Dr Madeleine Pelletier

Le célibat, État supérieur1

date de rédaction : 01/01/1923
date de publication : Sans date (Après 1923) 2
mise en ligne : 03/09/2006
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Le célibat n’est pas comme le prétendent les esprits attachés au passé, une marque d’immoralité, de corruption et de décadence ; c’est une conséquence de la civilisation et de la vie moderne dans laquelle l’unité sociale tend à n’être plus la famille, mais l’individu.

Les civilisations primitives ne connaissent pas l’homme seul ; moins encore la femme seule ; car dès avant la nubilité, la fillette est une proie livrée au mâle.
Dans l’Inde, chez les musulmans, en Chine, les parents marient dès l’âge le plus tendre, parfois dès la naissance, leurs enfants, et lorsque l’époque arrive de la consommation du mariage, les mariés ne se sont jamais vus.
Les Romains, très civilisés déjà, connaissaient les célibataires ; ils les chargeaient d’un impôt spécial, considérant sans doute qu’ils manquaient à un devoir envers l’Etat.
Au Moyen Age, le couvent est l’asile de l’homme, surtout de la femme qui n’est pas mariée. On ne veut connaître que deux états ; l’état de mariage ou l’état religieux.
Les parents qui ne peuvent donner à leur fille la dot suffisante pour la marier selon leur goût la mettent au couvent. On ne se préoccupe nullement de la question de savoir si la jeune fille a ou n’a pas la vocation religieuse ; le couvent est un débarras. Il est aussi un organisme de protection. Dans une société barbare, une femme ne peut vivre seule en sécurité ; les murs élevés et le caractère sacré de l’asile protègent les religieuses contre l’emprise des hommes.
Souvent le couvent, outre la congrégation, abrite dans ses murs des pensionnaires bénévoles : vieilles demoiselles ou veuves qui viennent y chercher la tranquillité, à l’abri des attaques masculines. Des demoiselles nobles, des filles de roi que, pour une raison, quelconque on n’a pu marier, viennent s’y réfugier ; le couvent alors s’adapte à elle : il perd de son rigorisme ; le parloir devient un salon élégant, on y donne des fêtes.

***

Même, pour l’homme, le mariage est l’esclavage, la perte plus ou moins complète de la liberté. C’est pourquoi le jeune homme n’envisage pas avec une joie excessive les liens d’une union légale.

Qu’un autre se marie
Je veux toute la vie
Faire la loi chez moi

La plupart préfèrent la vie de garçon avec la liberté sexuelle et générale qu’elle comporte. Dans la bourgeoisie, on pense qu’il serait imprudent de marier un jeune homme avant qu’il ait terminé ses études et acquis une « situation » qui le mette en état de subvenir aux besoins d’une famille.

Cette considération recule le mariage jusque vers la trentième année. La famille exige que la jeune fille soit d’un niveau social au moins égal et qu’elle ait la dot suffisante. C’est avec la dot de sa future femme que le jeune homme compte « s’établir ».

Le petit-bourgeois de situation médiocre, professeur, petit fonctionnaire, restent souvent célibataires par force. Les jeunes filles à belle dot ne sont pas pour lui parce que sa condition n’est pas « en rapport ». Lui, de son côté, ne veut pas d’une jeune fille pauvre qu’il est dans l’impossibilité d’entretenir. D’ailleurs, le petit-bourgeois vit « retiré » ; il a peu de camarades, il connaît encore moins de familles ; ce qui fait que les occasions de mariage ne sont pas fréquentes. Les années de jeunesse s’en vont et le petit-bourgeois prend son parti de « vieillir dans la peau d’un célibataire ». Il vit à l’hôtel et au restaurant. Quelques-uns se mettent dans leurs meubles et prennent goût à ranger leur intérieur ; ils contractent à l’endroit de l’ordre des « manies de vieux garçon ». Le soir, il va au café jouer aux cartes avec quelques camardes. Pour la sexualité, il utilise la prostitution réglementée ou libre ; beaucoup ont un jour chez une femme attitrée qu’ils entretiennent partiellement et partagent avec d’autres. Chaque amant a son jour et son heure déterminée, ce qui fait que les rivaux n’ont pas le désagrément de se rencontrer.

