Vilkens

Six mois en Russie : La femme

Le Libertaire

date de rédaction : 24/06/1921
mise en ligne : 03/11/2006
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Tout au long de l’année 1921, Vilkens « ouvrier charpentier syndiqué » comme il se présente lui-même, publie dans Le Libertaire, sous le titre « Six mois en Russie » une série d’articles passionnants sur la vie quotidienne en Russie - mais il rencontre aussi Lénine et Kropotkine - quatre ans après la révolution de 1917.
Il consacre un article spécial particulièrement intéressant à la situation des femmes. Le voici.
1 


En Russie, la femme doit travailler de même que l’homme. Cela suppose qu’elle doit trouver un travail en rapport avec ses forces dans des conditions qui lui permettent de vivre, sans être forcée de recourir à l’amour vénal.

La plupart des compagnes et des filles d’ouvriers travaillent dans les usines et ateliers où elles sont soumises au même régime que les hommes. Nous en avons rencontré beaucoup à la réparation des chemins de fer, à la décharge des wagons, à l’enlèvement de la neige en ville, au balayage des rues, aux nettoyages de toutes sortes, à l’expédition des marchandises dans les hôtels, les hôpitaux, les casernes.

Des milliers de femmes de la grande ou petite bourgeoisie et ouvrières des métiers du luxe ont dû chercher de l’ouvrage. Mais la répartition des besognes entre les femmes est loin d’être équitable. Pour obtenir certains emplois plus recherchés que d’autres, on use de recommandations plus ou moins influentes.

En Russie, comme ailleurs, les jolies filles paient de leur corps l’entrée dans les commissariats où, au chaud, pendant six heures en théorie, elles n’auront qu’à gratter du papier sans grande fatigue.
Pour garder une place enviée ou en obtenir une meilleure, nombre de femmes font des avances à leurs supérieurs. Les commissaires, grands ou petits, les hauts employés de toutes sortes profitent de la situation et choisissent leurs maîtresses parmi les filles de l’ancienne noblesse et de la bourgeoisie, lesquelles trafiquent de leurs grâces pour se placer dans uns situation privilégiée.
C’est ainsi que l’on trouve en Russie des femmes élégamment vêtues, superbement logées qui peuvent payer 20.000 roubles pour se faire coiffer, 5.000 roubles pour se faire les ongles, qui ont des autos à leur disposition et qui exhibent au théâtre des robes de soie, diamants, bijoux, tout comme au temps du Tsar.
Le peuple appelle couramment ces sortes de femmes des Sod-Kom (maîtresses des commissaires), de même qu’il appelle les profiteurs de la Révolution des Sou-bourg (Bourgeoisie des soviets).
Dans un même commissariat ou bureau, il existe des différences entre celles qui ont un protecteur et celles qui sont forcées de se vendre.

Actuellement, la femme est considérée en Russie, comme un instrument de plaisir dont on se sert à son gré ; elle ne peut opposer une grande résistance aux appétits sensuels masculin parce qu’elle a faim. Celle qui a le courage de refuser à qui détient quelque pouvoir s’expose à sa vengeance.
Voici quelques faits entre mille.

À Moscou, la crise du logement est aiguë, mais X…, commissaire de la Tcheka, logeait magnifiquement ses trois maîtresses. Toutes trois, officiellement, travaillaient dans un commissariat.

À l’hôtel Dielvoy Dvor où nous habitions, il y avait de jeunes et jolies femmes de chambre d’extraction ouvrière naturellement. Maintes fois, nous avons pu voir les Tchékistes chargés de la surveillance sens emparer de gré ou de force ; l’une d’elles servait de jouet à quatre. Elles devaient se résigner : un mot de ces personnages eût suffi à les faire renvoyer.

Dans le courant d’août, arriva à l’hôtel une jeune fille arrivant de Petrograd, jolie, intelligente et parlant quatre langues. Pendant dix jours, elle chercha en vain un emploi. Comme elle était sans ressources et sans logement, elle fut obligée de se prostituer aux délégués, pour le lit et le billet de repas. Après en avoir connu plusieurs, elle eut la chance de tomber sur Raninez, délégué du Mexique. Il se maria avec elle suivant la loi soviétique et l’emmena dans son pays, aux frais des Soviets.  

Les délégués étrangers étaient assiégés de femmes qui venaient de tous côtés leur confier leurs misères et leurs privations et s’offraient comme esclaves à perpétuité pour être seulement emmenées en Europe. Elles devenaient amies intimes pour un dîner, une invitation au théâtre, une promenade en auto.
Certains délégués avaient jusqu’à six maîtresses à la fois. Les socialistes italiens avec à leur tête B., ont battu le record, point gênés de promettre - certains de ne pas tenir - à des malheureuses de leur faire quitter la Russie.

À Kharkow, nous avons trouvé une jeune fille de 17 ans qui avait été déplacée de Petrograd, à huit jours de voyage de sa famille, parce qu’elle s’était refusée à son chef de bureau. À Kharkow, elle fut remarquée par un des plus redoutables Tchékistes et, finalement, pour échapper aux vexations et aux misères, elle se résigna à vivre avec un commissaire de ravitaillement à l’armée.

Dans nos voyages, nous constations que les wagons de Tchékistes et commissaires contenaient toujours des filles. Elles nous expliquaient : « Nous sommes forcées de mener cette vie de contraintes et de perpétuel voyage en butte aux caprices d’hommes brutaux et souvent ivres parce que, autrement, nous serions dans un abandon plus douloureux encore ».

Nous connaissions un secrétaire de syndicat qui avait quatre dactylos ; toutes les quatre faisaient vie commune avec lui.

Un communiste, inspecteur du travail, habitait au Dielevoy Dvor avec ses deux secrétaires pour maîtresses dans la même chambre.

Les élèves des écoles militaires de Kiew et de Moscou étaient servis par des centaines de filles qui leur servaient aussi de maîtresses.

Des milliers de femmes traînaient avec l’armée rouge pour les commissaires, les officiers, voire les soldats et dans les services auxiliaires.
Aussi la syphilis, déjà très répandue au temps du Tsar ronge terriblement le peuple russe.

Le communiste bien connu Radek avait des secrétaires partout. Nous-même, nous avons connu quatre des belles secrétaires de Radek.

À part les privilégiées - momentanées - de ce régime, ce système n’est pas fait pour attirer à la révolution, la population féminine.

La femme voudrait être libre autrement qu’en théorie, libre économiquement, d’abord ce qui est la base de toute liberté. 2

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Notes de bas de page
1 Ce texte a été publié dans « Cette violence dont nous ne voulons plus ». N° 5. Juin 1987. p. 37-38
2 En N.B, à la fin de cet article, j’avais ajouté ce commentaire suivant :

«Nous aimerions savoir ce que les historiens de la révolution soviétique, soviétologues et marxistes pensant des problèmes abordés dans cet article et des raisons pour lesquelles cette réalité de la vie de millions de femmes fut occultée (et plus particulièrement de : )

- L’appropriation des femmes et notamment de la bourgeoisie et de la noblesse par la nouvelle classe dirigeante et les alliances de classes qui en ont résulté.

- L’utilisation des femmes du prolétariat dans ses emplois qui - sous couvert d’égalité - pouvaient s’avérer être plus durs que ceux des ouvriers et dont il est plus que probable qu’ils ont aggravé les conditions de vie d’un grand nombre d’entre elles.

- Le droit au travail des femmes maintenues dans une logique de dépendance personnelle bien proche de la prostitution… sans oublier les pratiques des délégués de l’Internationale communiste, comme des nouveaux dirigeants ».


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