Marie-Victoire Louis

« Pour une loi antisexiste et antihomophobe »1

Maison des Sciences de l’homme
Séminaire : « Pour une critique sexuée du droit »
1999 - 2000
Samedi 27 février 2000
Assemblée Nationale.

date de rédaction : 01/04/2000
date de publication : 01/09/2004
mise en ligne : 16/10/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Un préalable

Proposer une loi, c’est ouvrir un débat, ce n’est pas le fermer. C’est ce que je vais tenter de faire. Mais pour que nous puissions tous et toutes réfléchir sur ces textes qui concernent notre avenir, certains préalables doivent être requis :

- Ne pas considérer que la loi serait du ressort des juristes, ni que les juristes soient plus légitimes que les citoyen-nes à penser la loi. La loi n’est que la mise en forme d’un projet politique.

- Refuser d’accepter comme pré-requis les contraintes qui nous sont présentées comme objectives et qui sont autant de limitations de la pensée. Les droits des femmes, les droits des homosexuel-les, les droits des citoyen-nes doivent être pensés par eux-mêmes et pour eux-mêmes.  

- Refuser d’accepter comme « réel » celui que l’on voudrait nous faire prendre comme tel, qui n’est que celui que les représentant-es des sphères dominantes, dans leur double visage étatique et patriarcal, voudraient nous voir intérioriser. Les militantes féministes des associations qui sont intervenues dans ce séminaire nous ont présenté un tout autre « réel ».

- Refuser d’invoquer, avant toute réflexion, le possible usage abusif de la loi. Déjà, à la fin du XVIII ème siècle, un réformateur social, Emile Accolas, avait déjà affirmé : « L’argument se fait vieux qui consiste à retourner contre la règle le péril possible de l’abus ».
C’est l’impunité du délit, en l’occurrence ici celui du sexisme et l’homophobie, qui fait scandale et non pas le possible usage abusif de la loi. Le terme même d’« abus » est d’ailleurs inapproprié car parler d’abus, ou d’« excès », c’est s’interdire de déconstruire la norme. C’est donc conforter et la norme hétérosexuée et la norme patriarcale.

Or, proposer une nouvelle loi, c’est, justement, poser de nouvelles hiérarchies, de nouvelles valeurs : la fonction de la loi est en effet de participer à la construction d’une société que nous sommes en droit de vouloir moins scandaleuse. Et donc de mettre à bas les fondements qui les cautionnent et les légitiment.

- Enfin, s’autoriser, sans être ni ministre, ni député-e, à dire : « Je propose… » ..

***

Je souhaite aussi dire que l’exposé que je vais vous présenter n’est ni la présentation d’un projet de loi abouti, ni même d’un raisonnement abouti. Il y a de nombreuses questions que je n’ai pas résolues. Il y a des points que je n’ai pas encore abordés. Cette présentation est un moment dans un processus qui doit se poursuivre ; c’est une dynamique qui doit se construire.  

Je vais donc vous présenter sur les fondements de la critique des deux propositions de lois actuelles que je vais vous présenter, mes propres propositions.   

Mais auparavant, je dois vous présenter l’évolution récente des éléments du débat.

Dans la première formulation de la présentation de ce séminaire, rédigé en août 1999, j’avais simplement écrit : « Pour une loi antisexiste : ou en est-on ? ». Je souhaitais, à l’époque, que nous fassions un bilan des aspirations, des demandes - voire des projets de rédaction en cours - qui se faisaient jour dans plusieurs associations féministes, notamment Mix-cité, les Chiennes de Garde, l’AVFT, concernant la loi antisexiste. Et puis, l’actualité de cette année - et notamment le dépôt, par le Parti Communiste d’un projet de loi [dont je n’ai eu connaissance que le week-end dernier, ce 9 février 2000] d’une « proposition d’une loi visant à combattre l’incitation à la haine homophobe » - a, politiquement, profondément modifié les données du problème. Et a un peu déséquilibré et mon temps et mon exposé.

Je vais donc rapidement - sachant que cette présentation ne résume pas le débat : je pense notamment aux articles de Marie-Jo Bonnet2 - vous dire comment j’ai analysé l’évolution de cette actualité. Et ainsi, poser quelques jalons.

Je vois trois moments dans cette évolution :

1) L’article publié dans le Monde du 26 juin 1999 : « Pour l’égalité sexuelle »3 rédigé par Eric Fassin et signé par de nombreuses associations homosexuelles, mais aussi féministes4.
Séduite par le projet affirmé, j’avais, dans un premier temps signé ce texte qui affirmait « revendiquer l’égalité. Non pas pour les femmes, non pas pour les homosexuels, mais pour tous et donc pour toutes ». Il se terminait cependant par cette phrase assez inquiétante : « Nous sommes les universalistes ».  

J’avais alors répondu à Eric Fassin, ainsi qu’aux associations signataires de ce texte, pour lui dire pourquoi je considérais que la comparaison qui était faite dans ce texte entre « les femmes » et « l’homosexualité » n’était pas acceptable.5 En effet, ce texte opposait un sexe, un seul, à une orientation, un choix, une préférence sexuelle qui, eux, concernaient les deux sexes.

Une fois encore - mais cette fois-ci, sans doute pour la première fois, non pas au nom de la « nature » ou de la « différence », mais au nom de « l’égalité sexuelle » - les femmes, et elles seules, étaient enfermées dans leur identité sexuée, tandis que les hommes comme sexe social dominant restaient dans l’angle aveugle de l’analyse critique. Une fois encore, l’analyse des rapports de pouvoirs entre les sexes - et donc celle du système patriarcal - était évacuée. Et par là même le féminisme.
Au nom du projet politique de revendiquer l’« égalité sexuelle » - auquel il est difficile de ne pas adhérer - , ce texte - de fait s’inscrivait, faute de la remettre en cause - dans la tradition patriarcale, dite « universaliste » et/ou « républicaine » - et perpétuait le maintien de la norme masculine dominante.
Maintenir l’apparente neutralité du terme « homosexualité » révélait notamment cette occultation du statut du « masculin dominant ».

