S'il est vrai que "le code pénal a toujours été le témoin écrit de l'âme d'un peuple"2, les débats qui ont eu lieu en France, fin 1991, à l'occasion du vote par l'Assemblée Nationale et le Sénat du nouveau code pénal français, présentent un intérêt pour les citoyen-nes, les historien-nes, les sociologues, les juristes.3
Leur analyse est un révélateur de la conscience collective des représentants élus du peuple français et de son gouvernement. Défini comme "un modèle de consensus politique" 4, ce code porte la marque du gouvernement socialiste de l'époque : "Ce projet, pour l'essentiel nous convient" a affirmé le porte-parole du groupe socialiste au Sénat. (p. 608)
Le code pénal n'avait pas été revu, dans sa globalité, depuis le code Napoléonien de 1810. Plusieurs tentatives infructueuses ont vu le jour, notamment en 1893, en 1934, 1966, 1974. En 1981, M. Badinter, ministre de la Justice du premier gouvernement socialiste, assure la présidence de la commission de réforme, après avoir renouvelé sa composition. Le 19 février 1986, les premiers livres sont déposés au Parlement par M. Fabius, Premier ministre. Après plusieurs années de travail en commissions, il sera finalement voté le 22 juillet 1992. Néanmoins, son application s'est vue deux fois retardée : il est entré en vigueur le 1er mars 1994.
Ce nouveau code pénal avait pour ambition de "redéfinir les valeurs de notre société, ou, plus précisément encore, celles de la société du troisième millénaire qui commence" (p. 604) 5et devait, selon le Ministre délégué à la Justice, M. Sapin : "afficher plus clairement la hiérarchie de nos valeurs". 6(p. 3423)
Pour reprendre les termes du ministre de la Justice, il s'agit de "protéger, pour la première fois dans une loi pénale cette valeur suprême que sont les droits de l'homme".7 (pp. 596)
Ce travail de lecture critique se limite à l'analyse des débats qui posent le problème des violences au coeur des rapports de pouvoirs entre les sexes : violences conjugales, viols, agressions sexuelles, violences par inceste, exhibition sexuelle, prostitution et proxénétisme, harcèlement sexuel8.
Ils ont été débattus lors de la discussion du livre II du code pénal : "Des crimes et les délits contre les personnes" et plus particulièrement à l'occasion du vote du chapitre II : "Des atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne" 9.
Ce Livre II est considéré par M. Pezet, rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée Nationale, comme particulièrement "important", car il "concerne directement les individus dans leur vie" (p. 3419) et par M. Kiejman, ministre de la Justice, comme "l'un de ceux qui apportent le plus d'innovations". (p. 596)
Analyser les conditions d'élaboration de ce travail législatif nous permet de nous interroger sur la crise de la démocratie au regard du quasi-monopole masculin de la représentation parlementaire.
L'Assemblée Nationale et le Sénat qui ont voté ce texte, étaient, à l'époque, composés respectivement de 95 % et de 96 % d'hommes, faisant de la France l'avant-dernier pays d'Europe, avant la Grèce, en matière de représentation des femmes sur le plan parlementaire.
En ce qui concerne le Livre II, les deux rapporteurs des commissions des lois où s'est effectué l'essentiel du travail sont des hommes.
25 hommes et 1 femme (communiste) ont participé aux débats du Sénat ; 10 hommes et 2 femmes (socialiste et communiste) à ceux de l'Assemblée Nationale.
Aucune femme membre de l'opposition (c'est-à-dire de l'actuelle majorité de droite) n'est intervenue.
Le débat sur les violences sexuelles a été exclusivement limité à un débat entre hommes, sans que nul-le ne s'en émeuve.
Au Sénat, lors du débat sur le rétablissement du délit d'avortement d'une femme par elle-même, une seule femme était présente, dans chaque assemblée, celle-la même qui est intervenue. Et c'est à cette occasion que les deux seules réactions se sont faites entendre sur ce déséquilibre entre les sexes 10 et ce, au Sénat seulement. M. Milhaud a estimé que les sénateurs "se conduisaient un peu comme des machos. J'aurais aimé, continua-t-il, voir une assemblée de sénatrices se prononcer en conscience sur ce problème ". (p. 830)
Quant au ministre de la Justice, M. Kiejman, il a déclaré qu' "en 1991, il paraît moralement impossible de faire voter par des hommes une loi pénale qui ne serait appliquée qu'à des femmes"11.Cet argument s'est vu alors qualifier "d'un peu facile" par le Président de la commission des lois du Sénat, M.Larché. (R. P. R) (p. 833) Le débat en est resté là.
Alors que l'immense majorité des crimes et des délits sont le fait d'hommes et que les femmes sont, dans l'immense majorité des cas, les victimes des crimes et des délits commis par des hommes, aucune analyse sexuée des violences n'a été faite.
Il n'a même jamais été question de violences contre les femmes. Seule Marie-Noëlle Lienemann (P. S.) a évoqué "les nouvelles agressions" en précisant le fait que le "problème se pose surtout pour les femmes". (p. 3431). Elle n'a pas cru bon de qualifier ce "problème".
Le terme "droits des femmes " a été prononcé une seule fois, par une sénatrice communiste, et ce uniquement par référence à la "libre maternité" (p. 824).
En revanche, plusieurs orateurs - notamment à l'occasion du débat sur l'IVG - ont évoqué la "faiblesse", la "fragilité", la "vulnérabilité", voire l'"irresponsabilité" des femmes. (p. 828)
Quant aux - seules - références à l'évolution des rapports entre hommes et femmes, les voici :
* Le sénateur socialiste Dreyfus-Schmidt a affirmé, sans autre précision historique, que "les filles avaient subi 12une certaine évolution" (p. 995).
* Le député conservateur Clément a estimé que "les garçons mûrissant plus lentement que les filles, sont plus fragiles et plus vulnérables" (p. 3511).
* Le député Colcombet a affirmé que "l'évolution du statut des femmes a été très grande ". (p. 3435)
Il n'est nulle part affirmé, ne serait-ce qu'au niveau d'un vœu pieux, que la société française s'assigne comme projet de modifier, dans un sens plus égalitaire, l'état actuel des rapports de pouvoirs entre hommes et femmes.
À deux reprises, le mot patriarcat a été prononcé, mais pour rappeler que la France "ne vivait plus dans une société patriarcale". (pp. 647 et 649)
Notons, pour éclairer les débats actuels sur la parité entre hommes et femmes en politique, que si aucune députée ou sénatrice n'a évoqué le problème des conséquences du déséquilibre entre les sexes sur l'élaboration du code pénal, et plus largement sur la démocratie, à l'exception des débats sur l'IVG, seules les femmes ont défendu les droits des femmes.
En matière d'organisation des débats, le Sénat et l'Assemblée s'étaient vus accorder par le gouvernement, respectivement 2 jours (p. 790) et 3 jours (de traditionnelle faible participation : vendredi, samedi, lundi).
Le Sénat, qui devait prendre position sur 306 amendements, a finalement obtenu 7 jours de débats. Deux jours ont suffi à l'Assemblée pour voter les 179 articles du Livre II.
Sénateurs et députés ont certes dénoncé les mauvaises conditions de travail imposées par le gouvernement (pp. 596 et 3426) ; ils ont relevé "des conditions de hâte inégalées" (p. 3429), "précipitées" (p. 607), "des cadences de travail dignes des Temps Modernes" (p. 3419).
Au Sénat, le Président a en outre reconnu que "le débat n'a pas été formidablement organisé". (p. 789).
Lors du débat du 21 juin au matin à l'Assemblée sur les viols et violences sexuelles, n'étaient présents dans l'hémicycle que le rapporteur, le président de la commission des lois et des membres du groupe communiste (p. 3490).
Le premier jour des débats au Sénat, la commission des Finances à laquelle assistaient "plusieurs dizaines de sénateurs" siégeait en même temps que la séance plénière (p. 605). Et, lors de la séance du 20 juin, à l'Assemblée Nationale, quand le ministre a voulu répondre aux orateurs qui s'étaient exprimés le jour même, aucun d'entre eux n'était présent à l'ouverture de la séance.
Les députés "ne se sont pas livrés à la réflexion préalable qui aurait été nécessaire", a reconnu M. Toubon (p. 3226).
