Clotilde Dissard

Les femmes à la Bibliothèque Sainte-Geneviève

La Fronde
11/01/1899

date de publication : 11/01/1899
mise en ligne : 25/10/2006
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Il y a quelques semaines, une note de l’Agence nationale nous apprenait qu’une décision ministérielle autorisait – à titre d’essai – l’admission des femmes à la bibliothèque Sainte Geneviève aux séances du soir.

On ne s’expliquait pas bien pourquoi les portes ouvertes toutes grandes aux femmes pendant la séance du jour, étaient hermétiquement closes pour elles le soir.

Le mouvement féminin qui porte chaque jour davantage les jeunes filles vers les études universitaires où elles sont admises au même titre que les jeunes gens, rendait en quelque sorte arbitraire ce refus de les laisser profiter des facilités de travail que possèdent les hommes. Les journées prises par les cours, il est indispensable à l’étudiante de trouver, le soir, les matériaux nécessaires pour profiter complètement des leçons des professeurs.

M. l’administrateur de la bibliothèque Sainte Geneviève a bien voulu nous donner les raisons, excellentes peut-être  mais un peu exagérées de cette prohibition qui  a maintenant cessé.
« La surveillance est plus difficile le soir que pendant le jour. Cela tient à deux causes : en premier lieu, le personnel est plus restreint, secondement, l’éclairage ne permet pas de distinguer les fauteurs de désordre : les petits jeunes gens heureux de causer et de s’amuser qui viennent le soir et troublent par des chuchotements, des rires intempestifs, le travail des jeunes gens sérieux.
Ils étaient assez nombreux, paraît-il, et, pour remédier à leur envahissement, on a dû refuser l’entrée de la salle de travail aux jeunes gens au-dessous de dix-huit ans.
Cependant, si les parents sollicitent l’admission à la bibliothèque Ste Geneviève d’un jeune homme n’ayant pas l’âge requis, il est fait droit à leur demande et on lui  délivre une carte d’entrée ».

Mais, objectons-nous, ceci ne signifie en rien la mesure qui s’appliquait aux jeunes femmes.
On conçoit très bien que les jeunes gens des lycées ou des écoles primaires, ou à la rigueur de jeunes apprentis ou ouvriers, profitant de la liberté que leur laissent leurs familles, se donnent  rendez-vous à la bibliothèque et transforment les séances de travail en séance de récréation.
Mais les jeunes filles ne jouissent pas, j’imagine, d’une telle licence, elles doivent rester à la maison et on ne les laisse qu’exceptionnellement sortir le soir. Seules, les étudiantes, celles que des examens à préparer obligent à un sérieux travail, fréquentent les bibliothèques et sortent la nuit.

Ce n’est point d’ailleurs aux administrateurs de bibliothèques publiques qu’incombe le soin de veiller sur la sécurité d’une jeune fille, ce droit appartient à la famille.

On ne peut donc que féliciter l’administration de la bibliothèque Sainte Geneviève d’avoir fait cesser cet état de choses par trop regrettable.

Désormais, les femmes sont admises. La décision provisoire est devenue définitive. Les étudiantes reçoivent sur présentation de leur carte l’autorisation nécessaire. Les jeunes filles doivent se munir d’une autorisation de leur famille ; quant aux femmes mariées, nous dit aimablement l’administrateur, « nous estimons qu’elles ont moralement l’autorisation de leur mari, puis, elles doivent savoir se garder seules ».

Le chef de séance peut autoriser pour une séance du soir – pour une seule – l’admission d’une femme qui n’a pas encore sollicité l’autorisation nécessaire, à condition cependant qu’elle donne des garanties, qu’elle montre patte blanche, par une carte de la bibliothèque nationale ou par son contrat de mariage ! Elle devra à sa sortie, si elle veut revenir à la bibliothèque, déposer une demande sur le bureau du surveillant, celui-ci lui remettra le lendemain une autorisation permanente.
Quarante femmes ont déjà sollicité et obtenu cette fameuse autorisation.
D’autres, certainement, la solliciteront encore.


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