Censures. Coupes. Réécritures. Lectures critiques
 Marie-Victoire Louis

Dossier concernant la censure dans le livre :
Simone de Beauvoir : Le Deuxième sexe
Le livre fondateur du féminisme moderne
Ouvrage dirigé par Ingrid Galster
Editions Honoré Champion
2004. 519 p.

date de rédaction : 05/10/2005
date de publication : 13/11/2005
mise en ligne : 16/10/2006
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5 octobre 2005

Marie-Jo Bonnet a écrit, le 26 septembre 2005, sur la liste des Etudes féministes de l’université de Toulouse etudesfeministes-l@simone.univ-tlse2.fr ceci :

Bonjour  
Sur la liste d'études féministes, je viens de recevoir l'avis de parution du prochain numéro de NQF consacré aux "Logiques patriarcales du militantisme".
Je vois que le numéro publie un compte rendu des actes du colloque organisé par Ingrid Galster sur "Le Deuxième Sexe, Le livre fondateur du féminisme moderne en situation".
Permettez moi de vous informer à mon tour que plusieurs communications ont été censurées, dont la mienne consacrée à  "La lesbienne dans le Deuxième Sexe : Un universalisme sans universalité".
De plus, Ingrid Galster s'est permis de demander à une historienne de langue allemande d'attaquer mon travail. Ce qu'elle a fait... sans que j'aie la possibilité de répondre puisque je suis censurée.
Je souhaiterais pouvoir informer les lectrices de NQF, ainsi que la liste d'études féministes, sur ces pratiques... universitaires quelque peu "patriarcales". À moins qu'elles soient "normales"...
Ingrid Galster pourra dire que je suis "sortie du cadre" qu'elle nous avait imposé. Que mon approche n'est pas assez "scientifique", ou que sais-je encore. Mais elle ne dira pas qu'elle m'a censuré parce que j'ai osé écrire que "Simone de Beauvoir a menti sur ses relations charnelles avec les femmes", et qu'il ne faut pas le dire, même si tout le monde le sait.  
Plusieurs participantes pourront témoigner de ces faits (et d'autres).  Marie-Victoire Louis, qui a également été censurée pour s'être opposée à la censure visant mon texte, et Françoise Colin, qui m'a dit se désolidariser de cette pratique.  
Les autres n'ont rien dit.
Nous voici donc devant un fait accompli peu correct....
Mais peut-être ne faut-il pas en parler publiquement ?
Cordialement.

Marie-Jo BONNET
Paris

P.S. Pour les personnes qui ne me connaissent pas, je rappelle que j'ai passé ma thèse sur "Les relations amoureuses entre les femmes du XVI au XXe siècle" en 1979 (Paris VII, sous la direction de Michèle Perrot), qu'elle a été publiée en 1981, puis chez Odile Jacob en 1995, rééditée en poche, et que j'ai publié depuis d'autres ouvrages sur le sujet.

Ce message de Marie-Jo Bonnet a été suivi d’un second en date du 28 septembre.
Le voici :
- Merci aux personnes qui m'ont écrit.  
Je dois une précision au sujet des actes du colloque d'Ingrid Galster sur "Le Deuxième sexe" de Simone de Beauvoir.
La personne qui a été sollicitée par I. Galster pour me remplacer et pour attaquer mon travail n'est pas une historienne de langue allemande, mais une américaine, Hazel E. Barnes, précisément, qui s'évertue à démontrer mon "désir de détruire Beauvoir à tout prix".
Or, je n'aurais jamais été publiée dans les Temps Modernes si j'étais animée d'un tel désir. Et de plus, plusieurs féministes françaises pourront témoigner de ma présence dans un groupe de travail avec de Beauvoir en 1975 pour préparer les émissions de télévision sur Sartre (qui n'ont pas eu lieu à cause de quoi ???? de la CENSURE).
Tout ça pour dire que ces attaques sembleraient téléguidées, d'autant plus que H. E. Barnes ne m'a jamais rencontrée.