Les membres des assemblées n'ont entendu ni expert-e, ni personne qualifiée 13 (p. 3426).
Relevons que c'est devant le Sénat, assemblée non-élue au suffrage universel et plus politiquement conservatrice que l'Assemblée, alors majoritairement socialiste, que le projet de loi a été examiné en première lecture. Cette assemblée de notables s'est vue accorder un régime de faveur : plus de temps dévolu à la commission des lois comme aux débats.
Il n'est donc pas fortuit que les initiatives les plus réactionnaires émanent de cette Chambre. Citons le rétablissement du délit de bigamie, le maintien de la notion d'aggravation des peines pour le parricide, le refus de la suppression du délit d'avortement de la femme sur elle-même14, le rétablissement d'un délit d'homosexualité (voté au sein de la commission des lois par 26 voix contre 4).
Le Sénat a presque systématiquement aggravé les peines proposées par le gouvernement et s'est battu avec acharnement pour que la peine que la sûreté (c'est-à-dire la période pendant laquelle le ou la détenu-e ne peut bénéficier d'aucune permission de sortie, d'aucune liberté conditionnelle ou mise à l'épreuve) soit intégrée à la peine elle-même.
Dès lors, un temps important des débats à l'Assemblée Nationale a été utilisé uniquement pour repousser ces projets.
Le souci du gouvernement d'éviter toute discussion réelle sur l'ensemble des sujets évoqués fut patent.
Ainsi, ne pas rouvrir les débats qui ont surgi lors de la loi Veil sur l'avortement et risquer ainsi remettre en cause "les délicats équilibres auxquels elle est parvenue" fut présenté par le Ministre de la Justice comme la seule explication justifiant que l'on ne la modifie pas15. Le souci était le même à droite. Pour M. Toubon (R. P. R) : "Cette loi a provoqué trop de déchirements et trop de cas de conscience" (p. 3428). Le même a en outre affirmé "ne pas vouloir, en ce qui concerne la partie du texte concernant les mœurs et les agressions, rouvrir les guerres de religion". (p. 3426)
Outre l'absence évidente de volonté d'interroger les droits acquis masculins le fait que ces débats traversent les groupes politiques est sans doute un élément majeur de cette crainte.
Le nouveau code pénal est fondé, selon ses défenseurs, sur certains principes ; mais on peut, au-delà de l'effet d'annonce, s'interroger sur ses finalités comme sur ses contradictions et ses valeurs.
Ce code se veut "modéré" (p. 599), sans "rupture par rapport aux lois actuelles" (p. 601) mais "modernisé". Selon les parlementaires, il vise "à la protection de la personne humaine envisagée non plus comme personne physique, mais comme titulaire de droits fondamentaux, (ainsi qu') à la répression de certaines formes de criminalité ou de délinquance qui ont connu un développement particulier". (p. 599)
Après avoir rappelé les adaptations du code et son souci "de réprimer plus fermement toutes les formes d'atteintes aux droits de la personne" 16, le ministre de la Justice a présenté les innovations les plus importantes du texte : la notion de crime contre l'humanité, la responsabilité des personnes morales, la pénalisation du trafic de stupéfiants et du proxénétisme par bande organisée.
La philosophie du code pénal est fondée sur une double distinction binaire :
- Entre "la morale individuelle (à qui) il revient le soin de régler les questions de conscience individuelle" et "la loi pénale (à qui) revient la mission d'interdire les comportements dangereux pour la société". (p. 3425)
- En fonction des auteurs des infractions : "Le projet consacre, avec détermination, une différence systématique entre les infractions réfléchies, organisées, procédant de ce qu'on pourrait être tenté d'appeler une criminalité 'professionnelle' qui sont toujours très sévèrement réprimées et les infractions ordinaires qui, sans être pour autant excusables, n'en révèlent pas moins avant tout une certaine fragilité, notamment sociale, de leurs auteurs et sont punies de peines beaucoup moins sévères". (p. 599)
Nulle part dans les débats, les termes évoqués, ceux "d'évolution de la société", de "valeurs morales (ou) sociales", "d'ordre public", de "dangerosité", de "modernité", "d'état de mœurs", n'ont été définis.
Le ministre de la Justice a simplement affirmé : "J'enfonce une porte ouverte quand je dis que l'état des mœurs a évolué". (p. 731)
* Un code sécuritaire
S'il est légitime de souligner que le code pénal se doit de définir des délits et des peines, on peut néanmoins noter que la prévention, la réinsertion, les thérapies, les politiques alternatives n'ont été l'objet d'aucun débat.
À une question sur ce manque, M. Dreyfus-Schmidt répondit, sans autre forme de procès : "Ne figure pas dans le code la manière d'amender les criminels ? Après tout, ce n'est pas tellement son rôle ". (À propos du viol. p. 727)
Ce code, "pauvre en principes", (M. Clément. U. D. F. p. 3434) est resté un catalogue d'interdictions dont le tarif des peines a été hiérarchisé en fonction du degré - estimé - de gravité des infractions.
La philosophie du code pénal a été en outre critiquée - sans que l'affirmation ne soit démentie 17- comme une logique du "tout répressif' (p. 604) ou du "tout carcéral" .(p. 993)18.
À l'exception de certaines peines liées aux conséquences de la suppression de la peine de mort, comme à celles regroupées sous la dénomination "atteintes aux mœurs" (p. 599) - sur lesquelles nous reviendrons, toutes les autres peines ont été maintenues ou tirées vers le haut.
Les députés communistes ont, par ailleurs, à de nombreuses reprises, dénoncé le principe selon lequel seuls les maxima des peines étaient cités 19 dans le nouveau code pénal, cette décision risquait de provoquer une augmentation des peines.
À cet argument, le gouvernement a opposé une défense à géométrie variable. Lorsqu'il souhaitait contrer la politique répressive du Sénat, le ministre affirmait : "A ce compte-là, il suffit de décider qu'il y a une peine unique, la peine à perpétuité et de préciser que les juridictions pourront descendre quand elles voudront. " (!) (p. 731) Ce qui ne l'empêchait pas, lorsqu'il souhaitait lui-même refuser une diminution des peines, de récuser l'argument.
Le gouvernement a ainsi été accusé, à droite comme chez les communistes, de politique démagogique en voulant faire croire que l'insécurité devait diminuer du fait de l'aggravation de l'échelle des peines. Pour M. Pagès (P.C.) : "Si la méthode préconisée était valable, il y aurait longtemps que la délinquance et la criminalité auraient diminué". (p. 652)
* Quels liens entre peines de prison et amendes ?
Au nom de l'argument selon lequel le Livre 1 du code pénal, déjà voté et sur lequel il n'était pas possible de "revenir", avait posé le principe de la correspondance entre les peines de prison et les peines d'amende 20 , nombre de peines ont été augmentées.
Cette position a donné des résultats tels que M. Dreyfus-Schmidt a pu, à la tribune du Sénat "se demander si, dans l'ensemble du texte, le gouvernement n'a pas confondu les anciens et les nouveaux francs." (p. 956). Un député communiste s'est, pour sa part, demandé, à juste titre, "si ces peines d'amendes ne peuvent, pour beaucoup, être considérées comme des condamnations à vie ". En outre, le paiement des amendes à l'État étant prioritaire, celui-ci se demande ce qu'il restera pour la réparation pécuniaire due à la victime. (p. 3429).
Voici un exemple particulièrement significatif de cette logique. Le "délaissement de mineur" (de moins de 15 ans) est dorénavant passible d'une peine de 7 ans de prison et de 700.000 Francs d'amende, "sauf si les circonstances du délaissement ont permis d'assurer la santé et la sécurité de celui-ci" (Art. 227-1 du NCP).
Ainsi une mère, sans argent, sans travail, sans famille, sans compagnon et sans logement ayant "délaissé" son enfant pourra, à sa sortie de prison, avoir à payer en outre 700.000 Francs d'amende (maximum) 21. Le gouvernement s'est même opposé avec fermeté à toute diminution tant de cette peine que de cette amende, malgré son évidente inhumanité.
