Parité
 Marie-Victoire Louis

Mixité ou parité

Projets Féministes Nos 4-5
Actualité de la parité
p. 11 à 29
Séminaire en neuf rencontres introduit et animé par Marie-Victoire Louis
Séminaire du 4 Octobre 1994

date de rédaction : 01/02/1996
date de publication : Février 1996
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

Intervenantes : Geneviève Fraisse, Josette Trat, Michèle Riot-Sarcey, Françoise Duroux

Geneviève Fraisse

Au risque de déstabiliser le projet de Marie-Victoire Louis - mais je ne m'inquiète pas et c'est pour cela que je le dis - ce qui m'intéresse, c'est la question de la mixité. Ce n'est pas nécessairement par rapport à la parité que l'on peut réfléchir à la mixité. Bien que les deux soient liés - je l'entends bien.

Lors d'une réunion à laquelle j'ai participé, il y a quelques mois, j'ai parlé de faillite de la mixité. Je pose la question, j'affirme : "il y a faillite de la mixité". Quand j'ai dit cela, un certain nombre de femmes étaient en désaccord avec mon propos. S'agirait-il d'un terme qui ne doit pas être prononcé, "politiquement dangereux" ? Je souhaiterais que l'on discute de cela, justement.

Un deuxième constat que je propose à la discussion est que la mixité a pu produire ou reproduire - ce qui ne signifie pas la même chose - un certain nombre d'inégalités entre les sexes.

Troisième point - et je radicalise délibérément mes réflexions - je pense que la mixité qui a un bon siècle d'histoire - est opératoire ou opérationnelle dans une période de conquête politique. Enfin, rappelons-nous que le féminisme n'a pas toujours utilisé - loin de là - le concept de mixité. L'introduction de Marie-Victoire Louis appelant à la présence des hommes dans le séminaire est à cet égard éloquente.

La mixité ne doit pas être limitée au politique et la question doit être élargie ; il s'agit du processus par lequel une société à été mixte. Je pense notamment à la question de l'école. En termes d'accession à une égalité des capacités et des pouvoirs, ce qui se passe entre les garçons et les filles n'est vraiment pas clair. II faut savoir que certain-es enseignant-es de mathématiques, d'éducation physique pensent qu'à certains moments, à certains âges, la mixité est un handicap. Ce sont sur ces points que j'aimerais ouvrir la discussion.

Françoise Duroux

Françoise Balibar1 a fait une intervention lors du bicentenaire de l'Ecole Normale Supérieure pour expliquer que depuis que les concours d'entrée à cette école sont devenus mixtes, en maths et en physique notamment, il n'y a plus de filles. Et, lorsque j'ai passé l'agrégation de philo, le président du jury m'a dit que s'il n'y avait pas une agrégation séparée pour les filles et les garçons, il n'y aurait aucune fille reçue....

Anne Le Gall ...

Parce qu'il n'y a que des hommes dans le jury.

Geneviève Fraisse

Anne, l'affaire est nettement plus compliquée...
Mais il me semble que le constat concernant la véracité de ce dire sur la faillite de la mixité doit être fait, ou, à l'inverse, que des démentis doivent y être opposés, sur tel ou tel point.
La deuxième question est de savoir quand, historiquement, ce constat est ou n'est pas valide.
La troisième question serait de repérer les inégalités, et pas uniquement en disant n'y a que des hommes dans le jury.
Je propose que l'on mette en comparaison le désir de savoir et le désir de l'autre ; chez les filles, cette relation, ce croisement ne fonctionne pas comme chez les garçons.
II faut dire, que les milieux non mixtes sont aussi, parfois, des moments de réassurance ou d'insolence, comme on l'a vécu dans le féminisme.

Josette Trat

Je me sens un peu mal à l'aise pour prendre la parole et ce, pour deux raisons. Je sens une espèce de connivence entre personnes qui ont travaillé ensemble, l'année dernière, sur le thème de la parité....

Geneviève Fraisse

Non absolument pas. II y a deux tiers des personnes qui sont ici qui n'étaient pas là l'année dernière...

Josette Trat

C'est alors une fausse impression. La deuxième chose, qui, elle, est très réelle, est que je comptais vous faire une présentation de la cohérence de la position que nous avons été amenées à développer en termes plutôt de mixité que de parité....

Voix diverses…

II n'y a pas de problème...

Josette Trat

Bon, si cela fait partie du fonctionnement du séminaire, très bien.
Je parle, ici, au titre de collaboratrice, de rédactrice des Cahiers du féminisme.
La première chose que je voulais dire, c'est que nous n'avons pas été à l'initiative de ce débat ; ce sont les différents appels successifs et articles concernant la parité qui nous ont poussé à réfléchir sur cette question et de manière très stimulante.

Notre réflexion s'est poursuivie autour de trois questions.

1) Au nom de quels principes agissons-nous ?

J'ai lu dans plusieurs textes et notamment dans l'article d'Éliane Viennot à paraître dans Nouvelles Questions Féministes que la parité serait un moyen de dépasser les divisions antérieures, les unes plutôt différentialistes, les autres plutôt égalitaristes (avec tout ce que cela peut avoir d'ambigu d'ailleurs comme caractéristique) autour d'une idée fondamentale selon laquelle l'humanité est sexuée.
En conséquence de quoi, cette réalité doit être inscrite, d'une manière ou d'une autre, dans les principes de fonctionnement même de notre constitution.