Marie-Jo Bonnet
Paris

Marie-Jo Bonnet dans son premier message me cite.
Ne voulant pas que mon silence puisse être interprété comme une distanciation par rapport à sa légitime dénonciation, j’ai considéré que je devais porter à la connaissance publique le dossier de cette censure - annoncée - et notamment les lettres - restées sans réponse - que j’ai écrites, que nous avons écrites, à ce propos.

Les voici donc.
Oui, Marie-Jo Bonnet a été censurée. Oui je l’ai été aussi, car je m’étais opposée aux critiques dont elle avait été l’objet, et plus précisément parce que j’avais  conditionné la publication de mon texte [de critique du chapitre du Deuxième sexe intitulé : Prostituées et Hétaïres] au sien [consacré au chapitre intitulé : La lesbienne].

Mais auparavant quelques clarifications concernant les conditions de publication de ce livre.  

L’ « ouvrage dirigé par Ingrid Galster » publié en 2004 aux Editions Honoré Champion 1 est issu du colloque organisé par elle en Allemagne. Ce « colloque international et pluridisciplinaire », « sous le patronage de l'Ambassadeur de France en Allemagne » a eu lieu du 10 au13 novembre 1999  à l’Université catholique d’Eichstät (Bavière).

Intitulé : « Beauvoir. Pour une édition critique du deuxième Sexe », il a réuni «  des philosophes, historiennes, anthropologues, sociologues, psychanalystes et critiques littéraires pour repositionner le texte fondateur du féminisme égalitaire dans son cadre temporel et, en même temps, pour en faire une relecture critique. Chaque exposé porte sur une unité de texte précise. Les titres reprennent ceux que Simone de Beauvoir a donnés aux chapitres de son livre ». (Texte de présentation du colloque)

Le projet de ce colloque - intéressant et novateur d’Ingrid Galster - était donc de confier chaque chapitre du Deuxième sexe à un-e spécialiste du sujet traité, afin qu’elle/il le resitue dans son contexte historique et qu’à la lumière de nos connaissances actuelles, elle/il situe l’apport et les limites de chaque thème traité dans ce livre.

Lors de ce colloque - qui s’est très bien passé et qui s’est avéré passionnant - je tiens à préciser que mon intervention, mais surtout celle de Marie-Jo Bonnet avaient été critiquées.

Ma présentation avait notamment été jugée par l’une des participantes « affreusement agressive ». J’avais précisé que j’étais abolitionniste, et que du fait de la colère qui m’avait saisie à la lecture de ce texte - que j’avais eu quatre jours pour préparer 2- j’en assumais, à l’oral, la dimension partiale.

Ceci étant dit, nos deux textes avaient été jugés comme relevant « d’une lecture très dure ». Sur la base de mes notes, j’ai pu relever les critiques suivantes : « ne pas exagérer » ; « ne pas exiger d’une époque plus qu’elle ne peux donner »….

J’avais pour ma part pris alors la parole sur trois points. Pour dire que :
* Ces critiques m’avaient mis « mal à l’aise », car elles pouvaient signifier qu’ « il y avait des limites, des normes à ne pas dépasser, à ne pas transgresser. »

* [À la suite d’une critique dans le même sens de Nicole Claude Mathieu] « La question essentielle était que Simone de Beauvoir n’historicisait pas le sujet masculin, qu’elle ne remettait pas en cause l’homme comme sujet dominant - J’aurais dû ajouter : pas plus que l’hétérosexualité comme norme dominante .
J’avais enfin suggéré qu’un prochain colloque ait lieu sur le thème : « Simone de Beauvoir est-elle féministe ? » 

* « Je trouvais tout à fait pertinente la question - posée par Marie-Jo Bonnet - de la vie sexuelle de Simone de Beauvoir et des relations entre ladite vie et son œuvre ».
Et j’avais ajouté : « Quand Marie-Jo Bonnet dit : ‘Si Simone de Beauvoir avait dit qu’elle était aussi homosexuelle, la situation aurait [pour elle] changé, elle a bien entendu raison. »

Je tiens à préciser - dans la mesure où deux lettres que j’ai écrites concernant cette censure l’ont été non pas à Ingrid Galster mais à Hélène Rouch - que c’était dans la collection [notamment] dirigée par Hélène Rouch aux Editions L’Harmattan, Bibliothèque du féminisme, que ce livre devait être publié.
Pour des raisons que j’ignore il l’a finalement été aux Editions Honoré Champion.