Or, contrairement à ce qu'a affirmé à plusieurs reprises le gouvernement lorsqu'il déclarait par exemple : "Nous devons rester logiques avec nous-mêmes en établissant toujours un lien corrélatif entre la peine d'emprisonnement et la peine d'amende", (p. 741) cette position a été transgressée à plusieurs reprises. Ainsi, dans certains cas, l'amende est inférieure à ce qu'elle aurait dû être si ce principe avait été appliqué : c'est le cas de l'abandon de famille et de la dénonciation calomnieuse ; dans d'autres cas, elle est supérieure : c'est le cas pour le proxénétisme, les atteintes à la vie privée, la provocation d'un mineur à un usage illicite de stupéfiants.
Et, pour une même peine de 6 mois de prison, le fait de "ne pas notifier son changement de domicile en cas de divorce ou de séparation" est puni de 50.000 F. d'amende, alors que le fait "de provoquer, dans un but lucratif, un parent à abandonner un enfant né ou naître" est puni de 500.000 F. d'amende.
Ce "lien corrélatif" à géométrie variable pose donc problème et s'oppose aux affirmations déjà évoquées du gouvernement. En réalité, une lecture attentive des débats révèle l'ambiguïté de la position gouvernementale. Car, ailleurs, M. Kiejman évoque simplement "le souci de maintenir un certain équilibre" (p. 652), tandis que M. Sapin parle "d'un rapprochement" entre les deux peines. (p. 984).
Quelle est, par ailleurs, la logique d'une position si celui qui s'oppose à sa remise en cause n'a d'autre élément pour se justifier que d'affirmer qu'elle ne sera pas appliquée, comme les deux ministres de la justice l'ont déclaré ? (p. 984 notamment)
Enfin, on peut se demander sur quels critères et pour quelles raisons, ni les atteintes volontaires à la vie (meurtres, assassinats), ni les tortures et actes de barbarie, ni les violences ayant entraînées la mort sans intention de la donner, ni les viols ne sont passibles de peines d'amende.
Le fait que les auteurs de telles agressions soient majoritairement des hommes pourrait-il être un des éléments fondateurs de ce principe ?
* Quelle échelle des peines ?
Je n'évoquerai pas ici les nouveaux critères de classifications du code pénal, qui représentent souvent une réelle modernisation du regard porté sur les violences et les agressions2223 .
Je me limiterais à poser certaines comparaisons en matière de pénalisation qui interrogent les valeurs de référence implicites des auteurs du code. Certes, il s'agit de délits de nature différente et la comparaison ne peut donc être qu'indicative. Mais il me semble que ce type de questionnement n'est pas inutile.
Citons quelques exemples :
- Toutes les "discriminations" 24 sont punies d'une peine de prison inférieure d'un an par rapport à l'"utilisation abusive des fichiers ou traitements informatiques". (Art. 226-1 du N. C. P.)
- Le fait "de fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer une IVG sur elle-même" est puni d'une peine de prison et d'amende trois fois plus importante que le harcèlement sexuel - qui concerne des hommes dans la quasi-totalité des cas - et cinq fois plus importante si "l'infraction est commise de manière habituelle".
- Le "délaissement de mineur de moins de 15 ans" - qui concerne essentiellement des mères - est puni d'une peine de 7 ans de prison et de 700.000 F. d'amende, alors que l'abandon de famille - qui concerne essentiellement des pères - est puni de 2 ans de prison et 100.000 F. d'amende.
- Le proxénétisme est puni de 5 ans de prison, alors que le viol l'est de 15 ans.
- Alors que, selon le ministre de la Justice, "après 15 ans, un mineur est libre de son corps" (p. 992), une autorisation parentale reste exigée pour les filles jusqu'à 18 ans pour demander une I. V. G. (Interruption volontaire de grossesse).
- Les peines concernant "les atteintes aux mœurs" ont été remplacées par des infractions de portée plus réduite et punies de peines atténuées, alors que la peine de viol a été aggravée.
À cet égard, les justifications du Ministre de la Justice présentant le nouveau code comme "libéral", par opposition à ce qu'il qualifie de "pudeur rétrograde" sont absolument inacceptables.
- Le harcèlement sexuel a été introduit dans le code, alors que les auteurs du code se sont opposés à toute protection sexuelle spécifique des mineurs de 15 à 18 ans. 25
- Cette absence de protection des mineur-es entre 15 et 18 ans est à comparer avec la pénalisation d'un acte sexuel entre deux majeurs consentants, s'il est commis en public (un an de prison).
- Alors que sont introduits dans le code plusieurs articles concernant "la provocation de mineurs" (de moins de 18 ans) à la consommation d'alcool et de stupéfiants, ainsi qu'à la mendicité, l'ancienne provocation (des mineurs) à la débauche a été supprimée pour être limité à la seule situation où "un majeur organise des réunions comportant des exhibitions ou relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ".
* Quelle logique de référence ?
- Quelle vie privée ?
Les débats sur "l'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui" (Art. 226-1) éclairent l'analyse des députés sur cette question.
Alors que nulle discussion n'a eu lieu concernant la protection de la vie privée des victimes étant l'objet de violences, notamment sexuelles, le ministre s'est, lors du débat sur la discussion de l'article 226-1, prononcé avec force : "Nous voulons rassurer les particuliers sur le fait que leur vie privée sera protégée nous voulons les rassurer sur le fait qu'elle ne sera pas protégée plus qu'ils ne le souhaitent eux-mêmes". (p. 954)
De même, alors que nulle part, en matière d'analyse des violences contre les femmes, la question fondamentale du "consentement" des victimes à cette violence n'a été évoquée, le ministre comme le rapporteur se sont longuement interrogé sur cette notion, à l'occasion de la discussion de cet article 226-1. (p. 951, 952).
Certes les hommes ne sont pas les seuls à être concernés par cet article ; il n'en reste pas moins que c'est au nom de ce principe de protection de la vie privée (qui est implicitement, pour la majorité des personnes, celle des hommes) que nombre d'avancées des droits des femmes touchant à la remise en cause de pouvoirs masculins ont été refusées, freinées ou étroitement circonscrites.
Citons dans l'histoire du droit l'interdiction de recherche de paternité, la séduction dolosive, les violences dans le cadre de la famille.
Certes le ministre a cité une situation où les femmes sont concernées (cas de femmes célèbres photographiées nues, à leur insu), mais pour préciser aussitôt qu'il "ne voulait pas se référer à ces exemple-là, car on voyait bien que la victime peut se défendre elle-même " (!) (p. 953) 26
Dans le même sens, lors des débats sur la dénonciation calomnieuse, M.Kiejman, faisant explicitement le lien entre celle-ci et la protection de la vie privée, a affirmé - pour la seule fois de tous les débats - : "Ce qui compte, c'est l'intérêt de la victime". Et il a poursuivi ainsi : "On peut redouter des manœuvres épouvantables. Il suffira de lancer une accusation infâme qui, à la fin, ne sera pas prouvée (!) mais qui... pourra conduire à un débat judiciaire sur un acte, encore uns fois dépourvue de réalité (!) mais dont le seul fait qu'il soit discuté judiciairement et publiquement causera à la personne qui en sera l'objet un tort considérable". (p. 956)
Le fait qu'un 'grand' avocat, ministre de la justice au demeurant, invalide, en l'absence de toute analyse concrète d'un délit, l'idée même de la validité d'une plainte est sans doute, à cet égard, une première dans notre histoire pénale.
Mais il faut sans doute prendre ces jugements de valeur qui s'inscrivent dans la lignée de toute notre histoire du droit 27 - pour ce qu'ils sont : un plaidoyer passionné - sans doute inconscient - pour la défense des droits acquis masculins sous couvert de la protection de la vie privée (des hommes).
Le vote de la proposition sénatoriale du droit d'exiger le huis clos, en matière de harcèlement sexuel, à la demande des deux parties, considéré jusque-là comme un droit des seules victimes (en matière de viols) s'inscrit dans la même logique. Il s'agit bien ici d'une démarche dont la finalité est de tenter de freiner l'avancée des droits des femmes.
- Quelle évolution des mœurs ?
On peut se demander pourquoi l'évolution des "mœurs" a été évoquée pour justifier la baisse de la pénalisation en matière d'agressions ou d'atteintes sexuelles, alors qu'elle ne l'a pas été en matière d'I. V. G.