La question à poser me semble se poser ainsi : si les homosexuelles des deux sexes ont en commun le fait d’être attiré-es sexuellement (de manière exclusive ou non) pour une personne du même sexe qu’eux ou qu’elles, et si du fait de cette sexualité, ils ou elles sont l’objet d’homophobie, les lesbiennes, seules, sont, en outre, victimes du sexisme.

Présenté autrement : si les homosexuel-les ont été et sont encore, discriminé-es, violenté-es, réprimé-es du fait de leur sexualité, réelle ou fantasmée, si nombre d’entre eux, nombre d’entre elles, ne partagent pas les valeurs et les normes patriarcales, hétérosexuelles, hétérosexistes et homophobes, cette réalité n’efface pas le système dominant masculin, sur lequel toutes les sociétés sont fondées. Oscar Wilde a été emprisonné du fait de son homosexualité, il n’en exerçait pas moins sur sa femme, un pouvoir - dont elle était dépossédée - que la loi et la société lui conférait. Ainsi, du seul fait de leur sexe physiologique, les hommes homosexuels, volens nolens, se voient conférer un statut dominant par rapport aux femmes, à toutes les femmes. Le déséquilibre de pouvoirs - pour employer un euphémisme - au sein des communautés homosexuel-les entre gays et lesbiennes voit sans doute là son explication principale.  

Lors du séminaire du 7 décembre, le débat a continué - en fait, entre féministes et entre femmes s’affirmant d’abord lesbiennes - notamment au cours du séminaire que j’avais intitulé : « Le féminisme est-il soluble dans l’anti-homophobie ?» Je dois dire qu’aujourd’hui, encore plus qu’alors, je considère ce titre comme pertinent. Et la question - et malheureusement sa réponse politique actuelle - comme fondamentale.

Quoi qu’il en soit, des divergences se sont fait jour, notamment autour de la question du statut - et de l’emploi même du terme - de « lesbophobie »6.

Mais quoi qu’il en soit, le refus de l’emploi du mot : « les lesbiennes », ou « lesbianisme », ne peut être interprété que comme un refus, au sein de l’homosexualité, de reposer à nouveau la question de la différence des sexes et donc de reposer la question de la domination masculine.

À cet égard, je voudrais dire que les associations « homosexuelles » sont rarement présentes - pour ne pas dire absentes - dans les débats, qui les concernent pourtant, tout autant que les féministes concernant la prostitution et les violences sexuelles.   

2) L’article publié dans la page Rebonds de Libération du 3 décembre 1999 présentant le « Manifeste pour une stratégie contre l’homophobie » lequel annonçait et présentait les grandes lignes d’une « stratégie » au sein de laquelle s’inscrivait la présentation d’une proposition de loi. Ce texte qui n’était qu’une partie d’un texte plus important que le précédant déjà évoqué, signé d’Act-Up, d’Aides, de SOS homophobie, mais aussi du Centre gay et lesbien de Paris, de la Ligue des droits de l’homme, du Collectif de lutte contre l’homophobie du Parti Communiste. En outre, plus fortement que pour le premier, plusieurs associations féministes l’ont signé : Pro-Choix, la Coordination lesbienne nationale, Planète féministe, Les Dégénérées, La Maison des femmes de Paris, Les Marie-pas claires, Mix-cité.

3) Le 9 février 2000, soit deux mois après ce manifeste, une proposition de loi a été déposée par le PC à l’Assemblée Nationale - que je n’ai pu lire que ce week-end, reprenant dans sa structure, quasiment à l’identique, à une importante distinction près, sur laquelle je vais revenir - les éléments de la proposition de loi que je viens d’évoquer.

4) Maintenant, du point de vue des associations féministes - dont il faut dire qu’elles se sont vues imposer, sur le plan politique et juridique, les termes du débat -  les données du problème ont aussi changé depuis quelques mois.

 - L’AVFT avait le 4 juin 1999, lors d’un colloque au Palais du Luxembourg, présenté une importante proposition de réforme des lois sur le harcèlement sexuel, dans laquelle elle a notamment inséré le harcèlement homophobe. Le projet n’a pas vraiment semblé intéressé les associations homosexuelles.

- Les Chiennes de Garde ont intégré dans leur projet, la demande de vote d’une loi antisexiste7.
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui.

Pour en revenir à l’intitulé de cet exposé, lorsque j’ai proposé, il y a quelques mois, ce titre : « Pour une loi antihomophobe et antisexiste » et alors que je ne connaissais pas encore les propositions de loi, je souhaitais toujours créer les conditions d'un débat, mais aussi affirmer un principe. À savoir que si je soutenais, comme je pense tous les progressistes, toutes les féministes, le principe et la nécessité d’une loi contre l’homophobie, celle-ci devait être nécessairement accompagnée d’une loi antisexiste, selon des modalités d’articulation juridique et politique entre elles à débattre.

Je savais déjà que l’hypothèse que seule une loi contre l’homophobie, déjà ‘lancée ‘,  puisse être proposée au Parlement et votée n’était pas exclue. Et qu’il y avait donc un danger - si les féministes n’y veillaient pas - à voir disparaître tout espoir d’une loi antisexiste.  

Quant au fond du débat, selon des modalités différenciées, mais non pas équivalentes, les féministes, les gays et les lesbiennes sont les victimes de l’universalisme mâle hétérosexuel qui s’est bâti, qui a été conceptualisé sans les femmes, et contre elles, sans les homosexuel-les, hommes et femmes, et contre eux et elles. Mais les hommes homosexuels, eux et eux seuls s’inscrivent aussi dans la norme patriarcale. Aussi, affirmer revendiquer l’égalité pour tous et toutes, affirmer défendre «  l’égalité des sexes » et «  l’égalité des sexualités » - ce qui ne peut être considéré comme équivalent et ce qui, pourtant, l’a été - ne peut être entendu si concomitamment et concrètement ne se mettent pas en œuvre des réflexions et des modalités d’action communes qui permettent à tous et à toutes d’être réciproquement solidaires sur des analyses dans les quel-les chacun-e est à sa juste place.
Il n’est donc pas question que les homos luttent pour les homos pour une loi antihomophobie et les féministes, pour une loi antisexiste, les lesbiennes étant une fois encore non reconnues.
Mais pour cela il faut que :  
- des débats aient lieu et ils n’ont pas eu lieu ;
- que des clarifications soient faites sur des questions essentielles.
Et qu’aucune revendication ne soit subsumée dans la problématique de l’autre.

