Maria Deraismes

Discours1

Banquet préparatoire au Congrès du droit des femmes

date de rédaction : 11/07/1869
date de publication : 01 / 09/ 1980
mise en ligne : 03/09/2006
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…Il ne faut pas nous faire d’illusions ; certes nos intentions sont excellentes, malheureusement, les intentions ne sont pas des faits. Nous travaillons à libérer la femme, à l’affranchir, à constituer son autonomie ; seulement notre projet n’étant pas encore effectué, la femme se trouve aujourd’hui dans la situation où elle était hier, c’est-à-dire serve, en attendant que la loi se prononce de façon définitive.

Et comme nous ne nous adressons pas qu’à des femmes indépendantes, filles majeures ou veuves, mais bien aussi à des femmes mariées, ne les rendons pas responsables de leurs réticences et de leurs réserves. Elles subissent la joug, elles sont, suivant l’expression, en puissance de mari. Or, si le mari résiste, s’il oppose son veto, que fera la femme ? Lui conseilleriez-vous de soulever dans son ménage des discussions, des querelles, des disputes, des scènes, des violences, peut-être ? Offrira t-elle à ses enfants, le navrant spectacle des divisions domestiques ?

On qualifie de peureuses les femmes qui ne protestent pas ; c’est bientôt dit. Est-ce nous qui nous mettons à leur place ? Mais, dans de pareilles conditions, je les juge prudentes. Nous ne sommes pas venues pour apporter la guerre, nous sommes venues pour apporter la paix. Ce serait céder à un faux zèle que de les pousser à agir autrement. D’ailleurs, la coopération des femmes, pour n’être ni manifeste, ni publique, n’en sera pas moins efficace, virtuelle.

Elles sont, comme nous, animées des meilleurs sentiments : leurs aspirations sont semblables aux nôtres ; elles se chargeront donc de la propagande privée, intime ; elles nous prépareront les voies en influençant les esprits, tandis que nous, femmes libres, filles ou veuves, nous représenterons la fraction militante…

Nous ne prêchons aucune doctrine nouvelle ; nous n’organisons aucun système nouveau ; nous ne sommes point des novateurs, et nous nous en faisons gloire, car il est à remarquer, qu’en fait de morale, il n’existe point d’idées nouvelles. Et nous pouvons dire avec Lessing : « Le vrai n’est pas nouveau et le nouveau n’est pas vrai ».

Nous nous appuyons sur le principe immuable de justice, principe planant bien au-dessus de toutes les combinaisons sociales et politiques, lesquelles sont éphémères, fugaces, ou pour le moins, toujours modifiables.

Ce principe de justice incontestable est admis par nos adversaires, ils l’acceptent comme une vérité fondamentale.

Comment se fait-il alors que, précédant du même principe, partant du même point, nous arrivions à des conclusions opposées ? La cause en est bien facile à saisir.

Nos adversaires, tout en se basant sur le principe de justice, n’en veulent qu’une application partielle, et nous, nous en exigeons une application intégrale. Nous comprenons que la justice ne fait ni réserve, ni exception, sans quoi elle changerait de nom et deviendrait son contraire.

Ce qu’il y a de curieux, c’est que tout ce que disons et écrivons, nos adversaires le ressassent dans les journaux, dans les brochures, dans les réunions publiques, à la Chambre des députés. Ils exclament sans cesse : l’être humain est autonome ; la société doit le placer dans des conditions favorables au libre développement de ses facultés ; tout peuple doit intervenir dans la gestion des affaires de l’Etat, puisqu’elles le concernent pour une part ; et comme nul pouvoir n’est infaillible, impeccable, le pouvoir a besoin de contrôle.

De ce juste argument, nous déduisons cette conséquence : Ce qui est vrai pour une société de plusieurs millions d’individus est vrai pour la société le plus restreinte. Le mariage est une société. La femme doit trouver le libre exercice de ses facultés, intervenir dans la gestion de ses affaires et veiller à ses intérêts.

Alors, comme le code à ce sujet porte un formel démenti à la justice, nous demandons qu’on remanie le code. Nos prétentions sont donc conformes à la vérité, à la justice, à la raison.

D’après ces simples réflexions, qui sont les fous, qui sont les sages ?

Je crois que poser la question, c’est la résoudre.

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Notes de bas de page
1 Publié dans : Maria Deraismes, Ce que veulent les femmes. Articles et discours de 1869 à 1894. Préface, notes et commentaires d’Odile Krakovitch. Syros. Septembre 1980. 143 p. p. 46 à 48.

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