Dans la classe ouvrière, le célibat est moins fréquent. Les conditions économiques sont inférieures à celles de la petite bourgeoisie, mais les besoins sont beaucoup moins grands… Les relations, tout en étant restreintes sont plus faciles. Jeunes gens et jeunes filles font connaissance à l’atelier, au cinéma, au dancing : le plus souvent, dans la rue. La question d’argent ne préoccupe pas, on sait que l’on doit travailler pour vivre et aujourd’hui la femme mariée doit presque toujours travailler aussi, parce que le salaire du mari ne suffit plus.

L’ouvrier ne supporte pas aisément la solitude du célibat. Habitué dès l’enfance à vivre au coude à coude, dans un logement étroit, parfois dans une seule pièce, un logement, même une chambre où il vivrait lui apparaît « sinistre ». Néanmoins les difficultés de la vie, la crise des logements dans les villes tendent à raréfier les mariages dans la classe ouvrière. 

Beaucoup d’ouvriers ont appris à ne pas s’embarrasser de la légalité et vivent «  maritalement », c’est-à-dire en concubinage. La liaison dure plus ou moins longtemps. S’il y a des enfants, l’homme se sent un peu tenu, souvent, néanmoins, il se libère volontiers d’une union qui lui est à charge et abandonne les enfants et la mère.

Jusqu’à ces toutes dernières années où la femme commence à s’émanciper, la « vieille fille » ne restait jamais telle de son plein gré.

C’est surtout à la femme que l’on présente le mariage comme la plénitude de la vie, et à cette plénitude, toute voudrait y atteindre.

Mais si dans toutes les conditions sociales, l’homme jouit de la pleine liberté de ses mouvements, il n’en est pas de même pour la jeune femme.

Le jeune homme demande en mariage, mais la jeune fille doit attendre qu’on la demande. Pour l’homme, la laideur, à moins qu’elle ne soit repoussante, n’est pas un très grand obstacle au mariage. Mais la jeune fille doit être belle, assez belle pour être jugée « désirable », autrement, les prétendants ne viennent pas. Si la dot est considérable, la laide trouve preneur mais elle se rend compte qu’on n’a aucun amour pour elle et qu’on la veut seulement « pour son argent ». Elle préfère alors rester célibataire. Les couvents autrefois faisaient un sort aux « laiderons » mais, à notre époque, la vieille fille, surtout quand elle est riche, peut créer en toute indépendance une vie supportable.

Dans la petite bourgeoisie, le mariage de la jeune fille est difficile. Beaucoup n’ont pas de dot et vivent d’une petite situation : professeur, fonctionnaire, institutrice, employée. Leurs relations sont, en raison des mœurs, bien plus bornées que celles des hommes de la même classe. Jusqu’à ces derniers temps, « le professeur femme » ne voyait, durant toutes ses études, que des femmes ; elle était presque, à coup sûr, condamnée au célibat.

La « femme qui travaille » est depuis trop peu de temps dans les habitudes pour que les épouseurs admettent qu’une situation vaut une dot. Le petit-bourgeois qui pourrait épouser la petite-bourgeoise ne veut pas d’elle, il recherche la fille à dot qui ne veut pas de lui. D’autre part, la jeune fille, de son côté, si elle n’espère pas monter, ne veut tout au moins pas se marier trop au-dessous d’elle. Plutôt que d’unir son sort à un ouvrir grossier et brutal, elle préfère rester vieille fille.

Ah si vous saviez comme on pleure !
De vivre seul et sans foyer

Le mariage et le foyer sont en effet, les symboles officiels de la vie heureuse et les invités à la noce ne manquent pas de souhaiter aux nouveaux mariés beaucoup de bonheur. Ce bonheur est souvent conventionnel.Durant les premiers temps, lune de miel, c’est-à-dire la durée d’une lune, un mois, le mariage a l’attrait de la nouveauté. La sexualité satisfaite avec une nouvelle femme, souvent vierge, donne un grand plaisir à l’homme et presque toujours une grande désillusion à la femme.

