Lutte de femmes
 Marie-Victoire Louis

Parti socialiste et parité ; Histoire et actualité

Projets Féministes Nos 4-5
Actualité de la parité
p.190 à 220
Séminaire en neuf rencontres introduit et animé par Marie-Victoire Louis
Séminaire du 6 juin 1995

date de rédaction : 01/02/1996
date de publication : Février 1996
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Intervenantes: Denise Cacheux, Odile Krakovitch, Gisèle Stievenard


Marie-Victoire Louis

Gisèle Stievenard, conseillère de Paris, membre du conseil national du P.S remplacera Michèle André qui n'a pas pu se libérer aujourd'hui.

J'avais souhaité, en introduction du séminaire d'aujourd'hui, faire un bilan des prises de position sur la parité qui ont eu lieu au cours de la campagne électorale présidentielle, mais Le Monde a consacré, le 16 avril, une page entière qui donnait assez bien l'état de la question.1
Je pense que vous avez cependant remarqué que, dans le sous-titre de cette page, le mot féministe avait été mis entre guillemets. Le Monde a écrit : Sous l'impulsion des "féministes" des deux camps, comme il écrivait : le "FLN" pendant la guerre d'Algérie...

Denise Cacheux

Vous m'avez demandé de parler de l'histoire de la parité au sein du parti socialiste ; ce que je vais faire, mais ce qui est livré aux souvenirs de ma mémoire incertaine.
C'est peut-être d'ailleurs illustratif d'une situation car il n'y a pas d'archives de la commission femmes au P.S.
D'autres femmes ici présentes ont vécu autant que moi cette histoire et j'espère qu'elles m'aideront dans cet exercice.

Je vis au sein du P.S, depuis le Congrès d'Epinay. À cette époque, la position était que le parti était "un parti de travailleurs" et ne défendait pas les droits des femmes. Je n'entrerai pas dans l'histoire ancienne du P.S. ; je rappellerai seulement qu'au sein de la S.F.I.O., il n'y a pas eu d'organisation spécifique de femmes. Certes, un groupe de femmes socialiste s'est constitué, après le Congrès de Tours en 1920. Mais il était en réalité fondé sur une conception "attrape-tout" que l'on connaît dans les partis marxistes, c'est-à-dire d'un mouvement destiné à faire une passerelle, pour attirer les femmes vers le parti.

C'était un alibi pour la SFIO dans la mesure où ce groupe était, en outre, à l'extérieur du parti. En 197l, ce petit groupe était dirigé par Jeannette Brutelle. Mais celle-ci, n'ayant pas pu se faire admettre en place dans les structures du parti, était allée se vendre au mouvement dissident de Max Lejeune et avait été vidée avec perte et fracas. On a donc démarré, sans structure "femmes".

Non pas qu'il n'y ait pas eu de féministes à l'époque ; il y en avait quelques-unes. En tout cas, moi, je ne l'étais pas. Lors du Congrès d'Epinay, de 1971, la question n'a pas été évoquée, ni même fait l'objet de débats de couloirs, si ce n'est que, lorsque le congrès fut bouclé, on s'est aperçu qu'il n'y avait aucune femme dans les instances dirigeantes du parti, ni au Secrétariat national, ni au Bureau exécutif, ni au Comité directeur.
Et pourtant il y avait déjà des femmes de poids : Cécile Goldet, Anne Zelinski, Yvette Roudy. Mais aussi Marie Thérèse Eyquem qui était responsable de la cellule femmes du Mouvement Démocratique Féminin (M.D.F.) et qui était une petite structure interne à la Convention des institutions républicaines, dirigée par François Mitterrand.

Françoise Gaspard

J'ai discuté à cette époque, dans les couloirs, avec Marie Thérèse Eyquem ; il y avait une volonté de ces femmes de refuser une structure femmes, au nom d'une volonté d'égalité et du rejet du ghetto.

Denise Cacheux

Tout à fait. Mais cela n'empêche pas que nous ayons pu être, a posteriori, ulcérées de l'absence de femmes dans une structure "mixte". Il y a eu une protestation tardive, accompagnée d'une volonté d'agir.

François Mitterrand - c'était, à l'époque, la montée des luttes pour la contraception et l'IVG - avait souhaité qu'il y ait une réflexion interne au P.S. et ne savait pas trop à qui la confier. Il a alors constitué un comité des douze femmes, à la proportionnelle des résultats des différentes motions à Epinay. Marie Thérèse Eyquem en était la présidente. Il y avait notamment Cécile Goldet, Yvette Roudy, Colette Audry, Renée Dufour, Sylvie Grospère. Nous étions chargées d'une mission très précise sur l'IVG, la contraception et la préparation d'une proposition de loi à préparer avec le groupe parlementaire, qui était uniquement composé d'hommes.
Au congrès de 1973, à Grenoble, à nouveau, pas de femmes dans les structures du parti.
Se pose alors entre femmes, la question de l'opportunité d'un quota.
On a un débat très vif entre nous. Les "pour" disaient - vous connaissez les arguments - : "Il faut une mesure de décollage, ce n'est pas l'idéal, mais c'est indispensable pour créer le mouvement". Les "contre" : "On veut y arriver par nos moyens et non pas par des mesures spécifiques".
Le congrès se termine, sur le mode : "Il faut faire quelque chose".
Je crois que l'on a fait rentrer dans les structures dirigeantes Marie Thérèse Eyquem comme suppléante, mais vraiment, par protection.

Une deuxième moitié de Congrès, sur les statuts, devait avoir lieu l'année d'après. C'est alors, en 1974, que le principe des quotas est entré dans les statuts. Il était dit, de manière assez ambiguë : "On commence par 10 % de femmes, progressant de 5 % en 5 %, à chaque congrès et tenant compte du pourcentage de femmes dans le parti."
Mais comme il n'y avait pas d'informatique, le compte des adhérent-es était assez bordélique, on ne pouvait pas savoir où on en était du nombre de femmes par rapport à celui des hommes.
Nous, nous estimions ce chiffre à 20 %. En outre, ces 10 % étaient pris évidemment sur le quota des suppléants, pas des titulaires.
On a alors commencé à nous faire le coup "des raisins au fond du cake". Cela veut dire que les 10 %, ils sont au fond, ils tombent quand on fait cuire le gâteau.

En 1973, Mitterrand, considérant qu'il ne pouvait pas être à la fois au four et au moulin, qu'on lui demandait d'intervenir sur des sujets très pointus qu'il ne connaissait pas nécessairement, décide de créer 10 ou 12 délégué-es sur le plan national, hommes et femmes. J'en faisais partie. J'étais déléguée nationale à "l'action féminine". J'avais refusé le mot "condition féminine".

Mitterrand nous a réuni en nous disant à peu près : "Vous n'avez pas été désignés par le congrès ; vous ne tenez donc pas votre pouvoir de la démocratie de congrès, ni des militants. Vous n'avez aucun pouvoir sur la hiérarchie militante. Vous êtes mes porte-parole sur les sujets dont vous êtes chargés, vous instruisez les dossiers, vous m'informez, vous prenez la parole en mon nom. Si vous dites des conneries, j'endosserai et j'en tirerai les conclusions. Vous ne rendrez des comptes qu'à moi et vous n'êtes responsables que devant moi. Et vous n'avez droit à aucune structure militante. "

Mariette Sineau

C'est ça, la démocratie...
(Rires)

Denise Cacheux

Joxe qui "avait" l'agriculture et qui n'y connaissait pas grand-chose et moi qui "avais" l'action féminine et qui n'étais pas féministe, nous nous sommes demandé-es comment on allait donner à Mitterrand une politique dans ce domaine, sans instance de débat, sans formalisation, ni instrument d'aucune sorte.
Nous sommes alors allés tous les deux le voir pour lui dire qu'on ne pouvait pas travailler comme cela.
Il faut préciser qu'il entrait à ce moment-là dans le parti des féministes. Je me souviens de Véronique Neiertz, pour ne citer qu'elle, parce qu'elle avait été embauchée comme permanente, comme documentaliste. Elle me poussait, mais elle me trouvait un peu "bobonne" et pas vraiment féministe par rapport au mouvement de l'époque. Et plus, j'étais provinciale, mère de famille, je cumulais tout ce qu'il ne fallait pas pour ce genre de job.
(Rires....) .
J'avais aussi a priori la réputation de ne pas trop emmerder les instances. Mais j'ai appris assez vite et cela a un peu faussé le jeu...
On demande donc à Mitterrand de nous laisser constituer, même de manière informelle, une commission qui soit à la fois représentative non seulement des quelques Parisiennes qui nous entouraient, mais aussi des militantes du parti. Ce qu'il nous a accordé.
J'ai donc obtenu le droit de m'entourer de femmes.
Nous avons lancé, dans l'organe du parti, L'Unité, un appel à une première réunion dont le succès - nous étions 200 - a dépassé ce que l'on pouvait imaginer.

