Revue : Projets Féministes
numéro 2
 Monique Perrot-Lanaud  *

Actualités

Rio 92. Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Femmes au secours de la planète

Projets Féministes N° 2. Avril 1993
Les violences contre les femmes : un droit des hommes ?
p. 151 à 157

date de rédaction : 01/04/1993
date de publication : Avril 1993
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
Voir et imprimer en PDF via pdf Print FriendlyAugmenter la taille du texteDiminuer la taille du texteRecommander ce texte par mail

Du 3 au 4 juin 1992, le monde entier avait les yeux braqués sur Rio de-Janeiro où se tenait le Sommet de la Terre.
Parallèlement à la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUCED), qui a été le plus grand rassemblement de chefs d'État du monde, 15.000 représentants des populations se sont retrouvés au Forum global.
Les femmes étaient parmi les plus déterminées à agir pour mettre un terme aux absurdités de l'époque où les trois quarts de la population ne mangent pas à leur faim tandis, qu'ailleurs, la surconsommation épuise les ressources en venant gonfler le volume des déchets polluants.
Pendant deux ans, elles ont soigneusement préparé leur participation et ont notamment obtenu par leur pression que les femmes apparaissent dans les textes signés par les gouvernements.

Les informations suivantes n'ont pas trouvé d'écho dans la presse française.
En règle générale, les journalistes français, surtout présents à la CNUCED, ont peu couvert les activités parallèles du Forum global et encore moins les ateliers de la "Planète Femmes".


Rio-de-Janeiro, 15 juin 1992 - La Conférence des Nations Unies l'environnement et le développement se termine.

Malgré une mobilisation des gouvernements sans précédent, ceux-ci n'ont fait preuve d'aucune audace. Les textes approuvés par la quasi-totalité d'entre eux - Agenda 21, Convention sur le climat, Convention sur la biodiversité. Déclaration de Rio - expriment des préoccupations justifiées, mais il leur manque ce qui pourrait garantir un début de résolution des problèmes, à savoir un calendrier précis et des engagements financiers concrets.

Les textes signés, notamment l'Agenda 21, ne sont pourtant pas sans intérêt dans la mesure où les populations peuvent maintenant s'y référer pour demander à leurs gouvernements de mettre en oeuvre les recommandations qu'ils contiennent.
Le chapitre 24 consacré aux femmes encourage notamment les gouvernements à préparer la Conférence de l'ONU pour les femmes qui se tiendra à Pékin, en 1995, en s'appuyant sur les recherches et les initiatives des femmes.

De leur côté, les ONG ont réuni 15.000 personnes au Forum global.  Parce qu'on ne peut pas raisonnablement analyser la situation de l'environnement et les chances de développement d'un pays en dehors de son contexte économique et social, ces représentant-es des populations du monde ont élaboré une trentaine de traités sur des sujets que la CNUCED n'a pas abordé : la dette, le commerce, le racisme, la pauvreté, le militarisme, la démographie, etc..

Les signataires se sont engagés à œuvrer, avec ou sans soutien de leurs gouvernements, pour une amélioration de la situation par rapport à ces thèmes, individuellement et collectivement.

Et les femmes dans tout cela ?

Au sein de cette mobilisation planétaire de la société civile, via les ONG, face aux pouvoirs institutionnels, les femmes sont apparues comme une force puissante, autonome et remarquablement organisée, exprimant la vision la plus globale de la situation de la Planète.
Elles ont constitué le seul groupe peut-être qui ait, sinon transcendé le clivage Nord-Sud mais qui a, en tout cas, fait preuve d'une solidarité effective. Et cela, à l'extérieur comme à l'intérieur de la CNUCED.

À la Conférence de l'ONU, sur plus de 300 orateurs qui se sont exprimés en plénière, 12 étaient des femmes, soit moins de 4 %, pour plus de 50 % de la population. Ce n'est pas tout : alors que le représentant de l'Union postale figurait parmi les orateurs, Sharon Capeling-Alakija, la directrice de l'UNIFEM, qui est pourtant l'agence de l'ONU pour les femmes et le développement en était absente.
Après deux jours de vaines offensives, il a fallu la ferme intervention de Maurice Strong, Secrétaire général de la conférence officielle, pour qu'elle puisse finalement prendre la parole.
Or, on peut affirmer sans trop de risque que la planète compte plus de femmes que de postiers et de philatélistes réunis...

Par ailleurs, excédées par ce qu'elles ont appelé la "suprématie masculine" de la Conférence, une cinquantaine de déléguées officielles ont formé un "Women's Caucus".
Renouant avec une pratique digne des belles heures du féminisme, ce comité a réuni chaque jour, autour notamment de Margaret Shields, directrice de l'INSTRAW 1, des femmes qui, dans leurs pays respectifs sont chargées de mission, conseillères au sein des cabinets gouvernementaux ou ministres.
Elles ont fait pression dans tous leurs groupes de travail pour que les textes concernant les femmes ne soient pas évacués.

