lettres politiques
 Marie-Victoire Louis

Lettre à Jacqueline Victor - PS

date de rédaction : 12/06/2000
mise en ligne : 03/09/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Paris, le 12 juin 2000

Madame Jacqueline Victor
Secrétaire fédérale aux questions de société
Déléguée nationale à l’égalité professionnelle
Parti socialiste
Fédération de Paris du parti socialiste
5 bis rue Rochechouart. 75009 Paris

Par télécopie et par lettre.
01 42 82 99 32


Madame,

J’ai reçu une invitation à assister à un débat que vous organisez - dont vous êtes, en outre, la « modératrice » - le 19 juin 2000, introduit par Patrick Bloche, intitulé: « Violences faites aux femmes: Spécificité urbaine ? »

J’ai, à ce jour, entendu de nombreux questionnements - souvent fort incongrus - sur la question des violences faites aux femmes, mais c’est la première fois que je vois ainsi, en France, mettre relation un lien entre l’urbanité, (ou l’urbanisme?) et les « violences faites aux femmes ». Plus encore qu’une mise en relation, le terme de « spécificité » que vous employez signifie que les dites violences pourraient donc être considérées comme « spécifiquement propres » aux villes.   

Si l’on exclue l’hypothèse que cette nouvelle articulation puisse être considérée comme un progrès par rapport aux ‘analyses’ qui, dans une certaine bourgeoisie du XIX ème siècle, considéraient que ces violences relevaient d’une approche de la « ruralité », il n’est pas possible de ne pas analyser le titre que vous avez choisi comme une rupture politique avec plus de trente ans de débats théoriques féministes. Avec toutes les avancées législatives et jurisprudentielles que les féministes ont obtenues. Avec des siècles de luttes des femmes contre ces violences.    

Sans même évoquer la question de la ‘logique’ du raisonnement.

L’(ex) épouse d’un membre du gouvernement actuel a été battue par son mari: celui-ci, en cas de procès et/ou de divorce, pourra(it)-t-il invoquer, pour atténuer ou exclure sa responsabilité, la violence des banlieues? Ou la gestion de la Ville de Paris?

Que le parti socialiste, parti majoritaire du gouvernement de la gauche plurielle, par votre intermédiaire, puisse proposer un tel débat - et regrouper des (organisations) féministes sur ce thème - m’apparaît particulièrement grave. En outre, selon moi, celles-ci participent - qu’elles le veuillent ou non, et je sais que beaucoup ne le veulent pas - à la caution d’une telle ’problématique’. À cet égard, le point d’interrogation que vous avez introduit ne change pas la teneur de ma critique: vous procédez, de fait, à un changement de paradigme analytique.

Il faut noter, en outre, qu’à ma connaissance, c’est la première fois depuis des années que le P.S organise un débat sur ces violences masculines - terme qu’en pure logique, vous n’employez pas, à l’encontre des femmes. Catherine Morbois, heureusement, emploie ce terme, tandis qu’elle assigne au gouvernement le projet politique d’y « mettre fin ». En tout état de cause, le constat de cette « première » socialiste - qui renforce encore le poids symbolique de votre questionnement - révèle, en outre, ce que nombre de féministes dénoncent depuis si longtemps, à savoir la lourde, et ancienne, responsabilité politique du PS, en la matière. Comme du gouvernement Jospin.

Je considère, pour ma part, que l’intitulé de votre débat:

- vide de leur support théorique et militant plus de 20 ans d’activité, de recherches et d’interventions les associations des associations de lutte contre ces violences;
- revient à considérer comme clos les débats ré-ouverts par la revendication de parité entre hommes et femmes, comme sur la domination masculine.
- est en contradiction avec les conclusions de la Conférence de Pékin que le gouvernement français a pourtant  ratifié, au moment où l’ONU fait le bilan de Pékin, + 5;

Il n’est donc pas un hasard si aucun intitulé du débat que vous comptez organiser n’évoque la question, pourtant incontournable, de la critique - si dramatiquement nécessaire - de la politique du gouvernement Jospin en matière de lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Si tant est que le terme de « politique » puisse être employé.

Je tenais aussi à vous dire que je doute que votre initiative rehausse, en période électorale, l’image du P.S auprès des femmes et des féministes. Je considère même qu’un tel questionnement ne permet pas (ou plus) au PS de se présenter comme défendant les intérêts des femmes. Puisqu’en effet, toutes les femmes, sans exception, sont « concernées » - pour employer un terme bien peu rigoureux - par ces violences masculines. Et que tous les hommes le sont, encore plus. Car c’est en leur nom, et pour conforter le système de domination masculine - dont chacun d’entre eux, quelque soit sa sexualité, bénéficie, directement ou non - que ces violences sont exercées.

Je me permets, à cet égard, de vous rappeler que nombreuses sont les femmes et les féministes, et plus globalement les citoyen-nes, qui attendent toujours du gouvernement Jospin le vote d’une loi contre le sexisme, l’homophobie, le harcèlement moral. Ainsi que la réforme de la loi sur le harcèlement sexuel et notamment mais non pas exclusivement la suppression du principe légal (difficilement légitimable) du harcèlement sexuel entre ‘collègues’. L’AVFT a élaboré une proposition de loi qui ne demande qu’à être analysée, critiquée, proposée au Parlement et votée.

Je me permets enfin de vous rappeler que les associations de lutte contre les violences masculines, et moi-même, avons de nombreuses propositions de réforme de la justice qui doivent être prises en compte par le gouvernement. Il serait en effet temps que les droits des agresseurs, des violeurs, des proxénètes, des harceleurs ne soient plus - comme ils le sont actuellement - plus et (beaucoup) mieux garantis et défendus que les droits des victimes.
Que le ministère de la Justice n’ait même pas pensé, à l’occasion du vote de la loi sur la présomption d’innocence, à demander leur avis, leurs critique et leurs propositions de réforme à ces associations, donne, à cet égard, une bonne indication de l’attachement que le gouvernement porte aux  femmes, et plus globalement aux victimes.

Pour clore cette lettre - que, compte tenu de l’enjeu politique que pose l’intitulé de votre débat, j’ai décidé de diffuser - je regrette donc que votre initiative « à l’attention des adhérents - sans doute, auriez-vous pu aussi faire référence aux ‘adhérentes’ -du parti socialiste de Paris »  ait pu être pensée. Et lancée.

Je voulais aussi vous faire part de ma colère, lorsque j’ai pensé aux millions de femmes battues, violées, agressées, harcelées, prostituées, risquant ainsi d’être abandonnées à une violence sans explication, ni cause. Et donc sans réponse politique adéquate. Et ce, dans l’hypothèse où les critiques féministes de la domination masculine - dont ces violences sont à la fois la banale manifestation et la dernière arme de ce pouvoir menacé - ne sont pas repositionnées, comme elles doivent l’être, au coeur du questionnement sur ces violences.

Et donc, si l’hypothèse du lien que vous faites entre « violences faites aux femmes » et « spécificité urbaine » n’est pas, politiquement, formellement, publiquement, récusée.

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

Marie-Victoire Louis


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