Nous avons actuellement deux propositions de loi, la première rédigée plus particulièrement par Agnès Tricoire et Daniel Borillo ; la seconde qui émane du Parti Communiste, signée par 30 hommes, dont Robert Hue, Alain Bocquet, Patrick Braouezek, Maxime Gremetz, André Lajoinie et 3 femmes, (soit un rapport de 1 à 10) dont Madame Muguette Jacquain et...un-e Claude.8

Concernant cette proposition de loi communiste, je souhaiterais insister sur un point important : du fait de la participation du PC au gouvernement, c’est l’ensemble du gouvernement Jospin qui est concerné.

Je précise que, pour ce travail critique, je n’ai pas contacté les auteur-es de ces textes, parce que je n’ai pas eu le temps, même si ce contact aurait peut-être permis de lever certaines ambiguïtés, ou certains malentendus - voire ce que je n’espère pas mais qui ne peut pas être exclu - d’empêcher une erreur d’interprétation.

Ces deux propositions de lois - qui cependant ne s’intitulent pas de la même manière - sont, formellement, quasiment identiques. Je reviendrais sur leurs différences. Mais elles n’ont pas le même statut politique : la première a le statut d’une proposition de loi émanant d’associations, tandis que la seconde est, d’ores et déjà, enregistrée officiellement à l’Assemblée Nationale.
Mais la question des liens politiques entre les rédacteurs et rédactrices des deux lois doit être posée, et, plus précisément, la question de savoir si les associations ayant signé le projet que j’appelle, faute de mieux, « Borillo-Tricoire » vont politiquement soutenir le texte présenté par le P.C. Point par point.

Je vais donc maintenant présenter les deux textes, les analyser, et si nécessaire, les comparer. Je les comparerais aussi avec le projet de loi déposé par Yvette Roudy, ministre déléguée auprès du Premier ministre, Ministre des droits de la femme, du 9 mars 1983.
Et, pour ce faire, je vais distinguer - et c’est nécessaire - trois niveaux : d’analyse, en présentant séparément 1) les titres, 2) les exposés des motifs, 3) les textes des propositions de loi.
Ces trois niveaux correspondent à l’effet d’affichage pour l’opinion publique, aux référents philosophiques et politiques d'un projet, aux propositions de modifications législatives proposées. Ces trois niveaux doivent être cohérents, faute de quoi l’on peut penser qu’il y a des ambiguïtés - que l’on veut cacher et/ ou dont on n’est pas conscient - dans une loi. Ce qui est le cas ici.

Première remarque, fort importante, les intitulés de ces deux propositions de lois ne sont pas identiques :
- La première, s’intégrant dans « la stratégie contre l’homophobie », s’intitule : « Une loi contre  l’incitation à la haine sexiste et homophobe ».
- Celle du P.C s’intitule: « Proposition de loi visant à combattre l’incitation à la haine homophobe ».

a) Première différence, le mot « sexiste » n’existe même dans le titre de la proposition de loi du P.C. (rappelons qu’il avait « fermement apporté sa caution » 9 au projet de loi socialiste d’Yvette Roudy) alors qu’il a été repris dans la proposition de loi Borillo/Tricoire. Mais il faut souligner que ce terme n’a pas été repris dans le « Manifeste pour une stratégie contre l’homophobie » tel qu’il a été publié par Libération : Une première - importante - ambiguïté apparaît donc dans le projet Borillo/Tricoire, du  fait de la différence entre le titre de la proposition de loi et son support théorique public.

Si l’on s’en tient à son seul titre, ce projet est une avancée par rapport à la loi Roudy, qui, bien que qualifiée de projet de « loi antisexiste », ne comportait pas le mot sexiste ni dans son titre, même dans la loi. Elle s’intitulait : « Projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe ».
Ce projet  de loi, qui était issu d’un projet de la Ligue du droit des femmes datant de 197410, n’a pas été voté - ni même présenté à l’Assemblée - notamment du fait de la violence qui s’est déchaînée contre son principe même et contre celle qui l’incarnait, Yvette Roudy.

b) Dans les deux propositions de lois actuelles, il s’agit d’incriminer : «  l’incitation à la haine ». Le P.C. ayant ajouté les mots : « visant à combattre», ce qui est, bien sur, restrictif. Il ne s’agit donc toujours pas, au niveau du titre, de propositions de loi antihomophobie ou antisexiste. L’homophobie, le sexisme « ordinaire (s)», pour reprendre les intitulés des articles parus dans les Temps Modernes, ne seraient pas concernés, au niveau de l’effet d’annonce, par ces propositions de lois.
Ce dont il s’agirait, c’est de pénaliser, par la loi, « l’incitation la haine »...

Il importe donc de s’arrêter à ces deux termes : « l’incitation à » et « haine ».

*« Haine»  est, bien sûr, un terme très fort qui dès lors limite fortement la portée de la loi.
Si la phrase11 « les pédés au bûcher » prononcé lors de la manifestation des anti-pacs du 31 janvier 1999, ou si la traduction du mot « pacs » par le sénateur Emmanuel Hammel par « pratique de contamination sidaïque » relève sans doute de la haine et donc de cette loi, il n’en est pas de même pour l’expression de« sale pédé », de« sale gouine » ou de « sale pute ».  

Concernant la haine, j’ai cherché un équivalent pour les femmes du discours de haine sus cité. Le premier qui me soit venu à l’esprit est celui de : « Nique ta mère ». J’ai un peu réfléchi au lien que j’avais fait, car : « Nique ta mère » est une « incitation au viol ». Une des questions est donc de savoir si une « incitation au viol » peut être légitimement considérée comme - et est synonyme - d’« une incitation à la haine ». Non.