Finalement, le Chapitre 24 de l'Agenda 21 (Agenda officiel) qui concerne les femmes, a été adopté sans réserves.

C'est la pression des femmes, de l'intérieur et de l'extérieur de l'ONU, avec le soutien de Maurice Strong, secrétaire général de la CNUCED qui a permis que l'Agenda 21 consacre aux femmes ces 6 pages sur 900, alors que les premières moutures des textes ne les mentionnaient pas une seule fois.

Ce relatif succès s'explique notamment par le travail entrepris par le collectif international, WEDO 2 qui avait organisé du 8 au 12 novembre 1991, à Miami, le "Congrès des femmes pour une planète en bonne santé", sous la houlette de l'Américaine, Bella Azoug, femme politique et dirigeante féministe américaine connue.
54 femmes venant de 31 pays étaient participantes de cette rencontre à laquelle assistèrent 1500 femmes venant de 83 pays.
Elles étaient militantes, agronomes, banquières, infirmières, parlementaires, techniciennes, zoologistes ; elles venaient des agences des Nations Unies, des gouvernements, des associations sur l'environnement, d'organisations de femmes et religieuses, de groupes de base, d'universités, de fondations et des médias.

Elles entendirent des témoignages dramatiques venant de toutes les régions du monde qui présentaient des preuves de leurs actions contre les dévastations écologiques et économiques.
Dans un village Malaysien, un consortium japonais vendit des déchets radioactifs en tant qu'engrais de jardins ; les enfants meurent maintenant de leucémie. Dans les Iles Marshall, des femmes dont les corps ont été empoisonnés par la radioactivité donnent naissance à des bébés méduses, sans membres, sans yeux, sans cerveau.
Dans les neiges de l'Himalaya, des scientifiques ont trouvé de la suie venant des incendies des puits de pétrole Koweïtiens.
Du Tibet, parmi des demandes urgentes concernant le déversement probable de déchets nucléaires dans les fleuves Tibétains, menaçant les sept grandes rivières de l’Asie.
Des Andes argentines, une femme évoqua les explosions due explorations des puits de pétrole qui ébranlent les montagnes. De Bhopal à Tchernobyl, au "Triangle de la mort", dans l'Europe de l'Est violemment polluée, des femmes ont évoqué les anormalités des bébés à la naissance, associées à un haut niveau de maladies infantiles.
Des atolls de corail du Pacifique, où les Français continuent d'affirmer que les expériences nucléaires n'ont pas d'effets sur la chaîne alimentaire, les femmes qui font sécher le poisson affirment ne manger que ceux sur lesquels les mouches se posent, les autres étant considérés comme trop pollués.

Ces femmes réunies à Miami ont demandé une parole équivalente à celle des hommes au sommet de Rio. "À moins de contester les institutions qui ont le pouvoir, affirma le Dr. Bertell, nos efforts pour améliorer l’environnement local sont similaires à l'action d'ouvrir un robinet d'eau dans baignoire sans bouchon".
Une Costa Ricaine rappela que le coût d'une politique qui empêcherait la mort de dix millions d'enfants correspond au coût de cinq bombardiers modernes. 3

C'est ainsi qu'au terme de cette rencontre fut organisée la participation  des femmes au sommet de Rio et que l'agenda 21 des femmes fut rédigé.

Ces vingt pages serrées 4expriment, en vertu du rôle central des femmes pour la vie et la survie, la nécessité de les associer, à parité avec les hommes à tous les stades de la décision.

Les femmes ont offert au Forum global un autre exemple de démarche responsable et constructive.

Grâce au travail extraordinaire de préparation de la coalition des femmes brésiliennes, coordonnée par Rosiska Darcy de Oliveira, elles ont disposé d'un lieu de rencontres et de débats privilégié, baptisé la "Planète femmes".

Cette tente était la plus vaste des trente-cinq dressées au milieu de quelque 500 stands tenus par les ONG, dans une ambiance qui tenait à la fois de la Fête de l'Huma et de happenings multiraciaux, la présence policière et militaire en plus.

La qualité des discussions qui se sont tenues à la Planète femmes a été unanimement reconnue par les participants au "Forum global" et par les quelques journalistes qui s'y sont aventurés.

Les groupes de femmes du monde entier s'étaient organisés pour animer des ateliers thématiques matin et après-midi, tandis que le soir avaient lieu des débats et des spectacles.

Ainsi, nous avons pu rencontrer Beneditta da Silva, du Parti des Travailleurs brésilien (née dans une favela, la seule députée noire que compte le Parlement de Brasilia, et candidate à la mairie de Rio), lors d'un débat sur la stérilisation - une des atteintes les plus violentes aux droits des Brésiliennes.

Pour la France, l'association Femmes & Changements 5s'est associée à WIDE, Women in Development Europe, pour l'atelier sur l' « environnement, la diversité et la solidarité ». L'alliance des femmes pour la démocratie était aussi représentée.