Un amendement du groupe communiste, soutenu par les socialistes, afin d'autoriser, à l'exemple de certains pays européens, l'I. V. G jusqu'à 12 semaines de grossesse - ce qui diminuerait de 70 % le nombre des avortements considérés comme illégaux et effectués actuellement à l'étranger (en Hollande essentiellement28 ) - a en effet été refusée (p. 826), M. Kiejman estimant en la matière "qu'il n’y avait pas urgence, (lui) semblait-il, à prolonger ce délai".
Il a même évoqué la possibilité de "réduire" le délai actuel de 10 semaines. (p. 826).
Concernant les mineur-es, le gouvernement a souligné son souci "de protéger particulièrement les mineurs et les personnes vulnérables" (p. 664) et a considéré l'âge comme l'un des seuls éléments objectifs permettant d'appréhender la vulnérabilité d'une victime (p. 616).
Mais ces deux critères ne s'appliquent plus en matière de sexualité.
Là, l'argument de la "liberté" des mineurs l'a emporté sur celui de leur protection.
- Quelle responsabilité ?
Le rapport entre la notion de "vulnérabilité" et d'"atténuation de la responsabilité" est aussi un problème fondamental en droit pénal, puisqu'il contribue à définir la responsabilité.
À cet égard, l'analyse de l'emploi du mot "femmes" dans les débats parlementaires s'avère éclairante. Les femmes ne sont reconnues, en tant que telles, comme sujets de droit que si elles sont "enceintes", "vulnérables", "malheureuses" ou "provocantes".
Concernant l'avortement, M. Kiejman a même été jusqu'à affirmer : "On peut se demander... si une telle détresse (de la femme qui pratique l'avortement sur elle-même ou qui demande un avortement) n'abolit pas tout libre-arbitre chez la femme qui en est réduite à cette situation douloureuse" (p. 828) 29 Mais le même n'avait trouvé aucune circonstance atténuante à la femme qui "délaisse" son enfant.
C'est dans ce contexte que l'on peut appréhender la manière dont le nouveau code pénal a traité les violences masculines contre les femmes.
Alors même que les violences contre les femmes qui concernent des dizaines de milliers de situations de violences sont de plus en plus dénoncées et que leur gravité est de plus en plus rendue visible, l'une des questions que devaient aborder les auteurs du nouveau code était notamment la suivante : comment ne pas surcharger encore plus les cours d'Assises qui prononcent déjà environ 3.000 arrêts par an, ni les prisons qui, selon le ministre de la Justice, "sont actuellement pleines" (p. 615) ? 30
Et cela alors que le gouvernement ne voulait pas, notamment pour des raisons électorales, donner une image laxiste de lui-même, face à une droite et à une extrême droite qui défendent une position sécuritaire.
Toute la philosophie du code est fondée sur une distinction entre les divers actes de violence : de la définition du critère de gravité dépend l'échelle des peines (contraventions, délits, crimes) et la nature du tribunal auquel elles seront déférées (de simple police, correctionnel, Assises). (Cf. article 111-1 du N.CP.)
Mais avant d'analyser ces critères, il est important de relever que :
- De manière anecdotique, mais signifiante, nombre de réparties ayant provoqué le rire ou le sourire dans les Assemblées sont soit l'occasion d'évocations phalliques, soit l'occasion de sous-estimer ces violences.
Ainsi, à une demande d'abaissement du taux des amendes pour les hommes violents, afin d'éviter les récidives, il fut répondu que ces violences étaient "gratuites" (p. 664), tandis que lors d'une discussion sur la pénalisation de l'exhibition sexuelle, il fut précisé que l'amende ne se définissait pas " par les dimensions de ce qui peut être exhibé". (p. 741)
- Par ailleurs, alors que les quelques rares références utilisées dans les débats parlementaires sont quasi exclusivement littéraires, l'un des rares exemples tirés d'une situation concrète actuelle (l'autre concernait les viols et assassinats de petites filles) relatait l'histoire, citée deux fois lors des débats, d'un homme qui, aux États-Unis, après avoir passé une nuit avec une femme, s'était vu adresser par elle le message suivant, laissé sur son oreiller : "J'ai le sida... Bon vent".
Selon le ministre de la Justice : "Il y a les violences manifestant une perversité particulière et il y a, pour regrettables qu'elles soient, les violences ordinaires". (p. 662).
Il est difficile de ne pas considérer un tel distinguo comme une certaine forme de reconnaissance de l'inéluctabilité et / ou de la banalisation de ce que le ministre appelle "violences ordinaires" ou, ailleurs, comme des "infractions ordinaires". Et, concernant ces dernières, le gouvernement affirme "sa volonté de combattre plus énergiquement que tout autre le crime qui révèle l'organisation ou le cynisme de ses auteurs". (p. 597)
Dans cette logique binaire, aux "criminels de réflexion, ceux pour lesquels personne ne saurait manifester d'indulgence ou de faiblesse" (p.599), à la criminalité "professionnelle", "perverse" ou "réfléchie", les défenseurs du code pénal opposent une criminalité qualifiée "d'ordinaire", "simple", "passionnelle" à propos de laquelle le moins que l'on puisse dire est qu'elle est l'objet d'une certaine indulgence.
Le ministre a même évoqué, lors du débat sur le proxénétisme, "des actes individuels 31(! ) ou des actes de pur vertige". (p. 937). Dans ce deuxième terme de l'alternative, le code inclut ceux des criminels qui "ont agi par impulsion, par déséquilibre, et32 dont on peut espérer l'amendement". (M. Kiejman. p. 636)
Le rapporteur de la loi a précisé cette interprétation en demandant une "atténuation de la dureté de la peine" pour les cas où "le facteur pulsionnel peut avoir une importance beaucoup plus grande que l'intention coupable". (p. 638)
Si cette analyse ne concerne pas exclusivement les violences masculines sur les femmes - le ministre évoque aussi la notion de "pulsion" en matière de parricide - néanmoins, c'est incontestablement au sein de ce champ de la criminalité que cet argument a été le plus systématiquement employé pour déresponsabiliser les auteurs de ces violences.
C'est ainsi que les mécanismes de production de la violence masculine, comme les mécanismes ayant légitimé, occulté, déqualifié cette violence, n'ayant pas été interrogés par les auteurs du code ne peuvent que se perpétuer.
En effet, depuis des siècles, les violences masculines, notamment sexuelles - longtemps justifiées par la loi et la morale - ont été cautionnées si ce n'est excusées grâce à des arguments fondés sur l'impulsivité non maîtrisée - voire non maîtrisable - de la sexualité masculine.
Cette approche aggravée par la compréhension dont bénéficie, devant les tribunaux, les auteurs de crimes qualifiés encore "d'affaires passionnelles" (p. 640) renforce l'argument récurrent selon lequel les hommes violents n'auraient pas eu de volonté de nuire. Leurs actes ne sauraient donc être prémédités.
On peut ainsi comprendre pourquoi la notion de "protection des personnes vulnérables" fut systématiquement utilisée au détriment de celle des droits des victimes.
Le nouveau code pénal n'innove pas en la matière : la "prudence" est requise pour les crimes "qui échappent à la connaissance de l'auteur de l'infraction" (! ). Le ministre de la Justice a pu ainsi évoquer, sans autre commentaire : "les meurtres liés à une impulsion, à une réaction (?) susceptibles de bénéficier de nombreuses circonstances atténuantes". (p. 656)
La seule allusion du ministre de la Justice évoquant "les violences habituelles auxquelles le gouvernement ne peut trouver d'excuses" s'est vue immédiatement récusée par M. Dreyfus-Schmidt : "C'est vite dit, Monsieur le Ministre... les auteurs de ce genre de crimes sont très souvent des personnes elles-mêmes vulnérables... souvent plus à plaindre encore qu'à condamner". (p. 664).
Précisons que cet échange - qui en est resté à ce jugement définitif - eu lieu à l'occasion du vote de l'article concernant "les violences habituelles... ayant entraîné la mort de la victime". (p. 664).
Le même sénateur socialiste a pu ainsi proposer, au nom de la "modernité", de correctionnaliser ces meurtres. (p. 662). Peut-on - si l'on se réfère à la modernité (affichée) de ce code - l'assimiler ici à la gestion prévisionnelle de l'encombrement relatif des différents tribunaux, ainsi qu'à la prise en compte des coûts relatif des différents procès ?
