Paris, le 22 août 2000
Lettre adressée à Francine Comte
Responsable du chantier G: « Emancipations face aux dominations »
Comité thématique G 2 : « Rôles sexuels, sexualité, prostitution »
Avec copie à:
Alain Pirou, Permanent des Etats généraux de l’Ecologie politique
.Alain Lipietz, Député Verts européen
Anne Poursinoff, Responsable de la commission femmes des Verts
Jean-Luc Benhamias, Secrétaire nationale des Verts
Francine,
Comme tu le sais, je ne suis pas Verte.
Je me permets néanmoins, compte tenu:
- de la gravité de la décision que les Vert-es sont appelé-es à prendre lors du CNIR du 27- 28 août,
- notre long débat contradictoire sur la question de la prostitution chez les Verts,
- et, notamment, à la lecture du site internet des Etats Généraux de l’Ecologie politique 1 auxquels les Non-Vert-es sont appelé-es à participer, de te transmettre ma réaction concernant les derniers éléments constitutifs de l’élaboration d’une autre politique des Vert-es en matière de prostitution.
Pour la clarté de l’analyse, et dans la mesure où je n’ai pas suffisamment de temps pour procéder à une analyse plus synthétique et donc plus courte, j’ai procédé en trois temps. J’ai analysé:
I. Le site www.etatsgeneraux.org concernant le chantier G, organisé par Alain Piriou
II. Le programme des Vert-es, dans ses textes les plus récents, et pour lesquels je ne trouve malheureusement pas d’autres qualifications que ceux de: « textes -Femmes»
III. La motion déposée proposée au vote du CNIR des 26 et 27 août 2000, intitulée: « Pour une pleine citoyenneté des prostitué-es ( y compris des résident-e-s étanger-e-s) »
I. Le site internet.
J’ai noté que dans les textes diffusés sur le site (depuis le 26 juillet seulement)2 que certains textes importants, pour ne pas dire essentiels, émanant des Vert-es n’y figuraient pas:
1 ° L’interview de Dominique Voynet, en 1994, alors porte-parole nationale des Verts, à Prostitution et Société. 3. Son titre: « L’idée d’une prostitution légale, hygiénique, d’un métier, nous semble aux antipodes de l’avancée des droits des femmes ».
2 ° La « motion sur la prostitution et le trafic des femmes et des enfants » votée par le CNIR en date du 30 et 31 janvier 1998, laquelle reprenait la motion élaborée par la Commission femmes lors de sa réunion des 27 - 28 novembre Grenoble - Seyssins.4
Ce texte - qui se référait dans ses considérants à la convention de l’ONU du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui » - affirmait notamment :
...La commission nationale « Femmes » des Verts...s’inquiète de l’évolution des politiques Européennes qui - sans aucun débat démocratique - tend à l’acceptation de la prostitution des hommes et des femmes, comme étant une « activité libre ». Cette reconnaissance de la prostitution comme une activité - presque comme les autres - ne peut qu’accroître le nombre de prostituées, la demande des clients et le nombre de proxénètes.
Elle déclare que la prostitution et le trafic des femmes constituent une violation des droits humains les plus essentiels.
Elle réaffirme que l’inaliénabilité du corps humain doit être considéré comme faisant partie des principes universels des droits de la personne humaine.
Elle déclare que, dans la grande majorité des situations, à travers le monde, les prostituées sont des femmes et que les clients et les proxénètes sont des hommes. Elle considère donc que la vie de millions de femmes est sacrifiée pour satisfaire une sexualité qui n’est pas la leur. À ce titre, la prostitution doit être considérée comme la manifestation la plus violente de l’appropriation du corps des femmes par les hommes, comme l’institutionnalisation de la domination masculine. Si la prostitution ne relève pas de l’esclavage, nombre de femmes, d’adolescentes, de petites filles sont traitées comme des esclaves, battues, violées, enfermées, assassinées. La prostitution et le trafic des êtres humains ne peuvent être associés aux termes « forcé » ou « libre ». La contrainte étant impossible à prouver, les proxénètes internationaux sont régulièrement acquittés par les tribunaux. La notion de « libre choix » ne saurait être que relative, dans une société où la précarité domine, en particulier pour les femmes. ce « choix »est étroitement conditionné par leur situation dans une société donnée, à l’intersection des champs économiques, sociaux, culturels et politiques.
