Politiques publiques France
 Marie-Victoire Louis  *

La parité, Pourquoi faire ? Pour que ça change

L'Humanité1
14 janvier 2000

date de rédaction : 01/12/1989
date de publication : 14/01/2000
mise en ligne : 16/10/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Les débats sur la parité évitent généralement de poser la question : en quoi une Assemblée paritaire - composée pour moitié d’hommes et de femmes - pourrait-elle changer notre vie ? Comme s’il fallait absolument éviter tout risque d’un questionnement féministe qui pourrait se profiler derrière la revendication de la parité. Or, qu’on le veuille ou non, la revendication de parité tout à la fois dévoile et remettra en cause tous les rapports de pouvoirs publics et privés entre les sexes.

Si l’Assemblée Nationale était paritaire, voici quelques questions qui pourraient plus aisément être posées au gouvernement, lors des questions orales du mercredi :

* À Martine Aubry : Pourquoi, alors qu’officiellement sa politique est d’aider à concilier travail domestique et travail salarié, le budget affecté aux crèches, aux centres aérés, à l’aide à domicile, à l’aide à l’autonomie des personnes handicapées, aux centres de soins et d’hébergements pour personnes âgées n’est-il pas en très forte augmentation ? Comment peut-elle justifier que la suppression au 4/5ème, en 1997, des crédits déconcentrés permettant de lutter contre le chômage des femmes ainsi que des actions innovantes créera une  amélioration de la situation de l’emploi des femmes ? Peut-elle expliquer comment une politique de l’emploi qui ne prend pas en compte la division sexuelle du travail peut remédier aux inégalités pourtant si flagrantes? 2

* À Jean-Pierre Chevènement : Comment explique t-il que son ministère puisse centrer toute sa politique sur la « délinquance des mineurs », sur la violence des banlieues, sur la violence en milieu scolaire, sans évoquer ni la question de la dimension masculine de cette violence, ni le sexisme qui nourrit quotidiennement ces violences ? Comment son républicanisme et son attachement à la laïcité s’accommode-t-il de la signature de conventions étatiques bilatérales qui reconnaissent l’application aux femmes étrangères, sur le territoire français, de codes de statut personnel religieux ?

* À Elisabeth Guigou: Quand affirmera t-elle qu’aucune violence sur les personnes ne doit plus être déqualifiée (viols déqualifiés en agressions sexuelles, agressions sexuelles en harcèlement sexuel..) ? Que ces plaintes ne doivent plus être classées sans suite par les Parquets ? Qu’aucune d’entre elles ne doit être traitée par la « médiation pénale » ? Que l’augmentation des plaintes pour violences sexuelles doit, à tout le moins, s’accompagner d’une augmentation des condamnations ? Faute de quoi, la justice pourra être légitimement accusée de protéger les agresseurs. Combien de pères violeurs sont-ils actuellement en prison ?

* A Dominique Strauss Kahn: Quand procédera-t-il à une analyse sexuée de l’ensemble du système fiscal? Pourquoi l’imposition fiscale n’est-elle pas individuelle ? Peut-il chiffrer l’apport des femmes de ce pays en rapport avec ce dont elles bénéficient ? Une féministe allemande disait à cet égard : « On ne demande pas le remboursement de la dette qu’ils ont à notre égard. On se contenterait du remboursement des intérêts ». C’est à voir... En tout cas, cela peut être négociable...

Claude Allègre: Quand va-t-il entreprendre la réforme des livres scolaires de manière à en éliminer les stéréotypes sexistes présents jusque dans la rédaction des épreuves de maths au bac ? Quand la place et le rôle des femmes et des féministes sera-t-elle reconnue à sa juste place dans l’histoire des sciences, la littérature, l’histoire, la politique...? Quand la dégradation institutionnelle de l’enseignement et des recherches féministes et/ou sur le genre va-t-elle prendre fin? Quant les jurys d’entrée et de sortie dans le système scolaire seront-ils composés à égalité d’hommes et de femmes ?