Je tiens aussi à dire que, sur la base de ce que j’ai pu voir, entendre, débattre avec Hélène Rouch concernant la publication - éventuelle - de mon texte comme celui de Marie-Jo Bonnet, c’est elle qui a assumé l’essentiel du travail de publication de ce livre.

Il importe donc de lire ce qu’Ingrid Galster a écrit la concernant, dans la page intitulée : Remerciements et Hommages : « Hélène Rouch a investi beaucoup de temps et d’énergie dans la rédaction des manuscrits et la communication avec les auteurs. Sans elle, ces actes auraient eu du mal à voir le jour, mais elle n’a pas tenu à être co-éditrice ». Dans ce contexte, ces phrases ont un certain poids.

Pour ma part, je tiens à dire que ses critiques de mon texte ont aidé à l’améliorer et que je l’en remercie. Et que ses tentatives de faire en sorte que nos textes soient publiés ne sont pas contestables.

Dès lors que la décision a été prise par Ingrid Galster de ne pas publier nos deux textes, la critique des deux chapitres qui nous avaient été confiées l’a été à d’autres.

Nous n’en avons pas été informées, d’où notre lettre aux Editions Honoré Champion [citée en annexe]. Nous n’avons pas su si nos textes avaient ou non été communiqués aux auteures chargées de les rédiger à nouveau. Nous n’avons pas su non plus si - ce que j’avais demandé - si les autres auteures participant à ce livre étaient au courant des conditions dans lesquelles elles seraient publiées.

Nous avons donc découvert, après la publication du livre, que le chapitre : La lesbienne a été rédigé par Hazel E. Barnes, « traductrice de l’Etre et du Néant » et qu’il comporte des attaques inacceptables et injustifiées d’un texte non cité (et pour cause…) de Marie-Jo Bonnet. Hazel E. Barnes a accompagné son texte de la note suivante : « Je suis profondément reconnaissante à Ingrid Galster qui m’a aidée de bien des façons et qui m’a procurée plusieurs articles auxquels je n’aurais pas autrement eu accès ».

Nous avons aussi découvert que le chapitre : Prostituées et hétaïres a été rédigé par Cécile Coderre et Colette Parent, et qu’il est accompagné de la note suivante : « Ce texte est une version abrégée et remaniée de Coderre et Parent 2001. Nous remercions les Editions du Remue-ménage de nous avoir accordé la permission de reproduire en partie ce texte ».
Je me permets, le concernant, sous réserve d’autres critiques, d’attirer l’attention sur le fait que le terme de « travailleuse sexuelle » - jamais, bien entendu, employé par Simone de Beauvoir - est employé à quatre reprises page 390 de leur texte.  

Je tiens enfin à dire, me concernant, qu’à deux reprises - pour que je vienne au colloque, puis pour atténuer les critiques de mon texte - Ingrid Galster m’a menacée de donner l’écriture de ce chapitre à des personnes défendant la légitimité du système prostitutionnel. J’aurais dû traiter ce chantage comme il le méritait : je n’ai pas souvenir de l’avoir fait.  

Je tiens à préciser que je ne souhaitais pas - ceci n’étant en rien une position de principe, sans aucune fierté donc - publier ces lettres maintenant.
Je comptais - lorsque l’envie m’en serait revenue - publier le travail que j’avais fait, qui, lui ne l’avait pas été. Et je comptais l’accompagner d’un préambule et/ou d’une note précisant que c’était parce que j’avais refusé la censure du texte de Marie-Jo Bonnet que le mien avait aussi été censuré.

Le texte écrit le 26 septembre 2005 par Marie-Jo Bonnet a modifié mes projets. C’est bien ainsi. C’est mieux ainsi.

Toute censure non dénoncée légitime le droit que certain-es s’arrogent si aisément - au point que c’est devenu quasiment la norme dans nombre d’Universités, de laboratoires de recherches, de maisons d’éditions, comme dans la presse -  à s’approprier comme étant leur, les textes qui leur ont été proposés pour publication. Et de décider, à leur seule guise, de ces publications, à les couper, les réécrire, les adapter, les modifier, les refuser, se les approprier.

