.

Remarquons en passant que ceux qui s’érigent en professeurs de nationalisme sont précisément ceux qui, en fait, nient la nation en plaçant leur individualité et leurs intérêts privés (toujours internationalisés) au dessus de l’Etat et du peuple. Et la souveraineté nationale dont on parle tant est si inexistante que la Nation laisse toute licence au premier fou ou au premier malfaiteur venus qui peuvent empoisonner l’opinion publique, semer la panique, ameuter les haines, mentir, salir et provoquer les pays étrangers si bon leur semble, du moment qu’ils ont des millions à la clef. Seuls les millions sont souverains. Il faut justifier que l’on est sain de corps et de l’esprit pour conduire un autobus, un tramway, voire même un de ces trains de marchandises qui sont les escargots de la voie ferrée. Mais il n’est besoin ni d’être intelligent, ni d’être équilibré pour diriger un trust de presse. C’est inouï, mais c’est ainsi.

Constatons d’ailleurs qu’il en est ainsi parce que tout le monde s’incline ; parce que l’argent a corrompu et démoralisé l’esprit public ; parce que tous les pouvoirs spirituels ont honteusement trahi leur mission en s’agenouillant devant le Veau d’Or ; parce que l’idolâtrie de la Réussite et du Profit a perverti la conscience, obscurci le bon sens et détruit la dignité.

Quiconque critique âprement les idées, les paroles et les actes de son prochain immédiat – qui lui ressemble comme un frère – avale béatement, sans le moindre examen, les pires sottises, les pires mensonges, et les plus dangereuses provocations du «  bourreur de crânes » millionnaire, nouveau dieu qui trône sur un Sinaï de papier – monnaie. Et, pour comble d’ironie, il lui donne encore des sous…

Des milliers de Français, des milliers d’Allemands - des milliers d’autres – agissent ainsi chaque jour. La bêtise humaine est internationale. La corruption ne l’est pas moins.

M. Coty, chimiste odorant, M. Hugenberg, métallurgiste tonnant (directeur des usines Krupp pendant la guerre) – et leurs appareils – auraient bien tort de se gêner. Rien ne va plus, mais le jeu continue. Le traité de Versailles disait : Nous désarmons l’Allemagne afin de pouvoir ensuite désarmer à notre tour. Les années ont suivi les années. La crise est venue. La misère étreint le pauvre monde. On explique : «  Surproduction… et on croit avoir tout dit. Surproduction ! mot tabou que l’on répète sans comprendre. Regardons la réalité.

Trop de blé… on a détruit des tonnes de blé aux États-Unis et au Canada – mais les quelques cinquante millions de créatures rejetées du travail dans les nations, dites civilisées, manquent de pain. La famine menace.

Trop de coton – on  a détruit la récolte du coton en Louisiane et en Égypte. Mais j’ai vu, en Allemagne, des chômeurs obligés de laver leur chemise le samedi soir afin d’être propres le dimanche, parce que le respect humain leur commandait de sauver l’apparence. Ils n’avaient pas els moyens d’acheter des chemises de rechange.

Trop de souliers – mais les paysans de l’Europe Orientale allaient nus pieds, enveloppant leurs pieds blessés dans des chiffons.

Trop de machines – mais les paysans Polonais labouraient la terre avec des charrues de bois.

Trop de charbon – et on a froid. Les foyers européens sont éteints cet hiver.

Trop de café (le Brésil en a brûlé et noyé des tonnes) - et des milliers et des milliers d’hommes chaque matin, vendraient leur âme au diable pour un bol ; de café parfumée t bouillant.

Trop de choses dit-on – mais trop de faim et de privations voit-on.

À l’heure ou la machinisme multiplie l’homme et où la culture scientifique multiplie la terre, un fait est là, énorme, inexplicable : il y a disette. La famine creuse les côtes. Les enfants manquent du nécessaire. Les peuples s’anémient. Et la misère physiologique atrophie les corps et les âmes.

Surproduction ? – parce que sous-consommation générale. Crise de répartition. Crise parce que les égoïsmes particuliers spéculent sur la détresse collective. Crise parce que le Temps exige la circulation mondiale – et l’unité – alors que les intérêts acquis d’une minorité s’y opposent.

Mis ère des foyens. Misère des peuples. Pas d’argent.

Mais, cette année (1932), les nations dites civilisées trouvent 103 milliards pour les budgets des armements – et la France vient en très bonne place avec un budget réel d’environ 19 milliards.