Rappelons que le budget du ministère de la justice français ne représente, en 1993, que 1, 5 % du budget de l'Etat. 33
De fait, seules les plus inadmissibles de ces violences, les plus indéfendables de leurs auteurs, les atteintes les plus graves à l'ordre social seront passibles de peines alors aggravées.
En ce sens, la décision prise lors du vote du Livre 1 de porter à 15 ans de prison la plus petite des peines criminelles et de limiter à 10 ans de prison maximum les peines correctionnelles élargit l'écart entre les peines et ne peut que contribuer à déqualifier la nature du crime.
Confrontés à une décision d'une telle responsabilité, nombre de juges hésiteront à les criminaliser, (M. Toubon. p. 3127), tandis que les avocat-es refuseront de faire prendre ces risques à leurs client-es.
Cette probable logique de déqualification de crimes très (trop ?) lourdement pénalisés s'articule avec le souci affirmé de "réserver (certaines) infractions à des tribunaux correctionnels". (p. 935). (À propos du proxénétisme)
Il faut à cet égard, rappeler qu'en "matière correctionnelle, toute peine d'emprisonnement ferme doit être spécialement motivée" (p. 3423), de même que "la tentative n'est punissable que si la loi le précise" (p. 608), à l'inverse du crime où la tentative est systématiquement punie comme le crime lui-même.
Je ne reprendrais pas ici les catégories du code pénal, mais les catégories qui correspondent aux violences les plus fréquemment exercées contre les femmes.
En la matière, ici, la distinction ne s'est pas portée sur les auteurs de violence, tandis qu'une seule phrase a suffi au gouvernement pour évoquer ces violences : "D'autres atteintes (aux droits de la personne) sont de tous les temps, mais revêtent plus qu'autrefois un caractère intolérable pour notre sensibilité, tels les mauvais traitements dans le cadre du couple et de la famille". (p. 597).
Les sénateurs, sans doute moins sensibles, n'ont, quant à eux, pas cru bon discuter de cette question.
Or, une campagne médiatique avait officiellement avancé le chiffre de deux millions d'hommes exerçant des violences sur "leurs" femmes ou "leurs" conjointes 34.
Dans la mesure où cette estimation n'a jamais été démentie35, on aurait pu penser que le nouveau concept introduit par le ministre - celui de "délinquance homicide masse" - aurait pu s'appliquer à cette réalité 36 .
Il n'en a rien été. Ce terme ne devait recouvrir que "la délinquance routière et les accidents du travail". (p. 3423).
Pour ces deux infractions, en revanche, il a été précisé que "l'opinion ressentait comme choquant le fait que la volonté prend part à ces comportements qualifiés trop facilement d'involontaires". (p. 597)
Alors que le ministre avait rappelé fermement "l'attachement de tous à la protection de la vie privée" (p. 951), le nouveau code pénal français ne cite toujours pas le terme de "violence conjugales" ; aucun article spécifique ne concerne cette réalité qui est traitée par de simples alinéas.
Or il est clair - comme cela a été précisé sans ambiguïté par le ministre à propos du parricide - "qu'en faisant d'un délit ou d'un crime une incrimination spécifique, le législateur donne au juge une indication…(et) la responsabilité de l'auteur est supposée plus grande". (p. 647).
Comme élément de comparaison, un article nouveau (Art. 222-16) a été introduit concernant "les appels téléphoniques malveillants ou les agressions sonores réitérés en vue de troubler la tranquillité d'autrui".
La nouveauté de la législation tient au fait que les violences "commise par le conjoint ou le concubin de la victime" constituent toujours - en principe - un délit37 "même s'il en est résulté une incapacité de travail inférieure à 8 jours". 38
Ces violences sont dorénavant considérées comme une circonstance aggravante de la violence si l'ITT (interruption temporaire de travail personnelle) dépasse 8 jours et passibles d'une peine de 5 ans de prison maximum.
Mais on peut se demander sur quels fondements les violences exercées par l'époux ou le concubin constituent une circonstance aggravante de la violence. Selon M. Kiejman, c'est parce que "l'auteur des coups ... viole le devoir d'assistance qui découle des obligations du mariage, mais également parce que la victime est, le plus souvent, en raison même de sa cohabitation avec l'auteur des violences, en situation de vulnérabilité face à cet abus". (p. 598).
Cet argument pose problème, d'une part parce que les concubins visés par le texte n'ont pas les obligations imposées par le code civil aux conjoints mariés, d'autre part parce que nombre d'hommes violents ne cohabitent pas ou plus avec leurs compagnes.
De fait, cette notion de cohabitation a eu pour résultat d'exclure du champ des circonstances aggravantes de la violence les ex-conjoints et ex-concubins qui représentent un nombre extrêmement important (environ la moitié) d'auteurs de ces violences. Cette notion "d'assistance" - un député parle même de "protection" - ne peut en outre être interprétée que comme une permanence de la tradition juridique postulant la vulnérabilité intrinsèque des femmes et l'inégalité juridique entre hommes et femmes liés par le mariage.
Par ailleurs, si la violence conjugale est une circonstance aggravante de la violence, pourquoi le viol conjugal ne serait-il pas une circonstance aggravante du viol ?
Il faut cependant reconnaître que le fait d'intégrer ces violences dans une section intitulée : "Des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne" 39 est une manifestation - au moins symbolique - de reconnaissance de leur signification.
Les plaintes pour viol ont augmenté de 133% entre 1981 et 1991, et 30% des viols extra familiaux sont des viols commis par plusieurs hommes ("collectifs").
Par ailleurs, le viol est le crime :
- Le plus banal : un quart des crimes dénoncés contre les personnes sont des viols ;
- Le plus impuni : plus de 70% parmi ceux qui sont dénoncés au collectif Viols /Femmes / Informations n'ont pas fait l'objet de plainte ;
- Le moins condamné : une seule plainte sur cinq aboutit à une condamnation, tandis que l'écart entre le nombre de plaintes déposées et le nombre des condamnations prononcées est largement supérieur à celui existant dans l'instruction et le jugement d'autres crimes et délits. 40
Face à cette réalité, dénoncée par les féministes depuis des années, la seule réponse du nouveau code a été d'augmenter la pénalisation à 15 ans de prison, au lieu de 10 auparavant.
Mais faute d'une politique claire du Ministère de la Justice, il est assuré que cet alourdissement des peines n'aura pour finalité, ni de mieux défendre les droits à la réparation des victimes de viols, ni de garantir aux femmes et aux enfants le droit de vivre dans une société libérée de cette violence.
Si la définition du viol n'a pas été modifiée, l'analyse des débats nous permet de préciser ce que les auteurs du code pénal entendent par la distinction définie par M. Kiejman entre les auteurs de viols qui "révèleraient une perversité particulière ou une préméditation" et les autres : "Le viol, même simple ( ! ), est odieux en soi, mais le fait qu'il se soit déroulé dans des conditions qui n'impliquent pas que soient retenues des circonstances aggravantes peut laisser espérer que l'auteur de cet acte ( ! ) s'amendera." (p. 725).
M. Dreyfus-Schmidt - qui avait affirmé, à l'occasion des débats concernant "les atteintes sexuelles sur mineurs" "qu'on ne détourne pas une personne de pratiques sexuelles (! ) par des lois pénales" (p. 995) - justifia ainsi son refus d'une demande d'amendement tendant à aggraver les peines dans certaines circonstances :
"Ce n'est pas l'aggravation des peines proposées qui, du jour au lendemain, empêchera, comme par miracle, des jeunes gens éméchés de commettre cette sorte de crime. " (p. 726).
Et pour le même sénateur : "Peuvent commettre un viol (aggravé) des gamins qui ont bu, qui ont fait la fête et qui le lendemain ne se rappellent qu'à peine ce qu'ils ont fait. Il est parfaitement possible de les soigner et dans leurs cas, un amendement peut être d'autant plus espéré qu'il s'agit d'êtres jeunes et tout à fait normaux." (p. 727).