La publication de nos deux textes sur Sisyphe (Novembre 2005) permet aux lectrices/lecteurs de connaître ces textes.

Mais cette double censure ne permet pas de considérer que ce livre, malgré la grande qualité de nombre des textes publiés, puisse être considéré comme un livre de référence.

Le livre intitulé : Simone de Beauvoir : Le deuxième sexe . le livre fondateur du féminisme moderne en situation  - n’est pas un livre respectable.

Marie-Victoire Louis.  5 octobre 2005.

Paris, le 6 mars 2000
………
D - 85071 Eichstätt

Ingrid,

J’ai été informée par Marie-Jo Bonnet de la lettre que tu lui as adressée le 23 février. Et, à ma demande, celle-ci m’a procuré le texte intitulé : « La lesbienne: un universalisme sans universalité » qu’elle t’a envoyée aux fins de publication.

En tant que participante au colloque Simone de Beauvoir à Eichstätt, en tant qu’auteure pressentie pour être publiée dans le livre que tu coordonnes, je tenais à te dire que j’ai été choquée du ton que tu as employé à l’égard de Marie-Jo Bonnet, comme de la manière dont tu t’es adressée à elle :«.... Je te demanderai de relire cette circulaire. Je ne répéterai pas ici ce que j’ai écrit... Inutile d’expliquer ce que ça veut dire, car si j’ai bien compris tu es historienne... Et moi, en tant qu’éditrice, j’insiste pour qu’on adopte un style convenable. On n’est pas au tribunal...Il faut vraiment t’instruire un peu.... D’ailleurs as-tu réfléchi ? ...Il fallait un peu de scrupule philologique. »

Ces phrases n’ont, pour moi, pas lieu d’être de la part d’une intellectuelle s’adressant à une autre intellectuelle.3

Concernant tes arguments pour refuser son texte - puisque c’est bien de cela qu’il s’agit - je me permets de te faire part de mes réactions.
* Je ne considère pas que « le ton de la rancune et du ressentiment domine (le) texte » de Marie-Jo Bonnet. Celle-ci a procédé à une analyse que je considère comme tout à fait pertinente. Même si je pense que certaines expressions doivent être réécrites, du type : « Elle n’a plus qu’une seule idée en tête...vérouiller ... » Ou : « Je ne suis pas tout à fait sûre que Simone de Beauvoir aurait écrit ce chapitre différemment ». Mais ce sont des questions de formulations qui peuvent être réglées très rapidement et n’invalident pas la valeur de son texte.  

* Je ne considère pas que son texte soit « militant » - pas plus que ne le fut mon exposé oral sur la prostitution - mais critique et engagé. Ce qui est - et ce n’est pas très original - le propre de la fonction d’un-e intellectuel-le.

* Par ailleurs, je n’ai rien lu dans le texte de Marie-Jo Bonnet qui puisse légitimer ta critique selon laquelle Simone de Beauvoir aurait « rabâché des clichés ».

* En outre, l’évocation du « scandale » que tu évoques concernant la réaction que ce chapitre a suscité « en 1949 » - lorsque l’on connaît le ‘niveau’ moyen des critiques qu’a dû subir Simone de Beauvoir - ne saurait en aucun cas être considérée comme un argument suffisant pour permettre de considérer ce chapitre comme positif, ou subversif, ou novateur, ou tout simplement pertinent.
Ce chapitre doit être, comme tous les autres, et comme tu l’écris, soumis à « la critique ».

* Je ne considère pas que ta phrase de critique à l’égard du texte de Marie-Jo : « Pour l’argumentation, je me rends compte que j’ai dû lire certains passages plusieurs fois pour la suivre, alors que pour d’autres contributions, je n’ai pas eu le même problème » soit suffisamment circonstanciée pour être valablement entendue.

* Par ailleurs, concernant la manière dont Marie-Jo Bonnet traite de l’inconscient, ta phrase : « D’autres se sont chargées de ça à l’intérieur de chapitres où Beauvoir entame le sujet de façon plus générale » peut être interprétée comme une manière de lui interdire d’en parler.  

