Nous vivons dans des sociétés fondées sur une telle hégémonie des valeurs masculines, identifiées depuis des siècles à l'universalisme, sur une telle absence de critique générique des hommes en tant que communauté sexuée, qu'il n'est pas étonnant que le plus «évident» soit le moins remis en cause. Et pourtant...
Aussi dérangeante cette réalité soit-elle et aussi fortes les résistances à la reconnaître - et elles sont compréhensibles, compte tenu des enjeux d'une telle affirmation - il faut dire cette évidence : la violence humaine est d'abord violence masculine.
La majorité des crimes et délits sont commis par des hommes, et le plus souvent, par des hommes sur des femmes.
Cette affirmation n'implique pas que tous les hommes exercent des violences, ni n'exclut que des femmes puissent elles aussi être violentes, y compris contre plus faibles qu'elles, les enfants, et, dans une moindre mesure contre les hommes, en général en situation de légitime défense.
Cette affirmation n'oblitère pas non plus le fait que certains hommes n'approuvent pas la violence masculine, voire en souffrent, ni que certains puissent en être victimes. Certains partagent les souffrances de femmes qui leur sont proches; d'autres ont eux aussi été l'objet de violences sexuelles masculines, expression des contraintes à l'hétérosexualité, à la virilité.
Il ne s'agit donc pas d'enfermer chacun-e dans une identité figée d'homme-bourreau ou de femme-victime. Rappelons qu'en tant que féministes, nous sommes souvent bien seules à déconstruire ces stéréotypes et à lutter contre l'enfermement des femmes dans un statut de victimes. Il ne s'agit pas non plus de construire un « jeu à somme nulle » : la violence et la souffrance des unes effaçant celles des autres, ni de procéder à des comparaisons abstraites « à l'équivalence».
Ce qu'il faut poser comme préalable à toute analyse, puisque c'est le fondement des mécanismes de production de cette violence, ce sont les rapports de pouvoirs qui ont été légitimés depuis des siècles par la Loi. Aucune femme n'échappe à la violence masculine. Toute femme a subi une ou plusieurs de ces violences sexistes. Nous vivons toutes sous la menace.
Il faut aussi affirmer une autre évidence : c'est aux hommes de lutter contre la violence masculine sur les femmes. Au même titre - et en m'excusant de l'usage toujours trop facile de l'analogie - que la lutte contre l'apartheid était d'abord de la responsabilité des Blancs.
Depuis vingt ans, les femmes ont fait un énorme chemin dans la dénonciation de ces violences et dans la revendication de leurs droits, cependant que, collectivement, les hommes n'ont même pas encore posé leur responsabilité.
Leur silence est justification, il doit être rompu.
Les hommes refusent d'entendre les cris, les pleurs, les silences. Ils refusent de voir les humiliations, les dénégations, les insultes, les dénis de droit, l'exploitation, les dépossessions, les abandons, les séquestrations, les blessures, les tortures, les violences sexuelles et les viols, les assassinats.
De toutes les femmes, y compris souvent de celles qui les entourent.
Les hommes refusent de dénoncer ces manifestations d'un système fondé sur des logiques d'appropriation et de domination des femmes, qui se perpétue par et pour la structuration de leur ego et la permanence de leurs privilèges. Quand ils ne le cautionnent pas.
Pour contribuer à l'éradication de la violence masculine, les hommes doivent en admettre la réalité et la dénoncer. Il est urgent notamment qu'ils s'interrogent sur les liens entre pouvoir et sexualité.
Ils doivent se solidariser avec les femmes, afin que l'un d'entre eux ne soit plus seul à dire: « J'ai honte d'être un homme, quand je vois qu'il n y a que des femmes pour se battre contre ces horreurs-là. »
En tant que féministes, nous affirmons clairement que, sur la base des principes que nous avons posés, leur place est souhaitée.
Ce n'est que si les hommes ne s'affirmaient pas solidaires des femmes et des féministes - dans la lutte contre les violences, sur des projets démocratiques égalitaires, comme sur tous les projets de société qui posent les rapports de pouvoir entre les sexes au coeur du politique - que nous serions en droit de dénoncer leur volonté explicite de maintenir, à l'encontre des femmes, leurs privilèges et leurs abus.
Le féminisme ne peut plus alors être accusé d'être un ghetto : il assume et revendique sans ambiguïté sa position politique de mouvement porteur d'avancées des droits de la personne humaine et de la démocratie.
À cet égard, toute politique qui serait tentée d'occulter la lutte contre les violences masculines, toute politique qui subordonnerait les droits individuels des femmes à la défense de la structure familiale, au nom de laquelle ces violences sont légitimées, contribuerait à les cautionner.
Et par là même, serait affirmée une volonté politique de maintenir et d'aggraver l'inégalité entre les sexes.