M-V L : Il n'y a plus en France, depuis au moins 20 ans (notamment depuis la révolte des prostituées) de réflexion de fond en matière de prostitution.1 Et la politique française est réduite à sa plus simple expression : les gouvernements se contentent en règle générale de défendre les textes existants et notamment la convention abolitionniste internationale de 1949. Si cette convention a le grand mérite de porter un jugement de valeur sur la prostitution et d'affirmer dans son article 2 la nécessité de lutter contre le proxénétisme, elle n'est plus suffisante pour lutter contre l'explosion de la prostitution et appréhender ses nouvelles formes.
Cependant, la situation politique a changé dans la mesure où, lors de la dernière rencontre ministérielle de La Haye, du 22 au 26 avril 1997, qui était chargée, pour la première fois à un niveau gouvernemental européen, d'entériner les thèses hollandaises visant à légaliser le proxénétisme, la France, grâce notamment aux pressions exercées par les associations de femmes et féministes a joué un rôle d'avant-garde dans la lutte contre ces positions. Le gouvernement français doit maintenant proposer une vraie politique alternative globale. Sinon cette résistance n'aura été qu'un feu de paille.
Et il faut agir vite. Car, le gouvernement Hollandais - soutenu notamment par l'Allemagne et le Danemark, mais aussi largement par l'Union européenne - a mis en place depuis une quinzaine d'années une véritable politique internationale extrêmement efficace. Il a en effet un projet très clair - bien qu'il n'en fasse, bien sûr, jamais état publiquement, en ces termes - de faire entériner par le droit la légitimité du proxénétisme. Et, sous certaines réserves de plus en plus ténues, à en élargir le marché. Il n'est sans doute pas nécessaire d'attirer l'attention sur l'importance économique pour un gouvernement de contrôler ce processus.
M-V L. : Le gouvernement hollandais finance un nombre impressionnant de recherches, d'ONG, d'associations de prostituées, de féministes - qui sont divisées sur ce sujet - et autres sur un plan national et international. Il organise - par ONG interposées - partout dans le monde rencontres et colloques et crée des réseaux internationaux dont la finalité ne se limite pas à la prostitution, ni au trafic des êtres humains: violences contre les femmes, mariage par correspondance, politiques migratoires, travail domestique.... Chaque conférence internationale voit sauter un nouveau verrou juridique et politique et se mettre en place des concepts alternatifs. Et les Pays-Bas n'attendent que le moment politiquement propice pour proposer une nouvelle convention internationale substitutive à celle de 1949.
Déjà, dans les textes internationaux, vous ne voyez plus aucune allusion au proxénétisme et encore moins aux clients au profit desquels ce marché du sexe se construit, tandis que le terme de prostitution a pratiquement disparu de la littérature onusienne.
Et le processus s'accélère : en quelques années, on est passé du concept de prostitution à celui de "prostitution forcée", puis à celui de "traite" et maintenant à celui de "traite forcée".
Dès lors, et la prostitution et le proxénétisme sont légitimés, comme l'est la " traite" au nom de la lutte contre ses "abus" ou contre les "contraintes" qui pèsent sur ses victimes : ce sont à des étrangères sans papiers à qui incombe individuellement la charge de porter plainte contre le trafic dont elles ont été l'objet. Parler de la défense des droits des prostituées est, à cet égard, inacceptable.
Tout d'abord, il me semble que tous les concepts anciens, plus particulièrement ceux d'abolitionnistes et de réglementaristes doivent être revus: ils ne sont plus opératoires pour comprendre les nouvelles donnes en la matière.
Ceci étant, la question n'est pas là : on n'analyse pas un système politique et économique à partir de la supposée adhésion de ses victimes à leurs pratiques.
Qui oserait analyser - en m'excusant de l'analogie - le capitalisme, l'esclavage, le servage, l'apartheid au nom du droit des ouvriers, des esclaves, des serfs, des noirs à être exploités par ces systèmes ? Et, quand bien même, on admettrait que certaines personnes voudraient se prostituer, ce supposé "choix" ne peut en aucun cas servir de seule aune pour justifier un système de domination et d'exploitation.
Qui peut accepter, en toute conscience, que des millions et des millions d'êtres humains - adultes et enfants - n'aient d'autre horizon de vie que d'être à la disposition sexuelle de toutes les personnes prêtes à les payer ?
La lutte contre la prostitution et non contre sa seule exploitation - terme ambivalent qui ne remet pas en cause le principe sur les fondements duquel la prostitution est construite - doit reprendre. Pour cela, toute analyse qui ne prendrait pas en compte l'ensemble des parties prenantes à ce gigantesque marché : les Etats, les proxénètes, les clients, les prostituées est inadéquate à son objet.
Par ailleurs, il faut cesser de se justifier. Ceux et celles qui cautionnent, au nom d'une spécificité de la sexualité masculine, la légitimité de l'appropriation commerciale des corps cautionnent la domination masculine. Ceux et celles qui veulent faire du profit sur la vente des corps - poussant la logique marchande jusqu'à son terme - n'ont aucune morale. Et contribuent à accroître les violences les plus scandaleuses et les moins réprimées.
Dans les deux cas, les pays riches bénéficient des revenus de ces marchés, tandis que mafias internationales et Etats luttent pour son contrôle. Et qu'en Europe, les Pays-Bas y joue un rôle déterminant.
Cependant, en ce qui concerne l'argent de la drogue, il est au moins question de ses dangers, alors qu'il existe une véritable chape de plomb qui pèse sur l'argent du proxénétisme, ses réseaux, ses accointances, son recyclage, ses affectations.
Ceci étant, l'analogie s'arrête là où l'on remet en cause l'affirmation, pourtant présentée comme une valeur universelle, de l'inaliénabilité du corps humain. Et c'est bien de cela qu'il s'agit. À cet égard, faut-il rappeler que la pérennité d'un système ne le légitime pas pour autant.
Aucune analyse sur la prostitution ne peut faire l'impasse d'un jugement éthique en la matière.