Les femmes vivaient le mouvement féministe sur le terrain et trouvaient qu'il n'y avait pas de réflexion au sein du P.S.
Mais, au risque de vous décevoir, je vais vous dire que la parité, l'égalité politique n'ont pas été à l'ordre du jour de cette réunion.
C'était le droit à disposer son corps qui était au coeur de l'actualité politique.
Il y avait un militantisme affiché tout à fait différent du militantisme un peu "pépère" du parti dans son ensemble.
Les femmes bouillonnaient, elles apportaient la révolution féministe dans le parti.
Mais on a découvert que, bien qu'on ait invité tous les membres du Comité directeur et du Secrétariat national, aucun homme n'était venu cette réunion.

On a alors décidé de structurer un peu notre réflexion ; on avait pris deux thèmes : le travail et la famille... On a évité la patrie.
Et on a élaboré un questionnaire qui a été travaillé dans les fédérations.

À la veille du congrès de 1975, nous avions conclu que le féminisme devait être une dimension du socialisme. Mais aussi que cette question ne concernait pas uniquement les femmes et que le parti devait trancher, au niveau du congrès, sur le sujet.

Pour vous situer le rapport de force, je vais vous donner un exemple Pendant les deux ans où j'ai été déléguée nationale, je n'étais invitée au bureau exécutif que lorsqu'une question concernant le secteur dont j'étais chargée était à l'ordre du jour. C'était la contraception et l'avortement ; c'était aussi le mouvement des prostituées. Je me souviens qu'à l'époque en travaillant comme enseignante dans le technique, à temps plein, avec trois enfants et habitant Lille - et il n'y avait pas de TGV - j'étais convoquée le mercredi soir. On n'y avait pas de frais de déplacement, parce que je n'avais pas de responsabilité nationale exécutive.
Là, je me payais toutes les digressions des mecs qui se faisaient du vent sous la queue sur les problèmes internationaux et tout le bazar.....
(Rires...)
Et, en fin de soirée, on n'avait pas eu le temps d'aborder les questions "femmes" et Mitterrand disait : "Bon, cela sera mercredi prochain"... C'est pour vous dire comment ces questions étaient prises en compte...
On s'est battues pour qu'il y ait une Secrétaire nationale qui puisse, comme pour les autres secteurs, interpeller le parti et que le quota de 1 0 % de femmes ne concerne pas seulement les suppléant-es.

Les jeux internes ont fait que je n'ai pas pu être Secrétaire nationale, puisque les postes étaient toujours répartis à la proportionnelle des motions et, qu'à l'époque, ma motion avait déjà deux Secrétaires nationaux.
C'est donc Yvette Roudy qui a pris cette fonction de Secrétaire nationale, en 1977, au Congrès de Nantes, poussée par toutes les femmes du parti.
Quant à l'application du quota de 10 %, il a fallu encore se bagarrer.
Les hommes de la structure ne pouvaient pas dégager 10 % de sièges pour les femmes. Pierre Mauroy était à l'époque Secrétaire à l'organisation. Après menace de conférence de presse, de sit-in - on avait tout évoqué - ils ont décidé, pour finir, pour faire rentrer 10 % de femmes au Comité directeur, d'augmenter le nombre de membres du Comité.

Françoise Gaspard

Cela a été fait à chaque fois qu'il y a eu des demandes de ce type.

Denise Cacheux

Lorsqu'on a obtenu le quota de 30 % de femmes, il y a eu de vraies bagarres. Et encore, il s'agissait des élections européennes qui n'étaient pas, pour eux, des enjeux fondamentaux.
Pour finir, je dirais que l'histoire, telle que je la vois, est beaucoup plus celle du grappillage de la place des femmes dans les instances internes et dans les représentations électives que de la parité.
La parité, nous l'avons rencontrée quand Rocard s'est engagé sur la parité des listes européennes en 1994.
Mais, encore une fois, l'enjeu n'était pas majeur.

Claude Servan-Schreiber

Je voudrais raconter l'histoire du Congrès de Nantes, en 1977, parce qu'elle me paraît, historiquement, intéressante.
On sort donc d'une décision d'un quota de 10 %, décidée au Congrès de Suresnes de 1974. Dans les deux années qui suivent, se passe ce que Denise Cacheux vient de vous raconter. Pour vous situer le climat de l'époque, le 26 mai 1976, c'est la publication du programme : "100 mesures pour les femmes" (Françoise Giroud / Giscard).
Ensuite, le gouvernement Chirac démissionne en août 1976, et ce qui était un Secrétariat d'État devient une délégation, dans le nouveau gouvernement que dirige Raymond Barre. C'est donc une rétrogradation.
Les socialistes voient donc un espace qui s'ouvre là, puisque la droite recule sur ce qui était un de ses points forts depuis 1974.
En 1977 lors des élections municipales, Françoise Gaspard est élue à Dreux.
Le nombre de conseillères municipales qui était en France de 1,3 % passe à 4,4 %. Dans la même période - mais je crois que ce n'est pas très important - pour la suite de l'histoire -le Parti Féministe Unifié fait un trajet de comète sur la scène politique et disparaît presque aussitôt.

Arrive le Congrès de Nantes du P.S en juin 1977. Avant le congrès, comme c'est l'usage, des motions, des contributions sont rédigées et il se trouve qu'un certain nombre d'entre elles demandent le passage d'un quota de femmes de 10 à 20 %. Lors de ce congrès, en pleine séance, Pierre Mauroy prend la parole pour faire voter, sous des applaudissements nourris mais aussi sous des hués, non pas 20 %, mais 15 %.
Des négociations sont tenues dans la coulisse dont on ne connaît pas aujourd'hui encore la teneur. La personne qui pourrait parler, c'est Yvette Roudy et elle n jamais fait.

Ce qui se passe, c'est que ce congrès vote donc le passage à 15 %, alors même que le quota de 10 % voté à Suresnes n'était pas appliqué.
Cette décision est présentée par Pierre Mauroy comme une grande avancée et elle est associée à l'annonce de la création d'un Secrétariat National aux femmes et à l'organisation d'une Convention nationale les femmes qui devra se tenir avant les élections législatives programmées pour le mois de mars 1978.

À ce moment-là, il y a un chahut : 150 femmes se réunissent (Édith Lhuillier est celle qui m'a raconté l'histoire, mais d'autres femmes ici présentes y étaient) menacent d'aller s'asseoir dans les travées, poussent des cris. Mais il n'y a pas eu de contre-manifestation.
Des idées d'action ont été cependant envisagées par ces militantes mécontentes, avec la créativité que l'on va retrouver au courant G.
C'est de ce mécontentement qu'est sortie la contestation féministe de 1978, que l'on a appelé le courant 3, puis le courant G.

Denise Cacheux

La négociation à l'arraché qui était une discussion de marchand tapis était : certes, maintenant, vous n'avez que 15 %, mais vous avez Convention.

Claude Servan-Schreiber

Ce qui s'est négocié, en outre, semble-t-il, c'est, en outre, la promesse d'un Secrétariat national à Yvette Roudy, qui a été nommée en juillet. Elle a joué là un rôle central pour "faire passer la pilule" des 15 %.

Denise Cacheux

Tout à fait.

Anne Le Gall

En ce qui concerne la fondation du courant, cela s'est déroulé pendant l'année 1978. Cela a commencé au printemps, jusqu'au Congrès de Metz.
Nous préparions à l'époque ce congrès et nous avions opté pour 30 % de femmes.
Je me souviens encore d'Yvette Roudy disant : "Mais si je ne peux pas obtenir 30 % ?" Et je lui avais répondu : "C'est 30 % ou rien."

Le CERES était favorable à 30 %, et Mitterand n'allait pas au-dessus de 20 %. Donc, Claude, tu ne peux pas dire que les femmes demandaient 20 %.

Claude Servan-Schreiber

En 1977, avant le Congrès de Nantes, un certain nombre de fédérations du P.S. avaient demandé le passage de 15 à 20 %.
La demande par les militantes de 30 % apparaît, en 1978, quelques mois plus tard.

Françoise Gaspard

Il y a eu une Convention nationale sur la préparation des Européennes de 1979. Le "courant Femmes" est né en mai.
Nous avions fait signer une pétition dans toutes les fédérations, pour demander 50 % de femmes sur la liste aux Européennes.
Et, à la commission des résolutions de cette convention, j'ai présenté un amendement sur les 50 %. n y a eu un vote tout à fait extraordinaire, car il y avait deux courants, à l'époque, les Chevènementistes et de l'autre côté Mitterrand, Mauroy, Rocard.
À chaque problème, un côté de la table votait et pas l'autre. Vice-versa.

