Je vais traiter ce sujet en trois parties. Je vais d'abord vous dire qui je suis, quelles sont mes positions politiques sur le sujet, pourquoi j'éprouve le besoin de me situer vis-à-vis de vous en préalable aux analyses que je fais et quels sont mes outils d'analyse. Puis j'expliquerai pourquoi je peux affirmer que l'Union européenne est effectivement devenue une Europe proxénète. Enfin, je répondrai à la question " La France peut-elle encore s'affirmer abolitionniste ? " Et en conclusion, je vous lirai un texte américain que j'avais publié en 19912: c'est le récit-analyse des conditions de "vie" d'une jeune femme américaine, dans les années 1980, dans les bordels du Nevada aux Etats-Unis. À une époque où certaines personnes peuvent évoquer la possibilité en France d'une réouverture des "bordels"3, il est important d'incéssement réaffirmer qu'une telle "solution" - en France comme ailleurs - est la manifestation le plus évidente de l'assimilation des femmes à des êtres sans droits, dépourvues d'humanité.
Je voudrais d'abord dire que je considère qu'il est fondamental de se positionner clairement sur cette question, en préalable à toute analyse. En règle générale, certes, mais plus particulièrement concernant cette question, tant elle est si souvent abordée de manière masquée, tant les confusions sont - délibérément ou non - nombreuses, tant les déformations du réel ou des analyses sont patentes, tant l'histoire est malmenée.
Dans la mesure par ailleurs où je considère que toute analyse est ancrée dans une histoire personnelle et dans un projet, ma conception de mon engagement intellectuel et donc politique est donc de vous dire d'où je parle, pourquoi je parle. Pour tenter de mieux dire : de quoi je parle et comment j'en parle. Cet affichage de ses positions, citoyen-ne, militant-e, politique relève, pour moi, de l'honnêteté et de la rigueur intellectuelle ; ce sont en effet elles qui donnent sens à l'analyse que je fais.
Tout discours, toute pratique - les deux étant indissociablement liés - est nécessairement en effet ancré dans une problématique. Ce n'est donc que si l'intervenant-e la présente, que vous - qui m'écoutez - serez à même de me juger sur mes positions sur la prostitution : vous pouvez - sur tel ou tel point ou sur l'ensemble - être pour, contre, dubitatif…. Vous pouvez mettre en regard les positions que je vais affirmer devant vous avec les raisons qui, pour moi, les expliquent et les raisons qui les justifient. Vous pouvez donc mieux juger de la cohérence, ou non, des relations entre mes engagements et mes analyses.
Sans prétendre donc à l'originalité de cette affirmation, vous avez sans doute compris que je ne crois pas qu'il existe de recherche, ni d'expertise, ni d'analyse en soi ; plus encore, je considère que celles-ci ne peuvent être que d'autant plus porteuses de présupposés que n'ont pas été préalablement questionnées, pensés. Contrairement donc à ce qui est couramment affirmé - et plus souvent pratiqué sans être même interrogé - je considère donc que ce n'est qu'en s'obligeant à se situer personnellement que l'on crée les conditions intellectuelles nécessaires à la prise de distance vis-à-vis de ses propres présupposés.
Si tel était ordinairement le cas, nous lirions sans doute plus justement les analyses qui nous sont présentées comme censées relever du seul domaine de la compétence. Quand je lis des textes - historiques, politiques, sociologiques - sur la prostitution, ou sur tout autre sujet qui relève de l'analyse de la domination masculine, j'aimerais que leurs auteur-es répondent clairement à ces questions : "Quelle est votre position? Etes-vous pour ou contre le système prostitutionnel ? le proxénétisme ? la pénalisation des clients ? des personnes prostituées ? Considérez-vous que poser la question des" droits des prostituées" soit synonyme du "droit à se prostituer ?… " Une telle clarification aiderait à mieux lire des analyses, présentées souvent simplement comme "scientifiques" ou résultant d'enquêtes dont les analyses nous sont présentées comme, de ce fait, justifiées.
Ni intellectuellement, ni politiquement parlant, je ne dissocie pas ce qui relèverait des dites recherches des engagements de leurs auteur-es.
Je suis donc chercheuse au CNRS ; je suis payée par l'État français - et donc par vous - pour faire des recherches féministes. J'ai donc un statut qui globalement me garantit ma liberté d'analyse, jusqu'à et y compris celle de critiquer l'État qui me finance. Je suis par ailleurs une militante féministe abolitionniste. Je suis aussi, bien sûr, une femme et une citoyenne. Et je tente de vivre ces statuts avec le plus de cohérence possible.
Je travaille et milite depuis de nombreuses années sur la question de la domination masculine, notamment à partir de ses manifestations les plus évidentes, les plus flagrantes, à savoir les violences sexuelles et le système prostitutionnel. Je considère que ces expressions violentes du système patriarcal opèrent, d'un point de vue analytique, comme une véritable "mise à nu" qui nous permet d'en voir le fonctionnement réel.
Je travaille aussi, pour ce faire, sur la critique des fondements patriarcaux du droit. Pour avoir longtemps défendu des femmes victimes de violences masculines, je ne dissocie pas, là non plus, l'analyse de la pratique. C'est parce que j'ai vu tant de femmes ne pouvoir accès au droit, être, si souvent, traitées, en tant que femmes, de manière si évidemment sexiste, sans que la question du "sexe du droit" ne soit même posée, tant de violences masculines impunies et justifiées, que j'ai voulu comprendre ce qui, dans le droit, permettait de légitimer des telles injustices. On ne peut pas comprendre le monde dans lequel nous vivons si on ne comprend pas en quoi et pourquoi notre droit - que la justice met en œuvre - est patriarcal. J'ai aussi découvert' à quel point il était fondamental de savoir lire les textes de droit - au-delà, les textes politiques - et à ne pas s'en remettre aux juristes, aux politologues, aux "spécialistes", si souvent peu critiques - faute de toute culture féministe - pour faire ce travail de dévoilement et d'analyse. J'ai aussi 'découvert' que ces textes nous donnent à voir la manière dont nous sommes traité-es par les Etats. Et que nous avons donc tous et tout intérêt à les bien comprendre.
Maintenant, comment et pourquoi me suis-je mise à travailler, à réfléchir, à m'engager sur le sujet ? Cet intérêt - et le terme est faible - s'inscrit dans le droit-fil de mes engagements et de mes recherches sur la domination masculine. Je suis venue à travailler, à écrire et à m'engager sur la question de la prostitution - non pas parce que j'aurais été moi-même prostituée, j'aurais rencontré une personne prostituée dont le récit de vie m'aurait bouleversé, découvert avec horreur qu'une personne de mon entourage était "client" de prostituées, non pas non plus parce que j'aurais été confrontée à un proxénète particulièrement ignoble, mais à partir d'un cheminement féministe, intellectuel et politique. Et ce, à la fois, dans la continuation d'un travail historique que j'avais fait sur la question du droit de cuissage en France, au XIX ème siècle - et notamment sur la découverte de l'impossibilité de penser séparément le travail salarié de la prostitution - mais aussi dans la continuation d'actions militantes.
À partir d'une réflexion sur les violences masculines, notamment sexuelles, j'ai tenté de répondre aux questions que je me posais sur la prostitution et dont, le moins que je puisse dire, c'est que je n'avais pas de réponses dans les livres que je lisais. J'ai eu aussi la chance de rencontres heureuses, notamment avec Denise Pouillon-Falco, militante abolitionniste, qui a eu l'intelligence et la volonté de transmettre sa passion, ses connaissances, ses encouragements à celles - essentiellement des femmes - qui n'acceptaient pas la soit-disante évidence du système prostitutionnel. Même les désaccords entre nous m'ont permis de mieux me situer par rapport à l'abolitionnisme, d'en apprécier ses apports mais aussi d'en voir ses limites historiques. Le transfert de connaissances qu'elle a permis, les discussions que nous avons eu - qui, malheureusement, ont fini par nous séparer - resteront pour moi un bel exemple d'une transmission historique intergénérationnelle.
Je précise aussi qu'en tant que femme, en tant que féministe, je ne me considère pas, par rapport aux personnes prostituées, "extérieure" à elles. Je n'aurais pas l'impudence de considérer que ma vie peut-être comparée à la leur : mais je peux dire que ce qui me lie à elles, c'est d'avoir subi, moi aussi - comme toutes les femmes - plusieurs manifestations de la violence patriarcale, si souvent cautionnée par les Etats. Ma solidarité à leur égard est féministe, et donc politique.
Je précise enfin que je ne travaille pas sur "la prostitution" - trop vaste sujet mais surtout, 'concept' impropre - mais essentiellement sur les politiques concernant le système prostitutionnel. Je travaille donc surtout sur l'analyse des textes dont j'ai découvert l'importance, notamment à partir de ma participation à de nombreux colloques et conférences nationales et internationales. Je n'évoque pas cela comme argument d'autorité, mais simplement pour vous dire qu'effectivement je me nourris depuis longtemps de tous les débats sur la question.
D'autant que c'est en découvrant, progressivement, puis de manière flagrante ce qui se passait dans ces conférences - que l'enjeu des politiques libérales était de rompre avec les acquis de l'abolitionnisme - que je me suis de plus en plus engagée dans le combat contre les tenants de la légitimité du système prostitutionnel. J'ai vu progressivement émerger cette problématique libérale qui a mis les sexes sur le marché devenir hégémonique. J'ai "suivi" cette déferlante libérale patriarcale, texte après texte, conférence après conférence, et ce, dans diverses institutions nationales, européennes et internationales.
Ma stupéfaction devant le nouveau paradigme des "droits de l'homme" - le droit à la prostituée - mon indignation, ma colère ont renforcé mes engagements.
Après m'être présentée, j'en viens donc à mes engagements. Je suis engagée dans la lutte contre la légitimation du système prostitutionnel et pour un monde sans prostitution. La prostitution n'a pas toujours, ni partout existé ; elle peut donc être abolie. Je suis abolitionniste4, mais je diffère de certains abolitionnistes en ce sens que je ne me réfère pas simplement à la convention de l'ONU du 2 décembre 1949 "pour la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui" - texte abolitionniste de référence - que je considère comme devant être dépassé. Je milite donc non pas seulement contre la pénalisation de certaines des modalités, fort limitées, de l'"exploitation de la prostitution", terme employé dans la convention de 1949, mais contre le système de domination global qu'est le système prostitutionnel.
Je souhaite, je veux vivre dans un monde sans prostitution, un monde qui serait dégagé de tout lien entre la marchandise et le corps humain. Je crois en outre bien sûr que c'est possible ; si tel n'était pas le cas, j'irais cultiver mon jardin. Je milite donc pour la disparition du système prostitutionnel dans sa globalité : tant qu'une seule personne aura le droit, à travers le monde, de pouvoir - contre rémunération - avoir accès au sexe d'une personne qualifiée de prostituée, aucun être humain ne sera libre. Aucune femme. Aucun homme, non plus. La liberté est antinomique avec l'existence d'un rapport de domination. La liberté ne peut s'incarner que dans l'égalité entre les êtres.
Je considère donc que la prostitution, le système prostitutionnel, doit disparaître, et que nous devons affirmer vouloir qu'il soit aboli. Dans la continuation du combat abolitionniste et au même titre que, dans l'histoire, tant de personnes se sont battues, et se battent encore, pour l'abolition de l'esclavage, du servage, de l'apartheid, du colonialisme, du racisme…
Il existe cependant une spécificité du système prostitutionnel. C'est en effet le seul système de domination qui, à ma connaissance, à travers le monde, à travers l'histoire, à travers les cultures, s'est adapté à tous les autres et a pu ainsi perdurer. Sans doute parce que le patriarcat est le seul système hégémonique de l'histoire. Actuellement universel.
Arguer de son historicité pour le justifier relève bien sûr de l'absurde : aucune injustice ne saurait être légitimée du fait de son ancienneté. Ou alors il faut, en toute cohérence, affirmer que l'on ne croit pas ou plus au progrès de l'histoire et que la domination masculine relève de l'"ordre des choses" et/ou de la "nature". Si ce n'est pas le cas, alors la perpétuation de ce système - et aujourd'hui, sa légitimation - doit, à l'inverse, être une raison supplémentaire pour radicaliser l'exigence.
Les questions qui doivent donc être posées me semble alors devoir être : "Comment ne peut-on pas être abolitionniste ?". "Comment peut-on se situer aux côtés de ceux et de celles qui trouvent légitime de vivre des revenus de l'exploitation des corps et des sexes de millions de personnes à travers le monde ?". "Comment accepter que la croissance des pays riches - le nôtre - soit alimentée par la mise sur le marché des sexes des femmes venant majoritairement des pays pauvres5 ?" Comment peut-on ne pas dénoncer cette réalité' qui exige que la vie de petites filles, des adolescentes, des jeunes filles, des femmes - mais aussi pour satisfaire les plaisirs de certains hommes homosexuels des petits, des jeunes garçons - soient sacrifiée? " " Comment peut - on accepter que des êtres humains soient acheté-es, battu-es, violé-es, tué-es, enfermé-es, pour un temps ou pour une vie dans des camps de viols, dans des bordels, ou sur les trottoirs, pour être 'fonctionnels' pour satisfaire les soit-disant besoins sexuels des hommes ?" " Comment peut-on vivre dans une société qui assigne à des millions de personnes de n'avoir d'autres horizons que le sexe des hommes ? "
Pouvons-nous, à cet égard, tenter même d'imaginer la somme ininterrompue de violences de toutes sortes qu'il a fallu mettre en œuvre pour que des êtres humains aient pour fonction, pour statut, pour identité, pour projet, pour seuls revenus, d'être pénétrés par des sexes d'hommes dans le vagin, l'anus ou la bouche et ou de les masturber ?
Ne pas défendre une position abolitionniste, c'est accepter et considérer comme acquis que le droit - contre argent - de pouvoir disposer du sexe et donc du corps d'autrui, soit reconnu comme un droit de l'homme. Personne, dans une société qui se veut fondée sur la dignité et le respect de la personne humaine, ne peut en conscience défendre une telle position. Le système prostitutionnel est indigne, et nul-le ne peut décemment affirmer le contraire.
Je voudrais, à cet égard, rendre hommage à Coline Serrault et à ses interprètes pour son film : Chaos. Certain-es d'entre vous ont sûrement vu ce film courageux, d'une très grande efficacité politique, tout à fait remarquable. C'est un film qui vous réconcilie avec le monde, un film qui rend heureux -euse.
Aboutir au projet d'" abolition de la prostitution " est donc un beau, un noble projet politique. Et plus tôt nous le poserons comme nécessaire, fondamental, incontournable, plus nombreux et nombreuses nous serons pour affirmer vouloir l'imposer comme exigence politique première, plus vite nous y parviendrons. Le temps mis à y parvenir importe moins que la volonté de le faire aboutir. Ce qui est sûr, c'est que sans projet d'avenir, aucune avancée ne peut avoir lieu.
À cet égard, la question du statut et / ou des revenus alternatifs, reconnus et mis en place des personnes prostituées, celle des droits dont elles ont été dépossédées en tant que femmes, qu'homosexuel-le, trans-sexuelle, prostituées, travesties doit être le paradigme à partir duquel cette nouvelle politique doit être pensée. Mais celle-ci ne saurait s'y limiter et ne saurait en aucun cas être considéré comme synonyme du droit à être prostituée. Le système prostitutionnel, j'y reviendrai, est un système de domination dans lequel sont impliqués, en tant que bénéficiaires, la communauté internationale, les États, les proxénètes, les clients. Et, en tant que victimes, les personnes prostituées et celles qui ont quitté le monde de la prostitution, celles qui défendent le système et celles qui le récusent et le refusent. Quant aux associations, elles ne sauraient de ce simple fait qu'elles sont en relation avec des personnes prostituées, ou qu'elles s'affirment responsables de leur 'santé' être considérées de ce fait comme légitimes, compétentes, représentatives. La question de leur projet politique doit être le critère premier de l'appréciation que l'on doit porter sur elles. Bien sûr, la question de leur conformité à la loi doit être posée : je pense notamment ici à la politique défendue par l'association Cabiria6.
La clarification de ma position personnelle, c'est aussi la clarification des outils d'analyse, d'autant que les enjeux conceptuels, qu'incarnent les mots utilisés, sont fondamentaux.
Vous connaissez sûrement les débats autour du mot " travailleuse sexuelle ", qui se substitue si souvent à celui de " prostituée ". Cette opposition-là est la plus connue, la plus signifiante, la plus symbolique: elle pose véritablement une ligne de partage entre les abolitionnistes et les libéraux. Mais bien d'autres termes pourraient être cités ; celui de " protecteur ", ou d '" intermédiaire ", pour remplacer celui de proxénètes ; celui de "sexualité marchande", de "commerce du sexe", de "services sexuels", voire de "badinage sexuel" pour remplacer celui de "prostitution" ; celui de "filles" qui - malheureusement - remplace de plus en plus celui de " personnes prostituée"; enfin, celui de "consommateur" ou d'" acheteurs" concernant les "clients".