Mais rarement le bonheur des époux persiste après une longue cohabitation ; les divorces de plus en plus nombreux en sont la preuve. La majorité des ménages ne divorcent pas, mais leur union n’est qu’apparente. Très souvent, c’est non seulement l’indifférence, mais la haine qui s’installe au foyer sur les ruines de l’amour. Cette haine éclate sous les plus futiles prétextes : une viande mal cuite, une porte restée ouverte, et voilà les aigres propos, les reproches, les injures. L’acte sexuel réconcilie « au lit » les belligérants, mais le lendemain, la guerre recommence. Ah si j’avais su ! Mais on est lié par des intérêts multiples, par les enfants. Lorsque le ménage est aisé et cultivé, il présente toutes les apparences de l’accord, les étrangers sont dupes.
C’est dans l’intimité, portes closes, que l’hostilité éclate.

Car, à peu près toujours, le mariage est mal assorti. L’argent et les sens ont été ses seuls guides.  Le mari de La Sonate à Kreuzer de Tolstoï ne peut s’en prendre qu’à lui d’avoir été trompé par les artifices de la féminité.  L’homme n’envisage la femme qu’au point de vue sexuel ; une belle intelligence, loin de l’attirer, le repousse, mais il ne résiste pas à un joli visage, à des bras blancs et bien dessinés, à des seins bien formées et bien fermes.
Il ne réfléchit pas que la vie sexuelle ne prend qu’un temps très court comparativement à la vie en général.
Le bonheur et le malheur de la vie ont leurs sources dans l’intelligence et dans le caractère. La belle personne à cervelle d’oiseau connaît son pouvoir et elle s’en sert. Elle imposera à son mari sa conversation niaise, ses goûts inférieurs. S’il est intelligent, il sera incompris, humilié, bafoué, on ne le laissera pas travailler en repos, on ridiculisera son œuvre. Toute cela, en somme, sera mérité ; l’époux aurait dû s’élever assez au -dessus des conventions pour comprendre que le sexe n’est pas tout dans la vie.

En dépit de « La Prière » de Gounod, l’homme célibataire n’est pas malheureux. D’abord, il a la paix ; quand on est seul, on ne se dispute pas. Il a ensuite un très grand bien : la liberté. De ses sorties, de ses rentrées, de ses dépenses, il ne doit de compte à personne. La perte de la liberté est un des pires désagréments du mariage et même de l’union libre. Il faut rendre compte de ses moindres actes. Où es-tu allé ? - Qu’as-tu fait ? Les menues dépenses sont passées au crible, critiquées. Aussi a -t-on comparé le mariage à une chaîne.

La liberté du célibataire a, il est vrai, pour contrepartie, la solitude. On a besoin de se sentir aimé, de confier à quelqu’un qui les partage, ses déboires, ses chagrins et aussi ses joies, ses espérances. Le célibataire se dit que, s’il était marié, il pourrait trouver dans son conjoint un confident affectueux. Illusion très souvent. Dans le mariage ou dans le célibat, la solitude morale est la même. C’est en vain que le jour du mariage, on adjure les époux de ne faire qu’un ; ils sont deux, rien à faire et chacun reste enfermé dans on égoïsme.

L’homme, à vrai dire, se passe facilement d’affection. C’est pour lui que l’amour est avant tout un acte matériel. Profondément égoïste, il n’aime guère que lui-même. Rare est le mari capable de se dévouer à une femme que la maladresse accable, à une vieille mère ou à un vieux père infirme. Ceux qui le font sont hautement louangés parce qu’ils sont exceptionnels.

De même qu’il n’aime pas, l’homme s’accommode volontiers de ne pas être aimé. N’étaient le confort matériel et la satisfaction des sens, le foyer ne serait guère pour lui qu’une source d’ennui.

Il paraît que les célibataires se suicident plus facilement que les hommes mariées « Vœ soli », malheur à l’homme seul, cela tient avant tout à ce que la société, organisée par la famille, ne l’est pas encore pour l’individu.

Si l’on rencontre assez souvent le petit fonctionnaire méticuleux dans son intérieur, le plus fréquemment l’intérieur du vieux garçon est à l’abandon. S’il est dans ses meubles et pas assez riche pour prendre une domestique, son logement est un taudis. Élevé dans le principe de la spécialisation des sexes et d’après lequel faire le ménage est une chose à la fois fastidieuse et dégradante pour un homme, il n’a même pas le courage de faire son lite et vit dans une malpropreté abjecte.