Nulle réaction ne s'est manifestée dans l'enceinte concernant cette affirmation de la normalité des violeurs (agissant ici en 'bande' ) ni sur l'absence d'intérêt porté aux victimes. Le rapporteur de la loi, M. Jolibois, affirma pour sa part, dans le même débat : "Dans nos métiers (de députés), il faut savoir faire preuve d'indulgence, quand il s'agit d'un égarement passager dû à l'alcool ou à une grande jeunesse. " (p. 728)
45% des appels au Collectif Viols/Femmes/Information concernent les viols intra-familiaux 41. Le nombre d'affaires jugées a quintuplé de 1989 à 1992, alors que dans nombre de juridictions de province, l'inceste est devenu le crime le plus condamné.42
Mais, alors que l'on s'interroge de plus en plus sur la banalité de l'inceste à travers l'histoire et les sociétés 43, aucun débat n'a eu lieu dans les enceintes parlementaires.
Au-delà de l'affirmation du principe de l'aggravation de la peine (20 ans de prison), les deux seules allusions faites dans les débats révèlent, là encore, le niveau et la nature des "analyses" des représentants politiques français.
La première, du sénateur Dreyfus Schmidt qui évoqua "les pratiques auxquelles se livrent des ascendants, comme c'est fréquemment et malheureusement le cas particulièrement dans certaines régions de France". (p. 726).
La seconde le fut par le ministre de la Justice, à l'occasion d'un débat sur les atteintes sexuelles sans violence sur mineur : "Souvent dans ces affaires de famille, seule la mère peut dénoncer l'agression et lorsqu'il s'agit d'une agression sans violence, elle se trouve dans un état de grande hésitation… si elle a le sentiment qu'elle va envoyer l'homme avec lequel elle vit, si coupable soit-il, en prison pour subir une peine qui l' exclura définitivement de la vie de famille, qui le privera de tout avenir, elle se taira. Voilà à quoi il faut penser concrètement, au lieu de rêver à des peines théoriques qui font peut-être plaisir à ceux qui les proposent, mais qui n'apportent aucune amélioration au fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons. " (p. 732)
L'éternel argument de la responsabilité des femmes pour des crimes qu'elles n'ont pas commis présente le grand avantage de déresponsabiliser non seulement les hommes, mais aussi - comme ce texte le révèle avec tant de clarté - l'État de leur propre responsabilité. Comment, en outre, ne pas interpréter cette "analyse" comme une quasi-légitimation du crime d'inceste?
Comme en matière de violences dites "conjugales", le terme d'"inceste" n'est toujours pas prononcé, tandis qu'aucun article n'est spécifique à ce crime.
Un alinéa de l'article 222-24 concernant le viol indique simplement que "le viol commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime est une circonstance aggravante du viol".
Une timide avancée législative est cependant à noter : la loi du 19 juillet 1989, intégrée dans le nouveau code pénal, permet à la victime de repousser la date à laquelle elle peut déposer plainte - non plus 10 ans après le crime, mais 10 ans après sa minorité civile, c'est-à-dire jusqu'à 28 ans - "laissant ainsi à la victime le temps de sortir de son enfermement".44
L'une des innovations du code pénal a été de regrouper toutes les agressions sexuelles autres que le viol dans une même catégorie, mettant fin à la distinction, difficile à mettre en oeuvre concrètement entre "attentat à la pudeur", "excitation à la débauche" et "outrage public à la pudeur" au profit d'une distinction entre "agressions sexuelles" et "atteintes sexuelles".
Mais que faut-il entendre par ces termes ?
Selon le ministre, "le terme d'agression prête à confusion... Malgré la connotation sémantique, le mot d'agression, dans les incriminations retenues, exclut tout de même la violence. Il s'agit donc d'atteintes sexuelles, qui sont moralement répréhensibles, mais qui n'impliquent pas de violence, sauf sur les enfants très jeunes." (p. 731).
Ailleurs, celui-ci a même formellement récusé l'interprétation selon laquelle l'emploi de ce terme pourrait "laisser croire qu'il s'agit d'un acte très grave", alors qu'il ne s'agit que d'un acte "impudique". (p. 739). Questionné alors sur ce qu'il fallait entendre par le mot "atteinte sexuelles", il a simplement répondu : " Il faudrait beaucoup d'imagination pour pouvoir vous les décrire et je n'ai pas de notes à cet égard dans mon dossier".
Les sénateurs se sont contentés de cette réponse et personne n' a plus demandé la parole. (p. 739)
C'est ainsi que ni les termes "agressions sexuelles" et ni ceux d'"atteintes sexuelles" qui font l'objet de l'article 222-22 (N.C.P.) n'ont été définis. 45
Si l'on s'en tient à ces explications embarrassées et confuses, dans l'esprit du législateur, cette distinction reste néanmoins toujours fondée sur l'intentionnalité de l'auteur de l'agression, sur des normes sexuelles exclusivement masculines et sur une sous-estimation systématique des violences imposées. M. Kiejman a en effet précisé qu'une violence "sans pénétration (sexuelle) de quelque nature que ce soit" (était) "une violence superficielle". (p. 741)
La position du législateur est ici d'emblée contradictoire.
Si le gouvernement a affirmé "son attachement à la protection des mineurs" (p. 735), il n'en a pas moins proposé un code qui "atténuait les peines pour certaines infractions à caractère sexuel sur mineurs". (M. Jolibois. Rapporteur de la commission, p. 600)
La question de la pénalisation des violences sexuelles sur les adolescent-es entre 15 et 18 ans est particulièrement intéressante. Mais ces débats doivent être resitués dans notre histoire pénale: notre droit considérait que si l'enfant ou l'adolescent-e n'avait exprimé aucune résistance ou avait donné son consentement, l'agression sexuelle dont il était victime n'était pas punissable.
La loi du 29 avril 1832 reconnut cependant la notion d'attentat à la pudeur sans violence - qui était souvent un viol "non prouvé" mais sur des victimes de moins de 11 ans. Ainsi le "partenaire", adulte ou non, d'une relation sexuelle avec un-e adolescent-e n'était pas poursuivi lorsque celui-ci ou celle-ci était âgée de plus de 11 ans - soit, à l'époque, 11 ans de moins que la majorité civile - dès lors qu'il n'exerçait pas de "violence". Cet âge, qualifié de "petite majorité de la prostitution", fut élevé à 13 ans en 1863, puis à 15 ans en 1945.
Il existe donc toujours aujourd'hui un hiatus de 3 ans entre "majorité sexuelle" et majorité civile.
Le nouveau code a maintenu la doctrine selon laquelle "les atteintes sexuelles sur mineur-es" sont exclues du champ de la loi à 15 ans (Art. 227-25), dès lors qu'elles ne sont pas commises par un ascendant ou par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. Or le ministre lui-même avait considéré "que les agissements incriminés peuvent correspondre à des situations très diverses, les unes odieuses, les autres peut-être plus acceptables". (p. 737).
Ainsi un homme âgé de 70 ans, sans relation d'autorité avec un-e mineur-e âgé-e de 15 ans et un jour, ne peut être considéré comme ayant exercé une atteinte sexuelle à son encontre. L'adolescent-e est supposé-e - à moins que la victime ne prouve la contrainte - être son ou sa partenaire consentant-e. Pour M. Pezet, cette décision s'explique par la volonté de ne pas "surprotéger" (!) ces jeunes de 15 à 18 ans. (p. 3512)
La contradiction apparaît en outre avec force dans la mesure où le nouveau code a présenté "comme une innovation de considérer comme un nouveau délit l'incitation de mineurs à la consommation de stupéfiants, à l'alcoolisme ou à la mendicité". (p. 3421). Et a maintenu cet âge de 18 ans pour qualifier le proxénétisme d' "aggravé".
De fait, la position du gouvernement est, là encore, peu assurée d'elle-même et peu rigoureuse. M. Kiejman estime ainsi que: "dans l'état actuel des mœurs, un mineur de plus de 15 ans est censé disposer d'une maturité équivalente à celle d'un adulte pour répondre à une agression sexuelle... Je ne pense donc pas que le cas du mineur âgé de plus de 15 ans doive donner lieu à une répression spécifique aujourd'hui". (p. 737)
Par ailleurs, lors des débats, nul-le n'a contesté ce constat du sénateur M. Rudloff selon lequel : "Dans les affaires de mœurs, les adolescentes portent beaucoup plus facilement des accusations que les adolescents. Tant que cette différence existera, sans doute faudra-t-il que le code pénal en porte le trace. Lorsque les principes se heurtent à la réalité, on a le droit de se fier plutôt à celle-ci."