J’ai ensuite tenté d’analyser les différences entre la haine à l’encontre des femmes et des homosexuel-les.

* La haine contre les femmes - qui inclue les mères,12 les sœurs, les féministes, les prostituées, les ‘mal baisées’, les ‘chieuses’, les ‘connes’ etc...- est beaucoup plus banale, courante ; elle est beaucoup plus et mieux acceptée socialement. Elle est même partie intégrante de la « culture » notamment et sans doute plus spécifiquement « française ».
Aussi la plus grande violence qui puisse être faite aux femmes est que, notre société - dans ses instances de pouvoirs, la politique, la presse, la justice - ne reconnaît même pas « la haine des femmes », à l’inverse du racisme et de l’homophobie, comme explicative de la signification et des manifestations des violences à l’encontre des femmes.

Or, cette haine des femmes, enfermée par la presse dans la rubrique « Faits Divers », tue et tue souvent. Souvenez-vous de ce jeune homme qui, à l’Ecole Polytechnique de Montréal, avait abattu, après avoir séparé les hommes des femmes, 14 jeunes étudiantes parce qu’il « haïssait les femmes et les féministes » ? Mais souvenez vous aussi de la presse que quotidiennement vous lisez, des médias que vous écoutez. Tous les jours, des femmes sont tuées, violées, assassinées sans que l’on en en parle, et, lorsque c ‘est le cas, sans que le lien entre le sexe de la victime et celui de son agresseur, de son assassin, soit même posé.

Aussi, si l’on pose la question politiquement essentielle : « Qui tue, viole, harcèle, discrimine qui ? » la comparaison ne peut être faite entre la banalité de la violence masculine contre les femmes et la violence contre les homosexuel-les.  

En effet, la haine contre les femmes a été théorisée, justifiée jusqu’au meurtre, y compris dans notre droit. Rappelez vous l’article 324, &2 du code pénal Napoléonien : « Dans le cas d’adultère », « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur son complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable.» Cet article - qui est une survivance de la loi du talion - est une justification du bon droit des hommes au meurtre de leurs épouses, mais aussi à celui de leurs amants, réels ou présumés.
Même si cet article a été supprimé de notre code, il n’en imprègne pas moins encore toute notre culture de complaisance à l’égard des crimes encore appelés « passionnels ».

Sur le plan de la production culturelle, je n’évoquerais pas Sade ou Houellebecq, mais Proudhon, « le père » du socialisme français. Dans son livre, La pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, paru en 1875, celui-ci avait proposé « les cas où le mari pouvait tuer sa femme..: 1° adultère; 2°, impudicité; 3°, trahison; 4°, ivrognerie et débauche, 5°, dilapidation et vol; 6°, insoumission obstinée, impérieuse et méprisante ». 13

Enfin, une autre différence réside dans le fait que la haine des femmes peut être dite, publiée au grand jour, parce qu’elle est encore interprétée comme relevant de l’« amour ». Je prendrais l’exemple du livre intitulé : « Ta mère »14, publié sous la signature de présentateur de télévision Arthur. Ce livre est un florilège de haine à l’encontre des femmes, des mères, des sœurs. Or, voici ce que l’on peut lire, sur la page de garde : « A toutes les mamans du monde, Pardon ! Mais c’est pour la bonne cause. » Et sur la quatrième de couverture :«  La formule.... (consistant à publier des dizaines de phrases justifiant la haine des mères) commence à faire des ravages bénéfiques dans les cours de récréations françaises. Bien sûr pour canaliser la violence physique par l’agression verbale, on ne saurait employer des mots doux. Alors, avant de crier à la provocation scandaleuse… .Sachez bien que l’intention de ce livre n’est ni méchante, ni raciste, ni parricide ni marricide : la démarche s’avère thérapeutique tout simplement. Quant à vous, chères mamans, on vous demande pardon. Mais réfléchissez : si insulter les mères figure l’injure suprême, c’est quand même bien parce qu’on vous aime plus que tout. »

Ainsi, dans la mesure où cette haine des femmes, cautionnée depuis de siècles du fait de la légitimité que les hommes se sont conféré de pouvoir exercer des violences à l’encontre des femmes, la haine des femmes, des prostituées, de féministes, des mères imprègne notre culture, notre imaginaire, notre justice, et toute la production pornographique.

Devant l’opinion publique, devant les tribunaux, ce qualificatif de « haine » appliqué aux femmes - bien que beaucoup plus banal, ou plutôt parce que beaucoup plus banal 15- sera beaucoup moins facilement recevable pour elles, pour nous.  

Par ailleurs, le terme de « haine » - qui signifie selon Le Littré, « avoir pour quelqu’ un, un sentiment qui fait que nous lui voulons du mal »  - renvoie à l’intentionnalité de l’auteur du discours. Et non pas, la manière dont la personne à qui elle est adressée la reçoit, la perçoit.

Ce débat est très important. Car lorsque, dans une société donnée, un groupe dominé, quel qu’il soit, arrive, souvent après des siècles de luttes ou de résistance :
- à inverser les hiérarchies de valeurs qui se sont bâties sur son silence;
- lorsqu’il obtient que le groupe dominant entende la manière dont il vit quotidiennement les manifestations de cette domination, quelles qu’elle soient: contrainte au silence, humiliations, violences, paternalisme, exclusions, injures;
- lorsqu’il arrive à imposer de nouvelles normes, par la voie législative ou autres ;
alors on peut dire que de véritables révolutions ont eu lieu.
Une révolution a lieu, lorsqu’une société admet comme un débat 16d’entendre la manière dont les dominé-es - qui peuvent être dominants dans d’autres domaines - perçoivent les dominant-es. Qu’elle tienne compte de cette inversion du débat et qu’elle le codifie dans et par le droit.  

* Le terme d’ « incitation à » est, lui aussi, limitatif. La loi ne vise donc pas, toujours concernant son intitulé, l’expression de la haine, en elle-même, mais l’incitation à la haine.