En ce qui me concerne, je pense que, malgré cette affirmation, l'ambiguïté et même la contradiction subsistent. Que l'humanité soit sexuée, c'est indéniable. Mais la bataille que l'on mène ne l'est pas au nom d'une réalité biologique, mais au nom d'un processus social et historique qui a abouti à la subordination des femmes. C'est une analyse bien connue.

À partir de là, se posent deux questions :

- Soit on inscrit cette différenciation sexuelle au titre de la biologie - et moi, je suis contre, comme, je le pense, la plupart des personnes ici présentes affirment qu'elles le sont -
- Soit on pense qu'il faut trouver un moyen, sur le plan légal, au plan de la représentation politique, pour compenser un désavantage social et historique qui s'est inscrit dans le fonctionnement social depuis des générations et des générations.

Si on pose cette question en termes socio-historiques - et c'est comme cela que je la pose - à mon avis, on ne peut pas la restreindre aux rapports hommes / femmes.
Certes, on ne peut pas faire de comparaison entre les rapports de sexes et les autres formes d'exclusion et d'oppression ; les premiers concernent la moitié de l'humanité et traversent toutes les catégories sociales. Mais sur le plan des mécanismes d'exclusion et d'oppression, ils sont - qu'on le veuille ou non - du même ordre et sont tout aussi important les uns que les autres.
Il s'agit notamment des mécanismes d'exclusion qui concernent les jeunes issus de l'émigration ou les personnes étrangères, les minorités sexuelles etc.

Si je pose ces questions, c'est parce qu'il me semble que la réponse que l'on devrait avoir doit pouvoir être, sinon exemplaire, du moins ouvrir un processus qui pose le problème de l'approfondissement de la lutte contre toutes les inégalités et non pas simplement de la lutte contre l'inégalité sexuelle, telle qu'elle peut fonctionner à tous les niveaux de la société.

C'est, à ce titre, que notre réflexion s'est plutôt orientée vers l'idée qu'il faut peut-être combiner d'autres principes : d'une part, le principe de l'universalisme et d'autre part celui de la reconnaissance de droits collectifs qui permettent de prendre en considération les oppressions que peuvent subir tel ou tel groupe social.
Cela permettrait de sortir de cette ambiguïté quant aux fondements principiels de cette bataille pour la parité. Peut-être, alors, faut-il poser le problème en termes d'une représentation différenciée sur le plan politique.

Il pourrait ainsi exister une Chambre où les individu-es élu-es le seraient sur la base d'une orientation programmatique - chaque électeur et chaque électrice voterait en fonction de ses choix purement philosophiques et bien sûr en fonction de son insertion sociale et politique.
Tandis que dans une seconde Chambre - les modalités exactes restent à discuter - l'ensemble des groupes sociaux opprimés auraient une représentation en tant que telle et pourraient faire valoir leurs revendications. Ce qui permettrait à la fois de visibiliser cette oppression, d'être une tribune et éventuellement un lieu d'exercice de droits collectifs pour l'ensemble des groupes opprimés.

2) Quelle appréciation pouvons-nous avoir des dysfonctionnements de la démocratie en France ?

Il est absolument juste de dire que l'exclusion des femmes de la représentation politique est un symptôme d'une crise grave de la démocratie. Mais on ne peut pas en rester là. II faut aller plus loin dans cette appréciation et dans ce bilan. Parce que la question ne se pose pas que pour les femmes. À partir d'un certain nombre de luttes, comment peut-on élargir le fonctionnement démocratique de la société ?
Il est, à cet égard, dommage que l'un des thèmes qui avait été abordé dans le livre : Au pouvoirs, citoyennes, celui de la féminisation des instances élues, n'ait pas fait l'objet de batailles concomitantes, comme celui du vote à la proportionnelle, du droit de vote des personnes étrangères qui travaillent et résident en France.
Mais il peut aussi s'agir d'autres questions comme celle de l'élargissement des pouvoirs des Comités d'hygiène et de sécurité, des pouvoirs des salarié-es dans le fonctionnement des entreprises, mais aussi au niveau des municipalités, etc.
À notre avis, on ne peut pas penser qu'on remobilisera les femmes si on ne met pas en avant une série de garanties d'un autre fonctionnement politique qui ne se réduit pas à la présence ou non de femmes dans les instances politiques.

3) Le problème des alliances

Il ne s'agit pas de jeter des exclusives vis-à-vis de telle ou telle personne en fonction de ses appartenances politiques ou de ses itinéraires socio-politiques. Mais il nous paraît important de reprendre le bilan de la lutte sur la question de l'avortement. Il est vrai que c'est une femme de droite qui a fait voter une loi dont on peut penser qu'elle a été un élément positif dans le statut des femmes. Mais la lutte qui a été menée sur la base de la liberté de la contraception et de l'avortement l'a aussi été sur la question du remboursement par la Sécurité Sociale. On pensait qu'un droit purement légal ne suffirait pas à faire rentrer dans les faits cette possibilité ouverte aux femmes, et notamment aux plus démunies d'entre elles, afin qu'elles soient sur un pied d'égalité avec les autres femmes.

