Marcelle Capy

Filature du coton

La Bataille Syndicaliste
09/04/1914

date de publication : 09/04/1914
mise en ligne : 03/09/2006
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Le coton entre à la filature en balles de trois cents à quatre cents kilos.
On ouvre les balles, on jette à terre le coton  et on mélange par couches successives suivant la qualité.
Ensuite, le batteur, machine à grands rouleaux, mélange définitivement la matière pour en former une sorte d’ouate. Les ouvriers qui alimentent le batteur sont fort gênés par les duvets qui volent constamment dans l’atelier. Ils gagnent 3fr. 50 par jour.
Ainsi que le lin, le coton est soumis à l’étirage qui le transforme en rubans.
Si le coton est destiné à fabriquer des spécialités, il passe au peignage, sinon il va aux bancs-à-broches où il est réduit en fils.

Dans certaines maisons, on supprime les métiers à filer ordinaires pour les remplacer par des métiers dits continus. Ces derniers permettent d’obtenir une plus grande production, car le fil se produit et se renvide continuellement. Ils sont conduits par des femmes et des enfants, d’où économie pour le patron.
Les continueuses gagnent de 2fr. 50 à 3 francs par jour.
Venant du filage, les bobines de coton sont mises à la mécanique et les fils étirés une dernière fois s’enroulent en écheveaux. Dans cet atelier, la chaleur est de 35 degrés, car plus il fait chaud, plus le coton se manipule aisément. On n’aère jamais, car les courants d’air cassent les fils. Les ouvrières gagnent là de 45 sous à 3 fr. par jour.
Les fils qui doivent être très fins passe à la retorderie où l’on réunit deux ou plusieurs fils simples par des torsions inverses. Le retordage se fait au sec ou au mouillé. Dans ce dernier cas, les fils passent dans des bacs d’eau chaude. Les rattacheurs et les rattacheuses au mouillé travaillant dans une humidité constante gagent trois francs par jour.

Dans les filatures modernes de coton, la mécanique a presque atteint la perfection. Le travail n’en est pas moins généralement malsain, car la température moyenne est  de 28 degrés et le degré hygrométrique atteint 60 %.
La question de l’hygiène se résume en ceci : arriver à ce qu’il fasse le moins chaud et que les ateliers soient aérés.

Les amendes sont aussi une mesure courante dans les filatures de coton. Pour quelques minutes de retard, les ouvrières sont taxées de cinq sous d’amende. Pour une parole un moment du travail : cinq et six sous d’amende. Lorsque le fil est de mauvaise qualité, qu’il casse et s’enroule mal sur la bobine : amendes encore. Si une femme manque : vingt sous d’amende, à moins de présenter un bulletin médical qui n’est pas toujours accepté par le contremaître.

Ce prétendu droit d’amende est exercé avec cynisme par les patrons. Il y a deux ou trois mois, un fait inouï qui révolta bien des consciences eut lieu à la filature Wallaert, de Lille. Une ouvrière prit froid en travaillant. Le lendemain, elle ne vint pas à l’usine, le soir même, elle mourut. Ce qui n’empêcha pas le patron de retenir vingt sous d’amende sur le salaire de la défunte sous prétexte qu’elle aurait dû, étant à l’agonie, envoyer un billet du docteur justifiant son absence. Ajoutons que, dans cette usine où les mortes elles-mêmes sont exploitées, le directeur en chef touche 36.000 Francs par an et que les chefs, sous chefs et contremaîtres à gros appointements abondent.  

Au reste, ce n’est pas seulement sous forme d’amende que les patrons prélèvent une part sur le salaire des ouvriers. Ils inventent à ce sujet toutes sortes de prétextes dont la plus usité est la quête religieuse.
On m’a cité le cas suivant :
À la manufacture Vrot, on retient actuellement à chaque ouvrière un sou par semaine pour faire dire des messes. Remarquons que, dernièrement, le patron de cette usine fit à l’archevêque, un cadeau royal de deux millions.

Le développement de la mécanique et surtout l’application des métiers continus a eu pour résultat de remplacer la main-d’œuvre masculine et féminine par des enfants.
Les fillettes surtout sont en nombre. Elles subissent la loi commune des amendes, touchent de très faibles salaires et sont considérées par les contremaîtres comme des souffre-douleurs. Les continueuses, par exemple, doivent se tenir toujours debout. Il leur est même défendu de s’appuyer au mur. Si, prises de défaillance, elles ne peuvent résister, elles sont rudoyées et injuriées.

Le séjour à l’usine leur est préjudiciable, tant au point de vue physique que moral.
Le travail intense, le manque d’air entravent leur croissance. À seize ans, elles ne sont pas plus développées que des enfants normaux de douze ans. Le teint jaune, les traits tirés, toujours maladives, la tuberculose les guette.

Au point de vue moral, la promiscuité des ateliers, les grossièretés des contremaîtres ont la plus néfaste influence sur ces jeunes esprits ; gamines, elles connaissent déjà toutes les saletés de la vie. L’usine qui estropie leurs corps pourrit leurs âmes  et les mœurs sont déplorables qui règnent dans ce milieu.

À noter cependant que les bras d’enfants commencent à manquer.
Les patrons se font mutuellement concurrence pour attirer la petite main d’œuvre.
Le moment serait propice pour exiger des améliorations.
Mais, faute d’énergie et d’organisation, rien n’est tenté, rien ne change et les industriels en profitent.


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