* A Pierre Moscovici : Comment le gouvernement français se situe-t-il entre les projets Néerlandais et Allemands de reconnaissance de la prostitution comme activité commerciale légitime et le projet Suédois qui pénalise les clients des prostituées? Est-il d’accord avec le projet de l’Union Européenne qui exclut la prostitution de la définition des violences contre les femmes ? Sinon, quelles actions compte-t-il entreprendre? Va-t-il s’opposer à la suppression programmée de la Commission des droits de la femme du Parlement Européen?  

Marie George Buffet : Quand va-t-elle lancer une politique contre les violences sexuelles exercées sur les sportifs/ves, à l’instar de celle déjà mise en oeuvre par le Ministère de l’Éducation Nationale contre le bizutage et dans la suite de celle entreprise contre le dopage dans le sport ? Son budget bénéficie-t-il, à égalité, aux jeunes hommes et aux jeunes femmes?

* À Catherine Trautman : Estime-t-elle normal que les femmes, qui paient leur redevance télé comme les hommes, doivent se voir imposer des publicités sexistes et nombre d’émissions et de films (notamment pornographiques) qui assimilent domination masculine, violences sexuelles et jouissance ; sans évoquer celles qui banalisent la prostitution voire la justifie.

* À Nicole Pery : Quand pense-t-elle obtenir un budget qui ne lui interdise pas de facto de réaliser d’autres initiatives d’envergure, autre que celle de la « campagne contraception », encore une fois repoussée ? Quand la défense des femmes victimes de violences, battues, violées, harcelées, assassinées, dans la rue, dans leur domicile, au travail, sera-t-elle au coeur de sa politique? En février, deux femmes ont été brûlées vives sans que le gouvernement n'ai cru bon réagir:  le 15 février à Strasbourg, un homme a brûlé son «amie » à l’aide d’essence, après l’avoir blessée à coups de machettes. Le 17 février, dans le Doubs, un homme a « mis le feu à sa compagne après l’avoir aspergé d’essence et s’est ensuite immolé par le feu ».(AFP) Les statistiques de la Sécurité Publique ont relevé en 1997, 84 « homicides intra-familiaux », ce qui signifie concrètement que sept femmes par mois sont tuées par leur « compagnon ». Et combien de suicides et de tentatives de suicides ? À ces statistiques, il faut ajouter celles de la Gendarmerie qui comptabilisaient, même année, 195 homicides et tentatives d’homicides d’hommes sur des femmes.  

* À Bernard Kouchner : Comment peut-il justifier qu’aucune pilule contraceptive de la nouvelle génération ne soit remboursée ? Quelle politique compte-t-il mettre en oeuvre pour diminuer la mortalité maternelle et néonatale? Pourquoi les gynécologues médicaux (ne faisant pas d’accouchements) sont-elles particulièrement menacées de disparaître ? La part du budget affectée aux recherches contre le cancer du sein est-elle en augmentation ? Sinon, pourquoi ? Dans quelle mesure l’accroissement important du nombre de femmes porteuses du virus H.I.V a-t-il été pris en compte en termes de politiques de lutte contre le sida?

* À Émile Zucarrelli. Parmi les 17 propositions faites par Madame Anne-Marie Calmou, concernant la place des femmes dans la Fonction Publique, quelles sont celles qu’il compte mettre en oeuvre ? Et quand ?   

* À Lionel Jospin. Pourquoi n’a-t-il pas défendu lui-même le projet de loi de modification de l’article 3 de la constitution? Pourquoi son gouvernement n’a-t-il jamais précisé quelles lois il entendait proposer en application de ce texte? Par ailleurs - si l’on excepte les décisions qui ne coûtent rien à l’Etat (féminisation des titres et fonctions politiques) - peut-il présenter aux femmes vivant dans ce pays un bilan de ce que son gouvernement a fait concrètement pour améliorer leur situation ? Sa lettre d’invitation à la réception pour le 8 mars évoque « la place que les femmes devraient tenir, au sein de notre société » mais ne propose aucun projet politique concret.