À une question de notre part, le ministre de la Justice a cependant précisé que si le gouvernement n'avait pas réagi, cela ne signifiait pas qu'il approuvait cette déclaration. 46
Or la position du gouvernement n'est peut-être pas si incohérente qu'elle apparaît au premier abord. En effet, l'hypothèse selon laquelle cette liberté sexuelle - considérée comme étant synonyme d'une capacité de résister à une agression sexuelle - puisse, de ce fait, être considérée comme une possibilité laissée aux adultes de l'accès au corps des adolescent-es peut trouver une confirmation dans la décision prise de supprimer le délit d'excitation de mineur à la débauche au profit "d'un substitut de portée beaucoup plus restreinte". (p. 606)
Affirmant ne pas savoir "quelle définition, on doit donner à la débauche", et estimant que "le sens du terme a connu de grandes variations au fil du temps", le gouvernement avait strictement voulu limiter cette incrimination. (p. 989).
Seul le fait d'organiser des réunions - en présence ou avec la participation de mineur - comportant des exhibitions sexuelles est dorénavant réprimé. (Art. 227-22)
Cette infraction - ancien outrage public à la pudeur - est pénalisée d'un an de prison (Article 222-32). Elle n'en a pas moins été considérée par le Ministre "comme un simple problème visuel" (p. 741 ) 47. Il est intéressant de noter qu'il n'évoque pas ici le cas d'exhibitionnistes - pratiquement toujours des hommes - mais qu'il cite la situation de Dorimène dans la pièce de Molière à qui Tartuffe dit: "Couvrez ce sein que je ne saurais voir".
L'introduction de la pénalisation du harcèlement sexuel - qui n'avait pas été proposée par le gouvernement - fut présentée comme l'une des grandes innovations de ce livre II.
Ce texte, dont l'initiative revient aux féministes, a été défendu à l'Assemblée par Madame Roudy, ex-ministre des droits des femmes et députée socialiste.
Seules des femmes de gauche, Madame Lieneman (P.S.), et Jacquemain (P.C) ont défendu le projet. Madame Roudy s'est vue, à cette occasion, accuser de "harceler" l'Assemblée 48 et de faire de la "philosophie de bas étage", (p. 7016). Les débats sont courts et peu animés. 49
Alors que le gouvernement estimait que les textes anciens étaient opérationnels et suffisants, plusieurs députés de droite et de gauche ont tenté de récuser ce projet de pénalisation.
Les 'arguments' étaient :
- soit qu'il s'agissait d'un "amendement à la mode" et que les députés "n'avaient pas à reprendre ce que veut la demande sociale" (! ) (p. 3530) (M. Toubon),
- soit que "la demande était socialement exacte, mais n'avait pas de traduction juridiquement exacte" (M. Toubon),
- soit qu'il existait des risques d'abus (M. Clément) et que cela "risquait de créer des difficultés de relations entre hommes et femmes" (M. Clément), car "il est difficile de faire la différence entre un geste amical, voire un acte de séduction et ce qui constitue un abus". (M. Gouzes)
Quant à M. Clément proposait de "régler le problème au niveau des mœurs". (!)
En ce qui concerne les critiques faites à cette loi - de portée extrêmement limitée - qui ne prévoit, à l'encontre des autres articles sur la violence, aucune circonstance aggravante, je me permets de renvoyer à des textes déjà publiés. 50
On peut noter, à cet égard, que le rapport International Women's watch, dans son analyse du rapport de la politique française a repris l'essentiel de critiques de l'AVFT : "Les nouvelles lois (pénale et en droit du travail sur le harcèlement) sont de portée limitée.. les abus physiques et verbaux ainsi que les remarques sexistes ne sont pas considérés comme du harcèlement. La législation ne permet pas non plus de protéger les victimes de harcèle ment si le but n'est pas d'obtenir des relations sexuelles". 51
Il faudrait aussi ajouter que le harcèlement sexuel entre collègues est exclu de la loi - on peut donc estimer qu'il est légitimé - et que les deux parties - la victime et le présumé harceleur - peuvent demander le huis clos lors d'un procès. La possibilité de se constituer partie civile pour les associations est donc limitée à certaines situations seulement. Quant aux présumés harceleurs et aux entreprises qui les soutiennent, ils sont largement protégés de regard public concernant ce délit.
La possibilité d'utiliser cet article sur le harcèlement sexuel pour déqualifier d'autres agressions sexuelles, comme celle de poursuivre les femmes harcelées et les associations qui les soutiennent en diffamation - procès qui se multiplient depuis le vote de la loi - est également à évoquer. Et à dénoncer.
Des initiatives européennes actuellement menées par les Pays-bas, suivies par l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique ont lieu afin de légaliser la prostitution et, dans certains cas, le proxénétisme. Pour s'opposer à cette offensive, un projet de révision progressiste de la Convention abolitionniste internationale de 1949 est défendu au sein des instances internationales52. Le "marché" international de la prostitution se recompose actuellement en profondeur entre les différents protagonistes (la CEE, les États, les prostituées étrangères et européennes, les proxénètes, sans oublier les clients), et est au coeur des accords de Schengen sur le contrôle des migrations 53.
Faisant fi de ces éléments, la discussion concernant la prostitution s'est limitée à un débat court et hésitant, centré exclusivement sur les critères de pénalisation du proxénétisme. Rien n'a concerné les prostituées, ni, bien entendu, les clients.
Toute la discussion fut centrée sur le risque d'inculpation d'hommes qui, ignorant la nature des revenus des femmes avec lesquelles ils ont des relations sexuelles, pourraient être considérés comme proxénètes. Dès lors, le souci de "ne pas punir les innocents" fut alors clairement affirmé (p. 934). L'impression qu'il s'agissait d'un plaidoyer pro domo était ici particulièrement forte.
Alors que le rapporteur de la loi a pu, sans autre inquiétude, évoquer l'existence d'un "lobby des julots casse-croûtes", la seule "analyse" du système prostitutionnel fut la suivante : "Les relations entre le proxénète et son amie prostituée sont complexes, En effet, elles ne sont pas seulement des relations de protecteur à protégée, ni même seulement fondées sur la terreur " il y a de cela, mais il y aussi de l'affection, pour ne pas dire de l'amour." (M. Rudloff. p. 933)
Le code pénal, quant à lui, a été modifié sur deux points :
* La suppression du délit de proxénétisme par simple cohabitation, lequel était un délit de présomption. Présentée comme "libérale" et n'étant "plus adaptée aux situations d'aujourd'hui", cette "innovation" est une ancienne revendication des prostituées 54 affirmant leur droit de vivre avec qui elles l'entendent.
De fait, les modifications sont plus complexes que la présentation qu'en a faite le ministre.
Les 2 alinéas supprimés de l'ancien article 334 sont les suivants : "Sera considéré comme proxénète:
- celui qui, sciemment, vit avec une personne se livrant habituellement à la prostitution […]
- celui qui, étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution, ne peut justifier de ressources correspondant à son train de vie".
M. Sapin a pu même estimer que "la sanction de ces comportements ressortissait de la morale et non du droit pénal". (p. 3424).
Ainsi, sur le fondement d'une distinction peu claire entre "proxénétisme simple" et "aggravé", le gouvernement a contribué à élargir considérablement les possibilités d'action du proxénétisme.
Certes, il annonce "qu'il est résolu à faire adopter des dispositions de la plus grande rigueur à l'égard du proxénétisme, notamment lorsqu'il est accompli en bandes organisées ou lorsqu'il procède d'une structure, d'un groupe ou d'une préméditation", crime alors passible de la Cour d'Assises (20 ans de prison). Ce qui est essentiellement visé ce sont les réseaux internationaux de type maffieux.
L'évolution des termes employés n'est d'ailleurs pas anodine : l'ancien code (article 334) visait "le proxénète", le nouveau vise "le proxénétisme" (article 222-5). En revanche, le gouvernement affirme : "qu'il faut se montrer plus prudent lorsqu'il s'agit de cas de proxénétisme simple, qui sont d'ailleurs parfois difficiles à caractériser" (p. 932), déclare : "qu'il ne faut pas sur-pénaliser le proxénétisme simple" (p. 937), pour enfin conclure : "Je préfère que l'on renonce à poursuivre" (p. 937).
