Le système prostitutionnel est indigne. Il doit être aboli.
* Il est indigne car il légitime le système de domination qui considère comme normal que le sexe de certains êtres humains soit un territoire de leur corps étranger à eux-mêmes.
* Il est indigne car il confrère à certains êtres humains - potentiellement, nous tous et toutes - le droit de pénétrer le sexe d'autres êtres humains et/ou de décider de l'usage qu'ils entendent en faire .
* Il est indigne car il transforme des êtres humains en personnes corvéables à merci.
*Il est indigne car il fonde le droit de tirer profit des revenus de l'exploitation de la prostitution d'êtres humains.
* Il est indigne car transforme le sexe en objet légitime du marché.
* Il est indigne car il tient pour acquis que certains êtres humains seraient non pas une fin en eux-mêmes, mais des moyens pour d'autres.
* Il est indigne car il entérine le principe selon lequel certains êtres humains sont aliénables.
* Il doit être aboli car les droits de la personne humaine sont "un" ou ne sont pas.
* Il doit être aboli car si nous entérinons ce droit-aux-prostitué-es, lui-même indissociable du droit à vivre des revenus de ce "marché" - nous nous condamnons tous à devenir un produit marchand. Tant il est vrai que le propre du système prostitutionnel est de n'avoir ni frontière, ni limite.
* Il doit être aboli car aucune société ne peut se fonder sur la permanence d'une telle barbarie, sauf à considérer que celle-ci n'est pas seulement le passé mais aussi l'avenir de l'humanité.
* Il doit être aboli car il constitue la pierre de touche du système patriarcal, hétéro et homosexuel. Et qu'il est plus que temps que cette histoire dévastatrice, dont, nous les femmes, avons, dans l'histoire, payé un prix si élevé, cesse.
* Il doit être aboli car aucune liberté n'est pensable tant qu'institutionnellement une seule personne peut, en droit, être aliénée. Toute référence à la "liberté" des personnes prostituées est donc une caution du système prostitutionnel.
C'est donc d'abord et avant tout, fièrement, sur le terrain de l'éthique et de la morale que les abolitionnistes doivent politiquement s'affirmer.
Ils doivent alors renvoyer ceux et celles qui contestent les fondements de l'abolitionnisme à leur vraie place, celle de la défense des intérêts du proxénétisme et des clients. Ils doivent donc dévoiler l'absence de position morale pour ce qu'elle est : l'expression de l'avant-garde des intérêts conjugués du patriarcat et du libéralisme.
Comment engager une telle lutte ?
D'abord en mesurant la gravité de la situation. Car toutes les institutions internationales (ONU, BIT notamment) mais aussi européennes ont d'ores et déjà abandonné le principe même de la lutte contre le système prostitutionnel.
Elles ont en effet abandonné toute référence à la convention abolitionniste du 2 décembre 1949 "pour la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui", seul texte de droit international qui porte un jugement éthique sur "la prostitution" (Préambule), pose la condamnation formelle de certaines manifestations du proxénétisme, (Art. 1 à 4), fait de la "traite des êtres humains" un "accompagne [ment]" de la prostitution (Préambule) et - partiellement et insuffisamment - reconnaît que les personnes prostituées sont "les victimes" (Art. 16) de ce système.
Ces institutions ne sont donc plus liées par la condamnation morale et donc politique de la prostitution, ni par le principe de la pénalisation du proxénétisme. Elles ont alors pu transformer les personnes prostituées de "victimes" à "actrices" du système. Et elles ont elles ont enfin fait de la question de la "traite" - c'est à dire du passage transfrontières - leur principale politique, sans pour autant d'ailleurs conférer aucun droit aux victimes de la dite "traite".
Nous sommes donc entrés, au XXI ème siècle, dans un monde qui a remis en cause un siècle de luttes pour la reconnaissance de "la dignité et de la valeur de la personne humaine" (Préambule), et dans lequel les Etats reconnaissent le droit pour une personne ou un groupe de personnes de vivre des revenus procurés par l'usage public du sexe, avec pour exception, leur appartenance à la "criminalité transnationale organisée".
Comment fonder les principes de cette lutte pour l'abolition du système prostitutionnel ?
* Nous devons rétablir la filiation historique de l'abolitionnisme avec les luttes pour l'abolition du système esclavagiste.
* Nous devons reposer la convention du 2 décembre 1949 au cœur de ce projet, la réinscrire dans la modernité, et récuser toutes les politiques qui l'ont considérée comme "inappropriée", comme l'a fait le Parlement Européen, le 19 mai 2000.
* Nous devons affirmer sans ambiguïté, au même titre que toutes les femmes sont les victimes du système patriarcal, que les personnes prostituées, sans distinction aucune, sont victimes du système prostitutionnel.
Toute référence au fait qu'elles " se livre[raie] nt à la prostitution"- les rendant ainsi responsables de leur statut - et toute pénalisation les concernant doivent être supprimées de notre droit. Les personnes prostituées doivent donc non pas être réintégrées dans le droit dit "universel", mais libérées du droit proxénète qui, depuis des siècles, a légitimé le système prostitutionnel.
La question du statut et/ou des revenus alternatifs, reconnus et mis en place des personnes prostituées, celle des droits dont elles ont été dépossédées en tant que femmes, qu'homosexuel-le, trans-sexuelle, prostituées, travesties doit être le paradigme à partir duquel cette nouvelle politique doit être pensée et mise en œuvre.
* Un abolitionnisme moderne doit lutter pour un monde qui pénalisera le principe même du proxénétisme et non plus seulement, comme c'est le cas aujourd'hui, de manière fort limité, certaines modalités de l'"exploitation de la prostitution".
* Un abolitionnisme moderne doit mettre un terme au droit - jamais aboli - de-l'homme-aux-prostituées.
* Un abolitionnisme moderne doit lier la lutte contre le système prostitutionnel et la lutte contre la pornographie, qui en est le cache-sexe.
* Un abolitionnisme moderne doit enquêter, s'inquiéter, dénoncer la très profonde pénétration des milieux proxénètes dans la presse, la culture, la politique, l'économie, et nombre d'O.N.G.
* Un abolitionnisme moderne doit enfin dénoncer sans concession celles et ceux qui ont osé poser comme nouveau paradigme de notre société, celui d'un monstrueux "droit à se prostituer", préfigurant ainsi un monde où l'on reconnaîtrait de nouveaux "droits" à être dominé-es, violé-es, humilié-es, battu-es, exploité-es, esclavagisé-es, assassinée-es qui sont autant de composantes, de caractéristiques et de manifestations du système prostitutionnel.