La prostitution masculine s’est développée sur le modèle de la prostitution féminine: appropriation du corps de l’autre pour assouvir des besoins sexuels envers un homme ou une femme que l’on paie.
Elle déclare que la lutte contre la prostitution doit se faire avec le soutien des prostituées et prendre en compte les violences qu’elles (ils) ont subies. Aucune politique de « réinsertion » des prostitué(e)s ne peut se faire sans une condamnation ferme des états et de l’Union européenne du système prostitutionnel dans toutes ses composantes, y compris la mis en cause du client comme premier facteur de prostitution. Un travail important d’éducation de la population est à mener. le rôle souvent incitateur dans le cadre de l’armée est à dénoncer.
Elle déclare enfin que la lutte contre la prostitution est indissociable de la mise en oeuvre de politiques s’assignant comme projet de garantir aux femmes des droits réellement égaux à ceux des hommes et de lutter contre toutes les inégalités dues à l’âge, entre les sexes, comme entre les peuples. Elle affirme que la lutte contre la prostitution est indissociable de toutes les luttes politiques contre la mondialisation capitaliste et contre les effets dramatiques en termes d’accroissement de la misère, et des atteintes à la dignité des êtres humains.
Elle demande aux gouvernements et décideurs de tous les niveaux politiques d’entamer des discussions avec toutes les associations concernées par les droits des femmes et des enfants, afin de mettre en oeuvre des mesures de prévention efficaces ».
Je me permets de rappeler que ce texte5 a été voté par le CNIR à la majorité des voix: 43 voix pour, 10 contre et 18 abstentions.
À cet égard, j’ai eu une inquiétude à propos de laquelle j’aimerais, quand tu auras le temps, avoir une précision. J’ai en effet un autre texte émanant des Verts (dont je t’ adresserai une photocopie), intitulé comme celui que je viens de citer, mais d’une toute autre facture. Il n’en reprend que partiellement l’exposé des motifs6, tandis que son texte central (sous le titre: Motion) n’a quasiment rien à voir avec le précédant, alors qu’il affirme reprendre « en termes identiques la motion élaborée par la commission femmes lors de ses réunions des 27 - 28 novembre à Grenoble -Seyssins »
Sais - tu de quoi il s’agit?
3 ° Les critiques publiées dans Politis 7en réaction au: « Manifeste pour une pleine citoyenneté des prostitué-e-s » dans ce même journal.
4 ° La motion d’urgence faite par la Commission femmes en date du 17 août 2000 demandant que soit retiré de l’ordre du jour du CNIR d’août.
Je cite l’argumentaire: « Cette motion tend à remettre en cause la position des Verts prise en janvier 2000. Elle s ‘y prend de façon subtile en cachant aux Verts la véritable finalité de la motion: passer d’une position abolitionniste à une position réglementariste. En clair, dire que les Verts ne souhaitent pas une société sans prostitution mais une société où la prostitution serait un métier comme un autre » Le texte de la motion étant le suivant:« La Commission femmes demande que soit retiré de l’ordre du jour du CNIR des 26 et 27 août la motion diverse n°13: « Pour une véritable citoyenneté des prostituées ». En effet, les signataires de cette motion veulent remettre en cause la position prise par les Verts sur la prostitution au CNIR de janvier 1998, sous prétexte que le débat des Verts était insuffisant. Il semble donc contradictoire de proposer une motion avant que le débat ait eu lieu ».
Certes, les Vert-es pourraient arguer qu’il s’agit d’un problème de procédure interne, mais il me semble que, compte tenu de l’importance de la décision qui doit être prise, il serait important que les militant-es soient au courant de la teneur des débats avant le jour même de la décision que vous allez prendre d’accepter ou non cette motion.
5 ° Enfin, je pense qu’il aurait, enfin, été utile, voire nécessaire de publier l’échange de courrier, politique, que nous avons eu, lequel s’est poursuivi avec Alain Lipietz.