A-t-il un déboire, une maladie, il se sent cruellement abandonné dans son logis repoussant et il arrive qu’il perde courage.

D’autre part, on ne saurait nier que dans le mariage, la conception du devoir envers une femme, envers des enfants puisse retenir dans la vie l’homme marié enclin au suicide. 

La vieille fille est beaucoup plus malheureuse que le vieux garçon. La société qui est largement ouverte à l’homme est fermée à la femme. Tout est organisé pour que la femme se marie et vive sa vie d’épouse. Si elle ne se marie pas, elle est, en quelque sorte, hors des cadres sociaux.

En province, la vieille fille était un personnage ridicule. Éternelle enfant, elle vivait chez ses parents dans une tutelle que les rides et les cheveux blancs ne venaient pas relâcher. Ses parents morts, la vieille fille ne trouvait pas l’indépendance car les mœurs et ses propres préjugés la condamnaient à une vie de demi - nonne. Tapie derrière ses volets à peine entrouverts tout en faisant du crochet, elle surveille les allées et venues des passants et des passantes. Prendre le prochain en défaut est sa principale préoccupation. Elle se venge de sa vie manquée en recherchant les adultères et les jeunes filles en faute. Parfois, elle écrit une lettre anonyme qui mettre la désunion dans le ménage heureux. Sa seule distraction est l’église où on lui donne un rôle. Elle dirige les enfants de Marie, fait le catéchisme aux futures communiantes, organise des sociétés de prière. Mais le clergé la déteste parce qu’elle le surveille dans ses mœurs.

Les camaraderies superficielles que le vieux garçon trouve au café, la vieille fille ne les a même pas.

L’éducation qu’elle a reçue lui a appris à considérer toutes les femmes comme des rivales. De caractère méchant, elle aime à décrocher le mot envenimé qui brise dans l’œuf toute amitié.

Beaucoup plus que l’homme cependant, la femme a besoin d’affection. Durant toute son enfance, on lui a fait entrevoir un avenir d’amour, on lui a montré le bonheur dans le dévouement et elle a besoin de se dévouer, d’aimer, de chérir. Elle envie le sort des mères et elle embrasse passionnément le marmot barbouillé de la voisine. À défaut d’enfant, elle adopte un chien, un chat, un perroquet ; elle les choie et en même temps, les tyrannise, comme elle aurait fait de ses enfants, si elle avait pu en avoir. Les animaux par leurs ébats mettent un peu de vie dans le logis silencieux.

Rarement, la vieille fille est sale dans son intérieur. Pour vivre en taudis, il faut qu’elle ait une tare comme l’alcoolisme, la morphinomanie ou la folie. Si elle est normale, son logis étincelle d’ordre et de propreté. Elle tient à prouver à elle-même et aux autres quelle ménagère elle aurait pu être si la mauvaise chance ne l’avait pas bannie du mariage.

Pour un homme, le célibat ne comporte pas la chasteté. Des boutiques d’amour sont ouvertes à son intention et, s’il lui faut de l’argent, toutes les satisfactions lui sont offertes.

Rien de semblable pour la vieille fille. Tant qu’elle est encore jeune, elle trouve dans la rue maintes invites. Mais toute son éducation s’élève contre l’idée d’accepter de telles offres ; elle aimerait mieux mourir que de suivre ou d’amener chez elle un homme qu’elle ne connaît pas.

Heureusement, l’abstinence sexuelle est loin d’être une torture. C’est surtout pour la femme que la sexualité n’est qu’une fonction secondaire. Si elle est vierge, ses sens, faute d’aliments, ne s’éveillent pas. Quelques vagues désirs, des rêves érotiques sont les seules occasions où « la nature parle ». La vieille fille souffre beaucoup plus du manque d’affection que de la privation charnelle.

La vieille fille ne se suicide pas. Sans doute elle demande moins à la vie que son confrère le vieux garçon et, mieux que lui, elle sait remplir son existence de mille riens qui rendent le désert habitable.

***

En dépit de ses tristesses, le célibat est un état supérieur ; c’est avant tout pour cette raison que l’église catholique l’impose à ses prêtres.