À cet égard, en sus des mots utilisés, la manière dont on parle de ce sujet est souvent, très souvent, inacceptable, tout à la fois erronée et d'un tel parti pris qu'il est en opposition avec toute vérité historique. Voici deux exemples parmi mille autres. Dans le numéro de Politis, du 23 septembre 1999, on pouvait lire : " Il semblerait que le proxénétisme traditionnel en France ait été éradiqué dans les années 80. La plupart des macs sont tombés. Les filles ont accepté de parler et la police a procédé à de nombreuses arrestations ". Quant à la manière dont Le Monde a présenté la fameuse loi Suédoise par laquelle, pour la première fois au monde, un gouvernement avait posé le principe novateur progressiste, féministe (assumé comme telle par le gouvernement Suédois), de la pénalisation des clients des prostituées, elle ne manque pas d'intérêt. Le titre était ainsi rédigé : " La Suède part en guerre " - alors qu'il s'agit d'une loi intitulée "pour la paix des femmes" - "contre le plus vieux métier du monde", alors que sa politique se situait en totale rupture avec cette affirmation absurde, mille fois dénoncée.
Par ailleurs, on peut aussi constater un autre phénomène grave qui concerne la question de l'occultation des enjeux moraux, éthiques, économiques, politiques des politiques mises en œuvre, notamment par les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne - sans même évoquer l'Union européenne - qui ont re-légitimé le proxénétisme : soit par la création, en toute légalité, des bordels, soit par la garantie de leur présence, là où ils existaient déjà. Le moins que l'on puisse dire, c'est que dans nos journaux, ces débats de fond ont été sinon occultés, du moins ont été traités très insuffisamment, mal, trop tard, sans commune mesure avec la gravité et la signification réelle des décisions prises.
Me concernant, je vais donc vous proposer ma définition en la matière, sachant qu'elle n'est pas arrêtée et, je l'espère, qu'elle continuera à évoluer : "La prostitution est une des manifestations de la domination patriarcale, (le mariage en étant un autre ), une des modalités de l'échange des femmes qui organise et légitime la mise à disposition sexuelle de certains êtres qualifiés de prostitués, de sexe féminin dans la grande majorité des situations à d'autres êtres humains, des hommes dans la quasi totalité des cas".
En procurant ainsi aux hommes, quand ils le souhaitent, la possibilité d'un accès au sexe des personnes qui ne peuvent les refuser, le système prostitutionnel a pour principale fonction de conforter le pouvoir masculin. Sous couvert de la nécessité de répondre aux "besoins sexuels" - que tant confondent avec le plaisir sexuel - des hommes, hétéro ou homosexuels, les États, les proxénètes mettent à disposition des êtres humains à cette fin. La violence institutionnelle - sous forme notamment de la loi - interdit, sauf exceptions, de dénoncer cette normalisation de la violence physique, sexuelle, émotionnelle, faite système. Nous devons donc partir de cette réalité et donc poser d'abord et avant tout l'analyse en termes de domination masculine. De tout temps et aujourd'hui encore, globalement, les hommes dominent le monde et continuent à s'accaparer les sphères de pouvoir. En tout état de cause, le système prostitutionnel contribue à sa perpétuation.
En tout état de cause, c'est bien au profit de cette domination masculine - encore une fois, hétérosexuelle et homosexuelle - que la prostitution a été pensée7 et mise en œuvre. Dès lors, l'analyse concomitante des intérêts des hommes et de l'Etat - qui cautionne et justifie ce système - doit être faite. Au même titre que l'apartheid était un système de domination qui profitait d'abord aux blancs Sud-africains, l'Etat Sud-africain avait posé l'apartheid comme fondement des relations entre blancs et noirs, au même titre que l'esclavage bénéficie aux propriétaires d'esclave et aux Etats qui les soutenaient et en bénéficiaient, le système prostitutionnel bénéficie directement aux proxénètes et aux clients - et en dernière instance à tous les hommes - mais aussi à l'Etat.
Poser ce principe, difficilement récusable, ne signifie pas que des contradictions n'existent pas.
Je souhaite à cet égard, apporter deux nuances à cette définition : tout système est complexe, s'adapte, évolue, est traversé de contradictions. Le système patriarcal ne se limite donc pas plus à une division binaire hommes / femmes que le système capitaliste ne se limite à l'analyse de l'opposition classe ouvrière / patronat. Il n'est plus pas non plus figé dans le temps, ni dans l'espace. Les oppositions entre les sexes ne sont pas binaires, ni étanches. Ainsi, faire référence au patriarcat, ce n'est pas opposer pas de manière simpliste les hommes et les femmes. Vous le savez comme moi, un certain nombre (très faible) de femmes venant des pays riches peuvent, elles aussi, contre rémunération, acheter la possibilité d'avoir des relations sexuelles avec des hommes plus jeunes qu'elles. Elles sont donc dans une situation objective d'être les "clients" de ces hommes. Par ailleurs, un certain nombre (très faible) de femmes sont proxénètes, même si, dans ce cas de figure, la majorité d'entre elles sont le plus souvent utilisées comme prête-noms pour la défense d'intérêts qui ne sont pas les leurs: leur fonction est de "couvrir" les macs. À ces précisions près - et à d'autres que je ne peux ici évoquer - l'analyse féministe est incontournable.
Ce que ce système de domination fondé sur cette appropriation sexuelle d'un certain nombre de personnes révèle, c'est qu'il s'articule avec le système marchand. C'est donc dans l'interpénétration de ces systèmes, patriarcal et marchand - aujourd'hui libéral - que la domination masculine s'est liée avec la logique du profit. À cet égard, on ne répétera jamais assez que les personnes prostituées n'en reçoivent que la portion congrue, sans même évoquer celles, si nombreuses qui ne reçoivent même aucun revenu monétaire.
Je reprends ma définition de la prostitution :
" ... Sous le contrôle, sous la responsabilité et pour le bénéfice des États, de tous les États - y compris les États qui s'affirment abolitionnistes - et des proxénètes - qui sont des personnes physiques mais aussi des personnes morales - garantissent potentiellement à tous les hommes, et effectivement aux clients, la possibilité - pratiquement en tout lieu et en tous temps - d'un accès marchand au sexe d'un groupe de personnes qualifiées de prostituées ".
Les sociétés qui, dans l'histoire, ont donc légitimé le système prostitutionnel, et qui en ont tiré profit ont donc allègrement sacrifié depuis des siècles des femmes et des enfants, garçons et filles, au nom du bon droit des hommes à les dominer sexuellement. Ce qui est encore significativement si souvent interprété comme relevant du plaisir. À cet égard, je me refuse à considérer comme relevant du "plaisir" cette dérisoire payante éjaculation masculine. Je me refuse donc ici à utiliser les mots " plaisir ", " désir ", " jouissance ", sauf à préciser qu'il s'agit d'abord et avant tout du désir, du plaisir, de la jouissance que procure la domination sur un être. À cet égard, j'aimerais que les hommes, tous les hommes se posent ces questions : "Comment peut-on acheter le droit d'accès au sexe d'une personne contre rémunération, sachant que non seulement ces personnes n'éprouvent aucun désir, n'ont aucun plaisir, et sont le plus souvent dégoûtées, mais sont en outre dans la situation de ne pas pouvoir les refuser ?" Ils ne peuvent pas ne pas savoir - et en tirer les conclusions - que ces relations sexuelles - si tant est que le terme "relation" lui-même puisse être utilisé - ont lieu avec des personnes qui ont été battues, violées, souvent sous la menace de mort. Si besoin était encore de démontrer la nature de cette "relation", il suffit d'entendre les personnes prostituées parler de leurs "clients".
Le postulat de la prostitution est le déni, hors sujet, du plaisir, des sentiments des prostituées. Et que tant d'hommes aient fait leur "éducation sexuelle" avec des personnes prostituées nous donne un aperçu de leur culture en matière de plaisir de leur partenaire. En tout état de cause, aucun acte ne saurait être légitimé au nom du plaisir que certain-es seraient censés en retirer. Ou alors, c'est la justification de la loi du plus fort. Et de la barbarie.
Pour revenir à la définition du système prostitutionnel, dès lors que l'on reconnaît que celui-ci est l'expression d'un échange marchand de femmes entre proxénètes et clients, couvert et justifié par l'État, on reconnaît ipso facto le droit pour une personne de vivre des revenus de cet échange. C'est pour ça qu'il n'est pas possible, conceptuellement parlant, d'isoler le système prostitutionnel du système proxénète. À cet égard, je me souviens du choc que j'avais eu quand j'avais commencé à travailler sur ce sujet, lorsque j'ai lu dans un rapport de l'ONU cette position du gouvernement hollandais pour justifier leur politique. J'ai pu voir poser le principe à la base du système, à savoir : " [….] le droit d'une personne d'une personne de se livrer à la prostitution et de permettre qu'une personne profite des revenus qu'elle en tire ". Dès lors que l'on reconnaît que certaines personnes - une seule serait suffisante au plan théorique - seraient en droit d'être prostituées, on reconnaît ipso facto le droit à une autre personne de tirer profit du revenu du rapport prostitutionnel. Système prostitutionnel et système proxénète sont donc indissociables.
Ce qui est important aussi de comprendre sur le plan historique, c'est que jusqu'à une date très récente (et encore si souvent dans la conscience publique) le système prostitutionnel était très largement expliqué par les seules prostituées. Toute une littérature du XIXe siècle - laquelle se poursuit, mais dans une moindre mesure aujourd'hui - considérait que la prostitution existait parce qu'il y avait des prostituées. On n'allait pas plus loin. Elles étaient la cause, l'effet et la manifestation de la prostitution; elles étaient donc quasiment seules responsables du système. Et donc nécessairement coupables. Heureusement, progressivement, grâce aux luttes des abolitionnistes, on a fait reconnaître la responsabilité du proxénétisme et des proxénètes. Puis, la critique des États qui protégeaient les proxénètes, qui les laissaient exercer leurs violences, ou qui ne les condamnaient pas de manière formelle fut posée. Et, enfin, dernière étape de la construction (ou plutôt de la déconstruction) du système prostitutionnel, la question de la responsabilité directe des clients, réels ou potentiels fut enfin posée. A ce moment-là, effectivement et pour la première fois dans l'histoire, c'est le système prostitutionnel dans sa globalité, qui était analysé et dénoncé. La boucle était bouclée.
Maintenant, ce que nous devons faire, c'est de poser la responsabilité des clients et formellement la dénoncer : c'est bien pour " alimenter en femmes " - j'emploie ce terme marchand à dessein mais sans en cautionner la logique - les "demandes" des hommes, que le système proxénète est construit. Les "clients" bénéficient en effet du droit à disposer du corps d'autrui, dans des conditions qui, sauf rares exceptions, leur garantissent leur impunité et leur anonymat. Quant à la pornographie qui envahit notre monde, elle a pour fonction principale d'augmenter le marché potentiel et de banaliser la haine et le mépris des femmes, qui est au fondement de la prostitution.
Le temps me paraît donc venu que les hommes qui se refusent, pour des raisons politiques et éthiques, à avoir des relations sexuelles avec les prostituées, publiquement et politiquement justifient leur position, demandent à tous les autres de refuser ce soit-disant échange et condamner ceux qui passeraient outre. Il est grand temps qu'ils s'engagent publiquement.
C'est le seul moyen qui permettrait de ne pas assimiler tous les hommes à la défense du système patriarcal.
La deuxième partie de mon exposé est consacrée à la démonstration de l'affirmation qui me permet de dire que l'Europe est dorénavant proxénète. Pour cela je vais analyser le dernier texte8 qui a été adopté par le Parlement Européen, la Résolution du 19 mai 2000. Il est important aussi de préciser que celui-ci s'inscrit dans la suite politique de textes de même facture émanant de la Commission européenne.9
Le Parlement Européen - composé de député-es que vous avez peut être élu-es - le 19 mai 2000, a sans qu'aucun débat préalable n'ait permis aux citoyen-nes européen-nes de même savoir que de telles question était posés et comprendre les enjeux du texte adopté - pris la responsabilité historique d'avoir délégitimé comme source de droit international la convention abolitionniste de 1949, laquelle ne fut ratifiée par la France qu'en 1960 du fait de l'existence officielle les BMC, " Bordels Militaires de Campagne ", dans l'armée.
Voici en effet ce que l'on peut lire dans les considérants de ce texte, au point P: " Considérant que les instruments juridiques internationaux existants, notamment la Convention des Nations Unies relatives à l'abolition de la prostitution, l'exploitation de la prostitution des êtres humains, ne sont pas appropriés... ".
Considérer cette convention historique comme "inappropriée" est, bien entendu, en droit international, comme en droit interne, très fort, De facto, cela signifie que ce texte n'est plus une source de droit international. D'ailleurs, depuis cette date, plus aucun des textes élaborés depuis, ni sur le plan européen, ni à l'ONU, ne fait plus aucune référence à cette convention. Je fais notamment référence à la convention de l'ONU contre le crime transnational organisé signée à Palerme en 2001. À cet égard, ce simple rappel suffit à délégitimer les positions de ceux et celles qui ont voulu nous présenter la signature de cette convention comme une "victoire".
Ainsi, le 19 mai 2000, après des années de lobbying intense10, la disparition programmée depuis des années de cette convention - véritable bête noire de tous ceux et celles qui veulent légitimer le système proxénète - a été ainsi parachevée. Le Parlement Européen a entériné par un vote "démocratique" l'acte de décès de l'abolitionnisme et mis ainsi un terme pour l'ensemble de l'Europe à plus d'un siècle de luttes pour l'abolition de la réglementation de la prostitution. Le 19 mai 2000, le processus de substitution de la lutte contre la prostitution et le proxénétisme par la seule prise en considération de la "traite" a été parachevé.
Pourquoi abandonner toute référence cette convention était-il si fondamental ? Je vais rapidement insister sur trois points.
* En premier lieu, cette convention onusienne de 1949 disait dans son préambule (c'est la philosophie politique qui donne son sens à un texte) cette phrase, souvent citée: " Considérant que la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien être de l'individu, de la famille et de la communauté, ".
Cette formidable assertion est extrêmement importante : c'est en effet la première fois qu'un texte de droit international posait un jugement politique, éthique, moral sur la prostitution : "la prostitution est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. L'ONU, la communauté internationale posait un jugement de valeur, posait le premier interdit symbolique et politique international en la matière.
* Ensuite, ce préambule considère, et c'est très important dans le contexte actuel, que la traite des êtres humains, et non pas la seule traite des femmes (comme c'est le cas dans les textes européens récents) est liée à la prostitution et ne peut, conceptuellement pas en être séparée; plus encore, qu'elle en est une conséquence. La traite "accompagne" la prostitution et ne saurait en être un substitut.
* En troisième lieu, cette convention affirme, dans ses articles 1, 2, 3 et 4 (et là encore c'est une nouveauté absolue dans le droit international) la nécessité de la répression de l'exploitation de la prostitution d'autrui, la personne "fût-elle consentante". Là est posé le principe - fondateur - de la pénalisation du proxénétisme.
Faire disparaître cette convention, c'est donc faire disparaître à la fois le jugement éthique sur le système prostitutionnel, le lien entre la traite et la prostitution et la condamnation pénale du proxénétisme, sans lesquels aucune politique abolitionniste n'est pensable.
En outre, pénaliser le proxénétisme ouvre la voie à la pénalisation des clients. En abandonnant le principe de la pénalisation du proxénétisme, celui de la pénalisation des clients tombe de lui-même.
C'est donc la raison pour laquelle les tenants du marché, ceux et celles qui veulent imposer à notre monde l'élargissement indéfini de la loi du profit comme horizon indépassable de nos sociétés, devaient faire disparaître cette convention de notre droit. Dès lors que la convention de 1949 a été délégitimée, les interdits qu'elle avait posés ont disparu : les corps et les sexes peuvent être mis sur le marché mondial.
En toute logique, dans ce texte, les mots " proxénétisme " et " proxénète " ne sont pas cités: une quelconque condamnation est donc exclue. De toute façon, le terme avait disparu depuis longtemps des textes européens. Je me souviens à cet égard qu'il m'avait été affirmé que, pour les appels d'offres de recherches européennes en la matière, la présence du mot suffisait à "faire jeter à la poubelle" la demande de financement. Exit donc la lutte conte le proxénétisme. Exit aussi la responsabilité des États qui ne sont plus liés par aucun engagement moral, éthique, politique. Quant à la pénalisation et donc à la responsabilité des clients - alors que la politique suédoise était déjà entérinée - il n'en est pas non plus fait état.
