Revue : Projets Féministes
numéro 1
 Elvira Niesner

Prostitution : Nouvelles donnes internationales

La traite des femmes en Allemagne 1

Projets Féministes N° 1. Mars 1992
Quels droits pour les femmes ?
p. 58 à 67

date de rédaction : 01/03/1992
date de publication : Mars 1992
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Cet article est le remaniement de deux publications de l'auteure : ln misereor 1990 c "Handhuch der Sexualität " (Manuel de la sexualité), éd. Dunde, à paraître aux édition "Deutscher Studienverlag". Il s'appuie également sur des recherches concernant la traite de femmes issues des AGISRA : "Frauenhandel und Prostitutionstourismus - Eine Bestand saufnahme" (Traite des femmes et tourisme de protitution - un aperçu), 1990 et du group de travail 'Traite des femmes" de Tilbingen, 1989.

***

La traite des femmes du Tiers-Monde en République fédérale d'Allemagne ne cesse de progresser. Cette "commercialisation" des femmes étrangères dans le milieu de la prostitution fait partie de ces transactions qui aujourd'hui fleurissent dans le monde entier entre le "premier" et le "tiers" monde, entre l'homme et la femme.
On les retrouve sous d'autres formes telles que le tourisme sexuel commerce du mariage ou la traite des femmes.

Le tourisme sexuel, ou encore tourisme de la prostitution, désigne une forme de tourisme de masse dans les pays du tiers-monde qui inclut délibérément les prestations sexuelles dans le programme. Les infrastructures été conçues tout spécialement afin de permettre aux clients étrangers de satisfaire leurs besoins de sexe, d'érotisme, d'exotisme et d'aventure.

Le commerce des femmes à marier décrit en général les activités des  "agences matrimoniales", dont l'objectif avoué est de procurer aux hommes allemands des femmes des pays du "tiers-monde".
Ces femmes sont présentées comme étant soumises, serviles, effacées et peu coûteuses. En effet, une femme peut-être choisie dans un catalogue selon des critères tels q "vierge", "n'a pas le sida", etc., et elle peut être "retournée" si le client n'est pas satisfait. Le mode de paiement correspond à ceux généralement pratiqués dans le monde des affaires: les paiements par mensualités sont acceptés et il arrive également que des "offres spéciales" soient proposées.

La traite des femmes - pas plus que le tourisme sexuel et le commerce matrimonial - n'est cependant pas un problème concernant uniquement les pays du tiers-monde ; elle repose sur la détresse de ces femmes qui, pour des raisons financières, sont réduites à quitter leur pays et sont exploitées alors qu'elles cherchent à travailler, à survivre et à mener une existence convenable. Elles ont accepté les risques que comportait la migration, elles sont tenues d'apporter un soutien matériel à leur famille et désirent en outre profiter du bien-être offert par la société industrielle.

Au début du vingtième siècle, un grand nombre de femmes allemandes ont été confrontées à des conditions similaires : en effet leur migration provoquée par l'ère de l'industrialisation entraîna une recrudescence sans précédent de la prostitution et de la traite des femmes. Un commerce florissant se développa à l'échelle mondiale grâce à un réseau de trafiquants extrêmement bien organisé. Non seulement un grand nombre de propriétaires de bordels à l'étranger étaient allemands, mais l'Allemagne avait en plus la réputation douteuse d'être le principal fournisseur de la moitié du monde. Des femmes furent envoyées dans des harems turcs, dans des maisons closes au fin fond de la Sibérie, à Bombay, Singapour, San Francisco et Chicago.

Les femmes sont donc "commercialisées" en fonction des rapports de force internationaux, le "premier" monde étant le demandeur de femmes originaires du "tiers" monde. Les principaux pays d'où proviennent les femmes sont la Thaïlande, les Philippines, le Ghana, le Brésil ainsi que la République Dominicaine. Pour ces pays qui ne parviennent que très difficilement à éponger leurs dettes, les virements d'argent des immigrantes représentent par conséquent un grand intérêt du point de vue économique. C'est pourquoi la demande provient essentiellement de l'Europe, du Japon, de l'Australie et des USA, pays privilégiés par l'ordre économique mondial et bénéficiant de monnaies fortes. Les Allemands - tout autant que les Anglais, les Suisses, les Français, etc. -, pensent pouvoir satisfaire avec ces femmes leurs besoins sexuels ainsi que le besoin d'entretenir une famille et de dominer ; ce sont eux qui, clients, touristes sexuels ou maris « en quête d'une femme à acheter », déterminent la demande.