On arme. On surarme. On n’a pas d’argent pour vivre. On en a de reste pour préparer la mort.

On sait bien pourtant que la course aux armements, c’est la course à l’abîme. On l’a constaté avec la guerre.

On sait que les canons, mitrailleuses et fusils ne sont pas faits pour le tir aux pigeons – et que les nations ont déclaré solennellement par le pacte Briand-Kellog que la guerre était un crime rejeté par la loi.

Bien sûr. Mais on sait aussi que l’industrie de guerre est une affaire de haut rapport. Et on n’a jamais tant armé qu’à la veille de la Conférence du Désarmement.

Au cous d’un de des discours, Aristide Briand remarquait que la Conférence du Désarmement risquait de n’aboutir à aucune solution, si minime fut-elle, si les opinions publiques n’exerçaient pas une forte pressions sur les gouvernements, ceux ci se heurtant à la résistance de « puissances occultes ».

Quelles sont ces puissances occultes ? S’agit-il du Père Éternel en personne ?  C’est plus grave. Il s’agit du Diable Éternel – de la démoniaque puissance de l’or et des égoïsmes monstrueux qui se nourrissent du sang des peuples comme les vampires des légendes se nourrissent du sang de leur victime. Il s’agit de la puissance froidement inhumaine des maîtres d’une industrie qui prospère uniquement sur la guerre et sur la mort : l’industrie internationale des armements.

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À première vue, on pourrait croire que les industries qui fabriquent le matériel destiné aux besoins de la défense nationale sont, par définition même, des industries strictement nationales. Or, il se trouve qu’elles sont aussi les plus internationales qui soient. Il en a toujours été ainsi. L’industrie des armements ne connaît pas de patrie. Elle fournit au plus offrant – et se sert du patriotisme comme article de publicité.

Alfred Krupp (le fondateur de la firme Krupp) était en bonnes relations d’affaires avec Bismarck aussi bien qu’avec Napoléon III 3 qui le nomma officier de la légion d’honneur – pour le récompenser sans doute de fondre des pièces d’artilleries qui allaient faucher les troupes françaises en 1870-1871.

De 1887 à 1912, la maison Krupp, d’Essen, usina 53.000 canons, dont 26.000 pour l’Allemagne. Les 2 .000 restants furent vendus à 52 pays différents. Et voilà bien du « travail » international.

Autre exemple : la firme Poutiloff, de Saint-Pétersbourg, forma en 1910 une communauté d’intérêts avec la banque de l’Union Parisienne qui lui avança 24 millions de francs, Scheider du Creusot et Krupp d’Essen. Ainsi Français, Allemands et Russes collaboraient à la fabrication des canons de 75 avec lesquels ils allaient quelques temps après se bombarder mutuellement.

Le trafic des munitions et matières premières nécessaires à leur fabrication se poursuivi internationalement pendant la guerre. On peut affirmer que sans ces échanges «  entre ennemis », les hostilités n’auraient pu durer.

Voici, les faits. 4

Les soldats allemands qui tombaient sur le front des Flandres étaient tués avec des obus sortant de chez Vickers, maison anglaise. Les fusées de ces obus étaient fabriquées selon un procédé de fabrication dont le brevet avait été cédé à la maison Vickers, par la maison Krupp d’Allemagne 5. Krupp réclama même, en 1928, devant les tribunaux anglais, la part de bénéfices lui revenant sur cette marchandise qui avait massacré les combattants allemands. Et cette part de bénéfices atteignait 1 milliard 76 millions de francs (un schilling par fusée).

De l’autre côté des tranchées, Français et Anglais, étaient fauchés par des obus sortis de chez Krupp, mais dont les fusées avaient été faites grâce au cuivre fourni à Krupp par les industriels français et anglais.
Les échanges se faisaient par les pays neutres : Suisse, Hollande, Danemark, Suède.

L’Allemagne exportaient des matériaux propres aux armements – elle exporta jusqu’à 250.000 tonnes, par mois, de fer et d’acier en 1916. Par mesure de réciprocité, les alliés lui fournissaient : du caoutchouc, du coton pour les explosifs, des graisses végétales, des huiles, du cuivre et du nickel.