Au-delà de l'ambiguïté grave en ces affirmations, on ne peut que relever qu'il est difficile d'arguer - surtout lorsqu'on rédige un nouveau code pénal - que des infractions ne sauraient être poursuivies parce qu'elles sont difficiles à caractériser.
On peut aussi légitimement se demander si une femme qui est prostituée pour le compte d'un seul proxénète est moins gravement 'exploitée', violentée que celle qui l'est pour le compte d'une bande organisée ? Là encore, la volonté d'incriminer plus durement le proxénétisme aggravé risque fort de contribuer à sous-estimer la gravité de l'inculpation de proxénétisme qui reste une peine correctionnelle. Comme l'a reconnu officiellement, à l'occasion d'un colloque récent un responsable du Conseil de l'Europe, M. Gazan : "On tend de moins de moins en moins à poursuivre le petit souteneur, c'est établi, même si on ne le dit pas." 55
Notons cependant positivement qu'une personne morale (une société) tirant profit de la prostitution pourra être pénalement condamnée et dissoute et que le proxénétisme n'est plus considéré comme "une atteinte au mœurs" mais comme une "atteinte à la liberté de la personne".
De fait, cette nouvelle politique de la prostitution est étroitement liée aux nouvelles politiques de la famille, Ce qui est en cause, c'est autant de concurrence en moins entre hommes et femmes pour le partage des revenus, autant de chômage comptabilisé en moins, autant de pouvoirs masculins consolidés.56
***
La si nécessaire exigence actuelle de la parité politique entre hommes et femmes ne saurait oublier ces enjeux, au risque de cautionner notre système politico-juridique si structurellement injuste. 57
Si l'on accepte l'idée selon laquelle les rapports de pouvoirs entre les sexes sont au coeur du fonctionnement de chaque société, il ne faut pas se méprendre sur les enjeux politiques de l'élaboration d'une loi pénale.
Le pouvoir politique qui est le nôtre est fragile. Une moitié du genre humain estime légitime de parler au nom de l'autre moitié ; quant aux quelques femmes qui sont actuellement acceptées par la classe politique masculine, elles ont été choisies à la condition implicite, quasiment intransgressable, selon laquelle celles-ci ne doivent pas se prévaloir de leur sexe pour remettre en cause les pouvoirs masculins.
Que devient cette fragile légitimité si l'on dévoile en outre que le maintien de ce pouvoir politique est lié à ce maintien des pouvoirs masculins dans la sphère définie comme "privée" ?
La dichotomie entre privé et public a en effet servi non seulement à exclure les femmes du Politique, mais aussi à protéger les hommes de l'intrusion de l'intervention de l'État sur leurs comportements dits "privés", c'est-à-dire concrètement dans leurs rapports avec les femmes, épouses, servantes, salariées, prostituées.
Le privé était, est encore, le domaine de l'impunité des hommes, dans de larges domaines cautionnés par la loi, et le plus souvent par l'absence, l'abstention ou l' inopérationnalité de la loi.
En sortant du privé, de l'assignation à la reproduction, du service domestique et sexuel des hommes, les femmes, les féministes ont fait vaciller la ligne de partage, ont brouillé les frontières entre ce qui s'est construit historiquement comme "privé" et "public".
Grâce aux mouvements de femmes, dont on oublie trop souvent qu'ils ont été à l'origine de nombre d'avancées en matière de droits de la personne, nous assistons actuellement à un réel bouleversement de la conception du politique - encore insuffisamment analysé : les thèmes autrefois enfermés dans la sphère privée deviennent des problèmes politiques.
Dans de nombreux pays, la contraception, l'avortement, les viols, les mutilations sexuelles, les assassinats, les suicides de femmes, le harcèlement se sont devenus des problèmes politiques de premier plan qui posent de difficiles questions.
D'une part, parce que ces questions liées aux rapports entre les sexes traversent tous les courants de pensée, les idéologies, voire les religions. Elles sont porteuses de contradictions internes, de divisions et de reconstitutions sur d'autres fondements que ceux sur lesquels le Politique s'est construit.
Le refus de débats publics - et la caricature de ceux qui ont eu lieu au Parlement - que nous a révélé le vote de ce code pénal - est révélateur de la conscience qu'a la classe politique de la fragile de l'équilibre des rapports entre les sexes en France et de leur crainte de voir ressurgir des débats potentiellement explosifs.
D'autre part, parce que si les femmes qui entrent en politique peuvent poser comme politiques des problèmes autrefois considérés comme "privés", elles risquent aussi de dévoiler le privé des hommes.
C'est probablement, avec la volonté toute simple de refuser de partager le pouvoir, l’une des raisons majeures de la crainte de l'intrusion des femmes en politique de l'acharnement mis à les en exclure.
C'est ainsi que progressivement, non seulement le privé des femmes est devenu politique, mais aussi celui des hommes et font dorénavant partie qu'on le veuille ou non, d'une nouvelle conception du Politique.
Comment appréhender ce problème qui est devenu incontournable ?
La société française pour sa part utilise efficacement l'épouvantail américain pour mieux sauvegarder l'image fantasmée que les Français veulent donner à voir aux autres, celle d'une société libre et libérée sexuellement et pour mieux se protéger de cette difficile nouvelle recomposition qui pose le problème des valeurs, des morales au coeur des débats.
Ce qui est alors occulté, c'est la question de la légitimité du pouvoir masculin au regard des revendications des femmes. La plus importante leçon de l'affaire Clarens Thomas/Anita Hill n'est-il pas que la société américaine ait pu mettre en balance les droits d'une femme à être respectée et la carrière d'un homme politique?
Refuser l'ordre actuel des sexes, c'est interroger les fondements de légitimité du pouvoir, c'est refuser la double morale (masculine et féminine, privée et publique) la schizophrénie sexuelle en politique.
Mais cette nouvelle exigence démocratique se heurte à une réelle contradiction.
Car, historiquement, la constitution de la sphère du privé contre les exigences et les abus de l'État fut objectivement l'une des conquêtes de la liberté individuelle des hommes, mais aussi des femmes, acquise douloureusement par nombre de luttes sociales et politiques.
La liberté de parole, la liberté sexuelle plus grande qu'ont notamment acquises les femmes n'en sont que l'expression.
Or cette constitution de l'autonomisation de la sphère du privé - qui est encore en gestation dans l'immense majorité du globe - est objectivement remise en cause par les féministes lorsqu'elles dévoilent que cette sphère du privé est porteuse de violences contre les femmes et que celles-ci demandent que les droits élémentaires des femmes, à la vie, à la sécurité, à la dignité jusque-là subordonnés à la loi singulière de l'homme constituée antérieurement à celle de l'État, soient garantis par la loi.
Comment, sans remettre en cause les acquis des "droits de l'homme", s'interroger sur les droits de l'homme sur les femmes, telle est sans doute une des questions essentielles que nous devons nous poser.
La question est urgente, car l'une des conséquences du nouveau déséquilibre des forces internationales avec son cortège de guerres, de résurgences d'identités primaires, de frustrations, de pauvreté, d'exclusions est d'aggraver les violences, notamment sexuelles, contre les femmes.
Tenter d'effacer la négation de soi, l'humiliation, par une surenchère de l'affirmation d'une identité virile ne risque-t-elle pas d'être la dernière arme des pouvoirs menacés?
Octobre 1994
Afin d'alléger les références, les pages seules et non les dates du Journal Officiel seront citées.
Il faut noter par ailleurs que les mutilations sexuelles n'ont pas été évoquées dans ce code.
Les peines ainsi définies ne sont donc pas représentatives des peines effectivement prononcées par les Tribunaux.
Quelques indications: à Paris, 50 à 60 % des interventions policières concernent les violences conjugales; dans le département du Doubs, c'est la raison de 60 % des appels à la police ; dans la circonscription de Nîmes (Gard), on relève 120 interventions policières par an, pour seulement 150 plaintes déposées.
ln : Rapport de synthèse sur les commissions départementales d'action contre les violences conjugales. Secrétariat d'État aux droits des femmes. 21 décembre 1992. p. 4.