* Enfin, ce que tu écris sur le fait que l’inspecteur de police en 1942 n’aurait pas eu « de magnétophone » ne permet pas d’invalider le fait que cette déposition - il faut le reconnaître, accablante pour Simone de Beauvoir qui ‘charge’ son élève - est une source, qui, comme toute source juridique, fait partie de l’histoire et doit être analysée. Je considère que Marie-Jo Bonnet a non seulement raison de citer cette déposition, mais qu’elle doit le faire ; même si elle doit effectivement pendre plus de précautions de méthode liée à la nature de sa source.   

Pour ma part, je pense - et je le lui ai dit - qu’elle ne va pas assez loin dans son analyse critique. Je considère en effet que la question du « détournement de mineure »  - qui pose la question du pouvoir (lié notamment à la différence de statut social, intellectuel, institutionnel, à l’écart dû à l’âge [entre4 Simone de Beauvoir et son élève] , au rôle de Sartre....) mis en oeuvre dans une relation « amoureuse » - et de son « abus » au regard du droit et de la morale (à définir)  - doit être posée.
En elle même. Vichy ou non, lesbianisme ou non.
Le livre bouleversant 5 de Bianca Lamblin  ne doit pas être oublié.

Je considère donc que le texte de Marie-Jo Bonnet est pertinent : elle a démonté analytiquement avec finesse et intelligence les importantes « limites » - pour employer un euphémisme - de ce chapitre. Qu’elle a resitué, comme tu nous l’avais demandé, dans son contexte historique.
Plus encore, elle nous donne une grille de lecture théorique qui dépasse la critique de ce seul chapitre.

Je te demande donc de revoir ta position à l’égard du texte de Marie-Jo Bonnet, à laquelle j’ai adressé mes réactions à son texte, comme je souhaiterais en recevoir pour moi-même.

Mais le principe de la liberté de l’auteur-e ne saurait être remis en cause.
Me concernant, je ne saurais travailler pour cette publication, si ce principe n’était pas assuré. Et si le texte de Marie-Jo - qui effectivement « brise un tabou » - en était exclu.

En espérant vivement que cette insertion de son texte dans les actes du colloque se réalisera.

Amicalement,

Marie-Victoire Louis

Copie à Marie-Jo Bonnet
.............. Hélène Rouch

Paris, le 23 décembre 2000
Hélène Rouch

Hélène,

J’ai bien reçu ta dernière lettre et je t’en remercie. Je compte donc re-travailler mon texte en fonction des critiques, justes, d’Ingrid et de toi-même. Je vais aussi essayer de mieux problématiser la question des relations de S. De Beauvoir avec la prostitution.

Par ailleurs, lors de notre rencontre, j’ai appris par toi que le désaccord avec Marie Jo Bonnet concernant son chapitre consacré à « La lesbienne » n’était pas réglé. Or, comme tu le sais déjà, je suis extrêmement attachée, par principe, à la publication par Marie Jo de son analyse. Que je trouve, par ailleurs, très pertinente.

Je t’ai donc informée que je comptais contacter Marie Jo pour tenter de régler le problème. Je l’ai donc appelée. Celle-ci m’a dit très clairement qu’elle ne se reconnaissait pas dans la deuxième mouture, celle qu’elle avait reprise avec toi. Et qu’elle voulait donc que ce soit la première qui soit insérée dans le livre.

À l’entendre, je n’ai pu que réagir en pensant que, sur le fond, c’était donc sa position d’auteure qui devait être celle de référence. Puisqu’elle est au fondement du principe de la liberté d’écrire.

J’ai cependant relu la rédaction du chapitre tel qu’elle vous demande de l’insérer. Et non seulement je n’ai rien lu qui puisse lui être reproché, mais en outre, je le trouve fort et juste.

Je vous demande donc de bien vouloir donc intégrer le chapitre de Marie Jo Bonnet, tel qu’elle vous le propose. Et - sachant que je parle, ici, à titre personnel - je pense que si vous avez, comme ce fut le cas pour votre travail critique de tous les chapitres, des demandes ponctuelles à lui faire, celle-ci les entendra. Comme elle l’a déjà fait.  