L’Allemagne n’avait pas de nickel. Or, sans nickel, pas de grosse artillerie. Mais les Rothschild, rois du nickel en France, étaient les fournisseurs avec qui ils avaient un contrat «  dont faisait partie les cargaisons (de nickel) dirigées sur la Norvège, après l’ouverture des hostilités » – (Journal Officiel du 25 janvier 1919, discours du député Barthe).
La flotte anglaise qui combattit au Skager-Rak était équipée avec des instruments d’optique (Firing directors) fournis sis mois auparavant par les maisons Zeiss et Goerz, d’Allemagne.

Les soldats autrichiens mitraillés en Galicie, tombaient massacrés par les canons fournis à la Turquie par la maison Vickers et Armstrong, d’Angleterre. Il fut révélé aussi, à la Chambre des Communes, le 2 août 1926, par le député Ponsonby, qu’un croiseur anglais avait été coulé devant les Dardanelles par des mines vendues à la Turquie par une maison anglaise. M. Chamberlain, ministre des Affaires Étrangères répondit froidement, qu’il ne l’ignorait pas.

Les fils de fer barbelés qui entouraient le fort de Douaumont, à Verdun, et auxquels tant de cadavres allemands demeurèrent accrochés, avaient été fournis à la France, un mois auparavant par la maison allemande Magdebourger Drakt und Kebelwerke.

Dans le rapport qu’il a récemment déposé à la Commission de l’Armée (sur la proposition de loi N° 4.786 de M. Georges Ricard sur l’objection de conscience), M. Chouffet, député du Rhône, signale qu’un cartel international des explosifs fonctionna régulièrement en Suisse, pendant toute la guerre. Il dévoile également que «  pendant des mois et des mois, des trains entiers de sulfure de carbone étaient partis du Midi de la France à destination de la Suisse, en réalité de l’Allemagne, pour revenir après oxydation, sous forme de phosgène, sur les tranchées françaises ». 6

En janvier 1915, 200.000 kilos de cyanamide partaient de France – et devaient servir à fabriquer en France des explosifs. 7

Les industriels français que l’on appelait « les carburiers » - et qui furent acquittés par le Conseil de guerre de paris – avaient fourni à Krupp le ferro-silicium nécessaire à la constitution du stock de guerre allemand. L’Allemagne ne pouvait produire ce ferro-silicium indispensable pour l’industrie de guerre. Les « les carburiers » le lui fournirent.

Les bombes et les obus épargnèrent le bassin de Briey, tout le monde le sait. Et nul n’a le droit d’ignorer aujourd’hui la vérité de cette parole d’Anatole France : on croit mourir pour la patrie [et] on meurt pour les industriels. 8

La grande industrie de guerre – internationale- a «  emmilliardé » la caste des grands profiteurs, maîtres du monde.

Le plus puisant, le plus mystérieux de ces rois est sans doute Sir Basil Zaharoof, l’homme le plus riche de l’Europe. Il est si international qu’on ignore sa nationalité d’origine. Mais on sait que dès 1914 il était maitre de la firme Vickers (Angleterre) « entreprises aux quelles étaient plus ou moins grandement intéressés : 4 ducs et marquis, 50 comtes et barons, 20 chevaliers, 3 parlementaires, 21 officiers et 6 journalistes… il était, de plus, fortement intéressé aux firmes françaises ; Le Creusot, les aciéries d’Homécourt, les usines de Châtillon-Commentry, avec un capital total de plus de 400 millions de francs. » 9 Il « contrôlait » aussi la firme Poutiloff de Russie.

« La guerre mondiale le trouve au sommet de toute l’industrie des armes et munitions de l’Entente. L’Amirauté anglaise tenait, en permanence, un croiseur à sa disposition. »

Le roi d’Angleterre lui donna le titre de baron. La République française lui donna le grade de commandeur de la Légion d’Honneur. Le roi Alphonse XIII d’Espagne (aujourd’hui en chômage) lui donna sa cousine la duchesse de Villafranca, née princesse de Bourbon – et une commande de trois millions de livres sterling d’armements, comme cadeau de noce.

Il gagna des sommes énormes par la guerre des Boers, la guerre russo-japonaise, les guerres balkaniques, «  la grande guerre »… Il fut derrière le soulèvement des Druses, derrière la guerre du Riff, etc.…Et derrière, bien des tensions politiques qui lui permirent de vendre armes et munitions à l’un et l’autre des belligérants, sans distinction. Il a ses agents, des budgets secrets, ses services particuliers de police et d’espionnage 10, etc. ...

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Depuis la guerre, l’International des Armements continue. Elle fait de bonnes affaires. Les budgets en font foi.