Quant aux personnes prostituées, le mot non plus n'est pas employé. Il n'est question que de " victime de la traite " et l'on peut même voir évoquer les " victimes potentielles de la traite ". Comme nous le verrons, la définition de la traite est tellement vaste qu'à la limite, tout le monde ou presque peut être ainsi qualifié ainsi.
Plus encore, ce texte qui abandonne toute référence au système prostitutionnel comme étant un système de domination, englobe - à l'équivalent de statuts - les personnes prostituées, les clients, les proxénètes: ils sont inclus sous la dénomination d'" acteurs ". Ainsi, les personnes prostituées sont, soit considérées comme des "acteurs" de leur vécu, soit comme des victimes de la traite. Entre les deux, il n'y a pas de place à la citoyenneté, ni aux droits y afférents.
Par ailleurs, la terminologie économique est devenue hégémonique : " marché de l'offre et de la demande ", " pays d'origine, de destination, de transit ", " flux ", " branche " etc..
Quant au terme de " violence ", il est évoqué - à l'équivalence - pour les "bandes rivales" et pour "la cruauté subie par les victimes".
En second lieu, ce texte entérine la substitution de la lutte conte la prostitution à la seule question de la "traite". Faisons, pour mieux comprendre, une analogie de raisonnement avec le système esclavagiste. Lutter contre l'esclavage, c'est lutter contre tous les rapports esclavagistes, en tout temps, en tous lieux. Lutter contre la seule traite des esclaves, c'est lutter contre le seul transfert des esclaves entre pays. Pour prendre un exemple, dans la deuxième hypothèse, on peut lutter sur la nécessité d'abolir la traite des noirs (d'Afrique en Amérique) mais garder le système esclavagiste du Sud des Etats-Unis.
En réalité, ce texte ne s'assigne même pas de lutter contre la traite des femmes - pourtant inscrit dans son intitulé - mais "d'agir dans le domaine de la traite". Ce texte gère donc les modalités de transferts trans-frontières des femmes à travers l'Union Européenne, et, au-delà entre l'Union Européenne (dans ses frontières élargies, Pologne, Roumanie, etc) et les pays extra-communautaires. La lutte contre la prostitution est abandonnée au profit non pas d'une lutte contre la traite des êtres humains, mais au profit d'une politique de la traite des femmes. Cette politique qui dorénavant se focalise sur la question du "transfert" par les proxénètes et/ou les Etats - revient, alors que les "vannes" ont été ouvertes par l'abandon de la lutte contre le proxénétisme, à poser les conditions d'une nouvelle régulation du marché.
Dans ce texte, comme dans tant d'autres d'ailleurs depuis des années, "la traite des femmes" est caractérisée de manière si extensive que quasiment tout - et donc n'importe quoi - peut y être inclus. En voici la présentation : " La traite des femmes est un phénomène complexe englobant des aspects tels que les violations des droits de l'être humain, la lutte contre la criminalité organisée, les politiques de migration et de visas, les inégalités liées aux sexes, la pauvreté, les inégalités socioéconomiques dans les pays et entre eux ". (p.8)
Sous cette définition, politiquement et juridiquement monstrueuse, où tout est traité à l'équivalent - l'économique, le crime (organisée seulement), la pauvreté, la mobilité de la main d'œuvre, les droits de l'homme (rebaptisés: "droits de l'être humain" perdant donc, au passage, les référents aux textes les codifiant) toutes les politiques peuvent se dissoudre, sans qu'aucun référent ne puisse les hiérarchiser. Pour vous donner des exemples, parmi ces nouvelles définitions de la traite, on peut lire que " celle-ci "devrait (!) couvrir toutes les pratiques proches de l'esclavage, outre la prostitution forcée et l'exploitation sexuelle, travail forcé et mariage contraint, par exemple ".(p. 9)
Cette confusion conceptuelle, délibérément pensée, n'a pu être adoptée qu'après des années de travaux et de lobbying dont je dois bien reconnaître l'intelligence et l'efficacité. De fait, tout ou presque ce qui relève de l'ordre de la contrainte, de la domination, de l'engagement contractuel, de l'exploitation, est considéré à l'équivalence. Concrètement, mis à part l'esclavage (et même ce concept peut être mis en cause puisqu'il est question de "pratiques proches de l'esclavage") tout peut relever de la problématique de la traite. Tout est mêlé, le droit, l'économie, la politique. Sont ainsi abandonnées toute hiérarchie de normes et de valeur .
Pour l'Europe, ce processus d'implosion de tous nos repères n'est pas achevé : le Parlement "appelle - en effet - de ses vœux une approche sui generis de la traite des femmes". (3, p.9). Ce qui n'empêche pas les rédacteurs du texte - qui semblent peu craindre d'être accusés d'incohérence - de parler, ailleurs, de "traite des femmes et des enfants " (I. p.5) et de demander en outre à la Commission que celle-ci "étende la proposition qu'elle envisage de présenter…aux hommes et aux enfants". (p.14)
Je voudrais dire enfin que cette remise en cause de tous les acquis est suffisamment importante pour que, dans les considérants, la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ne soit pas elle non plus citée. Au nom sans doute de la dimension qui serait strictement économique de l'Union européenne. Mais sont, en revanche, cités tous les autres textes - économiques mais aussi politiques - qui, eux, avaient préparé à ce résultat.
Le non-droit de ces victimes de la traite fait d'elles la figure emblématique de " la force de travail libre " du XXIe siècle. Violées, violentées, abusées, séquestrées, mises à nu, battues, enfermées, transportées comme des marchandises, souvent moins bien, ces femmes, une fois arrivées en Europe sont dépourvues de tout droit. A l'exception d'un petit nombre qui pourra légalement - munies d'un "contrat de travail" dans les bordels, ou autres lieux équivalents - entrer en Europe, à l'exception de celle qui auront elles mêmes trouvé les moyens, légalement là encore, d'exercer cette "activité économique" autonome11, les autres - énorme masse de personnes aux contours non définis - passeront les frontières, seront prostituées et pourront être expulsées, sans autre forme de procès. Au gré de l'évolution économique des Etats et de la sensibilité de leurs opinions publiques.
Il n'est donc jamais question de "droits" pour ces victimes, ces "victimes potentielles" de la traite. On peut même lire, les concernant, employer le terme d'" état": être victime deviendrait ainsi un "état", c'est-à-dire, une "manière d'être, fixe et durable". Il est question d'"aide aux victimes", ce qui n'a rien à voir. Le propre d'un droit c'est que vous pouvez l'utiliser, en tout état de cause. Il vous est garanti : vous avez droit à porter plainte, vous avez droit à obtenir réparation, vous avez droit de résider dans le pays. Ou non. Et c'est parce que vous pouvez - ou non - vous référer à un droit que vous pouvez le contester et le faire évoluer.
Quant à "l'aide" qui leur est proposée, il s'agit - de manière extrêmement cynique - essentiellement des moyens pour qu'elles puissent être - si souhaitable et si nécessaire - à même de témoigner dans les procès contre les trafiquants. Pour pouvoir faire des procès, il peut être utile - bien que l'on puisse "se passer" d'elles - de personnes pour témoigner. Pour ce faire, ce texte propose un certain nombre de mesures qu'il "souhaite" - ce n'est donc pas contraignant - que les Etats-membres leur fournissent: " un logement approprié et satisfaisant aux conditions de sécurité adéquates, un accompagnement médical et psychologique ainsi que l'accès à tous les services sociaux et sanitaires, des conseils juridiques, une aide financière - et même - une réintégration pure et volontaire dans leur pays d'origine ou l'intégration dans le pays de résidence ou de destination finale". (p.12) "La possibilité légale de l'octroi d'une indemnisation et de réparation des dommages (!) subis" est évoquée. Il est aussi question de "protéger les victimes" ainsi que leurs "témoins et la famille de ces derniers". (p.10) Et dans certains cas de figure, le Parlement Européen est "d'avis que les persécutions liées au sexe, et concrètement, la traite des êtres humains devraient justifier l'octroi d'un statut de réfugié". (p.13) Enfin, il est proposé que les ONG " à l'autorité reconnue en matière d'assistance aux femmes victimes de la traite - par l'Etat, il va sans dire - soient habilités à instruire …les procédures d'octroi de permis de séjour". (p.13) Dès lors, elles entérineront par leur participation à cette habilitation la politique européenne, limitée à la "traite".
Enfin, je voudrais vous lire - pour que vous compreniez mieux encore à quel point ces textes sont graves et en quoi leur lecture nous donne la juste mesure de l'avancée de cette politique de mise sur le marché des femmes - trois passages de ce texte.
* Concernant le principe de la "vente des femmes", voici ce qu'il est dit : Le texte " invite les États membres à mettre, comme il convient, le holà - et non pas à condamner, interdire, criminaliser - à la tendance à se servir de technologies nouvelles, Internet notamment, pour faire circuler des informations en matière d'offre et de demande des réseaux de trafiquants y compris la vente des femmes ". (p.11)
* Concernant "le commerce du sexe", ce texte demande " aux médias d'utiliser leur code de déontologie - terme qui se substitue à la référence à la loi - pour limiter le commerce du sexe ". Écoutez bien : " ... pour limiter le commerce du sexe, ou pour y renoncer dans le but de rendre ce négoce - vous noterez l'emploi de ce terme commercial - le plus difficile possible pour les réseaux de traite des femmes ". (p.15) Vous avez bien entendu, lu : il s'agit non pas de le condamner mais de "limiter le commerce du sexe ".
* Enfin, concernant le blanchiment de l'argent, on peut lire ceci : " La commission des droits de la femme et de l'égalité des chances attendent avec un vif intérêt de nouvelles initiatives communautaires en matière de blanchiment de l'argent dans les cas où la traite des femmes constitue une part notable des revenus obtenus ". (p.19) Le principe même de revenus liés à la traite des femmes est ainsi reconnu.
La logique du marché a eu raison de la citoyenneté, la loi de l'offre et de la demande des êtres humains est dorénavant acquis. Les Pays-Bas, suivis par l'Allemagne ont gagné ; la France, qui se présente encore (pour combien de temps ?) comme abolitionniste, n'a pas dénoncé ce changement - radical - de paradigme.
Il est à cet égard important en conclusion de préciser la valeur juridique de ce texte qui est une "Résolution". Les juristes savent qu'une Résolution - à l'inverse d'une Directive - n'a pas une valeur qui lui permette de se substituer au droit français. Cependant, dans ce texte, il est précisé qu'il est demandé aux États de l'Union Européenne, de "présenter des propositions spécifiques visant à harmoniser les législations et les méthodes nationales de détection et de poursuite". (9, p.10) Ensuite, cette Résolution - qui, elle-même, s'inscrit à la suite de nombreux textes européens de même facture - a une signification et donc des conséquences politiques que l'on ne peut contester. C'est bien dans le cadre de cette approche (économique) - dorénavant de référence - que les Etats doivent harmoniser leurs textes. Ce sont donc, à terme, l'ensemble des législations nationales qui devront se refonder sur ces nouvelles normes. Et que des différences historiques ne manqueront pas de persister n'invalide pas cette réalité. Enfin, cette Résolution ouvre la voie au lancement d'une nouvelle convention internationale, qui alors se substituera formellement à celle de 1949: elle "invite" - en effet - "l'Union européenne à lancer l'initiative d'une convention des Nations Unies prévoyant la sanction des personnes qui instaurent, organisent ou pratiquent (!) une quelconque forme de traite des êtres humains". (p. 15)
Il est récurrent - de bon ton - d'affirmer, avec de plus en plus de gêne cependant, que la France est - et reste - un état abolitionniste. Dans le numéro du Monde Diplomatique de novembre 2001, dans lequel deux pages sont consacrées à " l'Europe de l'Ouest, proxénète des femmes de l'Est "12il était même écrit que la France [serait] "résolument abolitionniste".
Compte tenu de ce que je viens de vous présenter, vous comprendrez aisément que tel n'est plus le cas et que, par ailleurs, la position française n'est pas facile : la France "abolitionniste" a, en effet, bon gré, mal gré, adopté, ratifié ces textes qu'elle n'a jamais publiquement contestés.
La présentation - chronologique - du discours de personnalités politiques françaises peut nous dévoiler la manière dont, dans la réalité, les instances politiques jouent sur les mots pour ne pas avoir à reconnaître la nouvelle donne européenne et donc française.
* Première citation provenant du rapport officiel de France au CEDAW - Comité pour l'Élimination de la discrimination à l'égard des femmes - organisme onusien : " La France réaffirme en permanence son attachement aux dispositions de cette convention ". (1999, p.18) La phrase est claire : "Affirmer son attachement" à une convention, ce n'est pas - tant s'en faut - dire que cette convention incarne sa politique et signifie donc que la France ne fait pas du maintien de cette convention le référent de sa politique.
* Deuxième citation, celle de Martine Aubry, ministre, - qui avait eu pour politique locale de refouler les prostituées hors du centre de Lille - à l'Assemblée Nationale. Le 17 mai 2000, celle-ci affirme: " La France continue de défendre une position abolitionniste ". Et non pas la France est et reste - fermement ? courageusement ? - abolitionniste.
* Troisième citation, celle de Monsieur Pierre Charrasse, représentant le Ministère des Affaires Étrangères, lors du débat au Sénat du 15 mai 2000 : " La France maintient le cap, assume ses responsabilités, est très attentive à éviter toute dérive ". Pour enfin conclure que "sur le plan européen, c'était très compliqué".
* Quatrième citation, celle de Madame Perry, Secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle du gouvernement Jospin, lors de la vingt-troisième session spéciale à l'Assemblée Générale des Nations Unies chargée de faire, le 5 juin 2000, le bilan de "Pékin plus 5".Voici ce qu'elle a dit dans son discours : " L'être humain n'est pas une marchandise, et ne peut donc faire l'objet d'échanges et de commerce" - j'ai apprécié cette phrase à cette juste valeur - pour ensuite poursuivre : "Ceci est contraire à l'esprit et à la lettre de la convention des Nations Unies de 1949 à laquelle nous tenons à affirmer notre attachement ". La question, nous l'avons vu, ne se pose pas en termes d' "affirmer son attachement" à une convention, mais de la défendre quand elle est attaquée et, plus encore, invalidée. La France est signataire de la convention de 1949; elle se devait - pour être cohérente avec elle-même - refuser d'adhérer à un texte qui l'avait abandonné. Par ailleurs, il est n'est pas juste d'interpréter, comme la ministre l'a fait, cette convention. Enfin, faire référence à "l'esprit" d'une convention, c'est délégitimer le texte. Enfin, il est important de souligner que, dans le communiqué de presse en date du 10 juin publié à la fin de cette session, Nicole Perry, n'a fait aucun commentaire concernant l'absence de référence à la convention de 1949 dans le texte adopté ; elle s'est même "félicitée" de l'issue des négociations.
* Enfin, dans le rapport de Madame Dynah Derick, sénatrice socialiste, membre de la "délégation aux Droits des Femmes et à l'égalité des chances" du Sénat - depuis lors, décédée - sur "Les politiques publiques et la prostitution", publié en janvier 2000, on pouvait lire : "Si la France apparaît sur la scène internationale comme un des pays leaders de défense de l'abolitionnisme"…. (p.45) . J'arrête là. Sans faire de sémantique, il est assez aisé de voir qu'aucun de ces formules n'affirme que : la France est - et reste - abolitionniste, en conformité avec la ratification de la convention de 1949.
On peut alors se demander pourquoi il est si difficile de dire cela ? Parce qu'il faudrait reconnaître les conséquences, ici, particulièrement graves, de l'abandon de souveraineté qu'implique l'adhésion à l'Europe ; le fait que la France, comme les autres pays a dû adhérer aux thèses libérales; admettre qu'elle a donc dû cesser de se battre sur la question et que l'Europe n'est pas une Europe démocratique.
Pour ma part, je pense qu'il est essentiel de faire du maintien de cette convention un enjeu politique fondamental. Et, concomitamment, travailler à sa modernisation et penser un nouvel abolitionnisme13. Le projet pourrait se centrer sur la rédaction d'un équivalent de l'article 4 de la Déclaration universelle des droit de l'homme de 1948 concernant l'esclavage " Nul ne sera tenu dans l'esclavage. L'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ". Le fondement de ce texte serait alors : " Nul ne sera tenu dans la prostitution. La prostitution et la traite des prostitués sont interdites sous toutes leurs formes "14.
Mais pour cela, il faudrait en outre poser un principe jamais reconnu en droit international, à savoir que "le corps humain est inaliénable".
J'ai terminé, mais avant d'écouter vos questions, je voudrais vous lire ce texte dont je vous avais parlé.