Il est en effet, pour moi, impensable que ce livre, si important, sorte en faisant l’impasse sur un chapitre entier du livre, alors que vous êtes en possession d’un (bon) texte émanant d’une spécialiste qui a beaucoup travaillé sur le sujet. Et qui va par ailleurs, publier ce texte aux Etats-unis. Peut-être est-il même déjà publié ?

Les accusations de « censure » - auxquelles je ne peux m’identifier - ne pourront manquer alors d’être faites. C’est, en outre, la crédibilité de tout le travail remarquable fait, et par vous-mêmes et par tant de personnes, qui sera en cause.

Voilà ce que je souhaitais te dire, à toi, ainsi, bien sûr, qu’à Ingrid.
Je ne peux croire que ce problème ne se règle.  

Bonnes fêtes. Et à bientôt, donc.

Marie-Victoire

22 juin 2001
Hélène Rouch

Editions l'Harmattan

Hélène,

N'ayant plus eu de tes nouvelles depuis plusieurs mois, j'en déduis - puisque vous n'avez pas cru bon m'en informer - que vous avez pris la décision de ne pas publier mon chapitre sur Simone de Beauvoir et la prostitution.

Aussi, pour éviter toute ambiguïté lors de la publication du livre, je tiens à préciser, par écrit, une dernière fois, que la seule et unique raison qui expliquera l'absence du chapitre rédigé par moi est la suivante:
Je me refuse à être publiée dans un livre qui a refusé de publier le chapitre de Marie-Jo Bonnet sur "La lesbiennne".
Je me refuse à être complice d'une censure.

Je précise que les lettres échangées sur le sujet entre Marie-Jo Bonnet, toi et moi - Ingrid Galster, bien que responsable et du colloque et de la publication t'ayant laissée seule pour gérer le problème - sont à la disposition de qui souhaiterait en prendre connaissance.
Je regrette que le colloque Beauvoir d'Eischtätt, qui s'était si bien passé, se termine ainsi.
Et plus encore, qu'un colloque sur Simone de Beauvoir puisse être publié dans ces conditions scandaleuses.
Avec mes regrets.

Marie-Victoire Louis

P.S : Serais-tu assez aimable de bien vouloir adresser une copie de ma lettre à Ingrid Galster ?
Copie à: Marie-Jo Bonnet, Françoise Collin, Liliane Kandel.
Je considère qu'il serait nécessaire, en outre, que l'ensemble des auteur-es participante-s à ce livre reçoivent, avant publication du livre, copie de ma lettre.

Editions Honoré Champion
7 Quai Malaquais
Paris 75006

Paris, le 4 septembre 2003
Monsieur le Directeur,

Nous avons appris récemment par Hélène Rouch de la parution prochaine par votre maison d’édition d’un livre issu d’un colloque organisé par Ingrid Galster sur Simone De Beauvoir.  

Ayant participé à ce colloque et n’ayant pas été informée de sa parution, nous aimerions avoir confirmation de cette information.

Nous souhaitons aussi savoir si nos communications font partie de cette publication.

Avec nos remerciements,

Dans l’attente,

Veuillez agréer l’assurance de notre considération distinguée.

Marie-Jo Bonnet
Marie-Victoire Louis

Paris, le 9 septembre 2003
Hélène Rouch

Hélène,

Dans la mesure où tu ne m’as pas laissé le temps de répondre lors de ton appel téléphonique d’hier après-midi, je tenais à clarifier plusieurs points :

1°) J’avais lu par téléphone sur ton répondeur le 3 septembre la lettre (en  P.J. à cette lettre) en date du 4 septembre signée par Marie-Jo Bonnet et moi-même adressée aux Editions Honoré Champion. Comme nous te citions en ces termes : « Nous avons appris récemment par Hélène Rouch de la parution prochaine d’un livre issu du colloque organisé par Ingrid Galster sur Simone de Beauvoir »  - j’avais laissé un message la veille te demandant de me rappeler pour me dire si tu voyais un inconvénient à être citée dans cette lettre.
Dans la mesure où tu ne m’avais pas rappelée - et dans la mesure où je t’informais que je comptais adresser cette lettre le lendemain - j’en ai déduis que cela ne te posait pas de problèmes. Mais, comme tu me l’as dit justement : «  tout le monde n’est pas tout le temps chez soi ».
Je te demande donc de m’en excuser.
J’aurais dû te demander un accord explicite pour te citer dans lettre adressée en date du 4 septembre.