Elle s’est agrandie et concentrée en même temps. Il n’y a pas que les canons. Il y a la chimie, l’aviation, le pétrole, etc.

La société Vickers, par exemple, construit des avions à Londres, au Canada, participe largement à la Nederladnske Gesellschaft de Dessau (Allemagne).

«  Le Konzern allemand de la chimie a conclu dès le 11 novembre 1919 un  accord avec les Ministère de la guerre française et la Société d’Etude, l’Azote… Pendant que dans la Ruhr, la population opposait une résistance passive à l’occupation des troupes françaises, se réalisait l’accord consacrant la constitution d’une industrie chimique de guerre française avec le concours des magnats de la chimie allemande. » 11 Etc.  

Evidemment, les trusts d’industries qui dévorent les budgets d’armements sont étroitement ligués pour empêcher le désarmement. Le moyen employé est, en général, la corruption.

Le scandale Shearer qui éclata aux États-Unis, en est une preuve symbolique. Shearer, agent de la publicité des grosses firmes de constructions navales fit échouer la 2ème conférence du désarmement naval (juin 1927) par un large «  arrosage » des milieux politiques, journalistiques, etc. Le Président des Etats-Unis ordonna une instruction pour «  excitation à la guerre ». Les profiteurs des armements (sous toutes leurs formes) subventionnent largement : hommes, journaux, mouvements nationalistes.

Ne sait-on pas qu’il y a eu derrière Hitler l’argent de l’industrie lourde ? Il a même été dit que le mouvement des « nazis » avait trouvé l’appui financier d’une grosse maison française de munitions…

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Aujourd’hui, la situation est particulièrement grave. On peut dire, sans pessimisme, qu’elle n’a jamais été aussi grave. La poussée hitlérienne, la crise économique, le protectionnisme fou qui sévit partout, les menées contre la Conférence du Désarmement, en sont des preuves évidentes.

On dit – et on écrit – que la guerre serait la seule solution pour résoudre la crise. Elle permettrait de liquider les stocks – stocks de marchandises, de matières premières, d’armements  - et aussi le stock du «  matériel humain » rejeté du travail.

Comme disait un paysan normand : - Si on ne peut pas nourrir les gars, ben qu’on fasse une guerre pour s’en débarrasser. Et j’ai entendu un Allemand désespéré qui s’écriait : S’il y a 20 millions d’Allemands de trop, qu’on ait la franchise d’ouvrir un abattoir…

Et j’ai vu des étudiants qui avaient du quitter le pays par famine, et qui ne pouvant gagner leur vie en travaillant, s’enrôlaient dans la légion étrangère – pour manger.

Quand la misère est telle que les victimes ne peuvent même plus réagir et s’abandonnent à la fatalité pour le morceau de pain immédiat, le déchainement d’une catastrophe devient aisé.

Ajoutons que dans certains milieux on considère qu’une guerre serait le seul moyen de détruire dans l’œuf des mouvements sociaux autrement inévitables  et des changements profonds qui s’imposent – par conséquent le seul moyen d’éviter toute révolution et même toutes réformes d’envergure et de sauver les privilèges acquis.

Liquidation des stocks, des créatures et des idées – liquidation générale… Ce serait, déjà fait, s’il n’y avait pas la Peur….

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C’est une des tragédies de ce temps : l’esprit humain marche avec une lenteur animale, tandis que la technique bondit au rythme accéléré des moteurs. D’où déséquilibre entre ce que les hommes pensent, et ce qui est dans la réalité des choses.

Ainsi, on en est encore à croire qu’une guerre pourrait être circonscrite et, serait, au pire, une copie de la « dernière ». En 1914, on en était encore, à concevoir la guerre « style 1870 ». Les faits montrèrent qu’il n’en était rien. Or, de 1918 à aujourd’hui, les changements opérés dans la technique de  guerre (et de paix) sont plus profonds que ceux intervenus entre 1871 et 1914. Le temps est devenu relatif : on a vécu plus d’un siècle en quelques années.

Que serait une guerre moderne ? 12

En quelques mots – et d’après les spécialistes - , - à peu près ceci.

