Santé. Vie des femmes
 Marie-Victoire Louis  *

Éditorial

Génération sida
N°15. Oct-nov 1995

date de rédaction : 01/10/1995
date de publication : 01/11/1995
mise en ligne : 16/10/2006
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Tant qu'un seul être humain, petite fille ou petit garçon, un-e seul-e adolescent-e, un seul homme, une seule femme sera l'objet de violences sexuelles....

Tant qu'une seule femme sera mariée, sans son accord, avec un homme inconnu d'elle ; devra, du fait de la loi, de la religion et la tradition, obéissance à son mari; ne pourra lui refuser des relations sexuelles, au non d'un unilatéral et monstrueux "devoir conjugal" au risque en outre de sa propre vie et de celle des enfants à naître ; sera contrainte de vivre avec un mari polygame ; ne pourra le quitter, de crainte d'être battue, abandonnée sans ressources, tuée...

Tant que, pour une femme, le coût social d'un divorce ou d'une séparation sera supérieur à la honte d'avoir quitté un mari...

Tant que nos sociétés accepteront que fassent partie de leurs "valeurs" et de leur conception des "droits de l'homme" qu'un seul être humain puisse être acheté, échangé, enfermé, violé, dénué de tout droit, contraint pour un jour ou une vie, à subir des relations sexuelles sans pouvoir les refuser ; tant que la prostitution ne sera pas abolie...

Tant qu'un seul client pourra mettre au même niveau d'éthique son propre "plaisir" et la vie même d'un-e prostitu-ée, en exigeant une "passe" sans préservatif...

Tant que le discours sur la "liberté sexuelle" sera un substitut d'une analyse de la construction historique de la subordination sexuelle des femmes aux hommes...

Tant que se perpétuera la logique de la double morale qui recommande aux filles la virginité, la fidélité, la responsabilité de la contraception (pour celles qui peuvent y avoir accès) et aux garçons le port du préservatif...

Tant que l'on focalisera l'essentiel des politiques contre le sida sur le préservatif, sans s'interroger sur la capacité qu'ont les femmes d'en contrôler l'usage...

Tant que l'on dissociera le sida des maladies sexuellement transmissibles...

Tant que les lois nationales et internationales n'affirmeront pas, sans restriction, que les corps sont inaliénables, c'est-à-dire ne peuvent être l'objet d'un échange marchand, que les hommes et les femmes sont né-es libres et égaux en droits...

Les politiques conte le sida et les maladies sexuellement transmissibles, en faisant l'impasse sur la domination masculine, reproduiront nécessairement les fondements inégaux sur lesquels toutes les sociétés se sont bâties.

Elles seront donc inadaptées à leur objet de lutte.

Lorsque les femmes seront effectivement libres de faire ce qu'elles entendent de leurs propres corps et de leur sexualité, elles ne pourront plus être instrumentalisées par les politiques anti-sida, soit comme "vecteurs" de politiques étroitement "sanitaires" conçues par et pour d'autres qu'elles-mêmes, soit comme "cibles" des politiques anti-sida, responsabilisées, sinon coupables, mais sans pouvoirs.

Et ce n'est pas parce que les femmes représentent 40 %  des personnes touchées par le virus du sida; parce qu'elles sont "mères", "discriminées" ou "prostituées" qu'elles doivent être au cœur des politiques de lutte contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles, mais parce qu'elles sont des êtres humains.
Elles sont donc confrontées, comme les hommes, homosexuel-les ou hétérosexuel-les, à leurs responsabilités individuelles propres face aux défis que posent les multiples moyens de contamination du sida et des MST.

Mais il ne faut pas oublier que le virus leur est aussi – le plus souvent - transmis, sans qu'elles ne le sachent – par des hommes en qui elles sont censées avoir confiance. 1

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Notes de bas de page

1 Ajouté en mai 2003.


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