Cette femme, James Ryan, engagé dans la lutte conte la prostitution faisait partie d'une association nommée Whisper: Woman Hurt in System of Prostitution Engaging Revolt, c'est-à-dire des " Femmes qui ont été violentées dans le système prostitutionnel, engagées dans la révolte". Elle parle de ce que fut sa vie dans les bordels du Nevada aux Etats-Unis, en 1989. Et j'ai souhaité vous le lire pour donner plus d'humanité et de vécu aux analyses un peu abstraites que je vous ai présentées. Le voici, donc:
"En tant que vieille femme âgée de 28 ans, qui a survécu à 12 ans de prostitution, la plupart passés dans les bordels légaux du Nevada, je souhaite vous raconter ce que fut ma vie et celle des autres femmes utilisées dans le cadre de la prostitution réglementée. Je fus introduite pour la première fois dans les bordels du Nevada par l'intermédiaire de mon ex-maquereau. Vous ne pouvez pas "travailler" dans un bordel légal sans maquereau que connaisse le patron du bordel, ou sans aucune références, lesquelles coûtent jusqu'à 200 dollars. Lorsque vous contactez un bordel, on vous demande vos qualifications, votre garant, votre expérience "professionnelle", et on vous pose des questions sur votre apparence physique. Une fois le feu vert donné, on vous dit de venir en précisant ce que vous êtes autorisée à apporter avec vous.
Quand je suis arrivée au Nevada, aucune femme ne m'a réceptionnée à l'arrêt du bus, ni ne m'a conduit dans les faubourgs de la ville où se trouvaient les "maisons".
Avant même d'avoir pu souffler et mettre mes bagages dans la chambre, cette femme ... (la patronne du bordel) ... me fit asseoir à la table de la cuisine et m'a informé des règlements de la "maison". La première question à laquelle je dus répondre fut qui était mon "homme" [maquereau) , s'il m'avait donné des instructions sur la somme d'argent dont je pouvais disposer, ainsi que le numéro de téléphone auquel il pouvait être joint. Ensuite on m'informa que je devais me rendre au commissariat de police pour y être enregistrée (avec prise d'empreintes digitales). On me permettait cependant de commencer immédiatement tandis que me furent donner des instructions pour me cacher dans la maison au cas où la police viendrait vérifier les cartes de travail.
On me dit que je pouvais utiliser une fausse adresse (donnée par eux), pour mon permis de travail si je n'étais pas résidente au Nevada, et de ne pas me soucier de mon âge si j'étais mineure, car ce n'était jamais vérifié. On me dit aussi que je devais subir un examen médical qui consistait en analyses de sang, et examen gynécologique (à mes frais), avant que je puisse obtenir ma carte. On créa tout de suite un climat hostile entre moi et les autres femmes en me disant qu'elles me raconteraient des histoires qui me feraient gagner moins d'argent et qui me créeraient des rapports avec mon mac.
Enfin vinrent les règles et les obligations de la "maison".
Je vous les lis :
" Règle 1 : Chaque "fille" est disponible 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Vous "travaillez" trois semaines et vous avez une semaine de libre. Il m'est cependant arrivé" - dit cette femme - de travailler "six semaines d'affilée.
" Règle 2 : Vous devez faire au moins 8 heures en station - c'est-à-dire donc debout - devant la vitrine, afin qu'il y ait en permanence 2 filles 24 heures pour héler les voitures qui passent.
" Règle 3 : Vous devez être impeccablement coiffée, maquillée et habillée tout le temps De la sorte - commente t-elle - nous étions obligées de nous coucher très précautionneusement, de façon à ne pas friper nos vêtements au cas où un "client" viendrait.
" Règle 4 : Vous n'êtes pas autorisées à quitter les lieux à moins que vous n'alliez chez le médecin ou que vous n'ayez à coucher (hors du bordel). Quelquefois, pour un petit moment, vous êtes autorisées à prendre le temps de vous bronzer entre deux clients, si bien que de temps en temps nous avions le temps d'une petite promenade autour de la maison pour prendre l'air.
" Règle 5 : Vous devez toujours avoir les derniers numéros des livres et magazines pornos (à vos frais) - dans votre chambre, et couvrir les murs de posters de femmes nues.
" Règle 6 : Votre chambre doit toujours être "nickel" et votre lit fait à tout moment. Ceci - précise t-elle - est la seconde raison pour laquelle nous devions être très précautionneusement couchées sur nos lits. Et elle poursuit : Je ne pense pas qu'aucune d'entre nous ait jamais pu se laisser aller à un véritable repos sous les draps et dormi comme une personne normale.
" Règle 7 : Vous êtes juste autorisée à passer par semaine un coup de fil de 2 minutes, et vous n'êtes pas autorisée à en recevoir ". Et cette femme ajoute : Ceci était particulièrement odieux pour celles d'entre nous, et nous étions nombreuses, qui avions des enfants.
" Règle 8 : Vous n'êtes pas autorisée à sortir pour dîner, dans un bar ou casino. Tout ce dont nous avions besoin était apporté de l'extérieur par des vendeurs agréés. La patronne du bordel choisissait votre garde-robe, le style de votre coiffure et le type de maquillage que vous deviez porter.
" Règle 9 :Lorsque les "clients" arrivaient, vous devez vous aligner en silence, et attendre que la barmaid vous appelle. Une fois dans le salon, nous devions nous tenir en rang, bien droites, les mains le long du corps, sans parler ni bouger, dire nos noms, et attendre que l'homme choisisse l'une d'entre nous. En aucune manière, vous ne deviez lui faire ressentir qu'il devait se hâter, à moins que la maison ne soit pleine, auquel cas, la barmaid disait quelque chose pour accélérer le choix.
" Règle 10 : Une fois que vous étiez choisie, vous deviez vous asseoir au bar avec le "monsieur". Nous ne devions pas seulement nous vendre - constate t-elle - , nous devions aussi vendre des boissons, de la nourriture, et faire marcher le juke-box. Nous devions nous asseoir avec cet homme, sourire tout le temps, faire la conversation, l'exciter sexuellement, et par-dessus tout, ne pas le "presser".
" Règle 11 : La seule chose que vous puissiez refuser était le coït anal, des relations sexuelles avec un Noir, ou refuser des relations avec un homme dont le sexe ne vous apparaissait pas "sain". Lorsque les clients noirs arrivaient, ils entraient par la porte du fond, de manière à ce que les autres clients ne les voient pas et ne vous voient pas avec eux. Sinon ils risquaient de ne plus vouloir revenir, et pire encore - pour les propriétaires du bordel - de ne plus jamais revenir. Une fois que vous étiez dans une chambre avec un client, et que vous suspectiez qu'il puisse avoir une maladie vénérienne, cela devait être vérifié par une autre personne et même dans ce cas, on essayait de trouver une femme pour "s'occuper" de lui.
Une fois que toutes ces règles se furent posées, on me montra ma chambre, et on me dit que je pouvais prendre une douche avant de commencer à "travailler". On m'accorda une demi-heure pour être prête.
Quand vous aviez un client, vous étiez obligée de faire tout ce qu'il vous demandait. Avant ses relations, vous deviez lui laver le sexe de la manière dont on vous l'avait appris. À moins que vous ayez la chance d'obtenir une chambre avec salle de bains attenante, vous deviez vous coltiner un broc d'eau dans votre chambre à chaque nouveau client. En moyenne, chaque salle de bains était partagée par deux à huit "filles". Une fois que vous étiez seule dans votre chambre avec votre "client", vous n'aviez plus aucune protection contre lui. À de nombreuses reprises, des femmes furent brutalement battues ou violées par un client, mais tant qu'il payait, la maison ne disait rien.
Toutes les femmes étaient requises pour des "services spéciaux" à la demande des clients. Parmi ces spécialités, les "parties" à deux femmes ou plus, au cours desquelles toutes les pratiques sexuelles étaient admises : sado-maso; activités sexuelles aquatiques (incluant défécation et jets d'urine) où nous devions littéralement donner des bains aux clients ; partouzes ; projection de films pornographiques; séances de photos (polaroïd ou video) avec participation d'une ou plusieurs d'entre nous. En général ils nous demandaient de prendre des poses et de reproduire les scènes pornographiques de films et de photos. Quelquefois les hommes demandaient que nous portions des costumes, d'autres fois que nous soyons filmées, enchaînées, en train d'être fouettées ou d'être pénétrées par des objets divers.
Il était absolument interdit d'utiliser des préservatifs à moins que le client ne le demande car cela diminuait son plaisir.
Nous devions mettre nos serviettes sur nos lits pour qu'ils ne soient pas tachés. Pour notre anniversaire, nous n'avions pas de jour de congés, on avait droit à un gâteau et à un service de serviettes, une pour notre lit, et une autre pour nous-même.
Il n'y avait aucune excuse pour ne pas travailler. Un jour, j'étais extrêmement malade, j'avais de la fièvre, une infection vaginale, et des plaies au vagin à la suite d'une trop grande activité sexuelle. Je suis allée chez le médecin, il m'a demandé de rentrer chez moi et de me reposer. Mon ex-maquereau lui-même m'avait recommandé de rester à la maison. Mais la patronne l'appela au téléphone et lui dit que je pouvais encore travailler. Elle lui dit que, dans la bouche, je n'avais rien, et que je travaillerai avec les clients qui souhaitaient une fellation.
Ceci vous explique la souffrance et la colère que je ressentis quand je vous aurais en plus raconté comment mon maquereau m'obligeait alors à recevoir ses autres "femmes". Toutes ces filles étaient très jeunes, 13 ou 14 ans, aucune ne dépassait 17 ans.
Et elle donne alors son analyse sur la pseudo-indépendance des personnes prostituées dans les bordels, à l'égard des proxénètes : " Ceux qui sont pour la réglementation de la prostitution affirment que cela augmente les gains des prostituées et les empêche d'être la proie des proxénètes. Nous étions payées une fois par semaine. Ce jour-là, chaque femme était appelée seule dans le bureau, on lui montrait le décompte de la maison sur ses gains, on lui demandait d'appeler son mac. Une fois que vous l'aviez au téléphone, le patron lui demandait les instructions concernant l'argent, ce qu'il voulait qu'il lui soit envoyé et combien vous pouviez garder, On lui disait comment s'était passé votre semaine, si vous aviez fait quelque chose de mal, combien de temps encore il était prévu que vous restiez et ce que vous aviez fait de votre temps libre. Les macs qui vivaient dans le Nevada venaient directement au bordel chercher l'argent le jour de la paye. Si la femme avait de la chance - et si elle n'était pas trop occupée - on lui permettait de lui parler quelques minutes avant qu'il ne reparte.
Etre payée signifiait aussi payer nos dépenses. La "maison" prenait 40 % de nos revenus. Avec les 60 % restant, nous devions payer les femmes de ménage qui nettoyaient la salle de bains commune une fois par semaine. Elle ne nettoyait pas nos chambres, le salon ou quoique ce soit d'autre. On nous donnait des draps de rechange toutes les deux semaines, une serviette propre une fois par semaine et on nous préparait un repas par jour (nous devions nous attabler et le manger, que nous le voulions ou non). Les serveuses de bar recevaient aussi un pourcentage sur nos revenus, le coût de la visite hebdomadaire médicale obligatoire ainsi que le loyer de nos chambres. Les autres dépenses consistaient à payer le coiffeur et l'achat de nombreux accessoires nécessaires au "travail".
Enfin venaient les amendes qui allaient de 10 à 100 dollars. Elles variaient en grande partie parce que les règles de la maison variaient quotidiennement. Vous pouviez être taxée pour n'importe quoi : cela allait de se promener à l'extérieur, rendre visite à une copine dans sa chambre ou ne pas avoir fait votre lit impeccablement.
Les propriétaires du bordel contrôlaient tous les aspects de notre vie : la couleur des cheveux, les vêtements que nous portions, nos promenades, les personnes à qui nous parlions, les temps de repas et de repos. Ils ne nous utilisaient pas seulement pour maximiser leurs profits, ils nous utilisaient aussi pour leurs projets politiques. Une fois un membre de Coyotte (Association de défense de la prostitution dirigée par Margot St James) vint avec une pétition que nous devions signer : aucune question n'était permise. Nous n'avons pas eu l'autorisation de la lire. Tout ce qu'ils voulaient, c'était notre signature et que les propriétaires soient sûrs de l'obtenir.
Et James Ryan termine ainsi : " J'ai quitté les bordels du Nevada, il y a presque deux ans, et quand je l'ai fait, j'ai quitté le seul "travail" que j'aie jamais su faire, le seul que mon ex-maquereau m'avait persuadée que j'étais capable de faire. Pendant deux ans, j'ai vécu comme dans un tunnel, avec un regret et un remords infinis pour ce que je croyais être un mauvais choix fait par une mauvaise personne : moi-même. Et puis je me suis investie dans Whisper et j'ai commencé à comprendre que la prostitution n'était pas quelque chose que j'avais fait, mais quelque chose que l'on m'avait fait faire. Non pas parce que j'étais mauvaise, stupide ou névrotique ; en fait tout ceci avait peu à voir avec moi.
La prostitution existe parce que des hommes le veulent et que sous le pouvoir mâle, les désirs des hommes deviennent la réalité des femmes. [….]
En tant que survivante de la prostitution, je peux maintenant affirmer que la prostitution est une violence contre les femmes, et certainement pas une libération sexuelle ni une libération d'aucune sorte" [….]
Je vous remercie de votre attention.
Un auditeur - Vous avez traité de la prostitution sous un angle juridique. J'aurais aimé un côté un peu humain du problème, avec quelques informations sur l'état de la prostitution actuellement. Est-ce que c'est un phénomène qui est en augmentation ou en régression ? Comment ça se passe ? Quelle est la sociologie du sujet à l'heure actuelle ?
Marie-Victoire Louis - Je vous remercie de cette question. Je comprends très bien que vous ayez senti cette présentation comme abstraite. Mais je voudrais d'une part rappeler que l'objet de cette conférence était politique. D'autre part, je ne pense pas que l'on puisse isoler "l'humain" du "politique". Enfin, je considère qu'analyser les politiques qui codifient la prostitution, c'est mieux comprendre la manière dont la prostitution va évoluer, et notamment dans quel environnement les personnes prostituées - qui vont être de plus en plus nombreuses - vont devoir vivre. Et au-delà, de la manière dont nous devrons tous et toutes dorénavant vivre. Pour moi, cela ne relève pas du "juridique", mais de l'analyse des fondements philosophiques, politiques, économiques de nos sociétés.
J'ai donc fait cet exposé, parce que je travaille sur ces textes, que je crois savoir les analyser, mais surtout parce que ce sont ces textes qui révèlent notre présent et décident de notre avenir. J'ai essayé - peut-être n'ai-je pas réussi - à expliquer ce que devenait le statut des sexes, le statut des corps, le statut des citoyen-nes dans une Europe et dans un monde proxénète / libéral.
Dire que mon exposé est "juridique", pas assez "humain" me met donc un petit peu mal à l'aise.
En outre, ce que vous appelez " la dimension humaine " ou " sociologique " sont très largement modelées par la mise en œuvre des politiques que j'ai évoquées. Si l'on dit que nous vivons dans un monde qui considère la prostitution comme une "activité commerciale" légitime, il y aura forcément une augmentation du nombre des femmes prostituées, une aggravation de la "concurrence" entre elles, et donc une dégradation globale de leurs conditions de vie. Forcément aussi, le proxénétisme va se banaliser et pénétrer de plus en plus nos systèmes de valeurs et de représentations. Forcément enfin, les "clients" seront plus nombreux, et plus " respectés". Et, pour moi, c'est cela l'essentiel.
Je considère même qu'une présentation que se veut classiquement sociologique, sans prendre position, sans évoquer les politiques mises en place, de facto, les conforte. Car ne pas les prendre en compte contribue à entériner les dites politiques, c'est les considérer comme acquises et, alors qu'elles bouleversent les donnes sociologiques du problème, comme non fondamentales.
C'est pour cette raison qu'une grande partie des analyses actuelles me satisfait pas, y compris celles qui nous décrivent l'horreur de la vie des personnes prostituées mais qui se limitent à cela. Si, certes, elles contribuent à sensibiliser positivement l'opinion publique sur leur vie et ainsi à une prise de conscience, elles ne posent pas les responsabilités là où elles doivent l'être, ne permettent pas d'analyser les causes et ne nous donnent donc pas les moyens de les combattre.
Un auditeur - Je vais essayer d'être modérément provocant. Au fond, vous vous situez dans votre engagement au-delà de l'abolitionnisme banal, ordinaire. La finalité de votre engagement dans ses différents aspects est une lutte contre le système global de la domination masculine. Et, si je ne me trompe pas, cela se traduit par la lutte contre le système patriarcal. Et dès lors la lutte pour l'abolitionnisme, sur le sujet précis de la prostitution (j'essaye de vous citer correctement) c'est que la prostitution a été conçue et mise en œuvre pour asseoir le pouvoir des hommes.