Elle prendrait une forme intercontinentale à des fins d’extermination totale. Pour cela l’arme essentielle serait l’aviation. Il est prévu trois vagues d’assaut :

La vague explosive, destinée à jeter la panique dans la population des capitales et des cités industrielles ;

La vague incendiaire, destinée à porter la panique jusqu’à la folie. La bombe incendiaire dernier modèle, dite bombe élektron, dégage en brûlant une chaleur de 3.000 °. Une escadrille d’avions peut en transporter 72.000 environ :

La vague chimique, destinée à exterminer en masse les populations affolées. Il y a plus de 600 espèces de gaz asphyxiants, aussi meurtriers les uns que les autres.

Il existerait aussi des bombes dites « glissantes » qui n’auraient pas besoin d’être jetées par avions et que l’on pourrait diriger, même à une grande distance.

Enfin, la guerre microbienne est également prévue à l’usage des petites villes et des campagnes. À ce propos, citons ces lignes dues au lieutenant-colonel Vauthier (« Le danger aérien et l’Avenir du pays ») : «  L’action des  bacilles pourra être employée sur les hommes, sur les animaux et sur les végétaux. Sur les hommes, on peut tenter de diffuser la dingue au moyen de solutions physiologiques extraites des moustiques qui propagent cette maladie. On peut également propager la grippe, la varicelle, la dysenterie, le paludisme : pendant l’hiver, on propagera plutôt le typhus exanthématique : toutes ces maladies peuvent être diffusées par l’eau. Par l’air, on peut propager la variole, la parotidite épidémique, le choléra et la diphtérie… »

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Devant ces faits, on comprendra cet avertissement donné par M. Joseph Caillaux, ex-président du Conseil (août 1930) : «  Ne nous faisons pas d’illusion. La dernière guerre a été celle de l’artillerie lourde, des mitrailleuses et des sous marins ; la prochaine, si l’humanité est assez folle pour l‘accepter, serait une guerre chimique, une guerre de gaz. En 1914-1918, les combattants ont succombé par millions. En l’an X, qui, je l’espère, ne sera porté sur aucun calendrier, toute la population sera exterminée. Il n’y a aucun moyen de la préserver. »

Citons aussi cet avertissement autorisé du savant français Branly, l’inventeur de la T.S.F. : «  Incomparablement plus rapide et plus massive que la dernière guerre, la prochaine, au lieu de 8 ou 10 millions d’hommes en coucheraient 100 millions 13, c’est à dire qu’elle anéantirait en partie la vie humaine et qu’elle la ruinerait complètement : toute la production du travail humain y passerait et la civilisation n’y survivrait pas. »

Einstein lança de semblables appels.

Ajoutons qu’en octobre (1931), le Pape a lacé une encyclique en faveur du désarmement, de sorte que sil es catholiques du monde entier obéissaient à leur chef spirituel au lieu d’obéir à des intérêts et à des passions politiques, ils devraient tous lutter dans leur pays respectifs pour réclamer le désarmement.

Ainsi, c’est à un danger de fin du monde qu’ont abouti ceux qui président aux destinées de l’Europe et de la « civilisation ». Et on a laissé faire. Treize ans après la guerre, l’humanité est menacée d’extermination et sous couleur de « défense nationale » de suppression des êtres – et donc des nations. Et la foule des travailleurs, et des créatures normales (sic), a permis ce glissement vers l’abîme – cette immense trahison générale qui s’est arrogé le droit d’organiser la « purée universelle » et comme conclusion, le massacre universel !

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On en est là.

La situation apparaît comme une balance. Dans un plateau, il y a la folie de lucre et d’orgueil d’une caste internationale qui a usurpé la richesse et accaparé le pouvoir. Elle est prête à sacrifier l’humanité à son égoïsme et à sa démence – quitte à  tout perdre en perdant tout le monde.

Dans l’autre plateau, il y  au moins les cent millions de créatures directement menacées – les peuples dans leur ensemble, avec  leurs hommes, leurs femmes, leurs enfants ; leur passé, leur présent et leur avenir – leurs civilisations, leur travail, leur peine et leur espérance.

Qui l’emportera ?

La question ne se poserait pas s’il y avait une opinion publique résolue et saine, une classe ouvrière et paysanne unie et consciente, un corps social propre animé d’un esprit viril.

Le capitalisme nous a menés au seuil du gouffre –oui. Mais il y a eu la complicité des égoïsmes minuscules, des corruptions, des lâchetés, des divisions imbéciles, des ignorances complaisantes, des luttes fratricides et d’une passivité massive qui a abdiqué non seulement l ’intelligence et l’instinct de révolte, mais même l’instinct de conservation.