Lorsque j'ai présenté cet amendement, des mains se sont levées et sont restées baissées des deux côtés. Il a fallu faire un comptage par assis-es et levé-es.
Sur 89 présent-es, il a manqué 6 voix (dont celles de 3 femmes: Edith Cresson, Yvonne Théobald et Marie-Jo PontiIIon) pour que le quota de 50 % passe.
À ce moment-là, il y a eu une interruption de séance et Yvette Roudy m'a demandé de sortir. Elle m'a dit : " Si je présente 30 %, est-ce que tu votes ?" J'avais toujours refusé les quotas depuis le début. Et j'ai répondu : "Oui".
Parce que je voyais bien que cela allait passer et débloquer une situation. François Mitterrand s'était abstenu. Jean-Pierre Chevènement a voté contre et Georges Sarre, Pierre Maurois, Lionel Jospin ont voté pour.

Denise Cacheux

Le problème, c'est que nous n'avons pas toutes vécu cette histoire du -même endroit. Donc, Yvette Roudy, nommée Secrétaire nationale, prévoit une Convention nationale sur les droits des femmes.
Cela peut paraître un peu dérisoire de dire cela, mais c'est quand même un moment historique pour le parti.
C'est, en effet, la première fois qu'un texte du parti dit que féminisme et socialisme sont étroitement liés.
Si la motion a été adoptée, c'est une victoire un peu amère, en tout cas, je l'ai ressenti comme cela. C'est presque une victoire à la Pyrrhus, par défaut.
Bien sûr, il y a eu un appel de textes aux fédérations, mais ils étaient presque toujours issus de commissions locales de femmes.

Ce texte a été voté presque uniquement par des femmes, parce que la plupart des hommes ne se sont pas dérangés, pas plus qu'à la Convention nationale.

Ce qui est une exception : d'habitude, on se bat pour être présent, mais là, les femmes ont eu toute leur place.
Certes, les voix des hommes ont compté, puisque à l'époque, on fonctionnait par mandats. Il s'agissait en fait d'une forte majorité de votantes, mais pas d'adhérents. Cette pratique a été supprimée, car cela permettait aux magouilleurs de faire voter les morts, les absents, ceux partis avant la fin de la réunion, etc.

Ce qui était cependant incroyable, c'était d'entendre, plus tard, des hommes dans des réunions du parti ou lors d'élections, se prévaloir de positions en totale contradiction avec notre texte, sur salaire maternel, par exemple.
Non pas par mauvaise foi, bien souvent, mais par méconnaissance absolue.
Ils ignoraient ce texte-là, ils ne savaient pas qu'ils avaient voté - par mandats interposés - contre ces positions.
Cela arrive sur d'autres textes, mais sur les femmes, c'était vraiment typique.

Françoise Gaspard

À l'époque, j'étais surtout sur Dreux, mais on m'avait demandé de venir parler. À cette Convention, j'ai senti un climat électrique. Un reproche était fait à la direction nationale. En effet, toutes les Conventions durent d'habitude deux jours, et là, au dernier moment, il avait été décidé qu'elle ne durerait qu'une journée et qu'il n'y aurait pas de commission des résolutions.
C'était donc vraiment une fausse Convention et cela a été ressenti comme cela par beaucoup de femmes.

Anne Le Gall

Et rédiger le texte avait donné lieu à des empoignades incroyables.
Finalement, non seulement la synthèse ne reflétait pas ce qui était revenu des fédérations, même si on trouvait cela insuffisant, mais encore c'était Colette Audry qui avait entièrement rédigé la préface. Elle était restée sur le fait que le féminisme défendait des revendications bourgeoises et elle faisait autorité sur cette analyse.

Yvette Roudy avait demandé que, dans les fédérations qui comportaient deux délégués, il y ait au moins une femme.
Nous n'avons en outre même pas su quel serait le texte définitivement arrêté, parce que l'on nous a dit que cela allait être soumis au Comité directeur et non pas à la commission des résolutions. On est sorties sans rien. C'était une manipulation totale.
Et pour clore le tout, lorsque le P.S. a fait la recension de toutes les Conventions qu'il avait faites, il a oublié celle-là, dans la liste...

Claude Servan-Schreiber

Je voulais dire que le débat que nous avons actuellement a une importance historique, parce que ce qui sort de cette Convention nationale des femmes de janvier 1978, ce sont deux voies différentes.
L'une, de l'intérieur, avec le sentiment d'une avancée et, en même temps, pour un certain nombre de militantes, d'une très grande frustration. Car le texte qui sort de cette Convention ne rend pas compte de tout ce qui l'a précédé, ni même de ce qui y a été dit.
C'est le parti, par la voix de Colette Audry, qui fixe la ligne.
L'autre voie, c'est celle des féministes.
C'est là que se pose, pour la première fois dans l'après-guerre, la question de la compatibilité entre le féminisme et un parti politique, ou celle de la possibilité de la présence organisée du féminisme dans un parti politique.
Un certain nombre de femmes, depuis juillet 1977, s'étaient dit qu'il fallait peut-être adopter une autre approche.
Lors de la Convention, Françoise Gaspard qui est déjà un peu marginale, mais qui, si elle ne fait pas partie de l'appareil, fait partie de la majorité et est une personnalité du parti (elle est proche de Pierre Mauroy) fait un discours qui correspond à ce que les militantes ressentent.
Françoise dit : "Une parole de femme au parti socialiste est une parole perdue."

Cette phrase-là, déclenche chez Edith LhuiIIier...

Françoise Gaspard

Et dans le regard de François Mitterrand... une surprise... Quant à Marie-Thérèse Eyquem, elle m'a foudroyée.

Claude Servan-Scheiber

Parmi les féministes, l'idée de se servir de quelqu'un qui a l'oreille de la direction, qui est médiatisable, qui était élue pour faire bouger quelque chose au sein du P.S, émerge. Mais, plus que de lancer un courant, c'est l'idée de "fiche le bazar" qui domine.
Elles se réunissent et c'est là que commence l'histoire du "courant Femmes".
Nous sommes donc au début du printemps 1978.
La menace de la naissance de la création de ce courant est évoquée au bureau exécutif du 24 avril.

Mariette Sineau

Et après les législatives de mars 1978 où il y avait eu très peu de candidates et encore moins d'élues.

Claude Servan-Scheiber

5 % de femmes parmi les candidates. Une seule élue... et par surprise.

Denise Cacheux

On étaient toutes envoyées au casse-pipe.
Ma première candidature a été contre un ministre de droite, député sortant, qui faisait 80 % des voix du premier tour. C'était difficile parce qu'il n'y avait pas de conscience féministe chez la grande majorité des hommes et chez une certaine majorité de femmes. Et de l'intérieur, c'était difficile de créer un rapport de force.
Ca été formidable d'avoir, de l'extérieur, par le mouvement féministe, ce rapport de force.
Le P.S. est un parti qui peut être sensible à l'opinion extérieure, même s'ils souhaitent que cela leur coûte le moins cher possible

Éliane Viennot

À propos de cette pesée de de mai 1978, signée Françoise Gaspard, Cécile Goldet et Édith Lhuillier. Une phrase m'a frappée : "Il n'est pas dans nos intentions d'entrer dans le jeu des rivalités des courants. Ce n'est pas non plus le désir de modifier le rapport des forces qui nous guide".

Nous avions une envie de réflexion, mais je ne crois que nous avions une suffisante envie du pouvoir et de prendre les postes.

Denise Cacheux

Je voudrais dire aussi, qu'en sus des difficultés évoquées, d'autres sont liées au fonctionnement même d'un grand parti politique. Avec la rupture bisannuelle des congrès. Car celles qui ont commencé à structurer une réflexion - et donc qui peuvent contribuer à une action collective - ne sont mandatées que si elles ont été désignées dans le cadre des résultats d'un congrès pour aller à la commission nationale. Ce qui signifie que l'on a une cassure et un changement de responsables tous les deux ans. En outre, c'est chaque chef de courant qui désigne qui le représentera dans le collectif d'animation et d'orientation. Et bien souvent, ils choisissent les moins emmerdeuses, donc les moins féministes, celles qui leur causeront le moins de problèmes.

Anne Le Gall

Et celles avec lesquelles ils peuvent coucher.

Denise Cacheux

Pas forcément.

Anne Le Gall

De cela on n'a jamais parIé. Tu ne vas pas me dire que c'est faux.

Denise Cacheux

Ce n'est pas toujours juste, mais ce n'est pas forcément faux. C'est une réalité de femmes qui, justement, jouent un jeu personnel et non pas un jeu collectif.
Mais, toute une grande partie de femmes vivent de façon forte les rapports affectifs par rapport aux hommes. Et les hommes, pour asseoir leur pouvoir, jouent sur la dérision et refoulent cette affectivité que les femmes ne veulent pas refouler. Elles font abstraction de leur volonté de dépasser cela, car elles ne veulent pas perdre cet aspect-là des choses. Comme, dans un couple, exactement.