Alors le mot " conçue " est un peu embêtant, au sens où c'est comme s'il y avait une sorte de complot de toute éternité des hommes contre les femmes, pour maintenir et asseoir leur pouvoir. Et d'ailleurs vous ajoutez que, de fait, la prostitution, sur ce sujet précis, est la "solution universelle", qu'elles que soient les cultures et les systèmes politiques.
Là je trouve qu'il y a une question qui est d'ordre méthodologique, sinon épistémologique, qui permettrait de fonder d'autres hypothèses plus banales. L'exercice de la sexualité est un des besoins cruciaux pour assurer l'équilibre des humains. Et quand je dis les humains, c'est les hommes et les femmes. En fin de votre exposé, vous parliez de la sexualité triviale en parlant des besoins sexuels des hommes. Mais moi je pose la question en parlant de la sexualité comme besoin fondamental des humains, hommes et femmes.
Alors de toute éternité et dans toutes les cultures, il y a eu des êtres qui ont été exclus du plaisir sexuel pour toute une série de causes. Il y a des gens qui dans leur vie sont incapables d'avoir effectivement un exercice convenable de leur sexualité. Qu'ils soient handicapés, qu'ils soient rejetés pour des tas de raisons liées à leur personnalité ou à leur apparence, c'est un fondement probable de ce commerce du sexe qu'on appelle la prostitution.
J'aimerais bien que vous puissiez parler de cette sexualité indépendamment du plaisir de la domination.
M-V.L. - Votre question aborde de nombreux problèmes. Tout d'abord, si j'ai employé le mot " conçue ", c'est une erreur de l'avoir employé et je le retire, mais je ne pense pas l'avoir fait. Des rapports sociaux, sexués, politiques ne se "conçoivent" pas dans la tête de quelqu'un-e - qui serait alors un-e démiurge - pour être ensuite appliqués dans le réel. Par ailleurs, je ne considère pas, pour autant, que ce que j'ai évoqué relève d'une logique de "complot", mais d'une analyse - sans doute trop rapide mais absolument nécessaire - qui consiste à donner un sens à ce que nous voyons tous les jours sous nos yeux.
Si je constate que, par millions, ici, aujourd'hui, en France, des femmes sont violées, frappées, harcelées, prostituées, objets de discriminations et d'injures sexistes par des hommes, sans évoquer tant d'autres manifestations moins connues de la domination masculine, 15je suis bien obligée - si je veux être entendue, si je veux que cela cesse - de tenter de comprendre pourquoi. Et là, l'analyse féministe - qui est fondée sur la reconnaissance de l'existence d'un système patriarcal, lequel se manifeste principalement par l'organisation politique des différents modes de contrôle du sexe et du corps des femmes - est incontournable. Si depuis des siècles et encore aujourd'hui, au XXI ème siècle, de manière écrasante, hégémonique, les hommes accaparent la quasi totalité des pouvoirs, si les femmes sont désappropriées du pouvoir sur leurs sexes et sur leurs corps, je dois donc me référer à des analyses en termes de système de domination et de conditions de reproduction dudit système. L'organisation politique de la mise en dépendance sexuelle des femmes, sous forme de législation concernant le système prostitutionnel, la contraception, l'avortement, les violences contre les femmes, mais aussi l'absence de loi antisexiste par exemple, en sont sans aucun doute les pierres de touche.
Par ailleurs, sur d'autres points de votre question, je voudrais dire que je n'aurais pas employé certains de vos termes, comme " exercice de la sexualité" - la sexualité fait partie de l'individu-e, elle ne lui est pas extérieure ; ou comme "commerce du sexe" - qui entérine la normalité de ce "commerce". Quant à l'"exercice convenable - terme normatif donc inapproprié - de [la] sexualité", notamment "des handicapés", je ne peux que contester l'implicite de cette formulation. "Exercer une sexualité", c'est à la fois considérer que la sexualité puisse relever d'un métier (on exerce la médecine) et / ou d'une fonction (on exerce comme notaire). Par ailleurs, cela signifie aussi que "la sexualité" serait "quelque chose" d'extérieur à l'individu-e . Enfin, cette expression fait absence de référence à "l'autre". Oublier "l'autre" - en l'occurrence ici la personne prostituée - c'est la considérer dans un strict rapport fonctionnel et utilitaire. C'est donc ne pas la traiter comme une personne ; c'est la chosifier. Et c'est justement ce qui fonde la critique féministe de la sexualité masculine dominante et donc la critique du système prostitutionnel. Je considère que, dans des rapports sociaux et donc nécessairement sexués, parler de "sexualité" en soi est la première négation de l'autre. Pour moi, "la sexualité", en soi, n'a pas de sens.
En outre, je considère que faire abstraction de l'histoire des rapports - de domination - entre les sexes est impossible. Ainsi, pour évoquer la vie des millions de personnes ayant été l'objet de violences sexuelles, l'immense majorité d'entre elles ne peuvent plus, pendant un temps plus ou moins long, ni éprouver un désir - qui a été tué par le déni meurtrier dont elles ont été l'objet - ni souvent avoir des relations sexuelles avec un autre homme. Cela est vrai individuellement, mais aussi dans la conscience collective de toutes les femmes. Nous, les femmes, nous avons dans notre corps, dans notre esprit, dans notre sexe, une mémoire historique de la domination ; celle-ci est ravivée lorsque nous sommes l'objet de violences, lorsque nous sommes enceintes sans l'avoir désiré, lorsque nous sommes prostituées, comme dans toutes les situations où nous ne sommes pas respectées, c'est-à-dire traitées "comme des femmes" dans le système patriarcal.
Quant à la référence aux "handicapés", aux timides ou aux pauvres - il manque les étrangers - que vous posez ici implicitement comme clients légitimes, vous savez fort bien que ce que vous omettez dans votre raisonnement, c'est justement le statut des femmes "affectées" à la satisfaction de leurs "besoins". Que faites-vous des besoins sexuels des femmes ? Que cela ne semble pas vous gêner outre mesure, là je crois est le problème dont j'ai parlé, je crois, ce soir.
Vous avez aussi parlé "du besoin universel d'exercer une sexualité". Et de la "sexualité indépendante du plaisir de la domination". Il est évident que ce sont des questions fondamentales, et je n'aurais pas la prétention de pouvoir la résoudre ici, si rapidement. Mais ce que je sais - sûrement - c'est qu'il est impossible de ne pas précéder à une analyse sexuée ce que vous appelez "la sexualité humaine". On ne peut pas mettre au même niveau d'analyse, conceptuellement parlant, la sexualité des hommes et celle des femmes. Depuis quand a t-on commencé à oser parler de désir et de plaisir sexuel pour les femmes ? Depuis la fin de la seconde moitié du XX ème siècle ? Et je ne parle que des discours et non pas de la réalité dudit plaisir ! À l'échelle de l'histoire de l'humanité, cette période est extrêmement courte. Les comportements sexuels des uns et des autres n'ont, bien sûr, pas été remisés au magasin des Antiquités parce que certaines lois ont été adoptées et sont, si mal, mises en oeuvre. La banalité des violences sexuelles, heureusement de plus en plus dénoncées, nous oblige à nous souvenir que le sexe des hommes a été - et est toujours - le moyen privilégié de la violence patriarcale. Que ce soit par le mariage, par la prostitution, par le viol, arme de paix et arme de guerre, par la violence incestueuse, l'arme privilégiée de la domination masculine, c'est le sexe masculin.
Par ailleurs, comment peut-on parler - à l'équivalence - du plaisir des hommes et des femmes, alors que les premiers peuvent toujours "baiser" comme et quand ils veulent des personnes prostituées pour eux et les femmes qui, elles, à l'inverse, risquent toujours de devenir prostituées et / ou d'être traitée comme telles ?
Mais je vous rejoindrais sur le thème de la nécessité de penser des rapports sexuels "indépendamment des rapports de domination", si nous voulons déconstruire, pour mieux la dénoncer, la société patriarcale et participer à la construction d'une société non marchande et anti-patriarcale.
Pour ma part, en faisant référence à mon expérience, même si ce n'est pas facile d'en parler comme cela, à chaud, en public, sans préparation - je vais tenter de réfléchir sur ma propre vie. Il me semble que je peux dire que je suis devenue une femme qui exprimait, reconnaissait, assumait, vivait - au mieux des contraintes objectives de la vie - ses désirs sexuels quand, il serait impudent de dire quand je suis devenue une femme libre, mais, disons, en liaison avec l'affirmation de moi-même en tant que féministe.
C'est lorsque j'ai pu mieux analyser, comparer, réfléchir sur les contraintes que je vivais en tant que femme, lorsque j'ai pu me constituer comme individualité plus autonome, que j'ai pu créer les conditions de l'expression mes désirs, qui alors et alors seulement m'étaient devenus propres. Auparavant, j'avais une vie sexuelle comme tout un-e chacun-e. Mon désir nécessairement empruntait beaucoup aux schémas classiques (très largement conditionnées donc) en la matière. Et pour tenter de poursuivre le raisonnement et, éventuellement, le poser comme une hypothèse, il me semble que, pour éprouver, ressentir un désir sexuel envers quelqu'un-e, j'entends bien un désir qui fasse le lien entre deux personnes, la constitution de soi comme individualité est sans doute l'élément majeur de l'analyse. Dans la mesure où le désir - qui, faut-il le rappeler ? n'est pas synonyme de: "j'ai envie de "baiser" et/ou de "faire l'amour" - est ce qui nous est propre, il pourrait alors d'autant mieux s'exprimer que la domination masculine serait remise en cause. En tout état de cause, en ce qui me concerne, mon indépendance intellectuelle et politique (et je pourrais ajouter économique : pouvoir quitter un homme, sans conséquence vitale) a été la condition d'un vécu sexuel beaucoup plus positif. M'affirmer progressivement comme une femme la plus libre possible, désirer et exprimer un désir pour une personne ont été, pour moi, liés. Quant à la question de la mise en œuvre de ce désir, elle est évidemment plus complexe. Quoi qu'il en soit, l'émergence, l'expression d'un désir pour une autre personne est, selon moi, un sentiment rare et très précieux.
Un auditeur - Je suis éducateur dans une association qui travaille sur le terrain et je suis en rapport avec des personnes qui se prostituent depuis une dizaine d'années, pour les rencontrer dans la rue et pour les accompagner ou simplement pour résoudre leurs problèmes quels qu'ils soient.
Je partage fondamentalement votre position et je me sens complètement solidaire de ce discours.
Par contre j'aurais une remarque quand vous dites qu'il faut interdire la prostitution. Je crois que c'est un discours qui ne peut pas être tenu, ou en tout cas, moi, j'aurais beaucoup de mal à le tenir à une femme ou à un homme en situation de prostitution. Parce que je pense que ça peut avoir des effets en termes de blessures, en termes de disqualifications. Entendre dire qu'aujourd'hui il faut interdire la prostitution, de but en blanc, ça me pose un problème. Ce que je souhaiterais, c'est que vous nous disiez, en termes d'évolution de l'abolitionnisme, comment vous verriez l'évolution des concepts et des droits, puisque vous avez dit que la question des droits était fondamentale. Et effectivement elle est complètement fondamentale.
Je crois qu'il y a vraiment quelque chose qui est très important, c'est les images, les personnes souffrent de l'image que la société ont d'elles. Je crois que c'est quelque chose de très récurrent. Et à ce niveau-là il me semble qu'on pourrait réfléchir à quelque chose qui permettrait d'apporter une réponse à ça parce que ça me semble être tout à fait problématique.
Je voudrais savoir ce que vous verriez comme évolution dans l'abolitionnisme. Comment on pourrait inventer une nouvelle convention de 1949, sachant que bien évidemment il y a des termes, notamment " inadapté social ", qu'il faut absolument modifier, et dans lesquels je ne me retrouve pas du tout ni l'association dans laquelle je travaille ?
M-V.L.- D'abord un préalable. Vous avez employé l'expression " personne qui se prostitue " qui me gêne. Car nous sommes alors dans la logique qui expliquerait le système prostitutionnel par les seules prostituées, voire qui les en rendraient seules responsables. Il y a des personnes qui ont été prostituées, que l'on a prostituées, mais qui "se prostituent", ça non.
Le même auditeur - Si je dis " personne qui se prostitue ", c'est tout à fait volontaire de ma part. Parce qu'il me semble que de parler de la "personne", parce qu'il y a bien évidemment une personne, il s'agit d'une personne. Faire une association aussi directe entre personnes prostituées, me semble réduire justement la dimension de la personne à cette qualité. Dire "personne qui se prostitue" fait la différence entre la question de la prostitution et ce qui en est pour elle, et aussi la question de ce qu'il en est pour elle en tant que personne.
M-V.L. - Ce sur quoi je réagissais, c'est sur le "se prostituer", pas sur le terme de "personne". La personne prostituée est une personne, la question ne se pose pas ; celle qui se pose, mais qui n'est pas spécifique à elle, c'est le lien entre son identité propre, notamment de femme, et son statut de "prostituée". La personne prostituée est une personne - une femme, un homme, travestie, transsexuelle…- qui à certains moments, dans certaines conditions de sa vie, vit comme tel-le. Mais lier ainsi " personne" et "prostituée" ne signifie pas que celle-ci est strictement définie par son identité de prostituée. Pour paraphraser Francoise Collin qui écrivait : "Je suis une femme, mais 'je' [moi] n'est pas une femme", on pourrait dire : "Je suis, ou plutôt, j'ai été prostituée, mais 'je' [moi] ne suis pas une prostituée".
De toute façon, il est très important de savoir que ces débats sur les mots sont fondamentaux parce qu'ils sont les outils qui nous permettent de réfléchir. Et que ne pas avoir les réponses adéquates n'invalide pas le processus de la recherche. Un exemple : je ne suis pas d'accord avec le terme - fonctionnel - de "client"; je n'ai pas encore un autre pour le remplacer, je suis bien obligée de l'employer, entre guillemets, pour attirer l'attention sur l'existence d'un problème, en attendant de lui trouver un remplaçant. Ce qui est important c'est de se rendre compte que nous devons continuer à tâtonner, à chercher, à se confronter aux critiques de gens qui disent: "Non ,je ne suis pas d'accord parce que ceci, pour moi , signifie cela " etc. Les débats, les confrontations sont notre oxygène de vie sans lesquels nous risquons fort de mourir d'inanition.
Mais il faut aussi garder en mémoire le fait que tous les mots que nous employons ont été constitués dans et par des logiques qui considéraient la prostitution comme "normale", "naturelle", "évidente" et qu'ils sont donc porteurs de siècles de légitimation de la domination. Et, qu'en sus, actuellement s'y ajoute tout le vocabulaire libéral / marchand. Tous les mots doivent être repensés avec ce double regard critique.
Par ailleurs, vous avez dit que j'avais dit qu'il fallait "interdire la prostitution". Non, je n'ai pas dit ça, ou du moins je ne le crois pas. On n'interdit pas la prostitution par un décret, c'est absurde. Ce n'est pas comme ça que ça se passe. J'ai parlé, en revanche, d'"abolition" et d'"abolitionnisme", termes qui se réfèrent historiquement et à l'abolition de l'esclavage et au lien entre abolition de l'esclavage et prostitution. L'abolitionnisme est donc un courant philosophique, historique, un projet politique, que n'incarne absolument pas le simple usage du mot "interdiction".
J'emploie en outre ce terme d'"abolitionnisme" comme s'inscrivant dans un processus de maturation, de débats, de projets qui posent, à un moment donné, des "interdits" moraux et législatifs et participent à la reconstruction d'autres valeurs. Ce qui compte, alors, c'est qu'à un moment donné, certain-es posent des nouvelles questions, revendiquent de nouvelles lois, contraignent à des inversions du regard. À cet égard, analyser la prostitution non plus du point de vue des dominants, mais de celui du vécu des victimes est sans doute la critique du système la plus parlante et sûrement la plus subversive. Mais, c'est bien la société toute entière doit être interpellée, prendre position et s'engager. C'est ainsi que les ruptures historiques ont lieu. L'histoire ne se fait pas uniquement avec des idées et des critiques de textes ; elles se fait aussi et surtout avec des individu-es et grâce à elles/eux. Pour moi donc, l'important, c'est de procéder à une rupture, de briser les fausses évidences dont nous avons et nous sommes toujours abreuvées. Cette rupture, pour moi, c'est de poser le projet politique de l'abolition du système prostitutionnel.
Les questions telles que je les sens aujourd'hui, se poseraient donc ainsi :
- comment lutter sans concession contre tous ceux et celles qui - soutenus souvent par d'énormes moyens, notamment financiers - dans la presse, dans l'économie, dans l'université, la recherche, etc…contribuent à valider le système proxénète ?
- comment créer des ruptures politiques telles que la classe politique dominante accepte de reconnaître que ce projet est insupportable, inacceptable, scandaleux ?
- comment, pour ce faire, permettre et faciliter l'expression les forces politiques, citoyennes ? Et créer un minimum d'organisation politique.