En effet, ces lettres - que je considère comme politiques et donc publiques et qui sont donc à la disposition de qui veut en prendre connaissance - abordaient, selon moi, certaines questions qui mériteraient d’être connues des militant-es.
Je me permets de rappeler certains éléments.
Suite à la décision des Verts de ne plus publier le texte que j’avais présenté, à ta demande, le 31 mai 1999, intitulé: Non à l’Europe proxénète, tu m’as écrit plusieurs lettres. Dans celle datée du 11 décembre 1999, tu commençais ainsi : « Ton appel à entrer en résistance a soulevé bien des vagues »; tu m’écrivais (notamment) « être tout à fait d’accord sur le fond » (avec mes positions) et tu terminais ainsi: « La motion votée au CNIR ne doit pas être remise en question, elle doit simplement être complétée par des propositions plus concrètes ». Cette lettre a été suivie d’une seconde lettre, non datée, où tu évoques « la polémique très difficile qui s’est instaurée chez les Verts à la suite de l’appel contre l’Europe proxénète » et où tu m’informes de votre décision de ne plus publier mon texte, sauf si j’acceptais de faire « une concession ».
J’ai répondu à ces deux lettres, en date du 22 décembre, puis, plus longuement en date du 12 janvier 2000. Ces lettres ont été concomitamment adressées au Secrétariat des Verts. Une petite partie de ma réponse a été publiée dans Prostitution et Société 8 à la suite d’un article de Claudine Legardinier, intitulé: « Prostitution: état de crise chez les Verts ».
Notre échange de courrier a ensuite été prolongé par une correspondance, elle aussi politique, avec Alain Lipietz (Lettres de ma part en date du 21, 22, 24 janvier, et du 7 et 8 février 2000; réponses d’Alain Lipietz en date du 22, 23 janvier et du 7 et 20 février 2000.). Ces lettres, elles aussi, mériteraient, selon moi, d’être sur le site. Au moins, pour certains de leurs éléments.
6 ° Le texte (non daté) qu’Alain Lipietz avait adressé aux signataires du texte: « Appel pour une politique de réduction des risques en matière de prostitution (inclus dans ce site) qui s’intitule « Pour des Verts idéalistes et ringards. Lettre ouverte à Jean-Luc, Denis, et les autres »
Il y écrivait notamment: « J’ignorais qu’en adhérant aux Verts j’avais opté pour une politique « pragmatique et moderne », rejetant « les positions stériles de la moralité bien pensante ». Je croyais avoir adhéré à un mouvement qui défend des valeurs. Parmi ces valeurs, je comptais le refus de considérer le corps de la femme comme une marchandise ».
J’ai noté enfin que:
7 ° de très nombreux autres textes politiques essentiels (notamment de critique des thèses libérales et notamment de la politique Néerlandaise9, abolitionniste ou permettant de le dépasser) ne sont pas non plus cités, ni évoqués.
8 ° qu’aucune analyse n’est faite de la convention de 1949 10, de ses apports, de ses limites, ni des moyens de les dépasser; pas plus que des raisons qui expliquent la virulence, chez les libéraux, des attaques dont elle est l’objet.
9 ° qu’aucune place (et donc aucune critique) n’est faite à la nouvelle politique Suédoise qui a considéré que la prostitution devait faire partie des politiques mises en oeuvre pour lutter contre les violences faites aux femmes et qui a décidé de pénaliser les clients.
10 ° que le texte (extrêmement important) voté par les Verts au Parlement européen intitulé: « Pour de nouvelles actions dans le domaine de lutte contre la traite des femmes » n’est pas non plus reproduit. Et que les raisons pour lesquelles certain-es s’y opposent avec force, et pourquoi les Verts l’ont voté ne sont pas explicitées.
Je constate donc que ce site ne fournit pas aux militant-es les données essentielles du débat.
Ceux-ci et celles-ci ne sont, à sa lecture, pas à même de connaître et donc de juger:
1°: des données historiques propres à l’histoire des Verts;
2°: d’une partie importante de la teneur du « débat sur la prostitution (qui) a traversé avec virulence les différents espaces du débat public virulent 11». Lequel débat a aussi traversé les Vert-es français-es entre eux, ainsi que les Vert-es français-es et les Verts européens (néerlandais, belges, allemands, suédois);
3 °: des fondements politiques, économiques et éthiques à partir desquels une nouvelle motion doit leur être proposée les 26 et 27 août 2000, laquelle doit donc se substituer au texte déjà voté par le CNIR les 30 et 31 janvier 1998.