Le fait d'en rester simplement à la parité hommes / femmes, sans poser les problèmes de fonctionnement démocratique pour d'autres catégories exclues, aboutit, de fait, à laisser ouvert un accès limité de la représentation à une nouvelle élite féminine qui ne changerait pas fondamentalement la situation. Je ne dis pas que la féminisation des instances élues, même avec des femmes avec lesquelles on n'est pas nécessairement d'accord - des femmes de droite, des femmes bourgeoises, peu importe le terme que l'on utilise - ne peut pas être tout à fait positive. Mais que cette féminisation soit l'occasion de poser le problème du fonctionnement démocratique de la société nous paraît fondamental et ne nous paraît pas avoir été abordé.

Un dernier point. Lorsqu'on veut inscrire ce principe de parité dans la constitution, comme principe philosophique fondamental, il y a, me semble-t-il, une ambiguïté : c'est d'affirmer la définition d'une identité, d'une certaine manière, unilatérale pour les individu-es.
Certes, on naît homme ou femme, mais la manière dont on combine les différentes insertions dans la société est totalement variable d'un-e individu-e à l'autre.
À cet égard, il n'y a aucune norme à formaliser.
On sait très bien que certaines se vivent, par exemple, comme femmes et juives, ou femmes et salariées. Le respect de cette diversité de combinaison d'identités, pour elles aussi fondamentale l'une que l'autre, est tout aussi important du point de vue de l'affirmation des principes que l'affirmation de différenciations socio-historiques qui, elle-même, n'est pas clairement affirmée à travers l'inscription de la parité dans la constitution.

Voilà, rapidement les raisons pour lesquelles nous nous étions plus retrouvées dans le texte rédigé par Helena Hirata, Danièle Kergoat, Michèle Riot-Sarcey, Eleni Varikas 2qui était, en effet, plus centré sur la revendication de la mixité, c'est-à-dire de la transformation de la société de telle manière que la division sexuelle du travail ne soit plus au centre de l'organisation de la société, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui.

Michelle Riot-Sarcey

Personnellement, je n'ai pas retravaillé sur la parité depuis cet article, mais je saisis l'occasion que nous offre Geneviève Fraisse pour poser effectivement le débat de la mixité et avancer une question qui me semble extrêmement importante.
Je ne dirais pas qu'il y a faillite de la mixité.
Cela me paraît trop rapide de parler maintenant en ces termes, dans la mesure où, me semble-t-il, cette mixité n'a pas été réellement été mise en oeuvre.
Longtemps, l'individualité pleine et entière a été, pour l'essentiel, refusée aux femmes.
La seule différence acceptée, reconnue, fut la différence sexuelle.

Sur cette base, il y a une construction de genre et une construction de l'altérité. Des différences sexuelles ont été transformées en différences sociales. Aujourd'hui même, il est difficile de parler d'échec de la mixité, car, à ma connaissance, l'égalité n'a jamais été réalisée. Il ne peut y avoir de mixité que s'il y a effectivement égalité ou, pour le moins, égale liberté. Or, la place des femmes a été très largement dominée par les fondements de la démocratie moderne : universalité identifiée au masculin et séparation de la sphère publique et privée. Et, de ce point de vue, on ne peut pas dire qu'il y ait actuellement une réelle évolution.
En conséquence de quoi je parlerais, pour ma part, de mixité non mise en oeuvre ; donc, à venir.
C'est pourquoi nous avons davantage été sensibles à cette idée de mixité plutôt qu'à celle de parité.
Geneviève Fraisse a parlé, dans ses travaux, de démocratie exclusive, Joan Landes 3a parlé d'exclusion constitutive de la République, Carole Pateman 4 a parlé de constitution de la modernité. J'ai expliqué aussi, à ma mesure, que l'exclusion des femmes était la condition d'existence de la République. Je ne reviens pas là-dessus ; il y a, malgré tout, un certain accord.
À partir de cette connaissance largement partagée en France et à l'étranger, comment peut-on dire (je crois que c'est Éliane Viennot qui a avancé cette idée) que la parité permettra de refonder la démocratie ?
Sachons bien de quoi on parle : nous sommes sous le régime de la démocratie représentative, qui fut identifiée à la République.
Si l'on considère que l'exclusion des femmes est constitutive de cette démocratie représentative historiquement construite, il est illusoire de penser possible une refondation de la démocratie avec 50 % de femmes, sans changer les institutions et les règles que l'on a vues naître.

Françoise Duroux

Michèle Riot-Sarcey a énoncé une proposition qui me paraît un peu précipitée, selon laquelle nous serions toutes d'accord pour dire que la démocratie est fondée sur l'exclusion des femmes.
Je suis peut-être la seule à ne pas être sur cette position, mais je maintiens que je ne suis pas d'accord.
Il y a des circonstances historiques qui ont fait après 1789, en 1793, la République naissante a exclu les femmes.
Mais cela ne veut pas du tout dire de façon démonstrative - que, constitutivement et essentiellement, la République démocratique soit fondée sur l'exclusion des femmes.
Par rapport à l'idée universaliste de la République, il y a un amont et un aval.
En amont, la question de l'égalité en général et de la place des femmes ne se pose pas Les femmes n'existent pas et si elles ont un pouvait politique, provisoirement - en tant que régentes ou héritières provisoires d'un titre de noblesse - c'est parce qu'elles sont les représentantes provisoires d'un lignage "en panne" et non pas parce qu'elles sont des femmes. Il y a une Révolution avec un projet d'universalisme et, pour des raisons multiples et variées, il est immédiatement "repris" avant même d'exister. On trouve cette "rectification" de l'universalisme déjà chez Rousseau. Dans L'Émile, avant même toute question politique, le statut de la différence des sexes est réglé au niveau de l'éducation.

