Harlor

Honneur féminin

La Fronde
13/03/1901

date de publication : 13/03/1901
mise en ligne : 03/09/2006
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L’histoire de Daria Nogaret - cette belle figure du roman de Daniel Lesueur - invite à reconnaître l’absurdité de la loi traditionnelle qui spécialise l’honneur des femmes dans un seul devoir.

Héroïne des toutes les noblesses, du courage le plus rare et de la plus ardente loyauté, Daria, pourtant, selon les sentences de l’opinion, n’est pas honnête. Car, libre, elle s’est jugée libre de disposer d’elle-même pour l’amour, pour un seul et grand amour. Plus, c’est au nom même d’un parfait idéal d’honneur de beauté morale qu’elle ne doit pas forcer les circonstances mais rester amante de longues années avant d’être épouse.

Sans doute, pèserait moins lourd sur elle l’antique conception de l’honneur féminin si elle était riche ; si, brillamment apparentée, elle pouvait rendre d’importants services ; et il va sans dire en outre qu’elle n’est point d’un de ces milieux sociaux où la morale a plus de sourires que de sévérités. C’est une femme du monde, mais que la ruine et la mort de son mari ont comme exilée des élégances, dépouillée du prestige des salons où régna sa jeune beauté, jetée au travail intrépidement voulu par une pauvreté qui, moins fière, eût immédiatement retrouvé le luxe. Et, c’est enfin, parce qu’elle s’est héroïquement déclassée qu’elle éprouve toute la rigueur du terrible préjugé sur quoi se fonde la distinction de l’honneur pour l’homme et pour la femme.

La question est donc bien posée. C’est la question des deux morales ou de la morale de sexe.

Toute la vie de la femme, dans la bourgeoisie surtout, est gouvernée par un commandement qui n’existe point - ou n’existe qu’en apparence - pour l’homme. Commandement d’ordre physiologique, exigeant de la jeune fille une vertu dont le jeune homme est dispensé, et qui même, le ferait ridicule, avec le temps ; de la femme, une fidélité qui est assurément un devoir aussi pour l’homme, mais un devoir alors comme platonique et dont la violation n’entache point l’honneur ; de la veuve ou de la divorcée non remariée une vertu pareille à celle de la jeune fille.

D’où vient cette loi particulière ? Est-elle légitime ? Et pourquoi trouve t-elle tant d’avocats intransigeants, fussent-ils hypocrites, parmi les femmes et dans les classes où elle est le plus tyrannique ?  

On connaît la vieille chanson, l’hymne au charme, à la grâce, au parfum de ces vertus féminines qui fleurissent le foyer, etc., etc….

Il en est de cette musique comme de toutes celles dont jouent les défenseurs des choses établies : air et paroles s’évanouissent quand la critique veut les saisir ; et ce qu’on découvre sous les mots et les sons en allés, c’est toujours l’égoïsme et l’orgueil de ceux qui firent la loi et la maintiennent, qu’il s’agisse d’une classe ou de classes sociales, où, comme on voit ici, de toute une moitié de l’humanité ayant su asservir l’autre moitié et prétendant lui prouver que d’être serve, elle est moralement supérieure.

La grande libératrice que sera la science, qu’elle est déjà, montre nettement l’origine lointaine de l’honneur féminin dans le triomphe de l’instinct viril de propriété sur l’être de faiblesse physique ; et la prétendue gloire particulière de la femme fut donc, en réalité, d’avoir dû subir la volonté du plus fort.

Quelle peut être en effet, pour l’époux-maître la première des vertus de l’épouse-esclave ? Et pour le père-maître, celle de la jeune fille ? Évidemment l’absolu respect de son droit de propriété. Autrement dit, l’idée chez la jeune fille et la femme qu’il y avait crime pour elles à se regarder, même un instant, comme libres de leur cœur et de leur corps. Et les siècles, de génération en génération, renforcèrent jusqu’au plus profond de l’âme féminine, ce dogme d’esclavage, en firent pour la conscience de ses victimes, une beauté, une noblesse, enfin, cet idéal du haut duquel, dans nos sociétés, les honnêtes femmes (ou les comédiennes d’honnêteté) excommunient les créatures, souvent très nobles, qui ont le courage d’un choix libre.

L’immémorial impératif de l’égoïsme et de l’orgueil masculin fait encore illusion à la très grande majorité des femmes. Elles voient la dignité du Féminin exactement comme il plut à l’homme dès les premiers temps de sa farouche domination.

Qu’elles se demandent en quoi vraiment consiste l’honneur et s’il n’est pas bien seulement là où l’homme le met pour lui.

Je parle d’honneur au sens le plus élevé et en même temps de la façon la plus générale : l’honneur de l’honnête homme, non celui des professionnels de l’honneur, des petits M. de Camors1 à qui leur honneur permet des infamies, voire des crimes.

L’honneur dont je parle, c’est la fleur de la conscience ; je dirais volontiers de la sur-conscience, et encore faut-il que celle-ci soit libre et non le produit d’une exaltation de préjugés.

La sur-conscience issue d’un réflexion profonde, voilà l’honneur.
Or, quel peut être le but de la vie pour un vrai sur-conscient ? Vivre en beauté. En d’autres termes, il voudra le plus grand développement possible de ses facultés hautes, et ces hautes facultés sont nécessairement des facultés bonnes.

L’homme le meilleur est celui qui est le plus lui-même, car être soi-même, être son maître, c’est avoir repoussé toute domination intérieure, n’obéir à aucune impulsion et tendre sans cesse au perfectionnement de son « moi ». Eh bien, comment l’amour serait-il une faute pour cet individu réellement supérieur - homme ou femme - quand aucune circonstance ne s’ajoute qui puisse le lui défendre ? Quand sa raison la lui montre légitime ? Quand il se sent libre se d’y livrer, libre pour lui et la personne aimée ?

Il n’y a qu’un honneur ou il n’y a pas d’honneur.
L’honneur viril est un mensonge si ce qu’on appelle l’honneur féminin est une vérité. Mais c’est bien celui-ci qui est faux, et c’est donc le droit d’aimer qui est la vérité pour la femme comme pour l’homme, sous les conditions que j’ai dites.

D’ailleurs, y a-il rien de plus humiliant pour la femme que le sens tout sexuel du titre d’honnête femme ? Quel mépris cela suppose de l’intelligence et du caractère féminins, puisque cela la déclare, en somme, indigne d’un autre éloge, incapable de servir la communauté humaine par une activité dont l’importance ferait nécessairement d’une certaine vertu ce qu’elle en fait pour l’homme.

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Notes de bas de page
1 Note de l’Editrice : roman d’Octave Feuillet.

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