Marie-Victoire Louis

Je voudrais faire une digression, dans cet ordre d'idées. Dans un article récent du Monde,2 on pouvait y lire, à l'occasion de la réélection en Argentine, de CarIos Menem un article intitulé : "l'Érotisme du pouvoir", une phrase notamment évoquait : "le bon vivant (qui) ne dissimule pas sa joie de parvenu comblé. À la télévision, il a évoqué, sourire enjôleur aux lèvres, l'érotisme du pouvoir'."

Mais l'histoire nous apprend que ce que Menem appelle "érotisme" est souvent fondé sur l'abus de pouvoirs, la violence - pour ne pas parler de "droit de cuissage" - y compris bien sûr dans la sphère politique.
Quelques exemples parvenus à notre connaissance.
*En 1985, le leader du Worker' s Revolutionary Party anglais, âgé de 73 ans, fut exclu du parti qu'il avait fondé. 3

* Le livre de l'ancien médecin de Maol'extérieur, je voulais dire que, début 1978, à partir d'un article de Libération, c'est aussi le regroupement de ce que l'on a appelé "les dissidentes".
Il s'agissait de militantes qui sortaient presque toutes des groupes d'extrême gauche et qui faisaient le bilan terrible qu'on ne pouvait pas faire une politique féministe dans ces organisations.
Il y avait eu, en 1977, une explosion de l'organisation politique à laquelle j'appartenais : l'O.C.T - ex Révolution - sur la question féministe.
Mais cela posait bien d'autres questions : celles du rapport aux masses, de l'avant-garde, de ligne politique, etc. Ce qui est sûr, c'est qu'après avoir essayé toutes les stratégies : commission femmes, avec ou sans pouvoir, groupe informel ou non, les femmes quittaient ces lieux en faisant le même bilan.
Le livre de 1982, qui s'intitule : "C'est terrible quand on y pense" sort de là.
Lors des premières AG. des dissidentes, il y avait plus de cent personnes.
Tous les groupes étaient représentés, y compris des copines du P.S et des femmes du P.C, celles qui ont créé : "Elles voient rouge" et qui sont venues après.

Monique Minaca

IL ne faut pas oublier aussi que Gisèle Halimi, avec son mouvement Choisir, lançait "100 femmes pour la cause des femmes", totalement en dehors des partis. Bien sûr, sans grand succès électoral, mais néanmoins, 4, le Dr Li Zhisui, intitulé : "La vie privée du Président Mao", nous dit que Mao "se lavait dans les femmes ". Pour Mao, "les femmes étaient un jouet. Il les préféraient jeunes, inexpérimentées, sans grande culture. Son train spécial en était rempli... À l'instar de ses goûts alimentaires, lorsqu'il aimait un plat, il en consommait beaucoup." 5

* Par ailleurs, récemment, dans le monde, plusieurs responsables politiques ont dû démissionner suite à des accusations de harcèlement sexuel. 6

Quoi qu'il en soit, cette dimension sexuellement jouissive - sans préjuger de jugement de valeur sur ses possibles abus - de la demande de recherche de pouvoir chez les hommes est sans aucun doute fondamentale pour expliquer l'extraordinaire puissance de cette attirance du pouvoir, laquelle peut ou non être fantasmée.

J'irai même plus loin. Je crois profondément que - notamment dans les processus révolutionnaires mais aussi (dans une moindre mesure) à l'occasion de changements de régimes ou de gouvernements - se jouent aussi des enjeux de "redistribution des femmes", fondés sur un nouveau type et de nouvelles modalités de "partage" dans l'appropriation des femmes.

Ces enjeux - où la revanche sociale peut jouer un grand rôle - ne concernent pas que les chefs ; ces pratiques se démocratisent, elles aussi. C'est la raison pour laquelle je pense que les accusations portées, à cet égard, notamment contre la Révolution russe, n'étaient pas que propagande dénégatrice et devraient être historiquement réexaminé. 7  

Avoir accès aux femmes des "autres", mais aussi pouvoir garder pour soi "ses" femmes et rompre ainsi avec les logiques d'accaparement des femmes par les classes dominantes (par l'achat, le viol, l'enlèvement, le droit de cuissage) me paraît une dimension fondamentale de l'histoire.
Un exemple actuel : en Algérie se pratique, semble-t-il sur une grande échelle, ce que l'on appelle des "mariages de jouissance". II s'agit paraît-il d'une pratique de l'Islam chiite qui légitime des "mariages", sur la base d'un pseudo "contrat" dont la validité peut durer heure à plusieurs années, mais qui, de fait, s'apparentent plus à la prostitution et aux viols qu'aux mariages.

Concrètement, ce qui se passe, c'est que des hommes au nom de leur pouvoir de "maquisard" s'approprient (quelquefois avec "l'accord" du père) des jeunes filles pour leurs "besoins ménagers et sexuels".8 Alors que l'on connaît l'importance de la répression sexuelle en Algérie, des hommes s'accaparent ainsi "légitimement" des jeunes filles, du fait d'un pouvoir politico-militaire, soi-disant justifié par la religion.
Ces jeunes femmes sont ensuite, soit "gardées" ou "rendues" à leurs familles et "remplacées" par d'autres, soit tuées, après avoir été violées. 9

Pour revenir plus précisément au P.S. - et concernant les plaisirs du c'était symboliquement très fort.

Odile Krakovitch

En ce qui concerne le courant G. dont je dois vous parler aujourd'hui, je n'ai gardé que très peu d'archives et je n'ai pas beaucoup de souvenirs. Mais, j'ai a posteriori une impression très négative qui risque d'être un peu triste.

Claude Servan-Schreiber

Juste une précision de terminologie : le "courant Femmes", qui a été appelé par la presse le "courant 3" , lors de son annonce au printemps 1978 a pris le nom de courant G, après une division des féministes : certaines ont décidé de se constituer en courant véritable pour affronter le Congrès de Metz (début 1979).

Odile Krakovitch

J'avais une remarque préliminaire à faire. Au P.S, il n'a jamais été question de parité : on a toujours parlé de quotas, au moment du courant 3 ou, ensuite, du courant G.
Je n'ai entendu le mot de parité, au P.S, qu'au moment du discours de Denise Cacheux aux États Généraux de Lyon en 1993. L'Assemblée des femmes qui y avait un stand et qui a largement diffusé leur Journal y parlait de la parité. Avant on parlait de quota de 50  % mais pas de parité.

Je voudrais rapidement évoquer mon parcours politique : je suis passée du P.S.U au P.S. en 1973  : j'ai aussi fait la courte expérience du Parti féministe Unifié de 1975 à1977, certes, éphémère, mais pas autant que tu le disais, Claude. Puis je suis retournée au P.S avec le courant 3, lorsque j'ai entendu parler des assemblées de ce courant. J'étais présente, en mai 1978, non seulement à la proclamation du courant 3, mais surtout à la grande réunion qui a provoqué la rupture entre courant 3 et courant G.

La division était celle-ci. Il y avait un groupe de femmes qui étaient pour une contribution, avec Françoise Gaspard, Cécile Goldet et une autre, autour d'Edith Lhuillier, Anne Le Gall et moi-même qui étions pour une motion.
La motion suppose la création d'un courant et entre en compte dans le partage du pouvoir, à la proportionnelle des résultats obtenus par elle. Et il faut, au départ, 5 % des suffrages.

La séparation qui s'est faite en septembre 1978 avait un fond idéologique et tactique très important. Il y avait en effet les femmes qui étaient pour l'entrisme et qui disaient : "On n'arrivera à s'exprimer en tant que féministes que si on investit les différents courants" (les deux courants Mitterrand et CERES dont Françoise Gaspard a parlé tout à l'heure) et d'autres qui disaient : "Non, notre parole sera toujours étouffée dans ces courants ; nous devons avoir notre moyen d'expression, et donc un courant propre, avec un moyen d'expression, sous la forme d'un journal, surtout une représentativité à tous les niveaux du P.S".
Il y avait aussi un autre argument en faveur de la représentation d'un courant proprement féministe, à savoir que les femmes seraient moins "encombrées" par les hommes et auraient une plus grande liberté de parole.
Et c'est cela ce qui explique mon côté un peu désabusé ; nous n'avons pas bien réfléchi à la tactique, aux conséquences de la création d'un courant.
Nous nous sommes présentées. Nous avons été dénommée "le courant G" (après les courants A,B,C,D,E. : c'était une époque où les couranpouvoir qui, pour être parfois "solitaires" n'en sont pas moins aussi réels, je me suis souvenu d'une "analyse" - fort drôle d'ailleurs - faite en en petit comité, par un dirigeant du P.S, comparant les orgasmes respectifs des "autres" dirigeants du P.S de l'époque, lors de leurs arrivées dans les meetings.