Ce que dit Geneviève Fraisse sur l'éducation est intéressant, car la mixité passe, d'une certaine manière, avant le Politique.
Tout le XIXe siècle va s'acharner, en fait, à rectifier, étouffer, contrecarrer le projet universaliste par différents moyens ; mais cela ne signifie en rien que l'exclusion des femmes soit constitutive de l'essence de la démocratie.

Michelle Riot-Sarcey

Non pas de l'essence. Qu'il n'y ait pas de confusion : on parle de la démocratie représentative, dans sa nature historique.

Françoise Duroux

C'est comme le socialisme réel...
Je pense que la démocratie est un espace de possibilités, de potentialités. On peut même, de façon pessimiste, penser que c'est un espace utopique. Mais c'est un espace qui n'existait pas avant.
Il faut être très prudent-e dans les formulations pour ne pas "cracher dans la soupe", de façon hâtive.

Geneviève Fraisse

Sur le point que vient d'aborder Françoise Duroux et qui me paraît crucial, il faut dire plusieurs choses.
En ce qui concerne mon propre apport à l'analyse, j'ai écrit, à plusieurs reprises, que, concernant la démocratie, l'exclusion des femmes était en son principe et non en son système. Au sens de principe moteur, de principe aristotélicien.
Je peux même aller plus loin : l'exclusion est un événement ; elle aurait peut-être pu ne pas avoir lieu.
En revanche, là où je ne suivrai pas Françoise Duroux, en tant historienne, c'est que je pense que, dès la fin de la Révolution, c'est inscrit dans son système.
Un certain nombre de mécanismes sont en place pour produire de l'exclusion politique. Ce n'est plus alors seulement un événement qui ne se reproduira pas. C'est un mécanisme ; on peut reproduire l'événement de l'exclusion.
Je ne la suivrai pas non plus sur ce qui est en amont ; mais ce n'est pas le débat aujourd'hui. On ne le fera pas. Il me paraît important d'aller jusqu'à la radicalité de la question de l'événement : un certain nombre de choses principielles se sont mises en place, mais on ne savait pas quoi au départ. Dix ans plus tard, on sait ce qui est arrivé.

Sur le premier point évoqué par Michelle Riot-Sarcey, celui de la mixité - excusez-moi, le débat mixité / parité comme opposition, ne me paraît pas, pour un temps, le plus urgent - il est bien sûr intéressant de s'interroger sur la réussite ou la faillite de la mixité.
La position de l'utopiste consiste à dire : on n'a pas encore "fabriqué" de la mixité.
Mais ce que je sais, c'est que dans les représentations des acteurs / actrices, des écoliers / ières, des professeur-es, ils / elles ont le sentiment d'avoir participé à une société mixte.
Si les jeunes filles qui ont entre 20 et 30 ans ont quelques éveils douloureux concernant l'inégalité invisible de la mixité, c'est parce qu'il y a eu illusion de la mixité.
Je veux bien partager la position utopique de Françoise Duroux, néanmoins la représentation a existé.
On a donc une production d'affects, d'idées et de comportements liés à la croyance en la mixité comme étant une réussite. On a été élevé-es dans cette idée. Et, quand certaines personnes disent que la mixité a réussi, on ne peut pas simplement dire que c'est parce qu'elles se sont adaptées au modèle masculin.
Tout le monde se l'accordera.
Je précise encore que le mot "faillite" n'est là que pour produire de l'effet.
Puisqu'on nous a tellement énoncé la réussite de la mixité...

Éliane Viennot

Il me semble que le point de désaccord avec Josette Trat concerne l'appréciation des limites au sein desquelles nous travaillons.
Nous qui sommes en faveur de la parité nous voyons ces mêmes limites et nous le disons depuis le début. La parité, ce n'est pas "le grand soir" ; ça ne résoudra pas le problème des inégalités dans la société et bien d'autres problèmes encore.

Le problème est de savoir si c'est juste ou non de mener cette bagarre, sur le plan des principes, en sachant très bien que les femmes qui "sortiront les marrons du feu" ne seront probablement pas celles que nous aurions voulues.
Par ailleurs, est-ce qu'il y existe une dynamique - féministe et plus largement même - qui la porte, à l'intérieur de laquelle on peut faire passer des idées intéressantes ?
Je réponds oui.
Je crois que c'est notre travail de nous inscrire dans ce positionnement, dans ce frémissement que nous sentons et d'y apporter nos réponses.
Nous ne serons, bien sûr, pas les seules ; mais en termes de dynamique politique - c'est peut-être cela qui manque dans la vision de Josette Trat - cela me paraît très important.