En conclusion, sur la question du titre, je propose que la proposition de loi s’intitule, à l’instar du racisme - la loi antiraciste n’a pas en effet pour objet de « viser à combattre l’incitation à la haine raciste », mais bien le racisme - : « loi antisexiste, antihomophobie et antilesbophobe ».

Enfin, dans la mesure où le terme apparemment neutre d'un point de vue linguistique ne l’est pas, et qu’au même titre que le terme générique d’« homme » a, pendant des siècles - dits ‘universalistes’ - fait disparaître le mot « femme », il est essentiel que le mot « lesbophobe » soit nommé. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas.  

a) Les liens communs entre les deux propositions de lois.

Le début des deux exposés des motifs - qui présentent les référents philosophiques et politiques auxquels les rédacteurs d’un texte de loi adhèrent  - est identique.
Les textes commencent par la même phrase : « Considérant que le préambule de la constitution de 1958 entérine la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 laquelle dispose dans son article 1er : Les hommes naissent libres et égaux en droit ». Et ils continuent par la référence à l’article 4 de ladite déclaration qui affirme : « La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits.»

Pour vous donner un élément de comparaison – qui ne nécessite pas de commentaire - voici l’exposé des motifs de la loi antisexiste de l’Union des Femmes Françaises - à l’époque, structurellement liée au P.C : « Les femmes, de nos jours, se veulent majeures, libres de décider elles-mêmes. À la recherche d’une identité propre, elles refusent tous les asservissements, les dominations subies depuis des millénaires entraînant violences, humiliations, mépris à leur encontre »....

b) Les différences entre ces deux propositions de lois.

* Le projet du P.C.

Après cette référence à 1789, sans autre transition, le texte du PC en arrive au Pacs : « Considérant que, malgré l’adoption récente du pacte civil de solidarité et la reconnaissance sociale qu’il constitue pour leur couple, les homosexuel(le) s sont exposés, du fait de leur préférence sexuelle, à des discriminations, à des violences, à des discours de haine ».
On peut noter ici que le terme de « préférence sexuelle » est, deux lignes plus loin, remplacé par celui d’« orientation sexuelle » que je ne partage pas. Il m’a fait penser, je ne sais pourquoi, à la Tour de Pise.

On peut lire ensuite : « Considérant qu’il est indispensable, afin que l’ homophobie soit enfin considérée comme contraire à l’ordre public, que le législateur intervienne à nouveau pour que soient respectés les principes d’égalité et de liberté. » (p.4)

Vous n’avez pas été sans noter la référence à la notion d’ « ordre public »...

Puis suivent toute une série de références à des textes émanant des instances européennes, Conseil de l’Europe, Parlement européen, Union européenne, dont le traité d’Amsterdam. Curieusement ou pas, aucune référence n’est faite aux textes onusiens.
On peut enfin lire à la fin de cet exposé des motifs : « De la même manière que nous proposons une loi contre l’incitation à la haine homophobe, nous proposerons au législateur de prendre toutes les mesures qui s’imposent contre le sexisme afin d’aller vers une réelle égalité des droits entre les femmes et les hommes ».

Dans cette formulation, on peut noter que :
- La proposition de « loi contre l’incitation à la haine homophobe » est mise en regard, non pas avec une loi « contre l’incitation à la haine sexiste », mais avec le « sexisme ».
Par ailleurs, la formulation signifie bien qu’une loi n’est pas proposée ; il n’est question en effet que de « mesures qui s’imposent ».

Cette position du PC, encore une fois, partie prenant du gouvernement, n’est pas acceptable.
Tant qu’il n’aura pas réintégré dans cette proposition de loi, un volet antisexiste, les féministes sont en droit de lui récuser le droit d’employer, le concernant et concernant ses ministres, le qualificatif de « féministe ».

* Le projet de la proposition de loi des associations homosexuelles. Borillo/Tricoire.
La question du traitement du sexisme est, ici, plus complexe.

Celui-ci en effet, suite à la référence à la constitution de 1958 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, - fait référence et cite l’assertion inscrite dans le préambule de la constitution de 1946, repris dans la constitution de 1958 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines des droits égaux à l’homme »,17 qui, elle, n’a même pas été reprise par le P.C. On sait aujourd’hui à quel point cette assertion est un leurre.

Cet exposé des motifs qui se réfère, lui aussi à la notion « d’ordre public » est, d’un point de vue féministe, une régression incontestable par rapport au projet de loi Roudy. En effet, concernant la partie de la réforme de la loi du 29 juillet 1889, sur la liberté de la presse, on pouvait lire dans le projet Roudy, ce qui n’est pas repris dans l’exposé des motifs de cette proposition : « La représentation stéréotypée, dévalorisée ou avilissante des femmes est notamment véhiculée dans le discours, les écrits, les images. Elle se trouve ainsi ancrée et entretenue dans les mentalités et développée par la presse et les médias. Cette discrimination ne tombe pas sous le coup de la loi. Ainsi dans le domaine qui touche aux supports de l’écrit, de la parole ou de l’image, distribués, proférés ou exposés dans les lieux publics, (la pub) il convient d’instituer l’incrimination de discrimination sexiste, comme c’est le cas en matière de racisme, en ce qui concerne la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, la diffamation et l’injure, afin d’éviter l’impunité de ces agissements discriminatoires. »

Je propose pour ma part que l’exposé des motifs de cette loi antisexiste, antihomophobie et anti lesbophobe exclue tout référence à la notion d’ « ordre public » et fasse état d’avancées des droits des femmes, des homosexuel-els hommes et femmes.  
J’y ajouterai les références aux luttes des gays et des lesbiennes.
J’y ajouterai les manifestations de haine, de violences, de discriminations, de harcèlement, de dévalorisation, d’exclusion, de dénégation auxquels ils et elles sont confronté-es.