Maintenant, si l’on imagine l’activité législative d’une Assemblée Nationale paritaire, on pourrait aussi proposer le vote de certains textes : le vote d’une loi antisexiste ; d’une loi renversant la charge de la preuve en matière d’inégalité de salaires, de discriminations et de harcèlement ; d’une loi posant le principe, en cas de violences, du maintien des femmes et de leurs enfants, au domicile dit conjugal ; d’une loi qui garantirait positivement aux femmes le droit de transmettre leur nom à leurs enfants ; d’une loi qui prélèverait à la source le paiement de toutes les pensions alimentaires ; d’une loi criminalisant la transmission intentionnelle du sida, repoussée lors du vote sur le nouveau code pénal;  d’une loi qui permettrait aux femmes étrangères victimes de discriminations et de persécutions sexistes et/ou de violences sexistes, et/ou en raison de leur homosexualité, d’obtenir le droit d’asile. Bien entendu, cette loi devrait aussi concerner les homosexuels. On pourrait aussi supprimer le délit d’avortement toujours inclus dans le code pénal, modifier la loi sur le harcèlement sexuel de manière à permettre de poursuivre non plus seulement les supérieurs hiérarchiques, mais aussi les collègues de travail, etc....

En matière de projets politiques, on pourrait proposer une refonte du système pénal qui placerait au coeur de cette réforme la défense des droits des victimes. La publication d’une Charte des droits et libertés des victimes et présumées victimes serait un signe fort. L’Etat pourrait ainsi réaffirmer que la justice ne doit plus être fondée sur le principe premier de la défense de la propriété et de l’ordre public, mais sur la défense des droit des personnes. Il serait aussi possible de s’inspirer des initiatives les plus progressistes pour mettre en oeuvre d’une politique de tolérance-zéro de la violence masculine (campagnes d’affichages et télévisuelles répété ; formations juridiques des magistrat-es, des avocat-es, des policiers ; augmentation important du soutien financier aux associations de femmes et féministes, qui jouent de facto, un rôle de service public et au sein desquelles réside l’expertise dont l’état a besoin; instructions données aux services de police, à la gendarmerie, aux Parquets..)

Il serait, alors plus aisé, de demander que la politique étrangère et de coopération prenne en compte centralement en sus de la défense des « droits de l’homme » la condamnation des droits des hommes sur les femmes....

***

J’arrête là, faute de place, mais chacun-e peut continuer l’exercice. Ce qui en sortirait donnera, à coup sûr, de l’oxygène au débat public.

En tout état de cause, il est temps que l’antiféminisme qui se cache si souvent derrière l’universalisme-à-la-française apparaisse, au grand jour, pour ce qu’il a toujours été: une arme pour faire taire toutes les femmes. 3

Le gouvernement, pour sa part, ne doit pas oublier qu’il est jugé sur les valeurs qu’il défend et sur sa capacité à intégrer les « couches sociales nouvelles », pour reprendre l’expression de Gambatta.

Il ne doit pas plus oublier qu’un jour, - sans que l’on sache pourquoi, mais toujours au terme d’un long cheminement - une société considère comme « injuste » ce qui, la veille encore, était « normal ».

C’est sans doute ce qui se passe actuellement grâce aux débats ouverts sur la parité. Ce processus ne doit pas s’arrêter. Car, si nous pensons qu’une société paritaire doit se bâtir en commun, nous ne devons pas laisser aux seuls politiques le droit de décider de notre avenir, ni aux seul-les intellectuel-les et aux seul-es nanti-es (dont je fais partie) le monopole de la parole.

Un référendum sur la parité - qui permettrait de reformuler la question devant être posée - serait une occasion exceptionnelle de sortir enfin de la caricature des débats sur les rapports entre les sexes, dans lequel la société française s’enferme depuis si longtemps.

Et de briser les carcans sexistes qui nous étouffent et bloquent toute avancée progressiste.

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Notes de bas de page
1 Ce texte a été publié très coupé.
2 Cf Catherine Lafon, « Femmes et emploi: le grand bon en arrière » Libération. 3 mars 1999
3 Sous la direction de Christine Bard, Un siècle d’anti féminisme. Fayard. 1999.

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