Algérie
Enlèvements d'enfants franco magrébins
 Marie-Victoire Louis

Les enlèvements d’enfants franco-maghrébins

L'Etat du monde 1986
Éditions La Découverte
p.503-504

date de rédaction : 01/05/1986
date de publication : 01/12/1986
mise en ligne : 03/09/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

L'enlèvement ou la rétention abusive d'un enfant par l'un de ses parents ils (dans la quasi-totalité des cas, ce sont des mères qui en sont les victimes) est une violence insupportable qui ne saurait se prévaloir logique de l'affection. Que penser en effet d'un amour fondé sur un traumatisme et une mutilation ?

Selon le ministère de la Justice français, six cents enfants sont enlevés en France chaque année, mais le chiffre réel est bien supérieur et le contentieux eux plusieurs milliers d'enfants.

Le Maghreb représente la moitié des cas recensés et l'Algérie - qui s'est jusqu'alors refusée à la signature d'une convention avec la France - compte 80 % de ces dossiers.

C'est dans ce contexte que des femmes agissant seules, puis regroupées des associations (Association nationale de défense des enfants enlevés, Ligue du droit des femmes, Collectif de solidarité aux mères d'enfants enlevés) ont publiquement posé le problème.

Novembre 1983. Lors de la visite en France du président algérien Chadli, une manifestation d'une trentaine de mères portant la photo de leur-s enfant-s enlevé-s est réprimée par la police devant l'ambassade d'Algérie.

JuiIlet 1984. L'opération « Un bateau pour Alger» devait réunir vingtaine de mères de différentes nationalités, accompagnées de membres d'associations et de journalistes afin de poser publiquement le problème. Le but était à la fois d'obtenir des autorités algériennes que les mères puissent voir leurs enfants et d'obliger les deux Etats concernés de reconnaître la nécessité d'apporter une solution juridique et politique au problème. Compte tenu des pressions exercées sur des associations affaiblies par l'absence de démocratie en leur sein, le hiatus entre les deux niveaux, "humain" et "politique" fut tranché dans le sens demandé par les deux Etats : deux heures avant le départ du "Bateau pour Alger", les organisatrices annonçaient, "voulant croire à la bonne volonté des États" et sans consulter les mères, l'annulation du bateau. Mais les pseudos promesses gouvernementales n'étaient suivies d'aucune concrétisation notable.

Mars 1985. Intervention à la session de la Commission des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies (ONU) à Genève.

Juin à novembre 1985. Cinq mères occupent l'ambassade de France à Alger qu'elles quittent sans leurs enfants, avec de vagues promesses.

Néanmoins, deux médiateurs (un Français et un Algérien) sont nommés tandis qu'une cinquantaine d'enfants dits "naturels" - statut non reconnu par le code de la famille algérien - sont renvoyés à leur mère en France, le plus souvent, sans ménagement.

Décembre 1985.. Faute de résultats concrets au terme des négociations bilatérales franco-algériennes, Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, part à Alger et revient en France avec les enfants de quatre de ces cinq mères avec la garantie du gouvernement français de leur retour en Algérie après les fêtes de Noël.

Au-delà de la dimension humanitaire de ce geste, les violations du droit français sur lesquelles s'est bâtie cette opération laissent mal augurer des bases sur lesquelles devraient s'engager les négociations et de n'être qu'une action sans lendemain. 1

Seule une réelle volonté politique - qui ne sacrifierait pas les femmes maghrébines vivant en France confrontées à la même situation - peut empêcher le très efficace enlisement juridictionnel observé au début de 1986.

Cette volonté devrait se fonder sur des principes clairs :

- Le droit de tout enfant à maintenir des contacts réguliers, et donc des relations affectives, avec chacun de ses deux parents, quel que soit le pays de résidence et la nationalité des parents et des enfants ;

- Le droit de chaque parent de maintenir des relations suivies avec son enfant ; le droit de visite doit donc être reconnu comme la contrepartie nécessaire du droit de garde.

Sur ces fondements peu contestables devraient pouvoir être concrètement affirmées les règles suivantes :

a) Reconnaissance par les autorités judiciaires et politiques que l'enlèvement d'un enfant, comme les entraves apportées à l'exercice du droit de visite et du droit de garde sont des infractions pénales, qu'il s'agisse d'enfants « naturels » ou d'enfants « légitimes ».  

b) Reconnaissance juridique (exequatur) accélérée, par l'Etat de l'autre conjoint, de la décision de justice prise par l'autorité judiciaire compétente.
Cette autorité doit être clairement définie, à l'instar des conventions franco-tunisiennes et franco-égyptiennes, comme étant celle de la résidence de l'enfant au moment du conflit (y compris pour les résident-es étranger-ères en France).

Il devrait donc être interdit à « l'auteur de la voie de fait de se prévaloir dans l'état de refuge de la situation nouvelle dont il est à l'origine pour demander un changement de garde.» (Convention de La Haye, octobre 1980).

Concrètement donc, aucun jugement d'un tribunal du pays où l'enfant a été déplacé ne peut être considéré comme valable si le tribunal du pays de résidence de l'enfant a été saisi.

c) Retour exigé, dans un délai le plus bref possible - car le temps est le meilleur atout du parent rapteur - à la situation ex-ante, en cas d'enlèvement.
Le principe selon lequel l'enfant doit être remis avant toute procédure de recours au parent titulaire du droit de garde ne doit pas être sujet à négociation.

En cas d'enlèvements survenus puis de longues années, des périodes régulières de visites trans-frontières doivent être programmées afin de reconstituer les liens affectifs entre l'enfant et le parent dont il a été séparé.

d) Affirmation de la responsabilité des Etats en cas d'enlèvements d'enfants, qu'il s'agisse de l'Etat refuge - dès lors le complice d'un acte illicite - ou de l'Etat où l'enfant a été enlevé qui ne mettrait pas tout en oeuvre pour prévenir ou faire cesser la situation de déplacement forcé d'un enfant résidant sur son territoire.
Citons, par exemple, parmi les mesures possibles: le contrôle effectif de sorties du territoire national, la défense de ses ressortissant-es qui, tout ayant un enfant avec un étranger, n'aurait pas pour autant répudié leur nationalité, l'information des consulats des mesures judiciaires prises, la mise en garde par le ministère des Affaires étrangères des ambassades étrangères, etc.

e) Suppression dans les pays où il existe (en Afrique du Nord notamment), du préalable de l'autorisation paternelle de sortie du territoire. Cette autorisation administrative - de fondement patriarcal - rend en effet caduque toute application d'une décision de justice et devrait être remplacée par le principe d'un droit de visite trans-frontières garanti par les gouvernements concernés.
Mais, pour que ces principes puissent être appliqués, encore faudrait-il pouvoir dépasser les logiques internes des Etats, comme fondements patriarcaux de leur mode de fonctionnement.
À cet égard, l'islam officiel apparaît comme un « empêchement » difficilement contournable.

Quand donc enfin reconnaîtra-t-on que l'enfant n'est pas un bien que l'on peut s'approprier et que le droit des personnes vaut bien des barils de pétrole ?

Retour en haut de page
Notes de bas de page
1 Ajout. Mai 2003. En 1988 une convention franco-algérienne, entrée en vigueur le 1er août a été signée. Pour une mise à jour de ce texte, on pourra contacter le Collectif de solidarité aux enfants enlevés. 9 rue des Chaillots . 92190 Meudon. Tel: (00 33 1 ) 45 34 49 10 ( de 9 h à 13 h) . Fax: 00 33 1 ( 46 23 11 64. E-mail: csmee@wanadoo.fr

Retour en haut de page