Prostitution. Proxénétisme. Traite des êtres humains
 Marie-Victoire Louis

Le code de la honte

Chronique féministe
Violences : une stratégie patriarcale
N° 62. Mai/ juin 1997
p. 20 et 21

date de rédaction : 02/03/1997
date de publication : 01/06/1997
mise en ligne : 03/09/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Le texte qui suit avait été envoyé par Marie-Victoire Louis au journal Libération avant la réunion de La Haye pour attirer l'attention sur ses dangers.
Nous avons voulu l'intégrer dans ce dossier car nous pensons que l'échec ponctuel des Hollandais lors de cette rencontre ne doit pas faire oublier le fait que ce texte s'intitule désormais :
«Déclaration ministérielle de La Haye sur les principes européens pour des mesures efficaces destinées à prévenir et combattre la traite des femmes en vue d'exploitation sexuelle ». Certes, la France a réussi à faire insérer un paragraphe plaçant le texte sous les obligations des Etats au regard des conventions internationales qu'ils ont ratifiées et notamment la convention de 1949 (non ratifiée par la Hollande) et le CEDAW Mais la structure même du texte a été entérinée.
C'est toute la politique notamment européenne sur la prostitution qu'il faut dorénavant repenser.


Les ministres des 15 pays européens doivent signer à La Haye le 25 avril 1997, un «code européen de conduite pour prévenir et combattre le trafic des femmes aux fins d'exploitation sexuelle». Sous couvert de lutte contre le trafic des femmes, sans aucun débat démocratique1, l'Europe doit adopter une déclaration politique qui va la transformer en Europe proxénète.

Plus précisément, les États vont se donner les moyens politiques de partager avec les mafias qui, d'ores et déjà, contrôlent le marché, les gigantesques profits du marché du sexe.

Comment en sommes-nous arrivé-es là ?

L'action politique, menée par les Pays-Bas mais soutenue par l'Allemagne et le Danemark, a d'abord été conceptuelle, puis mise en oeuvre juridiquement et politiquement.

Cependant, à toutes les étapes de ce processus, les institutions européennes ont joué, sur le plan international, un rôle leader en la matière.

Il a fallu faire progressivement disparaître toute référence à la convention abolitionniste de 1949 signée par 66 pays, dont 8 pays européens 2; celle-ci est en effet un obstacle pour toute politique visant à reconnaître la légitimité du commerce du corps humain. Et ce, parce qu'elle analyse la prostitution comme un système d'exploitation qu'il faut combattre et considère « la traite des êtres humains» comme une conséquence inéluctable de la prostitution.
Elle affirme enfin la volonté politique de pénaliser le proxénétisme, notamment hôtelier.

Il a fallu aussi progressivement supprimer toute référence à la prostitution en elle-même pour lui substituer une politique centrée sur la seule dénonciation individuelle de ses conséquences jugées les plus inacceptables.

Pour ce faire, le concept de « prostitution forcée » a été entériné par tous les gouvernements lors de la conférence onusienne sur les femmes de Beijing en 1995. Et, dès lors, en reconnaissant implicitement le principe d'une « prostitution libre », le traitement individuel de celle-ci est devenu possible, ouvrant la voie à la libéralisation de la gestion de la prostitution.

Quelques années de lobbying ont alors suffi pour passer de l'affirmation d'une volonté de lutter contre l'exploitation de la prostitution à la réduction d'une politique centrée sur certaines de ses manifestations, considérées comme les plus abusives, contraintes ou violentes.
Et, enfin, s'incarner dans le seul trafic des femmes.

Dès lors, la technique, utilisée par tous les systèmes de domination, consistant à justifier un système par la lutte contre ses « abus » a été mise en place.

Affirmer vouloir combattre les formes définies par l'État - comme les plus «inacceptables» de la violence, de la prostitution ou de la «traite des êtres humains» - c'est reconnaître et accepter le système qui les génère.

La preuve la plus pertinente de cette assertion réside dans le fait que toute référence au « tourisme sexuel » a été formellement refusée.
Il n'est pas en outre anodin qu'aucune référence ne soit faite à une quelconque déclaration des droits de l'homme.

Ce qui va être proposé à La Haye, c'est l'achèvement du processus.

Pour la première fois à un niveau ministériel, les gouvernements, sous couvert de prévenir et de combattre les excès du trafic des femmes, doivent entériner et la légitimité de la prostitution, et celle du proxénétisme, et celle du trafic.

Il n'est d'ailleurs même pas question officiellement de réguler ce marché; un «code de bonne conduite» entre ses bénéficiaires, les États et les proxénètes sera suffisant pour servir de grossier paravent à la libre loi du marché des êtres humains.
Pour ce faire, la définition du trafic qui doit être entérinée est suffisamment floue et large pour conférer aux États la libre définition des critères d'entrée et de sortie du territoire. La voici: « Tout comportement qui facilite l'entrée légale ou illégale, le transit par ce territoire, l'entrée ou la sortie du territoire d'un pays de femmes dans le but d'obtenir un profit d'une exploitation sexuelle par les moyens de la contrainte, de violence particulière ou de menaces, de chantage ou de fraude, d'abus d'autorité tels que la personne n'a pas de choix réel et acceptable autre que de se soumettre à la pression ou à l'abus mis en œuvre.»