Entre l'offre et la demande existent des intermédiaires qui entendent diriger ce marché.

D'une part, il est reconnu que la traite des femmes fait partie du crime organisé: les réseaux internationaux, la corruption et les groupes extrêmement bien organisés hiérarchiquement sont facilement identifiables et il est en outre possible d'établir des liens entre ce trafic et ceux de la drogue et du racket. D'autre part, on trouve également des trafiquants semi-professionnels, c'est-à-dire des profiteurs qui financent par exemple leurs vacances annuelles en "procurant" des femmes à d'autres hommes.

Ce sont des promesses illusoires, telles qu'un salaire alléchant ou l’assurance d'un travail - de préférence comme serveuse ou danseuse qui poussent ces femmes à immigrer. Les trafiquants leur payent le voyage procurent passeport, visa, etc.. Tout est organisé et contrôlé, de leur recrutement sur place à leur arrivée dans la maison close d'une grande ville allemande, en passant par le passage de la frontière et la légalisation mariage de leur situation. Cependant, même celles qui savaient avant le départ qu'elles travailleraient comme prostituées ne voient en principe plus que les autres leurs espoirs se réaliser, tant du point de vue financier que de celui des conditions de travail, de la situation légale, de la liberté personnelle... Elles aussi ont été abusées.

La situation des prostituées étrangères en République fédérale d’Allemagne est réellement sans issue. En règle générale, elles sont contraintes de contracter d'énormes dettes, dont le "trafiquant" exige le remboursement.
Elles sont étroitement contrôlées et totalement exploitées dans leur travail, elles ne peuvent refuser aucun client, ne sont pas autorisées à utiliser des préservatifs et perçoivent un salaire misérable. Tout contact avec l'extérieur pouvant les compromettre, est suspect, souvent interdit.

Nous pouvons constater que les proxénètes et les trafiquants n'ont rarement besoin de faire eux-mêmes pression physiquement sur les prostituées étrangères. En effet, les fondements juridiques, qui menacent continuellement d'expulsion les prostituées ne faisant pas partie des pays de la Communauté européenne, permettent aux profiteurs d'établir aisément relation d'exploitation peu dangereuse pour eux. Cette situation juridique -  infraction et à la loi concernant les étrangers et au droit du travail - est utilisée comme moyen de pression sur les femmes. Elles ne risquent l'expulsion que dès l'instant où elles se font remarquer, c'est-à-dire justement lorqu'elles essaient de se protéger des proxénètes.
Tenaillées entre le risque, entre exploitées et la peur de l'expulsion, la plupart d'entre elles n'osent s'adresser à la police.

La double morale de notre société apparaît ici au grand jour : les prostituées étrangères sont connues de l'administration policière et sont considérées comme inoffensives tant qu'elles sont en mesure de résister ~ "Bockscheinkontrolle".2
On a ainsi des raisons de soupçonner le pouvoir étatique de protéger les intérêts des clients alors qu'on n'accorde aux femmes en détresse ni protection de la police, ni statut juridique de protection.

L'étendue et l'ampleur de la traite des femmes ne peuvent être qu'approximativement estimées.
D'après la déposition d'un représentant de la direction générale de la police judiciaire, jusqu'à 20.000 femmes par année seraient, pour la seule République fédérale d'Allemagne, sous la coupe de trafiquants auxquels elles seraient obligées de régler leurs dettes par des versements avec intérêts. Selon des estimations, de 200.000 à 400.000 femmes travailleraient en République fédérale d'Allemagne dans le secteur de la prostitution et un tiers environ serait des émigrantes. Dans certaines métropoles cependant, ces chiffres sont de loin plus élevés : à Francfort par exemple, la proportion de prostituées étrangères est de 50%.
Etant donné qu'un grand nombre de femmes ne travaillent pas officiellement comme prostituées et que le "milieu" s'avère être particulièrement flexible, en envoyant les femmes peu de temps après leur arrivée dans d'autres villes, voire d'autres pays, nous devons compter sur des chiffres bien plus importants.