En tout état de cause, ce lien entre pouvoir érotique et politique paraît incontournable dans l'analyse des causes profondes de la résistance à la parité provenant des hommes politiques. La parité nécessairement déstabilisera leurs plaisirs intimement liés à leurs pouvoirs. `
Tandis que femmes politiques se réapproprieront, pour leur part, une partie de ces ‘plaisirs’.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer un jugement de Madeleine Vernet plaidant pour l'amour libre, sans contrainte, pour les deux sexes : "Cela déplaît, paraît-t-il, à ces messieurs. Sans doute ont-ils peur de ne plus avoir de femmes pour eux, le jour où les femmes seront libres de se donner à leur gré". 10

Odile Krakovitch

Au P.S, j'ai eu l'impression d'avoir toujours été limitée par deux conditions : le parisianisme (il est vrai que si l'on arrivait à dépasser les limites des structures propres au P.S, c'est parce qu'on avait des réunions à Paris), et le fait de suivre les calendriers du P.S, même si on n'en avait pas envie : obligation de "pondre" ses motions, des textes, sur des sujets qui souvent ne nous plaisaient pas.
Et aussi de devoir suivre pesamment la structure et les mots d'ordre du parti.

Si bien qu'au lieu de s'occuper de réfléchir sur la place politique des femmes, on réfléchissait sur "Femmes et politiques sociales", "Femmes et famille", "Femmes et travail".
Je pense, à cet égard, au colloque de Chantilly, en 1984, organisé par l'AFPA, sur le thème : "Femmes et pouvoir social des femmes", qui réunissait des femmes de partis et d'associations. II n'y avait pas une seule commission sur "Femmes et politique".

C'est pour vous dire à quel point nous étions enfermées dans des schémas, des calendriers, des priorités.
Ces considérations font que je suis assez pessimiste sur le mot d'ordre de la parité à l'intérieur du P.S. Je n'y crois pas.
Et je crois que si on y arrive, ce n'est qu'à partir de forces féministes extérieures au parti.
Le parti, lui-même, sera toujours à la traîne.

Denise Cacheux

Je rappelle pour mémoire qu'en 1981 - l'Assemblée avait été dissoute - on avait envisagé par quels moyens on pouvait faire progresser le nombre de femmes siégeant, au nom du P.S, à l'Assemblée Nationale.
La première formule, c'était l'obligation d'un ticket mixte, c'est-à-dire titulaire /suppléante ou titulaire / femme, suppléant / homme.
On nous a ri au nez, en nous disant qu'il ne fallait pas plaisanter avec ces choses-là, qui étaient des choses sérieuses. Et que, de toute façon, on ne trouverait jamais assez de femmes, comme suppléantes pour tous les candidats.
La deuxième formule que l'on avait trouvée, c'était, dans tous les départements d'au moins quatre circonscriptions, d'exiger qu'une circonscription soit obligatoirementts se sont multipliés).

Denise Cacheux

Heureusement que c'était avant la "découverte" du point G.
(Rires...)

Odile Krakovitch

Quand j'en parle, c'est automatiquement le rapprochement qui est fait.

Je me souviens surtout des problèmes d'idéologie et de tactique. On avait envie et on voulait promouvoir une réflexion féministe, mais en même temps on était encore prisonnières des calendriers et de la réflexion du P.S
Notre contribution, notre motion ne comportait que très peu de revendications féministes ; les 3/4 étaient une "grande" analyse de la compréhension du capitalisme pour le combattre efficacement. On avait encore et toujours un langage marxiste et socialiste, le féminisme ne s'introduisait dans notre motion que par des revendications, en fin de page.
Notre féminisme s'est exprimé en disant que nous ne voulions pas de ces quotas. On prétendait réformer le parti en refusant le cumul des mandats ; on voulait aussi une rotation plus importante des mandats.
Mais c'était très ponctuel et cela manquait vraiment de réflexion féministe.
On étaient "formées" socialistes et on plaquait certaines idées féministes sur notre socialisme.
Autre problème de ce courant : le grand problème de la mixité.
Beaucoup d'entre nous - Anne Le Gall entre autres - sont allées dans ce courant en disant qu'il devait être uniquement composé de femmes.
D'autres ne comprenaient pas comment un courant dans un parti mixte pouvait ne pas être mixte. Cela nous semblait effarant.
Ce problème nous a empoisonné J'existence pendant cinq ans. Moi, j'ai le souvenir de n'avoir fait que discuter de ce problème.
De fait, les hommes sont partis de plus en plus et on est devenu un courant fantôme.
On a cependant eu quelques résultats : c'est nous qui avons été les premières à parler de la limitation des cumuls des postes et nous avons obtenu qu'ils soient réduits à deux.

Mariette Sineau et Denise Cacheux

Mais cela a été voté lors de la loi sur le cumul des mandats en 1985.

Odile Krakovitch

Quant au résultat, vous allez rire : nous avons obtenu 0,5 % des voix pour le courant G., au Congrès de Metz en 1979.
En outre, on a obtenu, 5 % au Conseil exécutif des Hauts-de-Seine (2 membres : Odette Brun et Luce Sirkis).

Denise Cacheux

Nous avons aussi obtenu le quota de 20 % de femmes.

Odile Krakovitch

Le courant G a disparu en 1983 et s'est transformé en une association -là, c'était le comble de la contradiction - qui s'est appelée l'AFPA (Association féministe pour une politique alternative) - dont j'ai fait partie et qui avait la prétention, elle, d'être à la fois socialiste et féministe et d'avoir une action sur le parti socialiste de l'extérieur.
Nous étions non mixtes et nous pensions influencer, de l'extérieur, le parti qui nous tenait encore à coeur. L'AFPA est morte trois ans après.

Je crois enfin qu'il y avait une absence d'envie d'un certain effet dans la lutte politique.
J'ai relu dernièrement la synthèse dévolue à une femme.
Réponse : "Pourquoi telle circonscription serait taxée d'une bonne femme et n pas le droit d'avoir un homme comme les autres ?"

Mariette Sineau

 Je crois que cela a été voté par le Comité directeur, mais jamais appliqué.

Denise Cacheux

La dernière méthode qui a été partiellement choisie, ce fut de proposer que tous ceux qui seraient ministrables devaient obligatoirement avoir une suppléante, ce qui ferait automatiquement le même nombre de femmes devenant députées.
Cela n'a d'ailleurs pas toujours été réalisé, mais cela a servi, en outre, lorsqu'il y avait des bagarres innommables de courants pour la désignation d'un suppléant de ministrable, de choisir une femme qui servait à virer quelqu'un. Bref, à résoudre les jeux de pouvoirs. On a quand même eu ainsi une vingtaine de suppléantes qui, par ce biais, sont devenues députées.
J'étais du lot ; c'est pour cela que je m'en souviens.

Gisèle Stievenard

J'ai adhéré au parti socialiste en 1974, à Paris, venant de banlieue comme Denise Cacheux, je n'étais pas non plus féministe en entrant au P.S. Ce parti remplit donc, très involontairement, une fonction dans ce domaine. Car, à un moment donné, les femmes ne peuvent pas ne pas se poser la question - pour celles qui ont engagé un combat contre les inégalités - de voir que ce combat s'arrête, à un moment donné, à la porte des femmes.

En ce qui me concerne, j'ai vécu très positivement la Convention janvier 1978 sur les droits des femmes, dont vous venez de parler. C'est vrai qu'elle nous a été concédée et si les hommes avaient pu l'empêcher, ils en auraient fait l'économie.
Mais malgré tout, cela a permis six mois d'ouverture de débats.
Et, pour une fois, notre histoire qui est pleine de trous, a laissé des traces.
Je suis frappée par l'absence de transmission la mémoire des femmes entre elles. Pour connaître réellement ce qui s'est passé, il faut vraiment le vouloir. On ne laisse pas d'archives derrière nous, faute de temps, vraisemblablement, mais pas uniquement.
Il y avait donc un dossier préparatoire titré : "Les immigrées de l'intérieur" et le manifeste a été publié, même avec ses imperfections (on part avec beaucoup d'idées et peu à peu, cela à se réduit).

Mais c'était aussi une manière de nous préparer à l'accession au pouvoir et à faire germer un certain nombre d'idées et de propositions.
Il est vrai qu'il est très difficile au sein du P.S de faire entendre une voix féministe.
Bien évidemment, s'il y a un mouvement à l'extérieur, dans la société, qui pousse dans ce sens-là, on peut prendre appui sur lui.
Il y a donc intérêt à établir une dialectique, parce qu'on a terriblement besoin d'appui et de solidarité, dans ce domaine.
Aujourd'hui, on sent renaître un mouvement autour de l'idée de parité, il faudrait agir différemment et cesser de se considérer comme concurrentes pour mettre en commun ce qui peut l'être.

Pour revenir aux Congrès qui ont suivi, après 1981, il faut dire que l'on avait tellement peur de perdre le pouvoir que cela ne remuait pas beaucoup dans les rangs. La volonté était plutôt de dire : il faut conforter "l'expérience", puisque c'est ainsi que nous l'appelions à l'époque.