Ce qui est passé est passé. Un fait domine : la courbe du capitalisme a franchi son point culminant. Elle descend rapidement – et par la force même des choses. Les impuissances actuelles, la débandade présente de l’économie le prouvent éloquemment. Mais cette chute, précipitée par l’aveuglement de ceux la même qui la veulent arrêter – risque d’écraser cent millions de vies humaines et tout espoir de renouveau à venir (car on imagine aisément que les rescapés d’une guerre chimique et microbienne auraient reçu un coup de marteau dont ils ne seraient pas prêts de se relever, surtout avec la destruction environnante).

Les peuples le permettront –il ?s

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On dormait sur l’oreiller du papier monnaie.

Le papier brûle : faillites, chômage, crise financière, industrielle, agricole.

On se réveille. L’angoisse est partout. L’insécurité est partout.

Assommés par la « dernière », ruinés par ses suites, les hommes menacés dans leur vie, comment à se dire : Faudra t-il remettre ça ?

À eux de répondre. La fatalité n’est que la conséquence des ignorances et des passives abdications. Et la puissance des profiteurs de la Mort est faite de l’acceptation des victimes.

Personne n’a le droit aujourd’hui de se réfugier dans l’ignorance.

On sort de la guerre. On sait ce qu’elle est en réalité. Les ossements des morts ne sont pas encore complètement fondus dans la terre. L’oubli est sans excuse.

Et le temps commande.

La nécessité moderne impose la collaboration et la coopération de tous les peuples. Et la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général – du salut individuel au salut commun, par dessus les frontières, malgré et contre – la minorité avide et inhumaine des profiteurs et des pêcheurs en eau trouble.

Aucune nation ne peut vivre isolée. Aucun peuple ne peut se supposer hors de la collectivité humaine. L’intérêt de chacune est soudé à l’intérêt de tous. Et l’égoïsme moderne ne se confond avec la solidarité – par la force des choses.
Les routes des échanges commandent. Le monde va vers son unification. On s’unira dans la mort – ou on s’unira pour vivre. À choisir. On communiera dans l’asphyxie générale – ou on communiera dans le refus général.

Le temps de la Machine est international. Il faut le comprendre ou la machine brisera l’Homme.

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À côté de la vérité du temps moderne qui enchaîne les peuples et rétrécit l’espace, il est des vérités éternelles et simples.

Qu’un homme ait faim et froid ! qu’il souffre dans sa chair ou dans son âme – et nous souffrons tous – il souffre de la même manière à New York, à Londres, à Berlin, à Paris.

Dans la souffrance, l’homme est universel. Dans la souffrance, les hommes doivent de reconnaître et fraterniser.

Et c’est parce qu’aujourd’hui est le commencement de la plus grande souffrance, qu’il est aussi – je crois – le commencement de la plus grande espérance. Au paroxysme du mal est peut être – je le crois – le sursaut qui apportera le remède.

Semblables devant la douleur, les hommes sont aussi semblables devant le travail. Toute créature qui crée avec sa vie quelque chose d’utile ou de beau dans la vie – avec ses mains ou avec son esprit – est semblable. Devant le travail, l’homme est universel. Et c’est là qu’ils peuvent s’unir.

Les souffrances de partout, les travailleurs de partout parlent le même langage : le langage des larmes, du pain, de la création et de la justice – la langage universel de l’Homme.

Qu’ils le comprennent et qu’ils s’unissent, en masse contre le danger de la guerre. Il n’est pas possible que cent millions d’hommes se laissent asphyxier comme des punaises. Qu’ils le disent. Qu’ils le crient. Il faut opposer au front international des empoisonneurs et des mitrailleurs, le front international des vivants prêtes à revendiquer le droit de vivre – pour eux, leurs femmes et leurs enfants – par tous les moyens.

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Pour terminer, je dirai quelques paroles spéciales pour les femmes.

Les mères de tous pays, de toutes races ont une patrie commune. Et c’est leur maternité. Toutes pensent obscurément mais réellement, « je voudrais que mon enfant soit, au moins, un peu plus heureux que moi. »

Elles l’ont toujours pensé, par instinct – sans quoi elles n’auraient pas trouvé en elles la force de sacrifice nécessaire à la transmission de la vie. L’espoir, en avant, est la profonde vérité des femmes.

Jusqu’ici avec de grands mots, on leur a fermé la bouche et obscurci leur essentielle raison d’être.