La traite des êtres humains est naturellement interdite en R.F.A ; selon le & 181 du code pénal, est passible de peine d'emprisonnement d'un à dix ans et de trois mois à cinq ans « quiconque
contraint à la prostitution par violence, par menace ou par ruse
recrute ou enlève une personne contre sa volonté par ruse, menace ou violence pour la forcer à pratiquer des actes sexuels, sur ou devant une tierce personne, ou à les subir, en exploitant son désarroi lié à son séjour dans un pays étranger».

En République fédérale d'Allemagne, on peut cependant constater une disparité considérable entre l'ampleur estimée de la traite des femmes et l'action pénale ou encore les cas sanctionnés. Ainsi par exemple, on a pu enregistrer, en 1986, 160 cas de traite d'êtres humains et 24 condamnations. Alors que les tentatives officielles pour expliquer cette disparité entre les délits et les condamnations rendent responsable le peu de disposition des femmes à faire une déposition, des expert-e-s considèrent, en revanche, que la cause principale est l'absence de prise de position des pouvoirs publics en faveur des "victimes du commerce de femmes" et leur mauvaise volonté à poursuivre en justice les coupables.

Les mesures prises contre la traite des femmes ont en effet été jusqu'à présent dirigées essentiellement contre les femmes elles-mêmes - comme les contrôles renforcés aux frontières, l'expulsion, les visas obligatoires alors que trafiquants et proxénètes continuent à jouir d'une liberté d'action relativement importante.

En raison de nombreuses protestations de la part d'organisation femmes, des actions plus importantes ont été menées depuis 1988 afin de condamner la traite des femmes. Cependant, dans la plupart des procédures engagées par la justice, les enquêtes sont souvent paralysées par l'expulsion pure et simple des prostituées et par là même des témoins potentiels. Lorsque les procès ont quand même lieu, une condamnation pour traite d'humains est rendue considérablement plus difficile par l'introduction la procédure d'auditions judiciaires dont la valeur probante fait défaut. Souvent également, des témoins importants restent introuvables ou ne sont pas prêts à venir.

Ce dilemme devant les tribunaux a pour conséquence l'ajournement des délits de peines : étant donné que la plainte ne peut pas être maintenue, on prononce une peine pour délits mineurs. C'est ainsi que se termina le procès que nous avons pu suivre sans discontinuer durant dix mois: alors qu'une plainte avait été déposée pour traite de femmes, une condamnation pour encouragement à la prostitution, proxénétisme et complicité fut prononcée. Les accusés ne furent condamnés qu'à la détention préventive et l'un d'eux devrait même probablement recevoir un dédommagement pour sa périe de détention de sept mois.

Ce qui nous aurions désiré voir, lors de la procédure, était justement l'application de la poursuite judiciaire pour traite d'êtres humains devant un tribunal. Ce qui nous intéressait en particulier, c'était de suivre une plainte judiciaire et de voir comment les tribunaux la traitaient, une fois tous les obstacles sur la voie menant au procès surmontés.

Le bar dont il était question lors du procès était tenu par les principaux accusés, de début 1987 jusqu'en juin 1988. Les indications d'une personne non impliquée dans l'affaire, qui avait pris connaissance, grâce à un tiers, des faits se produisant dans le bar, ont conduit à une enquête de la police. Leurs recherches aboutirent en juin 1988 à la fermeture du bar et à l'emprisonnement des principaux intéressés.

Selon le témoignage de deux victimes, des femmes de Thaïlande auraient été embauchées sous la promesse de pouvoir gagner mensuellement 2.000 DM (environ 7.000 Francs) uniquement comme danseuses et en incitant les clients à consommer. Ce n'est que lors de leur voyage en RFA qu'on leur aurait dit qu'elles devraient rembourser 15.000 DM (environ 50.000 francs) de dettes et que les revenus indispensables à cet effet ne pouvaient être obtenus qu'au moyen de la prostitution.

Au procès même, il n'y avait plus qu'une seule femme témoin, victime de la traite des êtres humains, venue en personne se mettre à la disposition du tribunal. Furent en outre entendues des femmes qui travaillaient "librement" dans le bar, c'est-à-dire sans devoir verser des paiements obligatoires. Des clients, des ex-maris de prostituées et d'autres personnes qui avaient mené une enquête dans cette affaire-ci ou dans d'autres similaires firent également des dépositions. Tous les témoins, à l'exception de la police et du parquet, évitèrent manifestement d'apporter un témoignage trop lourd. Il est difficile ici d'établir le rôle véritable joué par les menaces des gangs internationaux spécialisés dans la traite des femmes. Cependant, un certain nombre d'indications et d'observations nous poussent à conclure que des influences considérables ont été exercées sur des témoins féminins potentiels.