Concernant les droits des femmes, je propose que soient concomitamment citées les références aux textes pertinents émanant des mêmes institutions.
J’y ajouterai les références aux textes onusiens, et notamment au CEDAW, à la déclaration de 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Je propose de faire référence au projet de loi Roudy et de reprendre l’exposé des motifs que je viens de lire, en enlevant la référence au racisme.
Je propose de remplacer cette référence par celle de « domination masculine ».
J’y ajouterai la référence aux luttes de femmes, notamment contre les publicités sexistes, contre les violences sexuelles, contre le harcèlement sexuel, contre les injures sexistes. J’y préciserai les manifestations de haine, de violences, de discriminations, de harcèlements sexiste et sexuel, de dévalorisation, d’exclusion, de dénégation auxquelles les femmes et les lesbiennes sont confrontées, qu’elles combattent et dont elles sont les témoins.

Je vais donc présenter les propositions de lois telles qu’elles sont actuellement rédigées, en précisant ce qu’elles ont de commun et de différent, et en les référant au projet Roudy.  

a) Article 1. Modification du code de procédure pénale. Article 2-6.
Celle-ci permet aux associations régulièrement déclarées depuis au moins 5 ans de se constituer partie civile. Ainsi, aux associations « se proposant par ses statuts de combattre les discriminations fondées sur le sexe, et les mœurs », les deux projets demandent d’ajouter : «ou sur l’orientation sexuelle, vraie ou supposée ».  

Voici mes critiques.
* Le délai de 5 ans est trop long. Et révèle une société frileuse, conservatrice. Pourquoi, au nom de quel principe la Ligue des droits de l’homme serait-elle plus légitime que les Chiennes de Garde qui a déposé ses statuts en 1999, ou que Mix-cité pour se constituer partie civile pour soutenir une femme-objet de violence sexiste ? Pourquoi les Chiennes de garde ou Mix-cité, ou une association nouvelle issue de l’application du Pacs par exemple devraient-elles attendre cinq ans avant de pouvoir agir devant les tribunaux ?
Je propose d’abaisser les 5 ans à deux ans.

* Les deux propositions de lois ont, à mon grand étonnement, conservé le terme de « mœurs ». Celui-ci qui se réfère « aux habitudes considérées par rapport au bien et au mal dans la conduite de la vie » alors qu’il a justifié, en droit, toutes les atteintes aux droits des femmes, des enfants de deux sexes, des homosexuels et des lesbiennes ? La référence aux « mœurs » peut en effet permettre de continuer à considérer que l’homosexualité serait « contraire aux mœurs ». Mais elle peut aussi permettre de considérer que les relations sexuelles d’un adulte avec un enfant relèvent du « plaisir sexuel », ou serait le signe d’une société « civilisée». 18
Je propose la suppression du mot « mœurs » - qui n’a que trop fait de mal - dans le code pénal.

* Ce qui est grave, c’est que le PC a tout simplement - alors qu’il existait dans le code de procédure pénal et qui était l’acquis de la loi Roudy - enlevé le mot « sexe », et en « raison du sexe ». Ce qui signifie que les associations féministes ou antisexistes ne pourront plus se constituer partie civile, en matière de discrimination. Concrètement, cela signifie que des associations telles que l’AVFT ne pourraient plus intervenir au côté des victimes de discrimination sexiste, discrimination qui accompagne souvent le harcèlement sexuel. Il n’est pas sans doute utile d’insister sur la signification politique d’un tel retrait.
Je demande le maintien des termes : discrimination « fondées sur le sexe » et « en raison du sexe », auquel je propose de rajouter « sexiste ».
Je propose de remplacer «orientation sexuelle vraie ou supposée» par « préférence sexuelle réelle ou supposée ».
Je propose de rajouter à cet article 2-6 du code de procédure pénale, la phrase inscrite dans l’article 2-2 qui concerne notamment « les violences sexuelles » : « Toutefois, l’association ne sera recevable que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime ». Y compris mineures. Je considère en effet qu’une association ne peut se substituer à la victime qu’elle affirme vouloir défendre. Faute de cet accord, toutes les appropriations de parole peuvent être effectuées. Et toutes les victimes pourraient être officiellement transformées en « témoins » de leur propre cause.

b) Article 2. Modification de l’article 225-1 du code pénal. Celui-ci concerne la définition des discriminations.
Là encore, le projet Borillo/Tricoire ajoute : « discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, vraie ou supposée ». Et ce qui est fort intéressant, le PC a, là, maintenu le mot « sexe ». Ce qui signifie qu’il accepte de reconnaître qu’il existe des discriminations liées au sexe - s’il ne le faisait pas, il violerait les conventions internationales signées par la France - mais il refuse aux associations féministes de défendre les femmes sur ces fondements.
L’enjeu est donc bien de faire taire les femmes et les féministes.
Je propose pour cet article les mêmes ajouts que pour le précédant : enlever « mœurs », rajouter « sexiste », remplacer « orientation réelle ou supposée » par « préférence sexuelle réelle ou supposée ».

c) Article 3, 4, 5 et 6, 7, intitulés de manière identique dans les deux propositions. Modification de la loi sur la presse et plus précisément les articles 24-aliéna 6, article 32, article 33 - alinéa 3 et 4, Article 48-1 et article 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.  
Ces articles concernent « la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personne en raison des motifs » que j’ai déjà invoqués, la définition de la « diffamation » et de « l’injure », ainsi que la définition des associations pouvant se constituer partie civile.
Que disent les propositions de lois ?

Le projet des associations homosexuelles se propose d’ajouter dans tous ces cas de figure la référence « au sexe » et à « l’orientation sexuelle, vraie ou supposée ». Il s’agit là d’une reprise des propositions du projet de loi d’Yvette Roudy et donc d’un ajout par rapport à la loi actuelle en ce qui concerne la référence au « sexe » - auquel le projet ajoute la référence à l’« orientation sexuelle, vraie ou supposée.»

Mais le projet communiste, pour sa part, dans l’article 3 qui concerne « la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » - par son retrait préalable de sa référence au « sexe » dans l’article 225-1 du code pénal relatif aux discriminations - ne permet pas de sanctionner l’auteur d’une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison du sexe.  Pour le PC, il n’y a donc pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison du « sexe ».
Les violences masculines faites aux femmes n’existent pas.