4 °: des liens et des différences entre les signataires des différents textes Vert-es (récents) partisans d’une légitimation de la prostitution. Je cite:
- L’« Appel pour une politique de réduction des risques en matière de prostitution » »12, signé notamment par: Denis Beaupin, Jean-Luc Bennhamias, Alima Boumedienne, Daniel Cohn-Bendit, Patsy Sorensen, Anne Souyris...
-Le « Manifeste pour une pleine citoyenneté des prostitué-es », (paru dans Politis) signé notamment par: Anne Souyris...(du groupe de travail « Prostitution » des Verts-Paris), Jean-Luc Bennahmias, Daniel Cohn-Bendit, Alima Boumedienne-Thiery, Patsy Sörensen...
- La motion intitulée: « Motion sur la prostitution proposée au vote du CNIR des 26 et 27 août 2000 », signée notamment par: Alima Boumedienne, Yves Cochet et soutenue par: Anne Souyris, Alain Piriou.
Il me semblerait enfin important, à cet égard, que Dominique Voynet, jusqu’alors étrangement absente des débats, fasse connaître sa position.
En revanche je note l’insertion dans ce site de nombreux textes (critiquables) sans aucun commentaire, ni analyse critique.13 .
Ainsi, par exemple, le site diffuse, notamment 14:
1° : Le texte de l’Encyclopédia Universalis consacré à « la prostitution et au proxénétisme », qui considère notamment que les clients, les prostituées et les proxénètes sont « des partenaires » et que « l’Allemagne (sous la réserve des Eros center) et les Pays-Bas » sont des « Etats abolitionnistes »;
2°: Un texte de Malka Markovich, présidente du MAPP, dans lequel elle considère:
- qu’ «en se référant aux principaux outils internationaux et européens, l’exploitation sexuelle est une forme persistante de l’esclavage »;
- que les termes de « prostitution » et d’ « industrie du sexe » sont équivalents;
- que la dénomination des « proxénètes » ne serait pas signifiante: « ...les proxénètes - quels que soient leur titre, intermédiaires, chefs d ’entreprises... »
Enfin, le MAPP, dans ce texte, ne demande plus que soit appliquée la convention de 1949. Il demande simplement de « mettre en application les principaux outils internationaux de référence - aux droits de la personne ». 15
3 °: Une réaction à un message du réseau Voltaire 16 qui affirme que : « Les principes de 1789 requièrent à la fois de lutter contre toute forme d’exploitation de la prostitution d’autrui, dont le proxénétisme, et de garantir la liberté individuelle, y compris le recours à la prostitution ». L’auteur de ce message s’interroge sur la question de savoir si « la prostitution peut être autre chose qu’une forme d’exploitation d’autrui» et considère qu’elle « peut prendre des formes humainement acceptables, voire valorisante ».
4 ° : Un texte (en anglais) émanant du « groupe de travail sur les formes contemporaines de l’esclavage » qui fait notamment référence à la convention (en préparation) contre la criminalité transnationale organisée et à son protocole additionnel sur le trafic des femmes et des enfants.
Or, ce projet de (nouvelle) convention onusienne internationale (qui de fait va se substituer à la convention de 1949, à laquelle il n’est pas fait référence) en se référent exclusivement à la question de la « criminalité transnationale organisée », au « trafic des femmes et des enfants » artificiellement isolé de la question du de l’ « introduction clandestine des migrants... » ( puisque le texte prévoit deux protocoles additionnels différents) entérine de facto l’abandon de la lutte contre le proxénétisme et la prostitution. Dès lors ceux et celles qui s’y réfèrent et / ou proposent des amendements à sa rédaction ne peuvent que conforter la logique des Etats qui veulent légitimer la prostitution.
5 ° : Une lettre qui dénonce « la climat pédophobe », au nom de l’existence d’une sexualité enfantine.