Il a fallu attendre le Congrès de Toulouse pour voir un certain réveil, au moins du côté des femmes, eu égard à des pratiques qui ont toujours été les mêmes. Parce que les hommes sont assez constants dans leur manière d'agir.
Ce qui est terrible, c'est que nous ne soyons pas en capacité d'en tirer un certain nombre d'enseignements et de leçons...
Les élections cantonales et, plus encore, régionales de 1992, réputées plus favorables pour les femmes du fait du scrutin proportionnel, ont été très décevantes.
Ce fut un moment qui a été extrêmement douloureux, au sein du P.S., pour les femmes, qui se sont, une nouvelle fois, trouvées rétrogradées ou écartées des listes. Les élues sortantes ont été éliminées, dans le même temps où les hommes prétendaient qu'il n'y avait pas assez de candidates.

À la suite de cela, s'est tenu le Congrès de Bordeaux, en juillet 1992.
Donc pratiquement au même moment que les élections. Une commission "Vie interne" dont je faisais partie a été créée pour le préparer.
Il était question de modifications statutaires, de règlement intérieur.
Quelques femmes, toujours un peu les mêmes, ont dit que la France ne pouvait pas rester éternellement la lanterne rouge en Europe.
Et comme on était en échec complet par rapport aux élections régionales, il fallait inventer quelque chose d'autre. Il était fait aussi état du fait que beaucoup de femmes avaient très mal vécu ce qui s'était passé lors des élections, que certaines nous quittaient sur la pointe des pieds et que d'autres s'apprêtaient à le faire.
Et ce d'autant plus qu'il y avait chez d'autres formations politiques - du côté des écologistes par exemple - une autre "offre" politique, comme disent certain-es politologues.
La commission : "Promotion politique des femmes", nouvelle instance inventée dans un précédent congrès s'était réunie. Au nom de cette commission, au sein de la commission : "Vie interne", fut adopté un coefficient de mixité à 40 % minimum comme une étape vers la parité, à tous les niveaux des instances du P.S et pour les candidatures aux futures élections.
L'idée étant que les femmes soient réparties régulièrement sur listes et non pas, comme c'était trop souvent le cas, dans la deuxième moitié des listes.
On est allé plus loin en demandant que les listes qui ne respecteraient pas cette règle ne soient pas ratifiées, au plan national, ni même par les fédérations.
S'il y avait des fédérations contrevenantes, il fallait que leur nombre de mandats soient réduits, autant que de besoin.
On cherchait une manière de sanction.
J'avais aussi demandé que ce coefficient de mixité s'applique pour la désignation des délégué-es dans les congrès fédéraux, régionaux, ou nationaux.

Dans les congrès, comme les femmes sont moins nombreuses, on se retrouve avec les mêmes mauvaises surprises C'est au cours de cette même période qu'a germé l'idée de créer une association dans laquelle il y aurait à la fois des femmes socialistes, mais qui s'adresserait à des femmes de la société civile, des syndicalistes et des femmes associatives. Tout cela a été livré au congrès qui n'en a pas fait grand-chose. Ce qui a été retenu, c'est qu'ils acceptaient l'idée qu'on crée une association, mais ils ne voulaient pas que ce soit un organisme associé au parti. Ce qui vous montre à quel point cette méfiance est persistante.  Finalement, cela nous arrangeait, parce que, comme cela, on avait les coudées franches et on n'avait pas de compte à rendre.
Mais ce Congrès de Bordeaux, comme les précédents ne fera pas date dans l'histoire, en matière d'avancée de la présence des femmes.
Il y a cependant eu un événement marquant en 1993 qui sont les États Généraux à Lyon. Le débat était organisé différemment. On avait pris un grand coup sur la tête après les législatives de mars 1993, et il s'agissait notamment d'analyser les raisons de la défaite.
Et là les femmes étaient massivement présentes, à tous les niveaux.

Françoise Gaspard et Denise Cacheux

Pour une raison simple, parce qu'il n'y avait pas d'enjeux de pouvoir :

Gisèle Stievenard

La parole était plus libre que d'habitude et cela s'est ressenti très fort.

Denise Cacheux

Oui, mais les prises de parole étaient très strictement contrôlées. Heureusement que je n'ai pas donné mon texte avant ; on m'a dit en effet que si j'avais dit ce que j'allais dire, je n'aurais pas eu la parole.

Gisèle Stievenard

Les femmes se sont beaucoup exprimées. Mais j'ai relu le rapport général fait par Jean Paul Huchon et dans le chapitre : "Un parti pour tous les citoyens", il est dit : "Certes, le constat est unanime sur la représentation insuffisante des femmes, tant dans les organes de direction du parti que dans les assemblées élues, mais l'objectif de la parité souvent invoqué est un but et justifie sans aucun doute, la notion de quota."
(Rires...)
Autant vous dire que la timidité de la formule ne rend absolument pas compte de l'exigence de parité qui s'est réellement exprimée, au sein de ces États Généraux.
Mais je dois dire que Michel Rocard, dans son intervention finale, a fait référence à un parti où les femmes seront effectivement à égale responsabilité avec les hommes.
Cependant, ce n'était toujours pas la parité.
Ensuite, se tient le Congrès du Bourget, en octobre 1993. La formule égalitaire de Rocard est reprise dans le chapitre : "F aire de la politique autrement".
Mais la motion finale propose seulement l'introduction dans le code électoral d'une "disposition invalidant toutes les listes de candidats à une élection comportant plus de 70 % de candidats d'un même sexe".
En revanche, lors de son discours de clôture, Michel Rocard va annoncer très solennellement à la tribune qu'il a l'intention de mettre sur pied une liste paritaire aux élections européennes de 1994.

Françoise Gaspard

À la télévision, on pouvait voir la tête des hommes à la tribune...

Denise Cacheux

Dans ma fédération, il s'est fait siffler.

Gisèle Stievenard

Les réactions ont été très diverses, dans la salle : de joie chez un certain nombre de femmes et de quelques hommes, mais surtout une stupeur de la part de la majorité des délégués, voire d'une colère qui était difficilement contenue chez certains. Ils étaient complètement atterrés, il faut bien le dire.
Et Michel Rocard a tenu parole contre vents et marées : il y a eu 7 femmes élues sur 15.
Et, bien évidement, on a expliqué le mauvais score réalisé aux Européennes pour cette raison-là. Alors que si on analyse les votes, on s'aperçoit qu'il y a plus de femmes qui ont voté pour cette liste que d'hommes.
Ils sont donc bien mal venus de nous faire ce reproche.

Un an plus tard, on arrive au Congrès de Lievin, en Novembre. Là, la parité est inscrite en toutes lettres, comme un objectif prioritaire dans le chapitre qui traite des "Libertés et démocratie".
Il n'y a cependant aucun développement sur les moyens d'y parvenir. Mais c'est déjà que chose de colossal que d'avoir simplement réussi à faire inscrire ce mot, qui fait mal à beaucoup.
Mais au moment où le Conseil National s'est réuni et où le Premier Secrétaire devait présenter le Secrétariat national….

Denise Cacheux

Ils avaient oublié de nommer la Secrétaire nationale aux femmes.

 Gisèle Stievenard

Absolument. Et le strict quota des 30 % n'y était pas.
Chacun des courants comptait, comme d'habitude, sur les autres, pour remplir ce type d'obligations. Henri Emmanuelli a donc dû, lui-même, proposer 4 ou 5 noms de femmes à ajouter, de manière autoritaire, pour arriver simplement aux 30 %. On voit bien qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour passer aux actes.
Et vous verrez que pour les prochaines municipales, les choses ne se présentent pas bien du tout.

Je dirais enfin un mot de l'Assemblée des femmes. On y a réfléchi avant la préparation du Congrès de Bordeaux, pendant un an. Elle est apparue publiquement en décembre 1992 pour ne pas rester sur le sentiment d'échec ressenti en 1992 et en s'apercevant qu'on ne pouvait pas avancer dans le parti et qu'il fallait faire quelque chose de l'extérieur, avec l'extérieur.
C'est une tentative nouvelle de la part d'un certain nombre de femmes socialistes - Françoise Durand, Yvette Roudy, moi-même et quelques autres - : nous sommes dit qu'il fallait essayer d'inventer quelque chose de nouveau qui affiche clairement l'idée de parité.
Il faut être claire, au sein du P.S, l'idée de parité n'est pas majoritaire au sein des femmes.

En ce qui concerne les hommes, je n'ose dire que cela va de soi - car je ne le pense pas - mais la difficulté vient aussi beaucoup du fait que les femmes au sein du P.S ne sont pas prêtes à "mouiller leur chemise".

Il faut savoir que nous avons peut-être la chance d'avoir plus d'écoute en parlant de l'extérieur que de l'intérieur. J'ai été membre du Bureau exécutif pendant plusieurs années, et je me suis aperçue que la plupart des femmes n'évoquaient jamais ce thème tabou.
Celles qui osent le faire "paient l'addition", la plupart du temps, car, on se fait très mal voir.
Mais je crois qu'il y a une synergie nouvelle à rechercher qu'on perçoit comme une nécessité.
Si on n'avance pas dans cette direction, ce sera difficile de faire de réelles avancées.
Les femmes ressentent le besoin d'un engagement collectif, parce qu'elles savent bien qu'isolées ou à titre individuel, elles ne feront pas avancer les choses.
En outre, la mémoire n'est pas retransmise et il y a une rotation importante, où chacune fait à son tour, son expérience.