En ce qui concerne sa proposition de Chambre "normale" et de Chambre "sociologique", je ne sais pas si elle m'a intéressée ou amusée.
Il me semble qu'elle ne touche absolument pas au système.
En ce qui me concerne, je souhaite que notre bagarre serve à bouleverser le système - y compris dans nos têtes.
Ce n'est pas vrai que l'on vote pour des gens "neutres" et que l'on ne s'intéresse pas au fait qu'ils soient hommes ou femmes.
Il y a un dysfonctionnement dans la société actuelle : on vit sur l'idée de la représentation de la démocratie représentative. On se croit représenté-es.
Si, au départ, il y a un corps électoral qui existe dans sa diversité sociale, idéologique, à la fin du processus, il y a un corps élu qui n'a pas grand-chose à voir avec le corps électoral.
Il est entièrement blanc ou quasi ; entièrement mâle, ou quasi ; entièrement composé de personnes de plus de 50 ans ou quasi ; presque entièrement parisien ou quasi - et de certains quartiers de Paris, sans doute....

Mariette Sineau

Pas trop loin du Luxembourg…5

Éliane Viennot

Entièrement bourgeois. Ce n'est pas normal.
Faire quelque chose qui permettrait l'expression des différences me semble totalement modifier un système qui est complètement pourri.

Michelle Riot-Sarcey

Par rapport à ce qu'a dit Françoise Duroux, je voulais dire qu'il y a eu incontestablement une rupture qui est intervenue pendant la Révolution française. L'individu a été déclaré libre sur le plan de l'universel et sur le plan des principes.
Mais j'ai à cet égard des réserves vis-à-vis de la position de Geneviève Fraisse, lorsqu'elle dit que l'exclusion est inscrite dans le système démocratique. C'est la suite qui me semble importante ; il y a pratique historique, processus, mise en oeuvre, établissement de règles qui ne sont pas seulement dans l'ordre du discours.
À chaque extension du suffrage pour les citoyens mâles, on assiste, en même temps, à une redéfinition de l'individualité libre et renouvellement de l'assujettissement et de la dépendance. Si Sieyès dit : "dans l'état présent des moeurs, des opinions et des institutions humaines" 6, les femmes ne peuvent être admises parmi les citoyens actifs, cela veut dire que le rapport à l'universel est possible et donc pensé possible et, à partir de là, c'est la pratique politique qui réinvente l'assujettissement.
Ce n'est pas un problème spécifiquement français.
La totalité des travaux sur ce sujet à l'échelle - je dirais presque mondiale - essaie de réfléchir sur cette pratique historique qui est pratique de pouvoir, en tant que telle.

Deuxième point à propos de la représentation. Je suis d'accord avec Geneviève Fraisse : la mixité est inscrite dans les représentations.
Or, on sait que les représentations sont constitutives des identités sociales ; effectivement, il y a une intériorisation de la mixité avec ce que cela implique du point de vue de la pratique. Mais je maintiens ce que j'ai dit antérieurement : la mixité est inaccomplie, car il y a une tension entre les représentations pensées mixtes et les identités sociales construites dans la séparation des genres.

Françoise Duroux

Concernant l'idée de Geneviève Fraisse sur la répétition de l'événement, on peut l'interpréter en deux sens ; soit comme un mécanisme intrinsèque, soit comme une nécessité de refaire perpétuellement quelque chose qui est toujours à refaire, parce que c'est toujours en danger.
Chaque fois que, d'une manière ou d'une autre, les femmes conquièrent quelque chose de l'ordre d'un espace, celui-ci n'est jamais acquis.

Danielle Haase-Dubosc

Comment fonder une revendication dans les principes mêmes qui vous excluent ? Il me semble qu'il y a là, tout au moins, un paradoxe. Je pense néanmoins que c'est possible. "Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" affirme la déclaration des droits de l'homme.
Mais cette affirmation est suivie d'une autre selon laquelle :"Les différences ne peuvent être fondées que sur l'utilité sociale".
Talleyrand, comme Sieyes, affirme des choses très importantes lorsqu'il qu'il reconnaît que si l'on exclue les femmes du domaine public et politique, il faut les dédommager. Lui aussi pense que les femmes sont quelque part dans cet "homme", tout en n'y étant pas.
Quand les femmes revendiquent quelque chose, en règle générale, elles disent : "Notre utilité sociale n'est pas celle que vous nous avez dite qu'elle est".
Nous pensons en politique, exemple, que nous sommes utiles et que nous devons être reconnues comme telles.
Là, se pose un autre problème, celui de l'égalité / différence. Est-ce que les femmes disent cela parce qu'elles pensent qu'elles sont différentes et donc qu'elles apportent - en termes d'utilité sociale - quelque chose de différent ou fondent-elles leur utilité sociale, au nom du principe des droits de l'homme, parce qu'elles sont "les mêmes", mais avec une diversité de talents ?
Pourquoi se priver de la moitié des talents partagés par les deux sexes ?
Il existe alors deux positions : "Nous sommes différentes, mais socialement utiles dans le politique" ou : "Nous sommes comme vous, mais vous ne nous avez pas intégrées".
Si je dis cela, c'est parce qu'il me semble que le paradoxe peut être travaillé et ne doit pas rester verrouillé.

Josette Trat

Il est vrai que la représentation d'une société mixte est partagée par les jeunes.
Mais je crois que les illusions en termes d'égalité étaient tout aussi prégnantes avant qu'après le passage dans les écoles mixtes. Ce phénomène d'illusion de l'égalité a sans doute des racines plus profondes.