Sur la question de la reformulation de la convention de 49, pour moi il n'y a pas de problème de fond. Rédiger une convention n'est pas difficile, dès lors que l'on sait ce que l'on veut. Ce n'est pas la rédaction qui pose problème. L'urgence, telle que je la conçois, c'est de dénoncer la situation actuelle. C'est pour cela que je mets tellement d'énergie à dire : "Voilà le monde dans lequel nous entrons et qui est dorénavant le nôtre "; " Voilà le monde que les Etats, que la classe politique de gauche comme de droite ont pensé et organisé pour nous, sans même nous en informer." Mais c'est aussi de refuser tous les textes - notamment depuis et y compris la conférence de l'ONU (significativement intitulé conférence "sur16 les femmes") de Pékin en 1995 - qui ont permis la mise en oeuvre de cette politique. Et qui l'ont cautionnée.
Il faut donc créer les conditions d'un débat démocratique dont on nous a frustré. Et je dois dire par ailleurs que le moins que l'on puisse dire c'est qu'à gauche, à l'extrême gauche - je pense à ATTAC et aux forces qui gravitent autour d'elle - il n'y a pas de relais à cette dénonciation. Je pourrais ajouter que dans sa mouvance, nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui ont signé des textes - notamment toute une partie des dirigeants des Verts qui ont publiquement légitimé le système prostitutionnel.17
Prosaïquement, posons clairement la question politique aux Verts, au Parti Socialiste, au Parti Communiste, à la LCR, à l'UMP, à ATTAC, à la Ligue des droits de l'homme, à la FIDH etc…: quelle est votre position sur cette politique européenne ? Et sur la légitimité du système prostitutionnel ? Sans oublier que nettement moins de 5 % des français-es adhèrent à un parti.
Une auditrice - Vous parlez de combattre le système, et vous le comparez chaque fois à la lutte contre l'esclavage. Je ne vois aucune différence entre la prostitution et l'esclavage. Alors je ne comprends pas pourquoi, puisque l'esclavage lui-même est aboli, la législation contre l'esclavage n'est pas applicable.
Et deuxièmement dans le dernier texte européen que vous avez cité, vous dites que les personnes qui sont décrites comme des victimes n'ont pas de droits. Mais parler d'une victime, est-ce que de fait, ça ne lui reconnaît pas un droit ?
M-V.L. - Le " Nid " avait fait une très belle et très parlante affiche: " L'esclavage est aboli, et la prostitution ? " C'était très efficace. Je ne suis cependant pas d'accord avec l'analogie : "la prostitution" et "l'esclavage" sont deux systèmes de domination différents. Un esclave appartient corps et biens, de sa naissance à sa mort, au propriétaire d'esclaves, y compris dans sa descendance. Ses enfants naissent eux-mêmes esclaves et meurent - jusqu'à l'abolition du système - comme tels. Il n'est donc pas un "être humain" au sens politique moderne du terme, car le statut qui est le sien est d'être dépourvu de tout droit sur sa personne. Il est sous la puissance absolue de son maître ; celui-ci peut donc légitimement le vendre, l' acheter, le violer, le tuer même. Ce n'est pas le cas de la prostitution. Dans le système prostitutionnel, les personnes prostituées n'appartiennent pas, institutionnellement parlant, au proxénète ni aux clients. Elles sont, dans les pays démocratiques, des citoyen-nes. Et le fait qu'elles soient dépourvu-es de nombreux droits, en tant que femme, et en tant que prostituées n'invalide pas cette réalité. C'est toute la différence entre la prostitution et l'esclavage : elle est théoriquement, conceptuellement, fondamentale. Plus encore, je considère que, loin d'être une avancée, assimiler la prostitution à l'esclavage dissout la logique propre au système prostitutionnel - et donc à sa spécificité - est une régression très grave. Et participe à sa normalisation.
Sur la question des "victimes", reconnaître qu'une personne est une victime ne signifie absolument pas qu'elle ait des droits. Le mot " victime " ne confère aucun droit a priori. Il reconnaît juste que la personne a subi un préjudice, des dommages, des violences dont la cause n'est pas a priori signifiée : on peut d'ailleurs être victime du fait de sa propre faute (Cf., les expressions: victime de ses passions, de ses excès, de sa vertu, de son dévouement…). C'est certes une première étape, nécessaire, mais non pas suffisante de la reconnaissance d'un dommage, mais cela n'induit absolument pas que celui-ci doive être réparé. Victimiser une victime s'inscrit dans cette hypothèse : sans lui permettre de faire reconnaître le dol, la violence, l'injure dont elle a été l'objet - que seul le recours au droit, à la loi permet - on l'enferme dans ce statut de victime dont, dès lors, elle ne peut sortir.
Un auditeur -Je ne connais absolument rien à la prostitution en tant que demandeur parce que je ne suis jamais demandeur, bien que je vive dans un quartier, dans un immeuble, où la prostitution est fréquente. Les prostituées sont des voisines et on se parle tous les jours. Je n'arrive pas à comprendre cette demande, parce qu'elle ne renvoie à rien de vécu en ce qui me concerne. Toutefois il me semble que je parviens à comprendre que la prostitution fonctionne comme une loi du marché, et que donc il y a des enjeux, comme toute loi du marché.
Il y a deux approches. Soit on est pragmatique, et on se dit : puisqu'il y a une demande, il vaut mieux réguler une offre. Parce que, avec le libéralisme à tout va, sans régulation, plus rien ne fonctionne. Le libéralisme a besoin d'être régulé. Et à ce moment-là se pose la question des droits. C'est-à-dire que la prostitution est reconnue de fait, et pour qu'effectivement cette activité s'exerce avec des droits, il faut qu'elle soit reconnue.
Et puis il y a l'autre approche, qui est l'approche à mon avis idéaliste, qui consiste à dire : supprimons la demande. Alors avec moi ça va être facile, mais il me semble que je ne suis pas le seul, et là il y a un travail de fond à faire. Et qui va peut-être demander des siècles compte tenu de notre histoire.
Je pense que le pragmatisme s'oppose à l'idéalisme. Il me semble que vous, vous êtes dans une position idéaliste.
M-V.L. - Si être idéaliste, c'est se référer à un monde tellement idéal qui est impensable, je ne suis pas une idéaliste. Si être idéaliste, c'est penser que le monde est critiquable, contestable et que la situation peut et doit changer, alors, j'accepte le qualificatif. Mais, compte tenu de l'ambiguïté de ce terme, je dirais plus justement que je défends des positions politiques fondées sur une critique que je crois juste de la réalité. Par ailleurs, j'ai déjà évoqué le fait que je ne crois pas au "pragmatisme" qui consiste de fait à s'accommoder du "réel", fusse-t-il le plus scandaleux. Pouvez-vous appliquer votre dichotomie au nazisme, à l'apartheid, au colonialisme ? Non. Alors vous ne pouvez pas non plus l'appliquer à la prostitution. Et cela n'a rien à voir avec le fait que vous parliez tous les jours à vos voisines prostituées.
Par ailleurs, mais c'est lié, vous rendez-vous compte que votre raisonnement sur "la loi de l'offre et la demande" s'adresse à et concerne des personnes humaines ?
Quant à dire que le processus d'abolition de la prostitution prendra du temps, je n'ai jamais dit le contraire; ce n'est pas un argument pour ne pas commencer à l'attaquer, ni à réfléchir aux conditions de son remplacement.
L'auditeur -Le marché du travail est bien dans une loi de l'offre et de la demande. Et moi je me prostitue tous les jours à chaque fois que je vends mon cerveau. On ne connaît pas d'autre système actuellement que cette loi-là. Qu'elle soit régulée par le système socialiste ou un autre, on est quand même dans ce système-là. Et on ne peut pas dire que ça n'existe pas.
M-V.L. - Je n'ai jamais dit que le système libéral, capitaliste n'existait pas. J'aurais plutôt tendance à dire qu'il est fort critiquable et qu'il existe de manière (trop) hégémonique. J'ai simplement dit simplement que son mode de fonctionnement ne fait pas partie de mes valeurs. J'ai dit aussi que le capitalisme d'aujourd'hui a fait ce qu'aucune société au monde n'a jamais fait, à savoir mettre les corps et les sexes sur le marché - et les échanger comme des marchandises - selon la loi de l'offre et de la demande.
Ma différence par rapport à vous, c'est que j'analyse cette logique et je la dénonce. Je n'accepterai jamais ce système qui fait fi de toute morale, de toute éthique, de tout principe. Non, non, non, et non.
Enfin, quand vous dites que vous vous prostituez tous les jours, en vendant votre cerveau, cela démontre d'abord que vous ne connaissez pas la vie des personnes prostituées. Je n'accepte pas ce type d'amalgame. Être salarié-et et être prostituée-e ne relève pas de la même logique, absolument pas. Dans un cas, vous vendez votre force de travail, dans l'autre, c'est votre sexe, votre intimité, votre identité, votre moi qui est achetable. Et ce, que vous vouliez ou non être pénétré par le sexe de la personne qui, elle, a payé pour ce faire et que vous ne pouvez pas, sauf rares exceptions, refuser. Vendre sa force de travail et vendre l'accès à son vagin ou à son anus, ou sa bouche, ce n'est pas identique. C'est terrible de dire cela.
N'oubliez pas qu'il a fallu des siècles à l'humanité pour que des individu-es, comme vous et moi, ayons le droit de pouvoir vivre dans une société dans laquelle nous ne vendons que notre force de travail, pour un temps, une fonction donnée. N'oubliez pas qu'il a fallu des siècles de lutte pour que nous passions de l'esclavage, au servage, puis au capitalisme. Ni que, grâce aux socialistes, grâce au syndicalisme, grâce au féminisme, nous pouvons vivre dans des sociétés qui ont progressivement conféré certains droits - fort insuffisants encore - à la personne humaine. Régresser par l'analogie entre "exploitation" de sa force de travail et l'appropriation légitime de son sexe par qui peut le payer n'est pas vraiment une logique progressiste.
Enfin, ce n'est pas parce que vous vous considérez comme mal traité dans votre activité professionnelle qu'il faudrait de ce fait vous interdire tout changement positif, au profit, et avec, d'autres personnes.
Un auditeur - La prostitution s'enracine dans la forme de la sexualité masculine ou tout au moins dans sa forme simplifiée. Et quand un homme va voir une prostituée, ce n'est pas un rapport de domination : il va simplement chercher du plaisir. Tout comme quand vous allez au restaurant, vous ne dominez pas le serveur ou le cuisinier, vous cherchez un plaisir. Et avec la prostituée c'est un plaisir pimenté. Et les rapports entre le client et la prostituée ne sont pas des rapports de domination.
Alors il se peut qu'il y ait quelques pervers, mais la prostituée n'est pas protégée par ces pervers. Pourquoi ? Parce que, depuis 2000 ans, le judéo-christianisme a rejeté la sexualité, et d'une manière générale toute la nature, et que la prostituée n'a jamais reçu de statut, qu'elle n'existait pas. Si bien que les lois sociales qui ont pu exister, comme sous l'Ancien Régime les corporations, ne la reconnaissaient pas puisqu'elle n'existait pas. Les lois sociales qui commencent avec Napoléon III en France et Bismarck en Allemagne, et avec le Front Populaire, n'en ont pas parlé. La première des choses pour que les prostituées ne soient plus exploitées, c'est d'abord et surtout de leur donner un statut, de les reconnaître juridiquement. Et à ce moment-là s'appliqueront les lois sociales telles que nous les connaissons, et on évitera tous les abus.
Si vous voulez supprimer la prostitution, il faut aussi supprimer la sexualité masculine. Et là je vous souhaite bien du courage!
M-V.L. - Je voudrais vous dire que je ne comprends même pas que l'on puisse dire éprouver un "plaisir" avec une personne qui, elle, n'en éprouve aucun, qui vous subit, que vous dégoûtez probablement, qui vous vit comme une contrainte - sûrement. Comment pouvez-vous dire que l'on a du "plaisir" alors que vous savez dans quelles conditions les femmes que vous "baisez" - et non pas comme vous le dites pudiquement, que vous "allez voir" - vivent ? Cette conception du "plaisir" est pour moi inhumaine. Je ne comprends pas qu'on puisse oser employer l'expression de plaisir dans ce contexte-là. Si vous avez des besoins sexuels, il y a une solution, c'est la masturbation. C'est facile, gratuit, et ça ne fait souffrir personne.
Quant à assimiler une personne à un steak, à de la nourriture, ou à tout autre bien consommable et à faire un lien indissociable entre "prostitution" et "sexualité masculine", je vous en laisse la responsabilité. Mais reconnaissez que - pour les hommes - c'est un terrible constat, une condamnation sans appel de la sexualité masculine. Que peu de féministes assumeraient, en tant que telle.
Enfin, pour moi, dans la mesure où c'est le système prostitutionnel en soi est condamnable et qui doit être combattu, je me refuse donc à en condamner seulement ce qui, pour vous, relève d'"excès", d'"abus", de "perversité". Il faut être lucide : ne focaliser sa critique que sur certaines de ses manifestations, c'est cautionner le système lui-même.
Une auditrice - Dans votre perspective abolitionniste, est-ce que vous remettez en cause le système hétéro-social ? Un des socles de la domination masculine est la contrainte des femmes à un type de sexualité, l'hétérosexualité, qui assigne les femmes au service sexuel non salarié dans l'espace domestique, et à l'échange des femmes. Comment intégrez-vous dans votre analyse la position du système familial, et la notion de maternité qui maintient les femmes au service de la reproduction et les assigne à des rôles sociaux de services ?
M-V.L. -.Votre question est à un tel niveau de généralité et pose tellement de problèmes d'une grande complexité théorique qu'il est très difficile d'y répondre. En outre, je ne suis pas sûre de l'avoir comprise. Oui, il y a un lien entre ce que vous appelez le système hétéro-social et la prostitution, mais il n'est pas univoque, car alors risquerait d'être évacuée la question si importante de la prostitution homosexuelle. Par ailleurs, il est incontestable que "la famille" est l'institution sur laquelle se fonde la domination patriarcale. Mais celle-ci doit être historiquement pensée avec le système prostitutionnel.
L'auditrice - Sur la notion de prostitution domestique, c'est-à-dire du service sexuel gratuit dans l'espace domestique, quand vous envisagez la question de la prostitution, est-ce que vous envisagez la question du droit dans une perspective de remettre en cause le service gratuit et non salarié ?
M-V.L. - On ne peut pas dissocier les formes multiples, variées, historiquement évolutives, de l'appropriation sexuelle des femmes. Ce qui ne veut pas dire qu'elles soient équivalentes, comme on l'entend si souvent dire. Mais ce sont bien ces liens entre ces formes multiples qui expliquent que les luttes contre le système prostitutionnel sont indissociables des luttes pour le droit à la contraception et à l'IVG, contre les violences faites aux femmes, contre le sexisme…
Par ailleurs, me concernant, je me refuse à employer le terme de "service sexuel ": les hommes avaient - et beaucoup trop d'entre eux croient encore l'avoir - un droit d'usage du sexe et du corps des femmes. Ces deux termes "service" et "droit d'usage" ne sont pas par ailleurs synonymes ni équivalents en fonction des sexes. Le devoir sexuel était - pour les femmes seules - inclus dans le contrat de mariage, tandis que les hommes, seuls, pouvaient, de par le droit, avoir des relations avec d'autres femmes que "la leur" propre. On ne peut certes donc pas isoler le mariage de la prostitution. Mais cela ne signifie pas que les deux institutions soient équivalentes : aussi peu les femmes mariées étaient-elles pourvues de droits, elles en possédaient cependant beaucoup plus que les personnes prostituées. Et leur statut social, le regard que la société posait sur elles est fort différent. C'est encore vrai aujourd'hui.
Un auditeur -Je rebondis sur le mot " abolition ". Je travaille comme médecin des hôpitaux, et je n'étudie pas dans les livres : je vois des personnes en face de moi, en consultation, qui traversent différents drames, notamment parce que je m'occupe souvent d'alcooliques ou de toxicomanes. Et je fais le parallèle entre ce qui est imposé à certaines femmes et les contraintes qu'ont certaines personnes vis-à-vis de certains produits.
Je vois par exemple l'exemple tout bête du tabac, qui est une drogue, ce que tout le monde sait, et qui fait 60.000 morts par an. Les personnes qui sont dépendantes du tabac sont dans un processus de contrainte extrêmement important. On sait que depuis la Libération les femmes fument autant que les hommes, ce qui fera à peu près 160.000 morts en 2020. Mais pour protéger les femmes de la tabagie, faut-il abolir dès maintenant le tabac et fermer tous les bureaux de tabac ?
Autre exemple historique : l'abolition de l'alcool aux États-Unis dans les années 20. Est-ce que vous vous rappelez le résultat que cela a eu au point de vue du développement de la délinquance ?