Françoise Gaspard

Nous avons été un certain nombre à regarder avec beaucoup d'attention, au lendemain du Congrès de Liévin, la composition par sexe des organes dirigeants du parti. Or, il y a quelque chose de tout à fait extraordinaire : aux différents niveaux de la direction, cela varie entre 29,9 % et 30,1 %.
Je voudrais savoir comment cela s'est passé.
Car, nous avons été quelques militant-es - autant de femmes que d'hommes - à écrire au mois de juin à Henri Emmanuelli lorsqu'il a composé la nouvelle direction - après que Rocard ait été "sorti" - pour lui dire que les statuts du parti devaient être respectés. Qu'en outre, il n'y avait aucune femme dans le Secrétariat national, 17 % dans le Bureau exécutif et 27 % dans le Comité directeur.
Et que nous entendions, s'ils ne se mettaient pas en règle avec les statuts, aller devant les tribunaux.
Nous avons fait faire une étude par Odile Dhavernas et un cabinet d'avocat-es. Nous étions sûr-es de gagner.
Le problème, c'est que le Congrès de Liévin a été programmé et que, compte tenu de la procédure en plein été, il était impossible de faire juger cela, sauf éventuellement, puisque c'était manifestement illégal, que le Congrès de Lievin soit présidé par un huissier de justice.
Je pense que cela n'aurait pas été très populaire et que cela n'aurait pas forcément fait avancer la cause des femmes, parce qu'il n'y avait pas suffisamment de répondant, de forces derrière nous.
Nous avons donc renoncé à cette procédure.
Ce que l'on voit, en tout cas, c'est que le quota ne fonctionne pas comme un moyen pour promouvoir les femmes, mais comme un plafond.
Là, je pense qu'ils ont dû avoir la trouille pour appliquer ce quota statutaire qui,  jusque-là, n'avait jamais été appliqué. En tout cas, dans les stratégies, il y a l'appel à la justice.

Denise Cacheux

Je n'ai pas été à la commission des résolutions. Nous avons été destinataires de ce courrier au Premier Secrétaire et nous l'avons relayé. Il y a eu cette lettre et d'autres venant de féministes qui ont poussé dans cette direction.
Même si cette lettre n'a pas été évoquée du tout, en tout cas Emmanuelli a dit qu'il n'était pas question que certains courants s'exonèrent de l'obligation d'appliquer le quota, même s'il n'y avait qu'une motion.

Claude Servan-Schreiber

La question que je pose - puisque ce que nous avons évoqué se retrouve dans les autres partis - c'est : "Comment se fait-il que les femmes y aillent encore, entrent dans les partis, militent et acceptent de prendre les coups que l'on a évoqués ici ?"
C'est une vraie question.
Les femmes - féministes ou pas - avalent des ronds de chapeaux à longueur de congrès, de réunions de sections, et continuent cependant d'entrer dans les partis, même si elles les quittent apparemment plus vite que les hommes. Ce fait doit être souligné et ensuite analysé.

Une première explication facile est que les femmes ne rentrent pas dans les partis uniquement pour défendre des positions féministes ; moins, elles y entrent aussi, en étant femmes, et en acceptant de vivre cette situation de femmes, minoritaires.
Donc le fait qu'il y ait, aujourd'hui, autant de femmes dans les partis, me paraît très positif et être un signe extrêmement encourageant pour la parité.
Car, contrairement à l'idée reçue selon laquelle les femmes ne veulent pas faire de politique, les femmes sont extrêmement concernées par la politique, y compris par la politique politicienne.

Marie-Victoire Louis

Il y a peut-être une ébauche d'explication partielle ; à savoir que d'être femme et dominée dans un parti pourrait être vécu par des femmes comme un "stade supérieur" au fait d'être dominée par un seul homme dans une relation de couple.

Il y aurait donc une sorte de promotion individuelle par un élargissement de la situation de domination du "privé" au "politique". Être dominé dans et par une structure, s'assignant, en outre, des horizons plus larges peut aussi, il est vrai, contribuer à desserrer d'autres contraintes.

Denise Cacheux

Je voudrais dire, pour ma part, que je n'éprouve aucun fantasme à me faire dominer par plusieurs mecs de la structure plutôt que par le mien. Au moins, en 40 ans de mariage, il a appris un certain nombre de choses...

Monique Dental

II y a aussi un phénomène qui fait que des femmes tombent un petit peu dans le piège selon lequel le stade supérieur de l'engagement dans la citoyenneté serait justement de rentrer dans un parti, parce qu'il aurait une vision plus globale et plus large des problèmes, que n'aurait pas l'implication des femmes dans le mouvement des femmes ou dans des associations.

Marie-Victoire Louis

Militer dans un parti est en effet vécu comme une forme d'accession à "l'universel" et au pouvoir qui, pour être le plus souvent, délégué, souvent dérisoire, n'en reste pas moins un pouvoir. Et cette accession au politique, par les partis, n'en reste pas moins une ouverture sur la vie.
Néanmoins la très grande féminisation de la vie associative est aussi une réponse à ces blocages propres aux partis.
Par ailleurs, existe-t-il beaucoup de secteurs d'activité où les femmes puissent exister, se faire entendre, sans une reconnaissance par un ou plusieurs hommes ? Et sans cette reconnaissance préalable par ceux qui dominent les structures, qui est, sauf exception, la condition sine qua non de l'accession à un pouvoir, quel qu'il soit, il n'y a que peu de "carrière" possible.
On comprend peut-être mieux alors pourquoi il est si difficile, actuellement, pour les jeunes femmes de se reconnaître comme féministes, ou même de laisser penser qu'elles pourraient être sensibles aux analyses de ce type. Qui, parmi nous [c'est-à-dire parmi celles qui ont pu s'affirmer féministes grâce au mouvement social qui nous a portées] accepterait, en toute conscience, de se faire hara-kiri, à 20 ans ?

Monique Dental

II y a un problème qui subsiste et qu'Odile Krakovitch m'a remémoré. Je me souviens de discussions à la fin du courant G et à l'AFPA. Et lorsque j'étais invitée dans les réunions de vos groupes, le sentiment qui me frappait beaucoup, c'est que, vous - les femmes socialistes - plus vous aviez accédé au mouvement féministe [c'est-à-dire que vous aviez articulé engagement socialiste et féministe] plus vous aviez besoin d'être convaincues que vous n'étiez pas, d'une certaine manière, en trahison avec le socialisme.

Le deuxième point qui me frappait beaucoup, c'était la question du pouvoir et de voir à quel point on a été cantonnées et tributaires de schémas d'analyse.

On était tributaires de mai 68, où le pouvoir, c'est la récupération de l'institutionnel par l'Etat ; mais il y avait aussi l'idée qui venait du mouvement féministe de l'époque, à savoir que le pouvoir, ce n'était pas bon.

On a longtemps été piégées par cette alternative : pas de pouvoir du tout ou le pouvoir tel qu'il est pratiqué par les hommes.

C'est pour cela que je trouve que l'idée de parité en tant que partage du pouvoir clarifie bien les données.
Cela permet de ne plus être complètement dépendantes de deux types de culpabilité : soit on trahit le socialisme, en étant féministe, soit on trahit notre être féminin et féministe parce qu'on serait dans la manière d'être du pouvoir au masculin.

Odile Krakovitch

C'est vrai que dans le courant G, on ne s'est jamais structurée, on n'a jamais eu de secrétaire.

Marie-Victoire Louis

Concernant le problème des relations entre les femmes dans les partis et les féministes, je voudrais réagir par rapport à ce qu'a dit Gisèle Stievenard : "On (nous, les femmes des partis) a besoin d'appuis et de solidarité".

Je n'ai jamais milité dans aucun parti, mais j'ai toujours, sur un certain nombre d'engagements féministes précis, essayé de faire des liens entre ces engagements et les partis. Or, en tant que féministe extérieure aux partis, j'ai, toute ma vie, entendu l'argument nous devions - de l'extérieur appuyer celles de l'intérieur, mais dans une vision strictement instrumentale et qui, donc, ne fonctionne pas.
La hiérarchie qui pose "le parti" comme le référent ultime n'est pas remise en cause.
L'idée qu'il puisse y avoir des rapports à construire, à analyser, entre associations, groupes et partis politiques, l'idée que l'on puisse s'engager conjointement, dans le respect de l'indépendance de chacun-e, sur un but commun, est extrêmement rare.
C'était toujours à sens unique.