L’heure est venue de rejeter les mots, les abstractions, les formules mortes et de crier, toutes ensemble, cette vérité du sans et de l’esprit : «  On ne met pas des enfants au monde pour qu’ils servent de sujets d’expérience à des marchandes de gaz asphyxiants, d’obus et de bombes. »

Les femmes ont une autre mission. Il ne suffit pas de défendre l’enfant et l’avenir. Il nous appartient aussi de défendre la personne humaine, sans quoi la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

Qui voudrait vivre dans le désert implacable de la solitude et de l’abandon absolus ? Et qui donc n’a senti le besoin éperdu de la chaleur du cœur, de la douceur apaisante et fortifiante de la pitié ?

Je sais bien que depuis des années, on chante sur tous les tons que le «  cœur n’est plus à la mode ». On a glorifié la muflerie intégrale, le cynisme et l’implacable. On a renié les valeurs sentimentales, les valeurs morales, les valeurs humaines.

C’était « vieux jeu ».

Il est des choses qui ne sont ni vieux, ni nouveau jeu. Elles ont de toujours, comme le souffle même de la vie.

Il appartient aux femmes de ressusciter le cœur. Et de rappeler cette vérité : un homme sans cœur n’est plus un hommes : un peuple sans cœur est déjà un peuple mort. Et si l’Humanité en arrivait à renier son propre cœur, elle en serait plus bonne qu’à descendre sous terre et à s’y dissoudre comme un  arbre pourri que la sève a abandonné.

Et je ne le pleurerai pas.

Je ne dirais pas : « aimons nous les uns, les autres ». c’est une parole trop grande pour la petitesse d’aujourd’hui. Je dirai simplement ; ayons pitié les uns des autres.

Ayons pitié de l’œuvre du passé dont nous sommes les dépositaires pour ce court moment qui s’appelle l’existence.

Ayons pitié des maisons de partout où l’angoisse présente précipite sa fièvre.

Ayons pitié de l’espérance – de l’avenir qui est entre nos mains et que nous avons la mission de porter plus haut – en avant.

Debout les vivants ! Et à bas les armes !

Que la levée en masse des consciences exige le désarmement, la révision des traités, le contrôle international des industries pouvant servir au meurtre et leur nationalisation, l’internalisation des aviations, la collaboration effective des peuples – le Pain et la Paix, pour chacun et pour tous.

Marcelle Capy

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Notes de bas de page

1 Note de l’éditrice. Ce texte ne peut être considéré comme un texte féministe. J’éprouve cependant, en sus de son intérêt, le besoin de le publier car il [m’] oblige à repenser les rapports entre le féminisme et le pacifisme.

2 Note de l’éditrice. On peut noter la faiblesse de la pensée anticolonialiste de Marcelle Capy. Plus loin, elle évoquera cependant « les nations dites civilisées ».

3  Correspondance d’Alfred Krupp et de Napoléon III, dont la lecture fut donnée au Reichstag, le 19 avril 1913, par Karl Liebknecht.

4  Faits dévoilés, avec preuves à l’appui, dans « L’internationale sanglante des armements » par Otto Lehmann, paru à la Librairie de L’Eglantine à Bruxelles, avec préface de M. Henri Lafontaine, vice-président du Sénat belge et président du Bureau International de la Paix.

5  Ces fusées portaient même l’inscription K.PZ 96 /04. Ce qui signifiait «  Krupp -Zünder 96-04)

6  Rapport Chouffet, député du Rhône. Voir également le Journal Officiel du 15 décembre 1929. p. 5357.

7  Journal Officiel. Séance du Parlement. 25 janvier 1919.

8 Note de l’éditrice. Lettre d'Anatole France. L'Humanité. 18 Juillet 1922.

9  Voir Le Crapouillot, numéro spécial sur les Anglais.

10  Giftgas in Deutschland, par Gunther Reimann Berli (suite effacée)

11 Note de l’éditrice. Source non citée.

12  « La prochaine guerre », N° 152 de la revue Vu (11 février 1931) ; Enquête de Victor Méric dans Le Soir ; La Patrie Humaine, par Victor Margueritte ; Rapport de la Conférence de Francfort, sur la guerre aéro-chimique, par la Ligue Internationale des Femmes pour la paix et la Liberté, etc.…

13 Note de l’éditrice. Les estimations concernant la seconde guerre mondiale (1939-1945) varient de 50 millions à plus de 70 millions de mort-es.


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