Cette définition, qui bouleverse toutes les politiques en matière d'émigration, permet ainsi aux États de faire venir « travailler » et expulser des prostituées, mobilité exigée par ce « marché », sans pour autant leur conférer aucun droit au séjour. En alimentant librement le marché de la prostitution (en renouvelant aisément l' «offre» de prostituées ), elle contribue à élargir la « demande des clients » et donc à augmenter les profits.

Mais les États se sont cependant réservé le droit de lutter contre les « excès » de ce trafic, c'est-à-dire contre ses formes, pour eux, les plus inacceptables.

Ce code fait reposer sur les présumées victimes ainsi que sur les « témoins » la charge de la preuve des contraintes et de la fraude exercées à leur encontre. Pour cela, il faut qu'elles puissent déposer plainte contre leurs trafiquants, et donc qu'elles ne soient pas - ce qui est le cas actuellement - « immédiatement » 3expulsées.
Il faut aussi qu'elles soient protégées contre les mesures de rétorsion de manière à ce qu'elles puissent déposer au procès, de manière « opérationnelle ».

Pour cela, le code de conduite propose un certain nombre de « mesures pour les encourager et les aider à porter plainte » : pas d'emprisonnement, en tant que « résidentes illégales » ; pas de poursuites les concernant ; permis temporaire de résidence ; assistance juridique; foyers sûrs et aide financière. Il est même prévu des « remèdes et des compensations ». Et le procès terminé, pour que la bonne conscience européenne soit préservée « des mesures facilitant la réintégration dans le pays d'origine ».

En réalité, il est d'autant moins question de droits des victimes que leur soutien est subordonné à la décision d'ONG, elles-mêmes financées par les États.

C'est le mode de gestion de l'association STV qui est le fer de lance de la politique hollandaise nationale et internationale en la matière.
Si l'Europe a ainsi conféré au proxénétisme - dont les intérêts sont indissociables de ceux tirés des revenus de la drogue et de l'armement - une sécurité qu'il n'a jamais obtenue auparavant de manière aussi évidente, elle n'entend pas pour autant abandonner toute souveraineté.

Ce code confère aussi aux États les moyens de pénaliser, d'expulser, mais aussi de « confisquer les avoirs » des mafias, insuffisamment « coopérantes », trop exigeantes ou par trop politiquement gênantes, notamment en cas de scandales publics, du type de l'Affaire Dutroux. Celles-ci n'ont cependant pas trop à craindre.

Ainsi, sur le plan policier, le Conseil de l'Union Européenne a, le 23 octobre 1996, intégré « la traite des êtres humains » au mandat de l'unité « Drogues » d'Europol, dont elle devient un sous-produit et ce en 4ème position, juste avant «le trafic illicite des véhicules».
Rappelons que cette unité dont la finalité est limitée « à l'échange et l'analyse d'informations et de renseignements », fonctionne comme équipe non-opérationnelle4. En outre, l'accès au fichier d'Europol par les polices européennes est limité au « nom, à la date et lieu de naissance, à la nationalité, au sexe et, au besoin, aux signes physiques particuliers » 5
Aucun fichier des proxénètes n'est donc possible.

Ce projet de code est l'aboutissement de près de vingt années de travail efficace et intelligent du gouvernement hollandais pour imposer ses vues sur le plan international et européen.
Pratiquement tout a été balisé pour qu'aucune résistance institutionnelle ne puisse plus être efficacement entendue.

Reste aux citoyens et aux citoyennes européen-nes qui n'ont jamais été informé-es par quiconque de la gravité de l'engagement qui va être pris, à demander que leurs gouvernements s'opposent à l'adoption de ce texte.

Sinon, nous devrons tous et toutes reconnaître que nous acceptons, pour freiner la baisse de notre niveau de vie, comme solution à la « crise », que des millions de personnes, hommes, femmes, adultes, adolescents et enfants des deux sexes, n'aient d'autre horizon de vie que d'être pénétrés sexuellement dans le sexe, l'anus ou la bouche par des sexes d'hommes et/ou de les masturber. Et nous devrons accepter de vivre avec cette réalité à la face du monde.

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Notes de bas de page
1 Le 20 avril 1997, le service de presse de Madame Gradin, Commissaire européenne chargée du « dossier », n'était pas en mesure de diffuser le projet de code. Et lors de la réunion des ONG financée avec l'appui de la Commission européenne pour préparer cette rencontre {le 14-16 avril 1997), les opposantes aux thèses hollandaises ont été interdites de présence.
2 Belgique, Finlande, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Norvège, Portugal.

Lors de la réunion du 14avril 1997, préparatoire à la réunion ministérielle, la demande de la France de faire référence à cette convention a été balayée d'emblée aussi bien par la Présidence hollandaise que par l'Allemagne qui ont fait valoir que leur pays n'avait pas ratifié cette convention. Quant au souhait de voir figurer à la suite de la définition de la traite des femmes la mention «sans préjudice de dispositions existant dans le droit national», il a été qualifié par le représentant de la Commission de «mauvais débat».

3 Selon les termes mêmes du code.
4 Article 2 de l'Action commune du 10 mars 1995.
5 Article 8, & 2. de la constitution d'Europol . J.O. des Communautés Européennes. 27 nov. 1995.

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