Ce que j'ai vécu, à travers ces expériences, c'est l'impossibilité même qu'on puisse imaginer qu'il y ait des rapports de confiance, de discussions, de négociations, en utilisant au mieux ce que chacun-e peut apporter dans sa spécificité.
Que des membres des partis - y compris féministes - puissent considérer une féministe, ou, une association féministe, Comme une "interlocutrice valable", ne fait, à mon avis, pas encore partie de la culture politique des partis.
Et ce constat ne se limite pas aux féministes...

Denise Cacheux

Le rapport de force extérieur est fondamental pour pouvoir travailler.
Il n'y aurait pas l'extérieur, notre voix ne serait pratiquement pas entendue.

Éliane Viennot

Ce que disait Gisèle Stievenard, concernant l'Assemblée des femmes, me fait penser qu'au fond, la seule stratégie réussie, c'est la sortie. C'est de partir.

À des moments différents et avec des structures différentes, on abandonne la lutte à l'intérieur des organisations.
Je ne sais pas, si dans le cadre d'une stratégie de recomposition de la gauche, il ne serait pas possible de réfléchir à une stratégie d'ensemble.
Soit, par exemple, dans un même parti, d'investir, par exemple, tous les courants et de s'y battre pour la même chose.
On aurait aussi besoin de front entre femmes de différents partis.
Mais cela implique que l'on clarifie une question qui ne l'a jamais été, à savoir que l'on soit sûres, dans notre tête, qu'on est d'abord des féministes.
Et non pas continuer à être déchirées.

La deuxième chose est de savoir comment faire, dans une structure mixte, fermée, avec les femmes qui ne sont pas d'accord avec nous.
Pour moi, la parité représente une ouverture.
C'est un objectif qui pourrait nous permettre de reconsidérer complètement les efforts que les unes et les autres, en ordre dispersé, on a faits jusqu'alors.
Car ce qui a été décrit aujourd'hui s'est joué partout ailleurs, en pire ou en moins pire.
Il faut obtenir que, partout, dans les Conventions, les structures qui ont du pouvoir, consultatifs, délibératifs, il y ait autant d'hommes que de femmes.
À partir de ce nouveau mot d'ordre, il faudrait construire des vraies stratégies ; il faudrait que, sur au moins un point, on soit d'accord sur une stratégie d'ensemble des femmes.

Anne Le Gall

À propos de la non-mixité, je voudrais donner mon point de vue.
Pourquoi demander la non-mixité dans un parti qui était entièrement, lui-même, sous le signe de la mixité. Il faut, me semble-t-il, avoir, dans les partis un mouvement de femmes fort - et cela n'existe pas - et un mouvement fort à l'extérieur et que les deux soient mêlés.
Mais ce ne sont pas les seules qui sont concernées, c'est le destin de la gauche qui se joue là.
Ce qui me gêne, c'est que beaucoup de femmes actuellement voient la parité comme une nécessité dramatique et misérable pour être reconnues et pour progresser, alors qu'il s'agit du pivot même des institutions, du projet politique par excellence et qu'elles ne le comprennent pas.
En ce qui concerne le P.S., on ne pourra pas plus y faire avancer la parité que le reste, parce que le P.S inscrit dans les statuts ce dont il ne veut pas.
C'est d'ailleurs classique en France.
Mitterrand l'a fait pendant 14 ans, et même bien avant, et ça lui a très bien réussi.
Les hommes du PS sont bien dans la lignée de Montherlant, à qui on doit cette phrase, dans la Reine morte : "Écrivez honneur, mais ne l'écrivez pas deux fois, parce qu'on n'y croirait plus. "
(Rires...)

La parité manquera parce qu'on va mettre le mot pour l'exorciser et parce qu'on n'en veut pas.
On ne peut pas réussir une opération politique en refusant ce qu'on se trouve dans la nécessité d'admettre.
Il faut qu'il y ait des débats, de violentes oppositions.
Il faut qu'on sache que les hommes vont, là-dessus, quitter les partis de gauche et que ce sont les femmes qui vont y être majoritaires.
Et que c'est cela qu'il faut anticiper et préparer. Parce que si nous n'avons pas, nous-mêmes, un tissu politique suffisant, les structures conservatrices vont continuer à l'emporter sur la vitalité politique qui nous concerne au premier chef. Par notre nombre, par notre situation sociale et politique, par nos aspirations et par le fait que nous sommes sous-représentées dans ces projets-là, on est au coeur de tout le dispositif ce qui fait qu'un jour ou l'autre la gauche reviendra ou non au pouvoir,

Claude Servan-Scheiber

Il y a un aspect très important qui, pour moi, est une question clé qui rejoint ce que dit Anne Le Gall, c'est : "Comment contrer le fait que les partis utilisent, non pas des hommes, mais toujours des femmes pour se débarrasser des femmes qui les enquiquinent ?"

Denise Cacheux

Il ne faut pas oublier qu'un parti politique est un instrument pour arriver au pouvoir, local, intermédiaire ou national.
Donc un certain nombre de femmes sont arrivées au pouvoir non pas par leur coefficient de mixité, mais de rareté.
Les groupes femmes, par leurs revendications collectives, leur ont servi d'échelle, mais dès qu'elles ont passé la trappe, elles ont donné un coup de pied dans l'échelle.

Marie-Victoire Louis

Elles n'ont objectivement pas intérêt, dans une logique strictement individuelle, à faire en sorte que d'autres femmes parviennent au pouvoir.

Il y a dans le livre de Florence Klejman et Florence Rochefort, un jugement terrible de Caroline Kauffman, Présidente de l'association La Solidarité, concernant certaines féministes au début du XX ème siècle et qui est encore malheureusement d'actualité : "Elles sont et elles veulent rester le phénix, l'oiseau rare, l'objet introuvable. Que les femmes en général s'émancipent, elles n'y tiennent pas, et pour cause, elles n'auraient rien à y gagner" 11

Denise Cacheux

Exactement.

Anne Le Gall

C'est idiot, parce qu'elles ne se maintiennent jamais dans la position qu'elles ont acquise, parce qu'après, les hommes leur font le même coup. Eux, ils cassent l'escalier.

Claude Servan-Schreiber

Les femmes qui veulent arriver et qui, en même temps, défendent des positions féministes, se font vider, la plupart du temps. Mais par rapport à la parité, c'est une question centrale. On ne peut s'en sortir qu'en la mettant au jour ; ça ne peut pas rester dans le non dit.

Denise Cacheux

On a aussi l'obstacle inverse, c'est que lorsqu'il y a des désignations à faire -et c'est souvent autocratique, à l'intérieur des courants - ne sont pas choisies les femmes féministes, mais celles qui poseront le moins de problèmes aux chefs de courants, aux chapelles. On l'a vu pour la liste européenne.

Anne Le Gall

Quant au mouvement féministe, il est l'un des rares qui s'oblige à sacrifier systématiquement ses élites.
Il n'y a pas une féministe qui, après voir œuvré pour ses idées, n'ait pas été sacrifiée.
Non seulement, on n'a pas rendu hommage ces femmes qui ont lutté, qui ont été usées, qui ont souvent payé un prix personnel très fort de ce qu'elles ont fait pour l'humanité toute entière, mais, en outre, elles ont été gommées de l'histoire, de la mémoire.
C'est finalement la perversion essentielle de toute l'affaire.

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Notes de bas de page
1 "Les femmes s'imposent dans le débat présidentiel". - Le Monde, 16 avril 1995. On pourra aussi se reporter à : "La parité hommes / femmes se cherche une place dans la campagne". - Libération, 23 mars 1995.
2 LeMonde, 16mai 1995.
3  "Les trotskystes saisis par la débauche". - Le Monde, 5 novembre 1985.
4 Paris, Plon, 1994.
5 Libération, 30 janvier 1994
6  "Démission de responsables politiques". - La lettre de l'AVFT. N° 3. Été 1994. p. 10 et 12
7 Cf. par exemple, les articles sur ce sujet d'un libertaire français, Vilkens, parus en 1921, concernant son expérience vécue en URSS. ln : "Cette violence dont nous ne voulons plus". N° 5 Juin 1987.
8 Cf. notamment: Sadou Zazi. - "Le martyre des femmes violées". - El Watan, janvier 1995. Reproduit dans Dossier d'information sur la situation en Algérie.  Résistances des femmes et solidarité internationale. Femmes sous lois musulmanes N°1. Mars 1995. p. 216.
9 Note de l’éditrice : Mais c'est ]e concept même de viol qui alors disparaît dans ces "mariages jouissance".
10 ln : Le Libertaire. - "L'amour libre". 5 mai 1908.
11 - KLEJMAN Florence et ROCHEFORT Florence. - L'Égalité en marche, le féminisme sous la IIIème République. - Paris, Presses de la F.N.S.P. et Éd. Des femmes, 1989. Dans ce livre, les deux auteures écrivaient en conclusion de leur chapitre 6 intitulé: Féminisme et socialisme: ".Ainsi, toutes les tentatives pour allier féminisme et socialisme ou communisme ont tourné court."

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