En résumé, les travaux des femmes ont porté sur les liens entre la dégradation écologique et des conditions de vie et :
la crise macro-économique,
-     l'inégalité d'accès aux ressources et aux richesses,
l'économie de guerre et les conflits armés,
l'absence chez les décideurs actuels de valeurs morales et spirituelles et de sens de la responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Affirmant que les droits des femmes sont des droits humains, les participantes ont mis l'accent sur le nécessaire respect de la démocratie pour garantir un développement visant à répondre aux besoins des populations plutôt qu'à ceux de la logique économique.

À l’issue d'un atelier sur la dette et le commerce conduit par DAWN6, une ONG de femmes d'Asie, d'Afrique et d'Amérique centrale et du Sud, un texte général a été rédigé, puis soumis aux 1500 femmes qui constituaient le "noyau dur" de travail et de réflexion dans la Planète femmes. Après quatre jours de discussions, ce texte a été publié sous le nom de Déclaration des femmes du Forum global.

Selon Peggy Antrobus, directrice de DAWN, "les femmes n'ont toujours pas la représentation que nous méritons, y compris au sein des ONG qui reproduisent le point de vue masculin".

Reprenant les thèmes développés dans l'Agenda 21 des femmes, la Déclaration dénonce la responsabilité du modèle économique dominant, imposé par les pays du Nord à leurs populations et aux autres nations, dans la dégradation de l'environnement des conditions de vie, et appelle à des changements radicaux de l'ordre mondial.

En ce qui concerne la question de la population, un sujet extrêmement sensible, elle insiste sur la nécessité du libre choix des femmes en matière de reproduction.7

La déclaration des femmes exige la parité entre les sexes à tous les niveaux de pouvoir et de prise de décision, et la décentralisation du pouvoir qui doit être au service des personnes et des communautés.

Des participants de la Planète femmes ont également collaboré à la rédaction du traité des ONG sur la population et l'environnement. Beaucoup de déléguées officielles de la CNUCED sont venues rencontrer les participants de la Planète femmes, comme Sharon Capeling-Alaki-ja ou Vigdis Finnbogadottir, présidente d'Islande.

Ségolène Royal, ministre française de l'Environnement, a donné une conférence de presse au Forum global, mais n'a fait qu'un petit tour à la Planète femmes et s'en est allée, sans prendre la peine d'échanger quelques mots avec les participantes.

À l’issue du Forum, les organisatrices de la Planète femmes avaient toutes les raisons de se féliciter.

Les femmes se sont révélées des interlocutrices incontournables, pas seulement sur des thèmes qui les concernent directement, comme la reproduction ou la santé, mais sur tous les sujets. Elles ont affirmé leur attachement à la démocratie par leurs paroles et par leurs actes, en tentant de pratiquer jour après jour le principe de tolérance. Ces femmes si différentes ne pouvaient pas être toutes d'accord, et il a fallu qu'elles sachent s'écouter et veuillent s'entendre. Les liens noués entre les groupes et les personnes continueront à renforcer l'accès des femmes à l'autonomie dans leurs vies, que définit le mot anglais "empowerment". Les échanges notamment entre les "institutionnelles", celles qui travaillent au sein des gouvernements ou de l'ONU, et les "militantes" ont été source d'enrichissement, de soutien et d'encouragement mutuels.

Les femmes de Rio, outre toutes les occasions de rencontres qu'elles vont programmer, se sont donné rendez-vous à la Conférence de l'ONU sur la population en 1994 et à la Conférence de l'ONU sur les femmes en 1995, à Pékin, dix ans après Nairobi.


15 juin 1992.

Retour en haut de page
Notes de bas de page
1 Institute of Studies and research for the advancement of women. Agence de l'ONU pour l'avancement des femmes, basée à Saint-Domingue.
2 Women's environnement developpment organisation - 845Third Avenue, 15th fIoor New York, NY 10022 - Tel.: (212) 759-7982 - Fax: (212) 759-8647.
3 OfficiaI Report World women's congress for a healthy Planet. 8. 12 novembre Miami, Floride - U.S.A.
4 Reproduites en annexe du texte de Monique Perrot Lanaud.
5 Femmes & Changements a traduit l'Agenda21 des femmes. la Déclaration des Femmes du Forum global, et a publié Femmes du sud: Autres voix pour le 2Ie siècle », traduction de l'ouvrage de Dawn "'Development, Crises, and Alternatives Visons : Thirld World Women's Perspectives. Collection Femmes & Changements. Éditions Côté Femmes, Paris. 78 F.
6 Development alternative with women for a new erea, basé à La Barbade
7 Note de l'éditrice : On pourra se référer à l'excellent dossier sur la démographie mondiale intitulé : 5.5 milliards d'humains. Emois, émois, émois... coordonné par Pierre Chanteau publié par Le Courrier de la Planète. N°13. Janvier-Février 1993. p 21 à31.

Retour en haut de page