Alors l'abolition, moi je l'entends comme l'interdiction pure et simple. Et il faut de l'accompagnement auprès des personnes qui sont dans la difficulté, pour les aider à sortir de situations où elles ont fait ce qu'elles ont pu avec les moyens qu'elles avaient.
De même, si quelqu'un s'alcoolise, ce n'est pas par hasard, c'est parce que c'était la moins mauvaise des réponses qu'il a eues à un moment. Est-ce que la prostituée qui est dans cette situation, dans ce qu'elle a pu inventer de ce qu'elle avait sous la main, avec les contraintes, la misère, une réponse pour s'en sortir ?
Et puis, un dernier point. Il y a une civilisation qui a instauré un système pour éviter la prostitution, c'était l'islam au VIIe siècle. Je vous rappelle que l'islam est né dans une péninsule où il y avait des guerres tribales et que ça faisait beaucoup de veuves. Et pour éviter qu'elles se prostituent, ils ont inventé la polygamie. Mais c'est une boutade.
M-V.L. -En disant que vous n'étudiez pas dans les livres - alors que vous êtes médecin - voulez-vous dire que mon expérience de la vie serait essentiellement livresque ? Puis-je me permettre de vous dire que ce n'est pas le cas ?
Sur la question du tabac et de l'alcool, je considère que lorsqu'on parle du statut des êtres humains, ce n'est pas la même chose que de fumer du hasch, du crack, ou une cigarette, ou de trop boire. Ce n'est pas de même nature, et c'est une analogie que je ne peux pas accepter. Car elle évacue le fait que c'est bien, dans la prostitution, le statut de personnes qui est en jeu. Une cigarette, un joint, du "rouge" ne sont pas une personne. Si vous buvez trop, vous détruisez votre vie. Si vous être client d'une personne prostituée, c'est sa vie - et non la vôtre - que vous détruisez.
Accompagner les personnes prostituées, les aider à sortir de leur situation, se battre avec elles pour qu'elles obtiennent les droits dont elles sont été dépossédées, c'est évidemment ce qu'il faut faire. Mais ce soutien politique n'est pas antinomique avec le combat abolitionniste, contrairement à ce que certain-es veulent si peu honnêtement faire croire18. Je précise que ce n'est pas ce que vous avez dit.
On peut à la fois lutter contre la domination masculine, faire voter des lois et faire en sorte que les femmes accèdent aux droits dont elles sont historiquement été dépossédées. Il en est de même concernant la prostitution. Le problème est de savoir comment aider ces personnes à mieux vivre sans cautionner, voire renforcer, le système qui est la vraie cause de leur mal être ? En tout état de cause, il faut effectivement créer les conditions pour qu'elles puissent se réapproprier la part de vie qu'on leur a volée, la part de leur vie qui a été violée, la part d'anathème social qui leur a été imposée, la part d'exclusions de toutes sortes au sein des quelles elles doivent vivre. C'est dans cette dynamique qu'elles pourront être à même, avec d'autres, de pouvoir lutter pour leurs droits et pour une meilleure vie, et en même temps, lutter pour l'abolition du système.
Une auditrice - J'aurais aimé que vous nous donniez des détails sur la genèse de l'abolition de la convention de 1949, parce que dans le vent de libéralisme qui assaille l'OMC et la Commission Européenne, jusqu'à aller vendre même les services publics, il serait intéressant que vous nous montriez qui exactement on peut soupçonner de manière caractérisée de travailler à saper tous ces textes et à rendre la prostitution un bien marchand — au moment où on entend toujours parler des droits de l'homme.
M-V.L. - Le problème c'est que les moyens de pression qui sont employés en ce sens sont très largement occultes. Ce qu'en revanche, je vois c'est l'incroyable facilité avec laquelle les tenants du système proxénète diffusent leurs thèses, ont pignon sur rue, se voient accorder la parole, font pénétrer brutalement ou insidieusement dans notre société la défense des intérêts dont ils sont les porte-parole. Je connais certain-es de ceux et celles qui publiquement s'engagent en ce sens; ils/ elles ne représentent que la face immergée de l'iceberg.
Je peux, à cet égard vous raconter une anecdote qui m'a beaucoup appris. Un jour, en public, je débattais avec une personne de la Commission Européenne et une du Parlement Européen. Dans mon esprit - et c'était aussi la réalité - elles faisaient partie de celles qui étaient chargées de conceptualiser et de mettre en œuvre ces textes.
J'étais donc persuadée qu'elles allaient me contester, à la mesure de ma propre critique. À ma grande stupéfaction, ce ne fut pas le cas et je n'ai pas toujours pas bien compris comment cela avait été possible. Mais ce que j'ai découvert d'important, c'est qu'elles ne connaissaient pas et / ou ne comprenaient pas ces textes. Je me suis donc dit : si ces personnes, qui incarnent cette politique, ne connaissent pas les textes - je les connaissais mieux qu'elles - c'est qu'elles ne les rédigent pas. Si elles ne rédigent pas, c'est qu'il y a des personnes qui les rédigent pour elles. S'il y a des personnes qui les rédigent pour elles, c'est qu'il y a de l'argent qui part de Bruxelles ou de Strasbourg, pour payer des expert-es de très haut niveau qui, dans des officines spécialisées - où, comment, avec quel argent ? je ne sais - produisent ces textes. Dont je vois le produit fini.
Je suis bien aussi obligée de me rendre compte de l'incroyable efficacité de cette déferlante libérale. Les concepts se substituent les uns aux autres avec une extraordinaire rapidité. Et pénètrent fort aisément dans la presse, à la télévision, chez les "faiseurs d'opinion". Je suis bien obligée aussi de constater le silence des gouvernements.
La question que j'ai envie de me poser, c'est : quelle est la nature, l'étendue et les modalités d'interpénétration de ces logiques proxénètes forcément maffieuses et les gouvernements ? Comment ça se passe-t-il ? Je ne le sais pas. Je ne connais pas suffisamment le système de l'intérieur pour y répondre. Je ne suis ni sociologue des lobbies, ni magistrate, ni journaliste, ni policière. Ce que je vois simplement, c'est le résultat. En tout cas, cela est plus qu'inquiétant concernant le fonctionnement réel de nos sociétés.
Une auditrice - Il me semble que pour arriver à la prostitution, il ne faut pas avoir beaucoup de respect de soi-même, il faut avoir peu de dignité. Donc je me dis que les gens qui y arrivent n'ont pas reçu cette éducation de respect d'eux-mêmes.
Si on veut peut-être qu'il y ait un peu plus de respect des femmes vis-à-vis d'elles-mêmes, et donc de la société vis-à-vis d'elles-mêmes, peut-être faut-il qu'elles soient mieux représentées au point de vue politique. C'est peut-être une solution. Ou bien aussi qu'on surveille de près la petite enfance. Vous parliez des enfants violés, des enfants qui avaient subi des violences et qui n'ont pas pu avoir de respect d'eux-mêmes, en fait qui se sont peut-être culpabilisés. Et qui ont pu accepter d'être réduit, dans certaines situations que beaucoup de gens n'acceptent pas.
M-V.L. - D'abord je ne crois pas que l'on puisse dire que l'on "arrive à" la prostitution. Ce n'est pas un lieu de destination ; ce serait d'ailleurs plutôt un lieu d'où on ne peut partir. Ce sont des circonstances qui - dans un système qui l'organise, le codifie et le légitime - font que certaines personnes ont été contraintes à subir des violences et / ou à les reproduire, telles qu'elles n'ont pas pu échapper à ce statut.
Par ailleurs, on ne peut même au même niveau d'analyse la condamnation d'un système et celle des personnes contraintes - le plus souvent avec si peu d'échappatoires - à vivre selon les normes qui leur sont imposées et à le subir. Vous ne diriez pas que les esclaves, les ouvriers / ères "manquent de respect" d'eux-mêmes. Vous dénonceriez le système qui les fait vivre dans des conditions qui ne les respectent pas. Par ailleurs, de quel droit serions-nous habilités à juger ces personnes ? Par rapport à qui, à quoi, sur quels critères ? Selon quelles valeurs ? Notre société est-elle elle-même si digne, si héroïque, qu'elle puisse est la référence en matière de "vertu" ? Sûrement pas.
Quant à la question de la représentation des personnes prostituées, elle est, pour elle, comme pour nous tous et toutes, un droit. La question est de savoir sur quelles bases, avec quels moyens, sur quels projets politiques, avec quelle autonomie? Ce qui est sûr c'est que les associations qui affirment défendrent les personnes prostituées ne sauraient se mettre en contradiction avec la loi. Défendre les personnes prostituées, n'est pas synonyme de défendre le système proxénète, défense qui, elle, relève des tribunaux.
L'auditrice - Mais le pouvoir, c'est aussi politique. Si plus de femmes étaient représentées au niveau politique, au niveau du pouvoir, est-ce qu'elles auraient la même image d'elles-mêmes, est-ce qu'elles ne pourraient pas agir, justement ?
M-V.L. - Vous voulez dire des femmes prostituées qui seraient députées ?
L'auditrice - Non, je parle des femmes en général. Pourquoi est-ce que moi, par exemple, je suis venue ici ? Parce que la prostitution est quelque chose qui retombe sur toutes les femmes et qui nuit à l'image d'elles-mêmes et de ce qu'elles peuvent espérer dans la vie, sous le regard des autres.
M-V.L. - Oui bien sûr. La question c'est qu'il faudrait que les femmes politiques défendent aussi les intérêts des femmes. Et le moins qu'on puisse dire c'est que ce n'est pas évident. Il y en a très peu qui défendent effectivement les droits des femmes, qui s'opposent aux régressions dont nous sommes les objets. Il ne s'agit donc pas simplement d'élire des femmes députées ou d'avoir des femmes ministres. Si ces femmes députées et ministres ne dénoncent pas les violences masculines, couvrent des agressions sexuelles dans les cabinets ministériels, au gouvernement, ne luttent pas contre la prostitution, cela signifie simplement que lutter pour la parité en politique est un processus nécessaire, mais pas suffisant.
Un auditeur - La dérive mercantile de la prostitution et de la relation sexuelle est-elle inévitable dans tous les types de sociétés ?
M-V.L. - Rien de ce qui relève de l'humain, de l'histoire, n'est inévitable, inéluctable. Ce qui a été fait peut être défait. Ce qui est injuste peut devenir juste. Demain n'est ni aujourd'hui, ni hier. Aucune société, fusse-t-elle impérialiste, hégémonique, n'est impérissable. Par ailleurs, je ne considère pas que ce que j'ai décrit relève d'une "dérive"; mais s'inscrit dans la logique du système marchand, qui fait fi de tout principe, de toute morale.
L'auditeur - Est-ce qu'il existe des sociétés où la prostitution n'ait pas été un épiphénomène ?
M-V.L. - Je ne suis pas anthropologue, je suis seulement - un peu - historienne. Ce que je peux dire simplement, c'est que je suis bien obligée de constater l'incroyable universalisation de la prostitution depuis une quinzaine d'années, dans tous les pays du monde (Chine, Amérique Latine, Afrique, Inde, Europe, Etats unis…) et dans des proportions incroyables. C'est une réalité d'une ampleur colossale que l'histoire n'a jamais vécue. Ce qui se passe actuellement dans le monde n'a jamais été connu auparavant. Je ne peux m'avancer plus aujourd'hui.
Une auditrice - Vous n'êtes pas tendre avec les femmes politiques, mais peut-être avez-vous de bonnes raisons. Néanmoins, même si on ne parle pas de prostitution dans le monde politique, vous avez bien comment les femmes y sont malmenées par l'énorme majorité des hommes. Donc s'atteler au sujet de la prostitution dans l'enceinte du Sénat ou de l'Assemblée Nationale, c'est quand même vécu par l'ensemble des hommes qui sont là, et qui sont dans une énorme majorité des machistes incurables, de l'ordre de la provocation, et il faut tout de même pour ces femmes qui sont là une solide constitution pour se lancer dans le sujet et faire front à tout ce que les hommes peuvent inventer de détestable dans ce type de travail.
Elles ont sûrement des insuffisances, y compris en termes des compétences, parce que quand on est homme ou femme politique, il faut quand même être un peu touche-à-tout et forcément on n'est pas pointu dans tous les domaines. Mais je me demande si, au lieu de pointer durement leurs insuffisances, il ne faudrait pas mieux essayer de travailler avec elles, de les " coincer "? Est-ce que vous avez essayé ? Essayez de leur apporter votre compétence, quitte à les violenter un peu pour leur montrer leurs insuffisances ? Je ne connais pas Dynah Deyricke, elle n'est pas ma copine, on ne prend pas un petit-déjeuner toutes les deux tous les jours, loin de là, mais quand je l'entends s'exprimer sur le travail qu'elle anime ou qu'elle pilote au Sénat, je dis qu'il lui faut quand même de l'estomac. Ce ne doit pas être facile tous les jours.
Et quand je vous entends, je dis : est-ce que, par hasard, il n'y a pas moyen de joindre ces forces pour en faire quelque chose de plus fort et de plus efficace ?
M-V.L. - Je vous répondrai d'abord sur le Sénat, puisque Dinah Derycke, décédée depuis lors, était sénatrice. J'ai été auditionnée à une commission du Sénat ; je ne suis toujours pas revenue de l'incroyable faiblesse du niveau d'analyse, sans même évoquer l'agressivité qui ne se cachait même pas à mon égard, alors que j'étais invitée, par ailleurs, pour mes compétences. C'était incroyable. Au point même où l'un des sénateurs, furieux de mon analyse, a pu dire : " Mais c'est du ressort des mœurs ! " Je lui ai répondu, de mémoire, que nous étions dans un lieu qui avait dores et déjà édicté nombre de textes de lois sur le sujet et dont la fonction était, l'avais-je appris - de faire voter la loi. Je dois aussi préciser que le compte-rendu publié qui a été fait, sans mon accord, ne correspond pas à ce qui s'est réellement passé. Ni à ce que j'ai pu dire.
Sur la question des femmes politiques, vous avez raison, c'est vrai que je suis critique à leur égard, mais c'est vrai aussi - et vous avez raison de le rappeler ce que l'on ne fait pas assez - que leur situation est extrêmement difficile. Il ne faut pas oublier que les femmes politiques - qui n'ont pas été élues pour représenter les femmes - ont été préalablement et nécessairement choisies par un parti politique, et s'inscrivent donc dans le cadre politique dominant dont elles ne peuvent qu'accepter globalement les fondements. Ce qui n'est pas, ne peut et ne doit pas, être vrai pour les féministes. Cependant, j'ai toujours pensé - et agi (en matière de législation concernant le harcèlement sexuel) - de manière à ce que puisse se construire une sorte de division des tâches qui permettraient des alliances ponctuelles, certes insuffisantes, déséquilibrées, pour obtenir des avancées entre féministes et femmes ayant un pouvoir politique institutionnel. Il en est de même entre féministes dites radicales - terme que je récuse par ailleurs - et féministes plus réformistes. On écoutera d'autant plus les femmes politiques que le système sait que derrière elles, des femmes peuvent agir ; on écoutera d'autant plus les plus réformistes que l'on sait que les plus radicales sont elles aussi derrière - ou devant? - elles. Et parce qu'on ne veut pas les entendre, on écoutera plus facilement les plus conservatrices.
C'est d'ailleurs sans doute parce que le système politique a toujours peur que, derrière une femme politique, puisse se profiler, s'exprimer la parole de l'autre moitié de la population, à savoir les femmes, que la pression patriarcale, sexiste, est si forte sur elles. Leur parole est donc beaucoup plus contrôlée que celle de leurs collègues masculins, tandis que l'autocensure qu'elles intériorisent est extrêmement forte.
Pour en revenir à Madame Derycke, avec le respect que j'avais pour elle, elle était une représentante de la politique du gouvernement. Elle devait donc tenir compte du parti socialiste, du groupe socialiste du Sénat, de ses collègues, du gouvernement et de l'Europe. Je sais qu'elle en était d'ailleurs consciente. Un jour où je lui posais une question lors d'une conférence de presse sur la politique européenne qui était évacuée de son rapport, elle m'a répondu, sans agressivité, que : " chacun-e était à sa place ". J'ai interprété positivement sa réponse : "Vous, vous faites ce que vous pouvez, et moi je fais ce que je peux". Ce qui cependant, politiquement, ne justifie pas sa position.
Mais il se trouve que l'opposition politique actuelle entre ce que je dénonce et ce que font depuis plusieurs années les politiques est telle que je considère qu'il n'y a plus, sur cette question, d'"alliance" politique possible. Il y a eu un point de rupture, radical, qu'il faut d'abord et avant tout analyser et dénoncer.