6 ° : Un texte sur la libération sexuelle des femmes qui, notamment, condamne « la mise en spectacle du sexe »....« qui rapporte des bénéfices », « la sacro-sainte institution du mariage », « la domination patriarcale et capitaliste », mais pas le système prostitutionnel en lui-même.
7 ° : Enfin, je n’ai pas eu le temps de lire les textes diffusés par Anne Souyris, le 22 juillet.
II. Les textes « Femmes » des Verts
Sur la base de l’analyse de deux textes que j’ai reçus récemment, j’ai pu constater la disparition du mot féminisme, comme de toute forme de lutte contre les diverses manifestations de la domination masculine.
1° : Le dépliant intitulé: « Mot clef : femmes. Une Europe pour les femmes et pour les hommes »17.émanant des Verts au Parlement Européen.
Après avoir constaté la disparition des termes de proxénétisme, de clients, de personnes prostituées, de prostitution, il n’est question plus question que du « trafic des femmes »:
On peut lire ceci au titre du programme: « Les Verts voudraient voir l’UE étendre ses programmes d’information et soutenir les structures aidant les victimes à légaliser leur situation, y compris en leur accordant des permis de séjour. Un grand nombre de ces bandes criminelles opérant dans les pays de l’Est candidats à l’adhésion, l’UE doit prendre des mesures préventives dans le cadre des négociations sur l’élargissement.»
2° : Le dépliant émanant des Verts intitulé: Pour l’écologie. les femmes rejoignent les Verts. Celui-ci n’évoque ni la question des violences masculines à l’encontre des femmes, ni celle de la prostitution, ni même la lutte contre la traite des êtres humains.
J’ai aussi pu aussi lire, sous le titre: « Le projet des Verts et les femmes » (et non pas: « pour les femmes ») une analyse, dorénavant clairement culturaliste et différentialiste.
Je le cite intégralement: « Le projet écologiste remet en cause les objectifs de cette société de croissance. Il exige l’adoption d’un nouveau système de valeurs. À la place de la concurrence, la société écologiste cultive la solidarité qui permet le respect et la valorisation de toute personne. A la place de la course au pouvoir (!) , elle exalte le sens des responsabilités et pense aux générations futures. (!) Elle recherche la qualité plutôt que la quantité. (!)
Les femmes adhèrent généralement à de telles aspirations (!): elles souhaitent livrer des expériences et des réflexions neuves, elles estiment que leur culture, leur expérience souvent différente, leur sens du long terme (!) représentent une contribution importante dans tous les domaines ».
III. La motion proposée au vote du CNIR des 26 et 27 août 2000: « Pour une pleine citoyenneté des prostitué-e-s ( y compris des résident-e-s étrangér-es) »
Il me semble que, d’un strict point de vue de l’analyse de ce texte, la meilleure approche serait de le comparer, point par point, avec celui auquel (dans l’hypothèse où cette motion ne sera pas retirée) il est censé se substituer.
En tout état de cause, il n’est pas besoin d’être une féministe de longe date, ni un-e expert-e patenté-e, pour lire et donc comprendre que ce texte 18(d’une extraordinaire confusion conceptuelle19, (mais dont les critiques de la carence de la politique du gouvernement français sont partiellement justes) entérine la disparition:
1 ° de toute analyse / référence féministe;
2 ° de toute analyse / référent à la prostitution comme un système de domination sur les êtres;
3 ° de toute analyse /référent en termes de sexes. Il n’est même pas dit l’évidence, à savoir que des millions de femmes à travers le monde sont sacrifiées sur l’autel des désirs sexuels masculins, notamment de les dominer ;
4 ° de toute analyse /référent à l’intégration au sein du marché mondial des sexes, des corps et des personnes humaines, dans la logique économique dominante. Ce qui de fait légitime le bon droit des hommes à acheter l’accès aux sexes de (certaines) femmes, appelées prostituées;
5 ° de toute référence à la convention de 1949, pourtant signée par la France et que ce texte (sans doute pour mieux l’effacer de la mémoire politique rebaptise: « convention de Genève »(!) )20 ;
Ce texte par ailleurs, en toute cohérence, entérine:
6 ° la légitimité du proxénétisme dont le principe n’est pas condamné 21;
Il est simplement dit: « Il s’agit...de trouver les voies pour permettre aux personnes prostituées de se soigner, de vivre décemment (? ) et de se défendre contre la violence dont elles font l’ objet - de la part des proxénètes comme des clients ou des institutions, sans pour autant les enfermer dans une législation discriminante, comme c’était le cas avant 1946 (Loi Marthe Richard) en France ». Si l’on peut saluer le fait que les signataires de cette motion ne demandent pas la réouverture des bordels d’avant-guerres, faut-il rappeler qu’il existe, pour le proxénétisme, bien d’autres moyens de favoriser et de créer les conditions de tirer profit de l’exploitation sexuelle des personnes prostituées ?