En ce qui concerne la proposition que j'ai avancée d'une représentation diversifiée, elle n'est pas construite sur un fondement sociologique. Ce n'est ni le sexe biologique, ni la composition sociale qui la fonderait : c'est en termes de sentiment d'appartenance à un groupe opprimé et de revendications de groupes opprimés.
C'est sur la base de la contestation, de luttes et de la demande d'une représentation en tant que telle.

Geneviève Fraisse

Le tribun de la plèbe...

Éliane Viennot

Une Chambre des luttes...


Josette Trat

Une Chambre des luttes, peut-être. Je n'ai pas trouvé le mot. C'est peut-être cela.
Mais non pas sur la base d'une auto-désignation ou d'une désignation par le haut, mais par un processus de représentation, sur la base d'élections qui restent à discuter.
Il y a à la fois l'identité d'opprimées qui est une identité subjective et deuxièmement une représentation qui peut faire l'objet de processus d'élections, donc objective et pas simplement purement subjective.
Je ne suis toujours pas convaincue - même si je reste la seule - de l'idée selon laquelle seule la division hommes et femmes devrait être inscrite dans la constitution et faire l'objet d'une représentation particulière.
Si c'est sur la base d'une oppression sociale et historique, je ne vois pas au nom de quoi alors d'autres groupes sociaux ne pourraient pas revendiquer, en tant que tels, leur représentation. Le deuxième problème posé est que - qu'on le veuille ou non - aujourd'hui, la montée des nationalismes et des intégrismes religieux - dont nous ne sommes pas totalement à l'abri, même si je ne fais aucune assimilation - est une dimension de la réalité politique que l'on ne peut pas escamoter.
Il existe un risque d'assimilation identitaire par l'opposition à l'universalisme ; toute la difficulté est de combiner ces deux principes.
C'est la raison pour laquelle l'introduction, dans la constitution, de la parité, risque de formaliser cette inscription d'identités, là, d'ordre biologique, mais qui peuvent être aussi d'autre nature.

Françoise Gaspard

Je voudrais d'abord dire que je suis très contente que ce séminaire ait lieu et que, déjà, il y a des choses que je comprends mieux.
Ainsi, j'étais étonnée de l'opposition que certaines faisaient entre mixité et parité : je ne comprenais absolument pas de quoi il s'agissait, je comprends mieux aujourd'hui.

Un dialogue est donc à la fois utile et possible.
Personnellement, j'ai eu le sentiment que l'émergence de l'idée de parité, de la revendication paritaire naissait justement d'un constat de l'échec de la mixité.
Je crois donc utile de faire un bilan de ce que l'on appelle la mixité, qui n'est, en fait, que l'entrée des femmes dans l'espace public, à travers d'abord la mixité scolaire et, plus tard, la citoyenneté.
La question de la mixité sociale est relativement récente dans la modernité.
La parité est une dénonciation du fonctionnement de cette mixité ; c'est sur la base de ce constat d'échec que nous avons écrit notre livre.
La revendication de la parité, c'est qu'il y ait égalité entre hommes et femmes.

Je comprends toujours mal, en revanche, que l'on puisse opposer la revendication paritaire à d'autres revendications.
Je me bats, je me suis battue, à un moment où ce n'était pas particulièrement populaire, pour plaider en faveur du droit de vote des résidents étrangers. Cela ne m'empêche pas de me battre pour la parité.

Par ailleurs, la revendication de l'inscription dans la loi du mot "femme" n'est pas nouvelle. Dans le préambule de la Constitution de 1946, reprise en 1958, il est dit que la loi doit garantir l'égalité entre les femmes et les hommes.
En 1949, en commentant ce préambule, Simone de Beauvoir considérait d'ailleurs que les femmes n'avaient plus rien à gagner, avaient acquis l'égalité, puisque la loi devait la garantir.
Je n'ai encore entendu personne demander que soit supprimé le mot "femme" de la constitution.
En revanche, je sais que dans le monde entier, des femmes se sont battues pour il y ait des conventions internationales. Je pense notamment à la convention de New York de 1980 sur la suppression des discriminations à l'égard des femmes 7, ratifiée par la France en 1983. 8
On peut débattre à l'infini de ce que signifie l'inscription du mot "femme" dans un texte juridique national ou international, mais personnellement je vois que cette inscription a permis un certain nombre de progrès pour les femmes - je pense en particulier aux femmes du tiers-monde - depuis que ce texte existe dans les conventions bilatérales et internationales.
Je veux bien aussi que l'on supprime le mot femme du vocabulaire ; mais je pense que ce n'est pas encore d'actualité. Peut-être, lorsqu'il y aura une réelle parité, la question ne se posera plus.

Je suis d'accord avec Françoise Duroux sur le fait que la démocratie est un espace et que c'est une utopie.
La place des femmes dans la cité est une question centrale.
Si nous en sommes là, après la Révolution de 1789, c'est parce que nous ne sommes pas encore dans une démocratie paritaire et que nous souhaitons la construire.

En revanche, je dois dire que je frémis à l'idée d'un bicaméralisme. Autant je suis prête à me battre pour des formes d'élections qui permettront la représentation la plus juste possible de l'expression de la population ; autant je me battrais - à moins on me démontre de façon pertinente que c'est démocratique - toujours contre le bicaméralisme.