Jusqu'à présent, la jurisprudence restrictive de la RFA concernant la traite des femmes considère que les femmes ayant dans le passé déjà travaillé dans le domaine prostitutionnel n'ont pu faire l'objet d'un trafic de prostitution. Lors du procès, cela signifie, pour les témoins à charge, prêtes à déposer et également victimes du délit, deux choses : d'une part la défense va, lors de la procédure, centrer son argumentation sur leur biographie. Cette même défense tentera par tous les moyens d'identifier les femmes comme (ex) prostituées ou au moins de faire peser sur elles le soupçon "d'impudicité". Ainsi insinuera-t-on que chaque liaison plus ou moins longue dissimule une relation prostituée - client ou du moins, on tentera de le faire croire. D'autre part, si l'on parvient à laisser entrevoir que la femme témoin avait des activités à la limite de la prostitution, cela suffit à discréditer définitivement sa déposition. Lors de cette procédure, les témoins à charge n'ont jamais pu faire croire qu'elles avaient été engagées sous la promesse de pouvoir travailler comme danseuses, avant d'être par la suite poussées à la prostitution.

Qui plus est, les mesures de répression décrites par les témoins devant le tribunal par exemple devoir rembourser 15.000 DM (environ 50.000 Francs), n'avoir ni passeport ni billet de retour, se voir menacées d'être expulsées sans argent dans leur pays d'origine ou d'être envoyées dans un autre bordel entre autres - ont été définies par le tribunal comme formes générales de l'activité commerciale du bar : selon le président du tribunal lors de la lecture du verdict, «..les jeunes femmes n'ont ni été battues ni enfermées et les moyens de pression habituels n'ont pas été employés».

Après dix mois d'instruction, la chambre pénale était parvenue à la conclusion qu'aucune personne n'avait été attirée en RFA par de fausse promesses - les femmes n'ont pas été crues - et qu'aucune mesure de rétorsion particulièrement dure n'avait été utilisée.
Pour la chambre pénale, il s'avérait, par conséquent, comme une évidence qu'il n'y avait eu ni crime, ni victime, et qu'aucune instruction n'aurait donc dû être menée. Le procès aurait été monté en épingle, aurait coûté trop cher - plus d'un million de DM - et demandé trop de temps.
La Thaïlande n'a même pas daigné s'intéresser à l'instruction.
L'absence d'un accord binational d'entraide judiciaire a occasionné de grandes difficultés lors de l'enquête et bloqué le cours régulier de la procédure, car il ne fut pas possible, de faire venir des témoin importants de Thaïlande.

Pour les témoins à charge, le procès a eu de plus graves conséquences. Suite à la fermeture du bar dans lequel elles travaillaient, les femmes concernées ont perdu leur travail - leur emploi selon le contexte de la poursuite judiciaire - même si celui-ci était peu attrayant sans possibilité de réembauche ni alternative. Il ne leur reste plus qu'à compter sur elles-mêmes : elles ne bénéficient en aucun cas de mesures d'aide de l'État leur permettant de survivre, ne serait -ce que durant une période transitoire. Suite à leur éventuelle expulsion, elles seront de nouveau dépendantes du réseau de trafiquants, étant donné qu'en général une nouvelle existence dans leur pays d'origine n'est plus possible.

Elles sont contraintes de dévoiler devant la police et devant le tribunal les détails les plus intimes et les plus personnels leur vie, et les laisser juger moralement. Leur calvaire au sein du "milieu » se poursuit devant la justice allemande, dans la salle d'audience. Lors de la procédure, les femmes ont été questionnées dans les moindres détails leur vie intime par huit avocats, trois juges, deux assesseurs et un procureur, tous de sexe masculin. La seule présence féminine était une avocate qui présentait la partie civile pour l'une des victimes.