En outre, et en toute cohérence avec la philosophie de sa loi, le P.C exclut (dans son article 7) toute possibilité pour les associations se proposant de combattre le sexisme de se constituer partie civile.
Seules le peuvent les associations luttant « contre l’homophobie ou assistant les victimes de discriminations fondées sur leur orientation sexuelle réelle ou supposée » peuvent le faire.
Il s’agit donc bien de faire taire, en matière de presse, les associations de défense des droits des femmes, féministes19, qui auraient notamment, sur le fondement de cet article, pu agir contre les publicités sexistes.

En revanche, dans le projet Borillo /Tricoire - toujours le même article 7 - il est fait référence aux associations « combattant le sexisme ou l’homophobie ou d’assister les victimes de discriminations fondées sur leur sexe ou leur orientation sexuelle, vraies ou supposés ». Il s’agit donc ici d’un apport, d’une avancée par rapport au projet de loi d’Yvette Roudy qui ne mentionnait pas le mot « sexisme ».

Je propose, dans la mesure ou le sexisme n’est pas isolable des autres formes d’expression de la domination masculine, que puissent se constituer partie civile - sur la question de sexisme - en matière de loi sur la presse, en sus, les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, aux enfants, contre la prostitution, contre la publicité sexiste, homophobe et lesbophobe, pour l’égalité entre les sexes, les associations féministes et lesbiennes.
En outre, je propose d’inclure après « homophobie », « lesbophobie ».
Enfin, je propose de rajouter l’alinéa 2 de l’article 48-1 de la loi, sur la presse concernant le racisme : « Toutefois, quant l’infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l’association ne sera recevable que si elle justifie avoir reçu l’accord de ces personnes ».  

d) Article 8.

Cet article propose « d’instituer une autorité administrative indépendante chargée de veiller à l’application des dispositions de la présente loi garantissant l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur orientation sexuelle (sans distinctions du sexe et de l’orientation sexuelle dans la proposition Borillo/Tricoire). Elle agit préventivement contre les manifestations homophobes (sexistes et homophobes dans la proposition Borillo/Tricoire) par la mise en place de programmes de sensibilisation scolaire, notamment au sein des formations des policiers, éducateurs, professeurs, médecins et infirmiers scolaires, notamment au sein des formations des policiers, éducateurs, professeurs, médecins et infirmiers scolaires, magistrats, assistants sociaux. Elle agit également comme autorité consultative, et peut être saisie par l’état, par les collectivités locales, territoriales ou par toute association dont l’objet social est de lutter contre l’homophobie (contre le sexisme ou l’homophobie dans la proposition Borillo/Tricoire), afin de faire des propositions concrètes concernant la prévention, d’une part et de veiller à l’application de la présente loi, d’autre part. »

Voici ce qui est proposé :
1) Organiser des campagnes nationales contre l’homophobie
2) Accorder l’asile politique aux victimes de persécutions sexistes et homophobes.  
Dans la proposition de loi communiste a été rajouté, l’article 9, relatif au droit au d’asile propose de rajouter (aux conditions pour y ouvrir droit) « ses mœurs et orientations sexuelles ». Le PC exclut donc que le critère de « sexe » puisse ouvrir droit aux conditions pour être réfugié politique; il le limite aux personnes persécutées dans leur pays en raison de leur homosexualité.
3) Sensibiliser et former les travailleurs sociaux, les professeurs et les policiers. (Il n’est question que d’homophobie.)
4) Actions spécifiques auprès des jeunes gays et lesbiennes.
5) Pour une Education nationale repensée. Ce qui concerne « la santé et la sexualité », « le VIH, ses risques et tous les risques liés à la sexualité » (!); « l’hétérosexisme ».....Les femmes sont nommées, avec les homosexuelles (!) et les immigrés (!) comme faisant partie des « minorités »  opprimées. Tandis qu’est aussi évoqué, à propos des « manuels scolaires », « l’histoire des mouvements de femmes, d’immigrés et d’homosexuels ».
6) Soutenir les associations qui luttent contre l’homophobie et aux lignes téléphoniques d’aides aux victimes. Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes n’étant sans doute pas considérées comme telles, car ne sont cités que« le centre gay et lesbien, SOS homophobie ou la ligne Azur ».
7) Favoriser le développement d’études gaies et lesbiennes en France.
8) Créer un observatoire chargé de coordonner des actions contre les discriminations et l’incitation à la haine.  

Je propose de supprimer cet article, que je trouve très dangereux.
Tout d’abord, une « autorité indépendante » créée par une loi est une contradiction dans les termes.
Ensuite, il ne s’agit pas d’une « autorité administrative » mais bien d’une autorité politique aux pouvoirs considérables, qui peut devenir une « police des mœurs ».
Enfin, si je vois bien quelles associations luttant contre l’homophobie peuvent y siéger, je ne vois pas quelles associations féministes « dont l’objet social est de lutter contre le sexisme » pourraient en faire partie.
Quant aux « propositions concrètes concernant la prévention » quelle s’assignerait, si l’on en juge sur la définition de la « politique de prévention » qui est jointe à cette proposition de loi, elle est édifiante.
Outre le fait que tous les termes sont exclusivement au masculin, tous les projets concernent l’homophobie. Le terme « sexiste » est évoqué une fois dans l’introduction et n’est plus employé qu’une seule fois mais uniquement dans le titre du point 2 : « Accorder l’asile politique aux victimes de persécutions sexistes et homophobes ». Mais dans le programme des associations homosexuelles, il n’est ensuite fait référence qu’à l’homophobie.

***

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Nous pouvons ouvrir le débat.