La vie de l’homme marié est remplie de petits succès, de préoccupations mesquines. Le philosophe, le savant, le littérateur, l’homme politique tombent en se mariant au-dessous d’eux -mêmes. Le souci de faire vivre la famille, de lui faire tenir son rang contraint l’intellectuel idéaliste à se changer en un professionnel. L’amour de la science ou de l’art, le dévouement à l’idée font place au désir unique de gagner le plus possible d’argent.

Une femme préoccupée avant tout de faire figure dans le monde, d’en imposer par ses robes et ses colliers, met tous ses soins à faire descendre dans la réalité un mari trop enclin au rêve et celui-ci d’ailleurs, en cette matière, se laisse facilement conduire.

L’occupation la plus intellectuelle transformée en routine professionnelle perd tout son attrait et, bien avant la vieillesse physique, l’homme est usé intellectuellement. Incapable d’apprendre, il n’est plus bon qu’à suivre les voies qui lui ont été tracées dans sa jeunesse. L’apôtre social, le philosophe et le savant originaux doivent lutter contre leur famille pour pouvoir travailler à leur idéal. Le fils de Blanqui voulait que son père « cessât de faire de la politique  » !

Dans la classe ouvrière, le « militant » doit lutter contre sa femme. C’est elle qui l’empêche de faire grève, de suivre un groupement d’avant -garde, de prendre part à une manifestation séditieuse. Tout comme la bourgeoise, la ménagère pense que la seule affaire sérieuse est le soin de gagner de l’argent. Tout ce qui menace le bien - être du ménage lui apparaît comme une folie insigne.

Si l’homme supérieur se rabaisse en se mariant, que dire de la femme supérieure ? À moins de trouver son égal, ce qui est rare, le mariage d’une femme intelligente est un suicide moral. Nombre d’épouses perdent dans le mariage tout le bénéfice d’une éducation brillante ; le piano, le chant, la culture, tout sombre dans la préoccupation terre-à-terre d’une plate vie quotidienne.

Le célibataire a beaucoup de temps à lui parce que, dans son genre de vie, les soucis matériels sont réduits à leur minimum. Sa vie cérébrale est de ce fait beaucoup plus importante que celle de l’homme marié. Il a du temps et des forces de reste ; à côté de sa profession, il prend volontiers un « violon d’Ingres » : il apprend une langue étrangère, s’occupe d’une science ou d’un art. L’ouvrier se donne tout entier à un apostolat politique, à une coopérative, à un syndicat, à une société de secours mutuels, il apprend la musique et fait partie d’une chorale, etc.

Le célibataire reste jeune d’esprit beaucoup plus longtemps que l’homme marié. La vieille fille est en outre bien plus longtemps jeune de corps ; car si la demoiselle de trente ans paraît vieille, celle de cinquante ans ne paraît pas son âge. Elle n’est pas usée par les maternités et par les soucis continuels d’un ménage. Les enfants qui grandissent ne sont pas là pour accuser la vieillesse ; tant qu’il n’est pas malade, le célibataire se sent toujours le même ; pour savoir qu’il pourrait être grand père, il lui faut faire des calculs.

La vieillesse du célibataire est triste ; sa faiblesse abandonnée n’est soutenue par aucune affection. Les longues nuits sans sommeil dans la chambre solitaire, avec les pensées lugubres de la mort possible, sont peut-être ce qu’il y a de pire au monde.

L’homme marié, la femme mariée, entourée de leurs enfants, de leurs parents, dans l’appartement animé ne connaissent pas cet abandon.

Néanmoins, il s’en faut que la vieillesse des gens mariées soit toujours heureuse. Elle ne l’est guère que dans les milieux cultivés et riches où on ne manque de rien et où on est assez opulent pour ne pas désirer trop avidement un héritage.

Dans la classe moyenne, le vieillard vit seul. Ses enfants sont mariés et se bornent à lui faire des visites plus ou moins fréquentes. S’il vit avec ses enfants, il est en général très malheureux ; bien plus malheureux que s’il était seul. On lui donne la plus mauvaise chambre ; on le rabroue à tout propos. La vieille mère sert de bonne, et pendant que le jeune couple est parti s’amuser, elle reste confinée au logis, à garder les enfants. Si elle se plaint de ses infirmités, on lui répond durement ; parfois on ne se gêne pas pour lui dire le débarras qu’apporterait sa mort.