Les femmes étaient obligées de témoigner ; leurs peurs du réseau de trafiquants et de leurs menaces devinrent un problème personnel. Bien que victimes de la traite des femmes, elles peuvent, selon le droit allemand, le droit  des étrangers et le droit du travail, être inculpées. Elles sont menacées d'expulsion, au plus tard à la fin du procès, dans la mesure où elles ne peuvent pas assurer leur séjour en se mariant par exemple avec un Allemand.

Si l'on résume les événements, on peut constater que la procédure pénale pour trafic d'êtres humains n'apporte aucun résultat satisfaisant, ni à la justice ni aux témoins. La justice a échoué en raison de difficultés techniques (la langue, la culture, les interdépendances internationales) ; elle considère la prostitution comme une donnée sociale grandissante ; les mesures de répression dans le milieu sont qualifiées de "gestion d'entreprise ordinaire". Les femmes thaïlandaises vivant seules furent mises au même rang que des prostituées, difficilement crédibles à leur tour parce que stigmatisées. Les témoins mettent leur existence en danger lorsqu'elle témoignent - elles sont menacées, n'ont pas de logement, pas de travail, pas de revenus, pas de permis de séjour - ; elles doivent accepter de voir leur passé mis à nu publiquement et d'être marquées au fer de "l'immoralité" et de l'incrédibilité.

Est-ce une raison suffisante, au vu de tels événements, pour baisser les bras et abandonner la poursuite judiciaire pour traite des femmes, étant donné qu'un tel crime est difficile à prouver, demande trop de temps et d'argent et n'offre aucun soutien aux femmes ?
Devons-nous accepter les mauvaises conditions d'existence des prostituées étrangères en RFA étant donné que, pour elles, ne se présente aucune alternative à la prostitution et que, dans leur pays d'origine, les possibilités de revenus sont encore plus mauvaises ?
Pouvons-nous même aller jusqu'à dire que les trafiquants de femmes les aident à assurer leur survie et à soutenir matériellement leur famille ?
Pouvons-nous enfin nous retrancher derrière le principe que seules les femmes "innocentes" sont dignes d'être protégées et que seule la violence physique directe doit être combattue, sans tenir compte également des pressions plus subtiles et psychiques ?

Nous ne pouvons qualifier de tels combats judiciaires, que de simulacres, menés sur le dos des femmes concernées. Font parties des règles du jeu : d'une part la propagation de clichés tels que : "toutes les Thaïlandaises sont des prostituées", d'autre part la stigmatisation des prostituées : "une putain est de toute façon immorale, indigne de foi et de protection".

La poursuite judiciaire ne peut pas résoudre les problèmes de la traite des femmes : pour cela, les relations entre "premier" et "tiers" monde et entre l'homme et la femme seraient à étudier de plus près et à modifier.
Cependant, la poursuite judiciaire peut aider dans certains cas et pourrait surtout apporter une contribution importante à la sensibilisation de l'opinion publique, preuve d'une conscience sociale progressiste.

La traite des femmes repose aujourd'hui sur l'inégalité structurelle des femmes venant des pays du Tiers-Monde et se poursuit en exploitant la situation désavantageuse de ces femmes dans les pays de consommation, les pays industriels.
C'est pourquoi la poursuite judiciaire pour traite des femmes devrait se référer à la détresse structurelle des femmes et tenir compte de la dépendance, l'exploitation et la violence qui ne laissent aux femmes aucune alternative acceptable à la prostitution et à l'émigration.
Cette détresse permet aux trafiquants et aux proxénètes d'agir facilement les mesures de répression n'ont alors que faiblement besoin d'être utile.
La poursuite judiciaire doit garantir l'intégrité des femmes au lieu d’aggraver et de prolonger leur calvaire par des mesures étatiques; les autorités répressives devraient se montrer protectrices et objectives envers les victimes de la traite des femmes.
La définition de la traite des femmes doit répondre à la réalité de la société, le passé des femmes ne devant aucun rôle pour la procédure. II n'est de même d'aucune importance si les femmes savent ou non qu'elles seront obligées de travailler comme prostituées : les conditions de travail réelles - dépendance financière, juridique et sociale - ne leur sont, en général, pas connues avant leur départ.
La version actuelle du & 181 du code pénal sur la traite des femmes doit être modifiée de telle façon que le fait même de commettre ce délit soit répréhensible indépendamment d'une possible activité antérieure comme prostitue la personne concernée et  indépendamment de leur accord pour un tri en tant que prostituée.