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Notes de bas de page
1  Ajout. 28 septembre 2004.  Je n’avais pas cru bon diffuser ce texte, que j’avais un peu oublié, jusqu ‘alors. Je l’ai redécouvert à l’occasion de l’écriture du texte rédigé avec Catherine Le Magueresse et Marylin Baldeck du 29 septembre 2004 : « Le projet de loi du gouvernement Raffarin, censé ‘réprimer les propos homophobes et sexistes’ est indéfendable » . J’ai alors pensé qu’il pouvait être, lui aussi, diffusé, en tant que moment d’une réflexion qui a été depuis lors, prolongée, enrichie, déstabilisée dans le cadre d’un travail collectif mené à trois.

J’ai retravaillé quant à sa forme cette conférence publique sans en modifier le fond ; certaines de ses analyses ont - depuis la rédaction du texte sus-cité - été dépassées, notamment concernant les propositions que j’avais alors faites.

2 Marie-Jo Bonnet, L’égalité entre hommes et femmes : point aveugle du mouvement gay ? Ex æquo. N° 3, janvier 1997, Les lesbiennes, alibi universaliste du mouvement gay. Lesbia magazine. N° 23, Octobre 1999.
3 Ce texte était signé notamment par Act-up, Aides, Sida info service, SOS Homophobie et, pour reprendre Le Monde, par dix autres associations et 59 signataires individuel-es.
4 Cet article faisait suite à un autre article, lui aussi, publié dans Le Monde du 16 février 1999, signé par Daniel Borillo, Eric Fassin et Marcella Iacub intitulé: « Au delà du Pacs: pour l’égalité des sexualités ».
5 Cette lettre est lisible sur le site Marievictoirelouis.net . (Lettres politiques)
6 Le dernier compte-rendu de la réunion nationale parisienne du 16 janvier de la Coordination pour la marche mondiale des femmes fait état d’une réaction de Martine Aubry : « Sur la lesbophobie, elle explique que notre discours est inaudible ; sans doute le mot lesbophobe ».
7 Je voudrais, à cet égard, attirer l’attention sur le fait que dès lors que pratiquement toutes les femmes ministres se sont prononcées sur le soutien à cette association comme à ses finalités, il m’apparaît normal et logique qu’elles soutiennent le principe d’une loi qui a pour objet d’empêcher que de telles violences verbales soient imposées. À elles-mêmes, mais, aussi, bien entendu à toutes les autres femmes, même non « publiques ».

8 Voici sa présentation par Le Monde: «  Parlement: le groupe communiste de l’Assemblée Nationale a présenté, mercredi 9 février, une proposition de loi visant à ‘combattre l’incitation à la haine homophobe’. Les députés communistes, qui proposent de modifier plusieurs articles du code de procédure pénale, estiment que ‘la loi ne protège pas les homosexuels contre le discours de haine en raison de leur orientation sexuelle’. Le texte prévoit des sanctions allant d’une peine d’emprisonnement à une amende ainsi que la création d’une autorité administrative indépendante, chargée de veiller à l’application de ces dispositions. 11 février 2000  
9 Cf, Odile Dhavernas, Vers une législation antisexiste. Le projet de loi du 9 mars 1983. Étude  réalisée pour l’Unesco. Inédit. Février 1985. p.22.
10 « Les législateurs hommes ont mentionné l’ethnie, la nation, la race et la religion comme facteurs de discrimination. Mais ils ont oublié le sexe. Quand l’homme s’envisage dans toute sa diversité, il oublie encore la moitié du genre humain. Nous sommes absentes de préoccupations de l’Assemblée comme nous sommes absentes de ses bancs...Il suffit d’ajouter le mot sexe au texte de loi antiraciste pour nous permettre de nous attaquer à l’image dévalorisée de la femme inhérente à son oppression » Ibid. p. 13
11 Ce sont d’ailleurs par ces deux exemples que commencent l’article intitulé : « Manifeste pour une stratégie contre l’homophobie » paru dans Libération du 3 décembre 1999, présentant la proposition de loi.
12  Marie-Victoire Louis, NTM, Injure sexiste. Libération. 9 décembre 1996   
13 Et il poursuit ainsi: « L’homme, l’époux a le droit de justice sur sa femme; la femme n’a pas droit de justice sur son mari ». p.437.
14 Arthur, Ta mère. Collection Lit Lit Lit. Paris, 1995. Michel Laffont. 162 p.  
15 C’est ce qu’Odile Dhavernas analysait ainsi : « Plus un pays est atteint par le sexisme et plus les mesures tendant à réduire celui-ci lui apparaissent nécessaires, mais moins ce pays est disposé à les accepter ». Vers une législation antisexiste. Op.cit. p. 34
16 Il est donc fondamental de caricaturer le débat. Ainsi, les caricatures qui ont été faites en France des relations entre les sexes aux Etats-Unis peuvent être interprétées comme un appel au  nationalisme pour venir au soutien du patriarcat - français - menacé.
17  La simple référence à cette phrase ne saurait en aucun cas être considérée comme ayant, d’un coup de baguette magique, aboli les fondements patriarcaux de notre droit, de l’histoire de la domination masculine. Cette formulation peut être notamment comparée à  : «  La loi garantit à l’homme et à la femme des droits égaux ».
18 On a pu par exemple pu lire, dans le numéro 59 de la revue l’Infini ces phrases :

- de René Schérer, à propos de l’Affaire Dutroux, «Il est clair que la protection de l’autonomie de l’enfant n’est pas un argument. Ce qui est visé, c’est le plaisir sexuel, considéré comme coupable en lui-même. On ne peut supporter que l’enfant le ressente et encore moins que l’éprouvent à son contact d’autres adultes constitués en pervers. »

- de Gabriel Matzneff : (p. 110) « Hier lorsqu’on parlait de pédophilie, on songeait..... aux petits Arabes d’André Gide et à la Lolita de Nabokov. Nous étions dans un monde civilisé ».

19 Si l’on parle beaucoup depuis quelques années de la question de la corruption de la classe politique et des moyens quelle se donne ou non - notamment par rapport à la justice - de se protéger de la judiciarisation de ses agissements, il existe pour elle - et elle n’est pas seule concernée - un danger encore plus grave qui concerne le risque dévoilement de ses agissements de la classe politique dans la sphère dite du « privé ».


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