Jules Jouy

Filles d'ouvriers1

Le Père Peinard
01/ 02 / 1994

date de rédaction : 30/05/1898
date de publication : 01/ 02 / 1994
mise en ligne : 03/09/2006
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Pâle ou vermeille, brune ou blonde
Bébé mignon,
Dans les larmes, ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon, ça pousse
Chair à pavé.

À quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail
Du matin au soir, ça turbine
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole
Quand c'est girond
Dans un guet-apens,
Ça se viole
Chair à patron.

Jusque dans la moelle pourrie
Rien sous la dent,
Alors ça rentre en brasserie
Chair à client.
Ça tombe encore ; de chute en chute
Honteuse un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.

Ça vieillit et plus bas ça glisse ;
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police
Chair à roussin ;
Ou bien, « sans carte », ça travaille,
Dans sa maison ;
Alors ça se fout sur la paille ;
Chair à prison...

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.

Patrons! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !

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Notes de bas de page
1 Publié – dernière stance exclue – dans : Marie-Victoire Louis, Le droit de cuissage. France. 1860-1930. Editions de l’Atelier. Fev.1994. P. 44 et 45.

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