Je crois que c'est une idée très réactionnaire ; une Chambre corporatiste me rappelle de fâcheux souvenirs. De même qu'un scrutin qui se ferait avec deux collèges. On peut s'amuser entre nous à en parler ; mais faisons très attention aux échos, à la récupération que pourrait avoir une telle idée.

Je terminerais sur une boutade en disant que la parité est un développement de la mixité ; que la parité, c'est l'égalité parfaite et que le moyen de faire entrer les femmes dans l'universel, c'est de revendiquer la parité.

Anne Le Gall

Je voudrais d'abord parler de "l'universel". Aujourd'hui, se référer à l'universel, sans dire très exactement ce que l'on met dans cette notion, c'est avoir des "dés pipés".
Je ne suis pas d'accord avec l'usage que l'on fait de l'universel pour l'opposer - comme si cela allait de soi - à l'idée de parité.
On a l'impression que l'on vit dans un univers philosophique qui n'aurait aucun précédent historique, hors de toute structure politique et institutionnelle.
L'universel est une création politique et philosophique qui est datée, qui a eu son contenu et sa dynamique politique.
Or, cet universel qui permet à la fois d'inclure les femmes dans le corps électoral - à cet égard, le droit de vote des femmes fut une extension de ce principe - mais qui ne permet pas qu'elles entrent pas dans le corps législatif, pose problème.
Les notions que l'on utilise dans un débat politique ne vont jamais de soi et doivent être précisées.
Je dirais la même chose de la biologie.
Dans une société telle que la nôtre constituée de personnes conscientes, plusieurs représentations du biologique et du culturel existent. Mais le seul fait de concevoir le biologique est éminemment culturel.

De toutes façons, la structure la plus archaïque de la société a été fondée sur une soumission : nous sommes dans un système politique et culturel qui a comme préalable une sorte d'ablatif absolu. En latin, nous dirions : "les femmes nous étant soumises... nous allons discuter de"...
C'est ce postulat qui nous pose un problème, au niveau du langage, de notre conception même de la conscience humaine, de la dynamique politique. Mais on n'en parle jamais. Peut-être parce qu'on ne parle plus latin...
- (Rires...)

Au moment même où on emploie un concept, on est déjà placé culturellement et philosophiquement.
J'en donnerais un exemple : quand on parle du vote des émigrés, je n'entends jamais parler de la situation des femmes émigrées.
Il n'y a aucune réversibilité de cette notion de l'universel : on veut que les femmes "traînent" toutes les autres revendications les plus fondées, les plus justifiées ; mais on ne demande pas aux émigrés la situation qu'ils envisagent pour les femmes en général et les "leurs" en particulier.
Je crois profondément qu'à chaque fois qu'on parle des femmes, comme par hasard, on parle des autres. Il est temps de parler des femmes "tout court".
Dans le parcours historique que les hommes ont fait de leurs propres luttes, il faut maintenant qu'ils entendent aussi ce que les femmes entendent faire de leurs propres revendications.
La parité n'est pas biologique ; c'est une nouvelle charte politique fondée sur des principes qui, désormais, sont admis et qui sont, notamment, l'égalité des hommes et des femmes.

Claude Servan-Schreiber

Je voulais intervenir sur deux points. Le premier rejoint un peu ce qu'a dit Françoise Gaspard. Je ne comprenais pas non plus l'opposition entre mixité et parité ; je ne voyais pas comment la mixité pouvait se substituer à la parité, ou vice-versa, tant les deux notions et les deux réalités me paraissaient se placer dans un continuum ; la parité étant, pour moi, une forme quantifiée de la mixité.
Je ne voyais pas de différence de nature entre une institution mixte et une institution paritaire.
Simplement, le résultat, le réel était différent, puisque la notion de quantité apparaissait et, au plan symbolique, la différence était réelle.
Ce que j'ai compris aujourd'hui, c'est la frustration qu'engendre chez un certain nombre d'entre nous les limites de la notion de parité.
La parité n'est pas la panacée universelle, absolument pas. La mixité non plus. Ce que disait Geneviève Fraisse sur le fait que la mixité a conduit à l'exclusion des femmes des mathématiques, de la physique, par la manière dont sont organisés les concours, me paraît très intéressant sur le plan de l'opposition entre les modalités à mettre en oeuvre et l'objectif que l'on s'assigne.

Je voudrais un peu déplacer le regard pour revenir sur quelque chose qui, pour moi, est la base de tout - qui est l'objectif à atteindre - c'est-à-dire l'égalité des sexes, comme fondement de l'organisation sociale.
L'égalité des sexes, ce n'est pas l'égalité des individu-es, ce n'est pas l'égalité des blancs, des noirs, des patrons, des ouvriers... etc...
C'est l'égalité des deux composantes de l'humanité.
Si l'on n'admet pas que les deux sexes sont la pierre sur laquelle est construite l'ensemble de la société, alors, en effet, on n'arrivera pas à s'entendre.
Mais si on admet cela - et donc que l'objectif à poser c'est l'égalité des sexes et que les modalités à envisager, ce sont celles qui permettront de l'atteindre en droit et dans les faits - alors la question ne se pose plus dans les mêmes termes.
L'important c'est que les femmes et les hommes, les meilleur-es mathématicien-nes par exemple, aient les mêmes chances d'accéder et accèdent réellement aux lieux où se font les mathématiques, au plus haut niveau, là où s'enseignent les mathématiques.
À partir du moment où l'on regarde la question comme cela, on s'aperçoit que les modalités ne relèvent pas - si je puis faire un mauvais jeu de mot - de l'universel, mais de la pratique.
Ce que nous avons posé avec l'idée de parité - mais peut-être ne l'avons-nous pas fait suffisamment bien - ce n'est pas la question de la modalité unique d'accès à cet objectif principal qui est l'égalité des sexes ; c'est l'exigence de la prise en compte de cette égalité nécessaire comme fondement de toute l'organisation sociale dans toute sa variété et dans toutes ses manifestations.