Cet article, qui contiendrait une modification des articles de droit p concernant le commerce de femmes en RFA, devrait en même temps s’accompagner de la suppression d'une double morale, des clichés et de l'emploi de stéréotypes dans les salles d'audience, qui, dès le départ, enlèvent aux témoins leur crédibilité.

Nous devons bien réaliser que si cette double morale correspond aux critères de valeur de notre société et rend par conséquent possible la traite des femmes, elle porte préjudice à la vie quotidienne des prostituées et discrimine encore plus les prostituées étrangères.
Mais il faut bien comprendre que la recherche de la vérité et idéologie n'ont absolument rien en commun.  

Traduit de l'allemand par Lydie PETELOT

CONTRAT PROPOSÉ AUX THAILANDAISES QUI DEVIENNENT PROSTITUÉES AUX PAYS BAS.3

Les parties conviennent ce qui suit :

Vous ëtes d'accord pour venir aux Pays-Bas pour travailler à.. (ville).
Vous travaillerez 6 jours par semaine, avec un jour de libre.
Vous vivrez dans notre maison et vous serez nourrie et logée.
Nous vous donnerons un mois de congé par an et si vous travaillez bien, nous vous paierons votre ticket.
Vous travaillerez 11 heures par jour.
Vous êtes d'accord pour vous marier au terme de ce contrat pour ensuite divorcer.
D'abord, vous aurez à payer les frais de voyage, de visas et de contrat de mariage (7.500 dollars US), c'est-à-dire approximativement un mois de salaire. Après, nous travaillerons sur une base de 50/50.
Vous travaillerez dans une vitrine.
D'abord le loyer de la chambre doit être payé, ensuite nous travaillerons sur une base 50/50.
Chaque jour, nous récupérons l'argent et ensemble, nous prenons note de la somme, et nous signons pour la part qui vous revient.
Nous vous paierons chaque dimanche ; le lundi, vous devrez déposer votre part à la banque.
12) La moitié de l'argent que vous gagnez va à la banque, et l'autre moitié à nous. Nous vous garantissons 7.500 Dollars US.
La garantie vous sera payée après les vacances, mais nous vous réservons toujours une part de cette garantie.
En cas de désaccord ou de désobéissance, 150 dollars seront immédiatement déduits de la garantie.
Vous ne pouvez quitter la maison que sous escorte.
Vous ne pouvez pas avoir de contacts avec d'autres Thaïlandaises travaillant aux Pays-Bas.
Vous serez vérifiées en cas de vol, et si vous êtes prise, vous retournerez en Thaïlande et devrez abandonner votre garantie.
Durant votre séjour aux Pays Bas, nous vous garderons votre passeport par sécurité.
Nous paierons pour la nourriture et le logement, toutes les autres dépenses vous appartiennent.
Vous devez travaillez un an, sinon, vous perdez votre garantie.
Nous paierons les impôts.
Nous paierons les frais médicaux.
Nous paierons les frais de déménagement.

Ce contrat sera fait en deux exemplaires, chaque partie en aura une copie. Les deux parties ont, après en avoir bien pris connaissance, compris le texte et signé en présence de témoins.

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Notes de bas de page
1 Ajout. Août 2003. Aujourd’hui, je ne publierais pas ce texte. Il ne fait en effet aucun lien entre le statut de la prostitution en Allemagne ; il traite donc de « la traite des femmes » comme si les deux questions pouvaient être isolées. Par ailleurs, et en toute logique, les termes employés et plus globalement toute l’analyse s’inscrit dans le cadre de la politique de la libéralisation du «  marché du sexe ». Sous couvert de décrire la réalité, ce texte entérine et la légalisation du proxénétisme en Allemagne et la « traite des femmes » qui n’est qu’une des conséquences et des manifestations de la politique allemande, et plus globalement de la politique européenne.
2 Le Bockscheinkontrolle est le contrôle du certificat de santé obligatoire -le mot fait allusion non seulement a Bock, qui signifie le mâle, le bac, le bélier, mais aussi au verbe Bocken : "être en chaleur", terme employé pour les animaux, qui, dans le langage courant signifie aussi "avoir envie de baiser".
3 Cité par Anneke van Ammelrooy. Traffic of Women. Bzztoh Publishers. Stille Verkade 7.2512 BE. La Haye. Pays-Bas.

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