Dans la classe ouvrière, le vieillard est à peu près complètement abandonné par les siens. Les enfants ne veulent pas se charger de lui et son refuge est à l’hospice. S’il ne trouve pas de place, il vit dans une mansarde aux dépens de la charité publique et privée ; il mendie dans les rues, il se fait petit marchand s’il en a la force.

Chez les paysans, le vieillard marié vite en famille ; mais il y est très malheureux. Rudoyé, insulté, il sent qu’il a assez vécu et qu’il est de trop sur terre.

Les sauvages tuent les vieillards ; notre civilisation les tolère.
Seule une société rationnelle et raffinée leur fera oublier le mal de vieillir par un traitement de faveur.

***

Le célibat est l’état de l’avenir.

Autrefois, la vieille fille ne restait telle que par l’effet de circonstances malheureuses, mais aujourd’hui, à l’aurore de l’affranchissement féminin, nombre de jeunes filles, comprenant ce que sont pour la femme les réalités du mariage, renoncent à se marier.

La femme ne croit plus trouver le bonheur dans l’immolation de sa vie à un homme ; le prince charmant a perdu son prestige. L’homme ne saurait être le dieu de la femme ; bon ou mauvais, il n’est qu’un être humain, souvent moins intelligent qu’elle, parfois vulgaire et mesquin, grossier et brutal.

L’homme aime rarement la femme pour elle-même ; c’est pour lui, qu’il l’aime, elle est avant tout un objet sexuel qui, encore, ne lui plaira qu’un temps. L’attrait passé, l’épouse n’est plus pour son mari qu’une servante, plus ou moins relevée selon le milieu social.

Les religions ordonnaient aux femmes de se résigner et de tout supporter de leur mari : « La femme est comme un jardin » dit le Coran ; l’homme peut le bouleverser à sa guise.

Mais le célibat ne comporte pas nécessairement la chasteté. La vieille fille à perroquet n’est plus de notre temps ; c’est une victime du préjugé social. La sexualité n’est pas plus une honte pour la femme qu’elle ne l’est pour l’homme ; ce n’est qu’ une fonction physiologique, ni belle, ni laide ; la femme a droit d’y satisfaire, comme elle a le droit de manger et de respirer. Une société rationnelle en saurait considérer comme une faute, dans l’un comme dans l’autre sexe, l’acte de génération pratiqué entre adultes.

La femme affranchie n’a donc pas la haine de l’homme en tant que sexe ; elle ne déteste que la servitude et c’est pour y échapper qu’elle se refuse au mariage.

L’union libre préconisée par des personnes d’opinion avancée ne vaut guère mieux que le mariage. Son seul avantage est la facilité plus grande d’en sortir, mais avec ou sans maire, la servitude est la même. Du fait qu’il y a cohabitation, l’homme attend de la femme les services que son éducation l’a accoutumé à en attendre. La femme n’a le choix qu’entre la résignation à la servitude et une révolte de tous les instants qui détruit la pais du foyer. Dans « Le Compagnon », Victor Margueritte nous présente une avocate vivant en union libre avec un confrère. Elle le sert, s’occupe de son intérieur ; peu de chose la différencie d’une femme mariée. Son affranchissement n’est que formel.

Plus de cohabitation et c’en sera fini des haines familiales si bien décrites par Freud. Chacun vit chez soi et a des camarades de l’un et l’autre sexe.

Mais les enfants ? Évidemment, dans un tel régime, les enfants devront êtres élevés par la société. On admettra que l’enfant est un donc fait par la femme à la collectivité et pour ce don, on lui devra une récompense. 

Loin de souffrir, l’enfant sera au contraire mieux élevé, plus rationnellement, tant au point de vue physique qu’au point de vue moral et intellectuel. Le Freudisme nous a révélé ce qu’est en réalité la situation de l’enfant dans la famille. Loin de s’y plaire, il gémit sous l’autorité tracassière des parents, il les déteste et refoule en lui-même le désir morbide de les tuer. Sa plus forte aspiration est d’être plus grand pour s’affranchir et ne plus être humilié.