Ceci étant dit, je me permets de préciser que dans la mesure où cette lettre faisait état d’une simple information (que tu avais transmise à Marie-Jo Bonnet) - à savoir que le livre consacré à Simone de Beauvoir allait être publié aux Editions Honoré Champion - je n’ai pas pensé que l’enjeu était d’une telle importance.

2°) Aussi, ai-je été fort étonnée lorsque tu m’as affirmée au téléphone que notre lettre te mettait « dans une situation intenable » ; j’ai du mal à en comprendre les raisons.

3°) Lors de ce même appel, tu as aussi fait état de ce que tu t’étais « battue pour nous », ou que tu nous avais « défendues » (je ne me souviens pas de ta phrase exacte).
La question ne se pose pas en ces termes
La question - depuis plus de trois ans - est de savoir si un livre - issu des Actes du Colloque Simone de Beauvoir dirigé par Ingrid Galster – peut être ou non publié sur les fondements d’une censure. 

4° ) C’est parce que :

* Aucune réponse n’avait été faite à la lettre que je t’avais adressée en date du 23 juillet 2001 [non retrouvée . MVL. Oct.2005] ;  

* Ni Marie-Jo Bonnet ni moi-même n’avons plus jamais été informées des conditions de publication de ce colloque qui devaient paraître aux Editions l’Harmattan fin 2002 ;  

* Je pensais pour ma part que le projet en avait été abandonné, ne pouvant imaginer - sur un plan déontologique, éthique et intellectuel - ni que ce colloque puisse être publié sans nos deux textes, ni que d’autres personnes puissent avoir été sollicitées ;

que nous avons écrit cette lettre et que nous attendons une réponse.

5°) Enfin, et c’est là l’essentiel, affirmer comme tu me l’as dit hier que Marie-Jo Bonnet et moi-même avions « retiré nos textes » est un déni du réel.

Les lettres adressées par moi-même à Ingrid Galster en date du 6 mars 2000, ainsi que celles adressées à toi même en date du 23 décembre 2000 et du 22 juin 2001 en font foi.  

Sur une position de principe - dont nous avons souvent discuté ensemble - à savoir que le texte de Marie-Jo Bonnet avait été refusé pour publication, j’ai décidé d’être solidaire d’elle.
Et j’ai refusé de cautionner un livre censuré.

Je maintiens - et Marie-Jo Bonnet avec moi - que ce livre qui va donc paraître sans nos deux textes est un livre fondé sur une censure.

Avec regrets,

Marie-Victoire Louis

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Notes de bas de page
1 Remerciements et Hommages. « Le colloque dont ce livre est issu a été financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), l’Ambassade de France à Berlin, le Ministère bavarois de l’Enseignement, du Culte, des Sciences et des Arts, le Centre de Coopération Universitaire franco-bavarois ( CCUFB) et l’Université catholique d’Eichstätt. l’Ambassade de France et le Ministère ont également apporté leur concours financier pour rendre la publication possible ». Ingrid Galster. Padeborn. Novembre 2002.  p.7.
2 J’ai en effet été tardivement invitée, ce qui explique que mon nom n’apparaît pas sur l’affiche du colloque et qu’il ne le soit que dans la présentation et le programme du colloque. J’ai par ailleurs tardivement donné mon accord pour y participer.
3  Ajout. Oct.2005. « Ni de quiconque à quiconque ».
4 Ajout. Juin 2006. J’aurais dû écrire : «  par Simone de Beauvoir de son élève »
5 Mémoires d'une jeune fille dérangée.  

Ajout. Oct. 2005 : « et accablant pour Simone de Beauvoir et Sartre ».


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