Françoise Picq

Concernant la démocratie représentative, on a, en gros, entendu dire : "Ne revendiquons pas quelque chose qui est intrinsèquement mauvais, puisqu'elle exclue les femmes".
La démocratie représentative est fondamentalement imparfaite.
Du temps où l'on croyait que l'on pouvait changer le monde, on ne croyait pas à la démocratie représentative et on n'y demandait pas notre place. Parce que, fondamentalement, cela ne nous intéressait pas ; d'être "représentées" n'était pas notre problème.
L'exigence de démocratie que l'on avait, c'était gouverner sa propre vie, etc.9
Je crois que depuis cette époque, nous avons mis beaucoup "d'eau dans notre vin" et nous avons majoritairement - notre génération - décidé que nous n'atteindrions pas l'objectif que nous souhaitions atteindre ou que, si nous risquions de l'atteindre, c'est au détriment de certaines autres choses.
En gros, on a renoncé à une certaine utopie.
Et, c'est dans cette perspective-là que la démocratie représentative nous semble un moindre mal que ce que nous avons voulu construire autrefois.
C'est vrai que ce sont des élites qui sont représentées, c'est vrai que c'est imparfait, mais peut-être que, tout de même, dans ce cadre-là, un peu de progrès est possible.

C'est ce qui me frappe dans l'intervention de Michelle Riot-Sarcey, c'est sa question : en quoi est-ce que la parité est subversive ? Non, ce n'est pas subversif.
Cela part de la situation dans laquelle on est et de la volonté de l'améliorer.

Françoise Gaspard

Parce que tu ne penses qu'au champ politique. Je considère que l'introduction de la parité dans ce lieu symbolique qu'est le Parlement est de nature à changer d'autres choses dans la société.

Danielle Haase-Dubosc

Je vais proposer un autre paradoxe.
Ce projet de la parité veut entrer dans l'universel, dans l'universel du siècle des Lumières. Une seule nature humaine et le moyen de la connaître est de connaître aussi la nature. Selon cette définition de l'universel, le projet de la parité est un peu de "l'entrisme".
On peut être utiles et on veut être dedans, pourquoi pas ?
Cela peut se faire aussi un nom d'une certaine différence sexuée ; ce sont des femmes qui demandent cela.
Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un autre côté de la même chose.
Faire de "l'entrisme" à 50 % dans un universel pour le changer pour qu'il ne soit plus "neutre", qu'il devienne sexué, c'est véritablement changer cet universel.
Les universels ont leur vie, peuvent être modifiés et peuvent devenir" autre".
C'est peut-être radicaliser - et non pas l'abandonner complètement - un certain universel.

Je suis très sensible aux problèmes des particularismes, du fait de mon expérience américaine. Aux États-Unis, on a des groupes - qui sont ethniques, minoritaires, qui ont un projet commun mais qui, lui-même, se heurte aux projets des autres groupes, comme autant de particularismes qui ne sont plus rejoints sous un universel qui fonctionne pour eux. Ils sont en train de s'entre-déchirer.

Ce que ce projet de la parité fait, en n'étant pas particulariste, mais en se positionnant à 50 %, c'est qu'il entre dans une possibilité de garder un concept de l'universel.
Et je crois que nous avons besoin d'un projet d'universel, par opposition aux projets communautaristes qui pensent que l'on peut s'en passer.
Dernière chose : s'il y a une possibilité de changer l'universel, tout en la gardant, alors, on peut envisager quelque chose de plus radical dans le projet démocratique, mais par un processus et non pas par une révolution.

Retour en haut de page
Notes de bas de page
1 Professeure de physique. Université de Paris VII.

2 Hirata Helena, Kergoat Danièle, Riot-Sarcey Michèle, Varikas Eleni., "Parité, le pour, le contre", Politis, La revue. - Février-Mars-Avril 1994.
3 Landes Joan, Women under the public sphere in the age of the French Revolution, New York: Cornell University Press, 1991.
4 Pateman Carole, The disorder of women. Democracy, Feminism and Political Theory. Oxford: Polity Press. 1989.
5 Note de l'éditrice: c'est vrai aussi de nombre de participant-es de ce séminaire.
6 Sieyes : Projet lu au Comité de la Constitution les 20 et 21 juil1et 1798. ln : Ils ont pensé les droits de l'homme. Textes et débats, Madeleine Reberioux, Antoine de Bacque, Dominique Godineau. - Paris, Ligue des droits de l'homme. E.D.E. 1989.
7 Nations Unies. Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes
8 Loi du 1er juillet 1983. J.O. du 2 juil1et 1983.
9 Cf., Picq Françoise, Les années mouvement. Paris: Le Seuil, 1994.

Retour en haut de page