Les femmes aimant les enfants auront une carrière tout indiquée dans la maternité sociale.

Le sentiment maternel, tout en étant beau en lui-même par ce qu’il est altruiste, est cependant inférieur. Les femmes le possèdent en commun avec les femelles animales. La chatte lèche avec amour les petits sortis de son ventre qui dégagent son odeur ; elle repousse et brutalise le pauvre orphelin qui veut la téter parce qu’il dégage une odeur différente. La poule n’a pas de place sous ses ailes que pour les poussins qu’elle a couvés ; elle tue à coup de bec le poussin étranger.

La nature n’est pas bonne ; elle est féroce, au contraire. C’est la civilisation issue du cerveau humain qui remplacera la brutalité par de la bonté.

La fonctionnaire de la maternité sociale comprendre que tous les enfants ont droit aux soins et à l’amour.

Le célibat affranchira la femme, émancipera aussi l’homme.

Dans le mariage, l’homme est la moins asservi des deux, mais il l’est cependant. Le maître est en quelque mesure l’esclave de l’esclave.  

Les hommes savent cela fort bien ; c’est pourquoi, ils n’aiment en général pas le foyer ; seul le confort matériel les y retient parce que la société restant établie sur la famille, bien que la famille tombe en ruine, on ne trouve pas de vie confortable en dehors d’elle.

L’humanité de l’avenir vivra à l’hôtel.
Cette perspective peut provoquer des protestations, parce que l’hôtel, tel qu’il est aujourd’hui, est loin de réaliser l’idéal. C’est que aujourd’hui, il est adapté à sa fonction, qui est celle d’un abri temporaire. Lorsque l’hôtel sera la demeure permanente, on l’aménagera autrement.

Que n’a t-on écrit sur la poésie des vieux meubles que la famille se repasse de génération en génération. Ce n’est là que des conventions.  Les vieux meubles ont incommodes, anti-hygiéniques (lits clos) et leur vue engendre la tristesse. Les gens riches comprennent cela si bien que volontiers ils renouvellent leur mobilier ; mais les pauvres ne peuvent s’offrir ce luxe.

Les wagons de meubles et d’objets divers que chacun traîne après soi dans la vie ont quelque chose de la fixité des temps anciens. Ils encombrent l’existence et nous forcent à rester dans le même logement.

On entend encore aujourd’hui des vieilles gens se vanter de demeure depuis quarante ans dans la même maison. Il n’y a pas là de quoi se glorifier, bien au contraire. Un esprit vivant s’accommode mal de la fixité d’une huître.
L’hôtel donne la faculté de se déplacer. On change de quartier, on change de ville, une meilleure civilisation permettra de changer de pays, sans fortune, avec pour seul viatique sa seule force de travail. Mais l’hôtel devra être aménagé pour la vie commode et heureuse. La salle de bains dans chaque logement ; le cabinet de sudation, si salutaire ; l’infirmerie où l’on pourra trouver un lit si on a pris froid ou mal digéré ; avec une professionnelle experte aux soins des malades. L’hôtel actuel ignore les besoins cérébraux de ses habitants. Lorsqu’il a assuré la nourriture et le sommeil, il croit avoir accompli tous ses devoirs. L’hôtel futur connaîtra le salon de conversation, la bibliothèque, la salle de cinéma, etc.

Le grand malheur du célibat, c’est l’isolement. C’est par peur de l’isolement que les gens se précipitent dans le mariage ; ce mariage dût-il être un enfer.

Une bonne organisation de la vie fera que le célibataire ne sera plus un isolé.
À portée de main, il trouvera tout ce qui lui est nécessaire : le confort, les soins, la distraction, l’amitié.

Ceux qui se disent malheureux dans leur famille disent volontiers avec amertume qu’on ne choisit pas ses parents. En revanche, on choisit ses amis ; c’est pourquoi le célibat sera l’état supérieur lorsque la société organisera la vie, non pas selon les routines d’un passé d’ignorance, mais d’après la raison.

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Notes de bas de page
1 Imprimerie Caennaise, 16 rue Froide, Caen. Tel. 0-30. I0 pages.
2 Date de parution du Compagnon de Victor Marguerite cité dans ce texte.

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