Une auditrice - Moi je voudrais vous poser une question sur l'état d'avancement de la réflexion que vous avez eue sur la proposition de l'inaliénabilité du corps. Déjà ça commence mal parce que ça se dit mal alors je ne sais pas quelle va être l'aventure de ce terme. Je rapproche ça du monde sportif et du monde médical puisque là, si on prend cette inaliénabilité comme outil éthique et théorique pour avancer vers ce que vous proposez, je pense que ça va être transversal à d'autres types de phénomènes, où le corps humain, bien sûr, est en jeu.
D'autre part je me pose la question de savoir si le fait que ça soit transversal va être une aide par rapport au phénomène de la prostitution,. Parce que j'estime que dans la prostitution il y a encore quelque chose de plus profond et le simple fait que ce terme existe et qu'on continue à le colporter, ça légitime.
M-V.L. - Certes, le mot "inaliénable" - et encore moins "inaliénabilité" - n'est pas facile à dire. Mais il se trouve que je n'en vois pas d'autre pour signifier ce que jeux dire. Il a en outre, le grand mérite de s'inscrire - en rupture et dans la continuité - de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui faisait référence aux "droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme".
Par ailleurs, si j'ai bien compris votre question, oui, cette position aura de multiples prolongements, que je ne peux actuellement qu'à peine commencer à penser. Mais le simple fait de poser ce concept est déjà une avancée en soi.
L'auditrice - Oui bien sûr.
D'autre part il y a le rôle des médias. Dernièrement on a vu des émissions où apparaissait la syndicaliste de service, ou une jolie petite prostituée pomponnée comme porte-parole de je ne sais quoi dans Riposte, qui est une émission relativement sympathique. Il y a un rôle des médias qui fait que, entre les textes que vous nous avez lus et une loi qui va sortir bien verrouillée, on dit que la loi quelque part accompagne les transformations sociales. C'est-à-dire qu'une fois que c'est transformé, la loi intervient pour ratifier. On peut dire ça.
Moi je suis un peu pessimiste parce que j'ai l'impression que cette marchandisation en termes de prostitution, ce n'est même pas du juridique, je ne sais pas ce que c'est. En plus c'est intraduisible en d'autres langues. Moi j'avoue que j'ai envie de m'engager, parce que je trouve que c'est gravissime ce que vous avez lu.
Ce sont deux questions : le rôle des médias à l'heure actuelle, et la réflexion sur l'inaliénabilité.
M-V.L. - Le rôle des médias est effectivement très grave. J'espère pouvoir à partir de l'analyse de quelques journaux, démontrer comment ils ont banalisé cette politique. Pour tenter de comprendre comment cela s'est passé, il faut réfléchir d'abord sur leurs sources de financements. Les médias dépendent de la publicité. La publicité elle-même est extrêmement dépendante de la mode, qui elle-même est dépendante des produits de luxe, du tourisme, qui sont eux-mêmes liés à tout un système économique et financier qu'il faudrait mieux connaître. Mais en tout état de cause, ce que je sais, c'est qu'une certaine presse ne peut pas - je dis bien ne peut pas - publier des papiers attaquant la politique de libéralisation de la prostitution. C'est-à-dire que financièrement, et donc politiquement, ils n'ont plus l'autonomie de pouvoir défendre des positions attaquant ces politiques-là. La presse, la presse écrite, la télévision, la radio, dépendent de leurs financeurs et leurs financeurs sont liés aux systèmes qui ont intérêt à cette mise sur le marché des sexes.
Pour en revenir à la revendication de l'inaliénabilité du corps humain, ce n'est que progressivement que je l'ai construite, par décantation, en passant par toute une série de paliers au niveau de la réflexion. Pour aller vite, j'ai découvert - et le recours au droit s'est avéré fondamental - que le corps des femmes ne leur appartenait toujours pas, et donc que la revendication féministe: "Mon corps m'appartient" relevait d'une exigence non aboutie. Puis, grâce à certains textes philosophiques, j'ai découvert qu'il n'y a pas de liberté pensable sans libre possession de son corps. Et là, par un retour à l'histoire et notamment à l'histoire du droit, je me suis rendue compte que le principe selon lequel le corps humain n'était pas inaliénable n'avait jamais été posé. Et j'ai terminé le raisonnement en disant : Posons alors le principe de base qui est au fondement de tout, à savoir que le corps humain est inaliénable. Et, à partir de là, reconstruisons une nouvelle philosophie des droits de la personne humaine, sur les nécessaires fondements d'une analyse féministe. Enfin, je voulais dire que je n'aurais pas fait ce raisonnement si je n'avais pas préalablement travaillé et milité sur la question des droits des hommes sur les femmes, et plus particulièrement sur les violences sexuelles et donc sur la prostitution.
Concernant la loi, tout dépend des cas de figures : elle peut être un frein des processus sociaux ou une avancée. Ce n'est donc que dans le contexte historique donné qui l'a vue naître que l'on peut comprendre l'émergence et le vote d'une loi.
Un auditeur - Vous avez fait un balayage de la prostitution dans le monde, en particulier vous avez cité l'Asie, l'Afrique, l'Amérique du Sud. Est-ce qu'on ne pourrait pas dire aujourd'hui que la prostitution est aussi et surtout liée à la pauvreté ?
M-V.L. - Non, je ne suis pas d'accord. Expliquer la prostitution par la pauvreté, c'est l'expliquer par l'économique. C'est donc évacuer donc la responsabilité du patriarcat et la question, pour moi essentielle du statut politique des corps. Et notamment du corps des femmes.
Dire que la prostitution s'expliquerait par la pauvreté, c'est l'analyse dominante à l'ONU qui légitime le discours libéral. La suite du raisonnement serait-il alors - mais là, c'est plus difficile à écrire - devenez donc riches et le problème sera réglé ?
En tout état de cause, des sociétés pauvres n'ont pas connu la prostitution, et des sociétés riches l'ont légitimée. En outre, cette analyse ne répond pas à la question ; pourquoi seraient-ce les femmes pauvres et non les hommes pauvres qui seraient prostituées ? Ni avec quel argent, puisqu'ils vivent dans des sociétés pauvres, les hommes peuvent payer ces femmes ?
L'explication par la pauvreté n'est pas une analyse parce qu'elle évacue la question de fond qui est celle de la domination patriarcale marchande sur les sexes et sur les corps.
Une auditrice - On a parlé de pessimisme. C'est vrai. Si on regarde les textes, c'est vrai qu'on peut être pessimistes par l'évolution que vous nous avez signalée. La convention de 1949, les décrets d'application de 1960, et les circulaires de 1970, ne sont pas appliqués. Dans chaque département, il devrait y avoir une commission départementale de la prostitution et celles-ci disparaissent. Et les services publics ont disparu. Ce sont les associations qui doivent pleurer pour avoir les subventions qui font le service. Bien sûr c'est très louable, elles le font bien, mais c'est tout à fait insuffisant.
Je voudrais aussi signaler quelque chose qui est passé inaperçu c'est la convention sur les droits des enfants. Cette convention dans son texte parlait du travail des enfants. Et la prostitution y est nommée comme travail des enfants. C'est grave. Et il y a eu tout un lobby, y compris de gens de très bonne volonté, de droite, de gauche, des syndicalistes, des associations, qui ont milité pour faire adopter cette convention qui a été adoptée au mois de juin. Voilà un texte en France qui assimile chez les enfants la prostitution à un travail.
Mais face à ce pessimisme, il n'y a pas que les élus femmes qui doivent se mobiliser. Nous sommes tous là à nous renseigner, à travailler, à réfléchir, et à lutter comme vous nous le montrez, et je crois que la porte est ouverte.
M-V.L. - Sur le "pessimisme", je voulais dire quelque chose. C'est vrai qu'il y a de quoi être pessimiste, même si je préfèrerais le terme de "réaliste". Mais il y a une chose que j'ai apprise, c'est que la capacité que l'on peut avoir de faire passer la croyance que ce contre quoi on lutte est inacceptable et doit être changé, est réelle. Ce ne sont pas certes pas des individu-es seul-es qui vont faire changer un système d'une telle force et d'un tel pouvoir. Mais la conscience de la gravité de la situation liée à la colère et à une volonté politique de changer la situation sont des outils et des armes importants. De toutes les façons, nous n'avons pas le choix : la réalité est là et elle est inacceptable. Il faut donc la combattre.
Je voulais dire aussi une autre chose, c'est qu'une des difficultés aussi peut-être (mais ça peut être aussi une force si on l'analyse politiquement), c'est que ce clivage pro / contre la prostitution ne recoupe pas le clivage droite / gauche. À droite, une femme comme Roseline Bachelot au RPR, a une position forte de refus de principe, mais si je ne suis pas sûre qu'elle soit suffisamment consciente de la gravité des enjeux actuels. À gauche Dominique Voynet qui avait été très claire, a changé de position, puisqu'elle s'est tue quand des positions graves ont été prises par certains Verts. Et aujourd'hui, je ne vois plus grand monde19. De toute façon, la classe politique évolue en fonction des rapports de force. Si nous ne faisons rien, il y a peu de chances qu'elle bouge.
En conclusion, je veux terminer quand même cet exposé par une appréciation positive. Institutionnellement, les libéraux ont sans conteste possible gagné. Mais, dans le même temps, le regard sur la prostitution a réellement changé ces dernières années. L'anathème est dorénavant porté sur les clients. Un exemple : on m'a récemment parlé d'une émission où un jeune journaliste qui cherchait un sujet est allé au Bois de Boulogne : au lieu de tourner sa caméra vers les prostituées, il a suivi un "client" qui courait se cacher. Je crois que l'on peut dire que la honte a changé de camp. Et ça c'est une révolution.
10 novembre 2001
Repris et corrigé le 2 septembre 2002.
BIBLIOGRAPHIE concernant le système prostitutionnel.
(À lier avec la bibliographie sur les violences masculines à l'encontre des femmes)
Ouvrage.
Le droit de cuissage. France, 1860-1930. Les Editions de l'Atelier. 1994.
Préface de Michelle Perrot. Cf. Chapitre 5. "De l'ambivalence entre salariat et prostitution" . p.121 à 143.
Coordination de No de revue
Cette violence dont nous ne voulons plus. N° 11, 12. Prostitution. Numéro Spécial. Mars 1991. 108 p. Publié par l'AVFT. Association Européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Tel: 01 45 84 24 24. Fax: 00 45 83 43 93. 60 .
Articles:
- La conférence européenne contre le trafic des femmes. Vers une reconnaissance légale du proxénétisme. Projets Féministes. Publié par l'AVFT. N° 1. mars 1992.
- Cette violence dont nous ne voulons plus. (Pour une analyse des nouvelles donnes en matière de prostitution et de proxénétisme). Chronique Féministe. Bruxelles. No Spécial: Féminisme et prostitution. No 51. janv./ fev. 1994.
- A propos des violences masculines contre les femmes. Ebauche d'une analyse féministe du nouveau code pénal français. in: Projets Féministes. No 3. Octobre 1994.
- L'ONU, les gouvernements et la prostitution: De la conférence de Nairobi (1985) à la conférence de Pékin. Le corps humain est-il devenu un objet d'échange sur la marché mondial? 5 ème Université du Cri. La Prostitution, aujourd'hui. Novembre 1997. p. 20 à 37. Le Cri. Tel: 02 40 22 79 91.
- La prostitution doit être jugée sur des fondements éthiques. (Pour une critique du rapport de madame Coomaswamary, rapportrice spéciale de l'ONU concernant la traite et la prostitution forcée des femmes) Prostitution et Société. avril/mai/juin 1997.
- A propos des violences, de la prostitution, de la traite, de la sexualité. (Pour une critique de la nouvelle législation belge concernant le trafic des êtres humains) Chronique Féministe. Violences: une stratégie patriarcale. Bruxelles. Mai/Juin 1997. Tel: 00. 32-2-229 38 53.
- Le Code de la honte. (Texte non publié dans Libération). In: Chronique Féministe. Mai/Juin 1997. Op.cit.
- Proxénétisme : Un coup d'arrêt aux thèses hollandaises? In: La lettre de l'AVFT. N° 10 / 11. Nouvelle Série. Hiver 1997.
- Que font les gouvernements Européen face aux politiques de légitimation du proxénétisme? (Publié en espagnol) Revista 8 de Marz. N° 28. 1997. Direction générale de la femme de la Communauté de Madrid. Fax: 00 34 91 580 47 09.
- Non à l'Europe proxénète. Femmes/Info. Revue du CODIF. N° 89. Vers la marchandisation du corps humain? Hiver 2000. Tel: 04 91 33 42 07. Fax: 04 91 33 45 26.
- Pour un nouvel abolitionnisme. Belgique. Cahiers marxistes. Juin-Juillet 2000. La prostitution : un droit de l'homme ? 21 Avenue de Stalingrad. 1000 Bruxelles. Tel/Fax: 00 32 2 511 93 89. (Sur le site : Pénélopes .org)
- Oui l'Union européenne légitime la prostitution. Critique de la Résolution adoptée le 19 mai 2000 par le Parlement européen. La prostitution aujourd'hui. Actes du Colloque du 16 mai 2000 organisé à l'UNESCO. Editions Fondation Scelles.
Tel : 01 40 26 04 45 .Fax : 01 40 26 04 58. Sur le site Internet de la Fondation Scelles.
- Repris avec des ajouts, en espagnol, sous le titre : Pour un nouvel abolitionnisme , in, Simposio internacional sobre prstitucion y trafico de mujeres con fines de exploitaçion sexual. Publicaciones, Communidad de Madrid. Direccion general de la Mujer. Espagne. Octobre 2001. P.203/218.
- Abolitionnisme : le double langage. Cri Informations. N°101. Octobre/Novembre : Décembre 2000. Prostitution : un problème politique. 23 rue Pasteur. 86000 Poitiers. (sur le site : Pénélopes . org)
- Pour une critique de la politique pro-prostitution de Cabiria. Analyse critique du rapport d'activité 2000 de Cabiria. Sur le site : Pénélopes .org.
Très partiellement reproduit dans Prostitution et Société, nov-décembre 2001. ( à paraître)
* A propos de l'exposé d'Eva Hevlung concernant la politique sur la prostitution menée en Suède, participation au "Débat sur l'expérience suédoise". In : Bulletin 2002 de Viols femmes Information. ( 9 villa d'Este 75013 Paris. Tel: 01 45 82 73 00 ) . p. 34 à 38.
Articles publiés dans la presse
- Quand les Pays Bas décriminalisent le proxénétisme. Le corps humain mis sur le marché. Le Monde Diplomatique, Mars 1997.
*Reproduit dans " Femmes, le mauvais genre ? ". Le Monde Diplomatique. Manière de voir 44. Mars-Avril 1999.
*Publié en anglais dans: Making the harm Visible, Global sexual exploitation of women and girls. Speaking out and providing services. Donna Hughes and Claire Roche, Editors. Coalition against trafficking in women. 1999. 351 p. P.O Box 9338, N. Amherst, MA 01059 USA.
* Reproduit dans : Problèmes économiques et sociaux. N° 835. " An 2000. Quel bilan pour les femmes? " . La Documentation Française. 3 mars 2000.
- L'Union Européenne va-t-elle nous faire vivre dans une Europe proxénète? Le Monde. 10/11 mai 1998.
- Interview. Le Courier de l'Ouest. 6 juin 2000.
- Pour une critique de la politique pro-prostitution de Cabiria. Analyse du rapport d'activité 2000 de Cabiria. Sur le site Internet Pénélopes .org. Novembre 2001. Très partiellement reproduit dans: Prostitution et Société. N° 135, Oct/No/Décembre 2001. p.12/13.
- Interview : Faut-il abolir la prostitution? O Toulouse. 9 novembre 2001.
- La prostitution. In: Archives de Sciences criminelles. Editions Dalloz. (A paraître)
- Non, Monsieur Badinter. In, Cri Informations. N °107. Juil/août/sept. 2002. Et sur le site Internet des Pénélopes. Pénélopes.org. Avril 2202.
Pétitions, Manifeste
- Dans le cadre de l'AVFT. " Les gouvernements européens ne doivent pas adopter le " code européen de conduite pour prévenir et combattre le trafic des femmes aux fins d'exploitation sexuelle ". 23 avril 1997. In, La lettre de l'AVFT. N° 10-11. .
-Dans le cadre de la FIDH, avec l'AVFT:
* L'Union européenne exclut la prostitution de la définition des violences contre les femmes. New York, 6 mars 1998:
* Lettre ouverte au Lobby européen des femmes. New York, 8 mars 1998.
* Demande aux Etats de réintroduire les termes de 'prostitution' et de 'proxénétisme' dans les conclusions des conclusions de la 42e session de la Commission de la Condition de la femme. New York, 10 mars 1998.
- Dans le cadre du CPL. " Appel à entrer en résistance contre l'Europe proxénète ". Texte rédigé dans le cadre du CPL. Comité permanent de liaison des associations abolitionnistes françaises pour l'abolition du proxénétisme et de la prévention de la prostitution. 26 octobre 1999.