En outre, au nom d’une « analyse », par ailleurs juridiquement fausse, voire inepte, 22 ce texte demande une « redéfinition du « proxénétisme », c’est-à-dire, une modification de la loi pénale en la matière.
7 ° la légitimité de la « demande prostitutionnelle » des hommes dont le principe n’est pas condamné;
8 ° la légitimité de l’affectation de (certaines) femmes, hommes, garçons et filles au service sexuel des hommes (dans la quasi-totalité des situations, actuellement);
J’ai noté enfin que ce texte:
9 ° condamne « la loi (?) moralement condamnante (?) » , mais n’explicite pas à quelle morale ses rédacteurs / rédactrices se réfèrent.23
10 ° Ce texte mandate « un groupe de travail constitué autour de la thématique G2 bis des Etats généraux de l’Ecologie politique afin de continuer le débat sur cette question selon les principes et directions énoncées ci-dessus ».Ce qui signifie clairement que les autres positions sur la prostitution seraient alors dorénavant exclues du débat.
En outre, ce texte nomme les personnes qui seraient alors (seules donc ? ) habilitées à « être en relation constante » (avec lui):, à savoir: « les associations de terrain, des chercheurs (au masculin...) et des spécialistes de droit ». Je note que non seulement les citoyens/ennes - adhérent-es des Verts seraient dès lors exclues d’un débat qui les concerne pourtant, mais les personnes prostituées le sont aussi. Et ce, en contradiction formelle avec la position des Verts dans le manifeste publié dans Politis qui demandait une «reconnaissance de la parole de prostituées ».
Je note enfin que la Commission Femmes des Vert-es est, elle aussi, exclue du débat et donc de facto dissoute.
Voilà, Francine, ce que je souhaitais te dire.
Il y a encore bien d’autres choses que je souhaiterais écrire. Mais je dois arrêter, car je souhaite que ce texte t’arrive le plus tôt possible... Et j’ai beaucoup de travail en retard.
Pour terminer cette lettre, je ne pense pas qu’il soit lourdement nécessaire de rappeler que, pour l’honneur même des Vert-es, sans évoquer les conséquences dramatiques pour les femmes et les enfants de deux sexes, non seulement j’espère que cette motion sera retirée, mais en outre, et plus profondément, que jamais les Vert-es n’abandonneront les principes politiques qu’ils et elles ont déjà voté lors de la motion du CNIR en date des 30 et 31 janvier 1998. Plus encore, j’espère qu’ils et elles auront pour projet politique de la prolonger, de l’enrichir, et ce, à la mesure de l’extrême gravité des politiques actuellement mises en oeuvre.
Comme tu es déjà aux Etats-Généraux, je t’adresse ce texte, que je considère comme public - sur le e-mail d ’Alain Pirou. ( J’ai pu prévenir Alain hier téléphoniquement de cet envoi.)
Je lui demande donc de te le transmettre, ainsi qu’à Jean-Luc Bennhamias, Alain Lipietz et à Annie Poursinoff.
Dans l’attente de ta réponse, je t’adresse mes salutations cordiales.
Marie-Victoire Louis
P.S. Mon imprimante - neuve ! - est entièrement responsable de la mauvaise qualité de l’impression de certaines lignes; j’attends de pouvoir la remplacer.
Je te prie de m’en excuser.
« Etant donné que moins il y a de sécurité, plus il y a de proxénétisme, donc de racket et de violences, d’exploitation ».....