Madeleine Pelletier

L’Ecole et la guerre

La Fronde
31/12/1926

date de publication : 31/12/1926
mise en ligne : 03/09/2006
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M. Herignhoc, professeur à la Faculté de Droit de Toulouse, vient de faire dans la revue « Scientia », un article sur « L’organisation rationnelle de la Société des Nations ». Il voudrait, outre ses organismes de défense directe contre la guerre, qu’elle organise l’éducation mondiale, par exemple en supprimant l’analphabétisme.

C’est très bien, mais je crois qu’on pourrait aller plus loin encore dans cette voie de civilisation.

Le peuple des ouvriers et des paysans est infecté de chauvinisme. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à essayer de converser en langue étrangère dans un cinéma ouvrier ou dans tout autre milieu populaire. Immédiatement, on s’attirera des réflexions désobligeantes : « Qu’est ce qu’ils baragouinent là ! Ne feraient-ils pas mieux de rester dans leur pays ! », etc.

Cette xénophobie du peuple ne pousse pas toute seule ; évidemment la tradition la transmet, mais l’école, telle qu’elle est aujourd’hui, ne fait que l’intensifier.

L’histoire est toute entière à réformer. Elle fait, on le sait, la première place aux guerres ; on peut dire même que, d’après les livres d’école primaire, l’histoire n’est qu’une succession de guerres et de traités.

Il faut écrire une histoire qui parle moins des rois, de leurs ministres et de leurs généraux et un peu plus du peuple. Comment on vivait dans les temps anciens, comment s’organisait le travail, quelle était la condition des ouvriers et des paysans. Comment vivaient les gens des temps passés, leur nourriture, leurs vêtements, leurs logements, leurs meubles. Quelle était la condition de la femme, comment était organisée la famille, quelle influence avait la religion, quels étaient les plaisirs, etc., etc.

Même aux petits enfants de primaire, elle pourrait faire un tableau résumé de toutes les nations du monde, avec leur langue, leurs gouvernements, leurs mœurs.

Parler des guerres ; il le faudrait, mais pour les flétrir ; dire de qui étaient composées les armées : comment se faisait le recrutement ; la vie du soldat, vie de brigandage, la peine de mort prodiguée ; dire combien peu alors comptait la vie humaine.

Après un tel enseignement ; le peuple ne croirait plus que les étrangers sont des sauvages et qu’il n’y a que la France de civilisée.

Dans la cour de l’école, on bannirait les jeux guerriers. On pourrait par exemple, pour les remplacer par quelque chose du même genre, mais avec une idée bienfaisante, faire jouer les enfants aux pompiers, aux sauveteurs, etc...

Je crois qu’il ne serait pas difficile, par un arrêté ministériel, d’interdire la vente de tout jouet militaire ; plus de fusils, de sabres, de casques, d’uniformes de soldat de plomb.
On pourrait remplacer, par exemple, les soldats de plomb par des joueurs de football, des athlètes faisant des exercices.

Rien ne vient dans le cerveau qui n’ait été avant dans les sens.

Quand on bannira tout bellicisme de l’éducation, il disparaîtra de la mentalité populaire.


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